Bécassine !, comédie française de Bruno Podalydès, 2018. Adapté de la bande dessinée éponyme de Jacqueline Rivière (scénariste) et d’Émile-Joseph-Porphyre Pinchon (dessinateur), 1905 et s. Avec Émeline Bayart, Karin Viard, Denis Podalydès.
Thèmes
Vulnérabilité positive, transcendantaux, amour.
Bécassine ! est une nouvelle bande dessinée qui passe de l’écrit à l’écran, du statique silencieux au dynamique harmonieux, après tant d’autres héros franco-belges fameux, Tintin, Astérix, Lucky Luke, Iznogood, Michel Vaillant (passons le tout récent Gaston Lagaffe…), etc. Mais ici, c’est une BD très particulière, celle qui, en 1905, assure la transition entre les histoires illustrées et la bande dessinée proprement dite, introduisant aussi le style graphique moderne qu’on appellera « la ligne claire » et qui est si somptueusement illustrée par l’œuvre d’Hergé.
Si, enfant, j’ai feuilleté dans la bibliothèque familiale quelques Semaine de Suzette et quelques albums, le jeune amateur de bandes dessinées que j’étais ne s’est jamais aventuré dans le monde de Bécassine qui m’apparaissait non seulement suranné, mais trop féminin. Je me contenterai donc de parler du film. À l’instar de M. je-sais-tout et même de Tully, il raconte l’histoire d’un enfant « différent ». Qui s’avère être heureux, ingénieux et généreux.
Certes, Bécassine prête à sourire par son décalage et ses naïvetés. De l’enfant éternel dont elle est le type, elle hérite la spontanéité sans filtre et l’univocité sans polysémie. C’est ainsi que, pour elle, les mots et les formules ne possèdent qu’un seul sens, qui est littéral – prêtant à des quiproquos amusants et légers (justement aux deux sens du terme !). Ce qui, pour la linguistique, apparaît comme un appauvrissement, s’avère, pour la logique de la vie, être une chance qui la protège du mépris. En effet, pour la jeune fermière, le nom « Bécassine » ne sera jamais synonyme que des bécasses qui ont survolé son village le jour de sa naissance…
Joyeuse ! Plus, heureuse ! Au point d’en devenir contagieuse. Bécassine s’émerveille de toute nouveauté, du téléphone à la voiture, en passant par les multiples ancêtres du cinéma : le guignol, le théâtre d’ombres ou le polyorama panoptique. Elle nous rappelle ainsi combien fut miraculeuse la survenue de l’eau courante et de l’électricité. La jeune bretonne nous rend à la rondeur (« Oh ! ») de l’étonnement qui prépare à la grandeur (« Ah ! ») de la gratitude. Reconnaissance qui sera partagée : de tous les domestiques du château, elle sera la seule que gardera la marquise de Grand-Air.
Ingénieuse ! Bécassine multiplie les inventions les plus improbables, mais aussi les plus efficaces, comme le biberon automatique de nuit ou la machine à éjecter les œufs à la coque. Qu’il est bon, au pays de Descartes (salué par un coq qui chante la Marseillaise !) de nous rappeler qu’intellectif ne rime pas seulement avec spéculatif, mais aussi avec créatif ! Et cette inventivité s’enracine autant dans une attention aux besoins des autres que dans un sens du concret toujours aux aguets.
Genéreuse ! Bécassine ne se détache de ses parents qu’elle continue à chérir, que pour s’attacher à Loulotte et aux autres habitants du château. Elle est généreuse de son temps (tout dédié aux multiples activités du chateau), de son cœur (qu’elle inscrit dans son courrier) et de son énergie (combien de fois la retrouve-t-on, exténuée ?). Dans un monde plus vaniteux qu’égoïste, où chaque adulte est aveuglé par ses propres obsessions, Bécassine est la seule qui voit avec le cœur et sera assez décentrée d’elle-même pour entendre la souffrance de sa Loulotte abandonnée et mettra tout en œuvre pour retrouver celle qu’elle chérit comme une petite sœur.
Ce nouveau film nous place au plus près d’un thème de plus en plus présent dans l’actuel cinéma, français ou américain : la vulnérabilité positive (cf. La finale, ). Dans une interview, Bruno Podalydès parle de Bécassine comme d’« une femme enfant dans un corps d’adulte [1] ». Et l’enfant n’est pas un ignorant qui méconnaît ingénument que le cœur de l’homme est égoïste et violent. Ce maître de simplicité [2] sait, souvent sans avoir les mots pour le dire, que le cœur parfois méchant n’est justement pas le cœur, mais un triste masque qui voile sa pureté et ensable sa générosité. C’est ainsi que, grâce à elle et à ses côtés, le spectateur surprend son manichéisme et découvre que celui dont le nom commence (très intentionnellement) comme Rastatopoulos et ressemble tant à Rastaquouère, et qu’il avait jugé être un habile voleur, sans reconnaissance ni conscience, s’avère en réalité être un imprudent prodigue qui ose aller jusqu’au bout de son rêve (qui est aussi l’autre bout de l’Atlantique), mais aussi en revenir, pour le faire partager à ceux qu’il continue à aimer fidèlement. Celle qui partait voir Paris et la Tour Eiffel ne s’est arrêtée en chemin que parce qu’elle a trouvé la « perle fine » (cf. Mt 13,44-52) et la « meilleure part », celle « qui ne lui sera pas enlevée » (Lc 10,42) : l’amitié, qui rime avec fidélité et donc avec stabilité. De même qu’elle arrose chaque jour son arbre bleu et guette aussi quotidiennement l’apparition de la couleur aussi espérée qu’inhabituelle, de même elle ne vit plus que du retour au château de sa grande amie.
Alors, les Bretons ont-ils raison de s’offusquer ? Le réalisateur l’a dit : « Bécassine n’est pas la fille un peu niaise et stupide que l’on croit. Elle est naïve, certes, et candide, mais aussi curieuse et inventive. Elle a une âme d’enfant dans un corps d’adulte. Dans ce film, je voudrais montrer Bécassine telle qu’elle est : fidèle, sincère, spontanée, innocente, tendre, rêveuse, enthousiaste [3] ».
Disons plus ! Bécassine (avec ou sans « ! ») rayonne selon un triple point d’exclamation : Joyeuse ! Ingénieuse ! Généreuse ! En effet, ces trois qualificatifs embrassent les trois transcendantaux : le beau, le bien et le vrai, qui eux-mêmes diffractent la richesse de l’être à laquelle la fraîcheur de Bécassine nous réintroduit dans un éclat de rire. Ces transcendantaux ne vont d’ailleurs pas sans ordre. C’est ainsi que la curiosité et l’émerveillement pour le bébé Loulotte (la beauté) conduit peu à peu la jeune domestique à la dorloter, bientôt à l’aimer (la bonté), et de là à lui inventer sa machine à donner des biberons la nuit (la vérité). Plus encore, ils vivent du cœur qui les fait battre et les distribue : l’amour. Bécassine n’est si généreuse (c’est-à-dire communique sa bonté) que parce qu’elle est si heureuse (c’est-à-dire s’émerveille de la beauté) ; or, en cette pulsation de la gratitude réside le cœur battant de l’amour. Là encore, l’Évangile n’est pas loin : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10,8).
En rien triple sotte, Bécassine nous invite donc à accomplir un triple saut dans la métaphysique des transcendantaux. Merci Bécassine !
Pascal Ide
[1] Sur le site consulté le 4 juillet 2018 : http://www.bande-a-part.fr/cinema/entretiens/bruno-podalydes-becassine-entretien/
[2] Cf. Thierry Avalle, L’enfant, maître de simplicité, Saint Maur, Parole et Silence, 2009.
[3] Bruno Podalydès, cité par Myrtille Serre, « En Bretagne, Bécassine n’est toujours pas leur cousine », Le Figaro, 6 septembre 2017.
Bécassine (Émeline Bayart) naît dans une modeste ferme bretonne. Devenue adulte, sa naïveté d’enfant reste intacte. Elle rêve de rejoindre Paris pour visiter la Tour Eiffel, mais elle croise sur son chemin Loulotte, un petit bébé adopté par la marquise de Grand-Air (Karin Viard) aidée de son conseiller financier, M. Proey-Minans (Denis Podalydès). Elle en devient la nourrice et la complicité joyeuse qui s’installe entre elles est si profonde que nous les retrouvons ensemble cinq années plus tard.
Mais les dettes s’accumulent. Surtout, survient un marionnettiste et bonimenteur grec, Rastaquoueros (Bruno Podalydès) qui s’avère un maître en escroquerie d’autant plus efficace que la marquise n’est pas insensible à son charme. L’ingénieuse Bécassine saura-t-elle sauver la situation ?