Chambre avec vue, drame italo-britannique deJames Ivory, 1986. Avec Helena Bonham Carter, Daniel Day-Lewis, Maggie Smith.
Thèmes
Amour, rupture.
Souvent, dans les films précédents, l’amour est apparu comme une relation immédiate entre deux personnes. Mais cette vision romantique dont se grise l’Occident ne fait-elle pas rimer communion et fusion ?
Ce chef d’œuvre du plus anglais des cinéastes américains, rafraîchissant comme la berceuse de Puccini qui l’encadre, est souvent interprété comme une heureuse libération conduisant à l’amour : Lucy Honeychurch (Helena Bonham Carter) s’est coupée de ses sentiments pour confier au piano le trop plein de son affectivité. Cette césure intérieure trouve son répondant extérieur comme son origine dans la fracture des classes sociales structurant la société victorienne, voire dans une conception très dualiste de la Providence. Et elle se traduit dans la rupture de la relation amoureuse avec le fils d’une famille considérée comme libre-penseur, George Emerson (Julian Sands) – rupture que signifie admirablement l’ellipse brutale (le cut) entre le baiser italien et les préparatifs du mariage anglais.
Ce divorce intenable commence à émerger lorsque Lucy assiste, George étant présent, à un meurtre sur la grand place de Florence. Cet événement est l’occasion d’une triple et toute nouvelle expérience : une perte de contrôle qu’elle croit honteuse (ses sentiments lui échappent comme le sang se répand) ; une inquiétante perte de ses pseudo-sécurités (George jette les cartes postales-photos de Lucy dans le fleuve, autrement dit ce regard extérieur qui permet à la jeune fille de ne jamais descendre en elle-même) ; la présence rassurante d’une autorité toute masculine (George la porte dans ses bras puis lui intime de rester sur place). Oui, comme le murmure le jeune homme, « Quelque chose d’immense s’est passé », qui trouvera son plein épanouissement lorsque, au terme, Lucy finira par s’avouer le mensonge qui la divise, secouer le joug de sa psychorigidité et, au-delà, de la société qui l’a corsetée.
Il serait toutefois partiel et partial de ne pas constater combien George a lui aussi changé pour accéder à ce désirable mariage. Si Lucy doit descendre de sa tête dans son cœur, George doit accomplir le chemin inverse : « il n’a pas fait quand il fallait », reconnaît M. Emerson père à propos du baiser. De fait, dans la dernière scène, nous découvrons que le jeune homme a appris la patience et la délicatesse ; auparavant, en une longue tirade, il a employé les mots adéquats pour dire à Lucy son amour.
Chez la peu lucide Lucy, les paroles convenues finissent par étouffer toute affection vraie ; chez George l’impulsif, l’absence de parole violente le temps et les personnes. Dans les deux cas, la rencontre est sans lendemain. Entre passion tempêtueuse et conventions opacifiantes, entre baiser manqué (de Cecil) et baiser volé (de George), quel chemin ménager ? Si George pèche par absence de médiations et Lucy par leur multiplication aliénante, c’est donc que l’amour se nourrit de justes intermédiaires.
À côté de situations révélatrices comme le tennis, de multiples personnes et paroles vont permettre à la jeune femme d’accéder à la vérité sur elle : le père de George à Lucy affirmant « Vous avez menti à tout le monde et à vous-même » ; George lui-même reprenant la phrase fondatrice « Quelque chose d’immense s’est passé », au moment où Lucy va se marier ; le Révérend Enger, qui a sa théorie sur Lucy et remarque que « si elle vivait comme elle joue, cela serait bien pour nous comme pour elle ». Avec un détachement exemplaire, Cecil qui observe l’existence à travers ses encombrants lorgnons au lieu de la vivre, autorise Lucy à rompre ses fiançailles en allégeant sa culpabilité. Il n’est pas jusqu’à Charlotte, la cousine-duègne et célibataire victimaire qui, dans sa discussion avec le père de George, ne serve de médiatrice. Ainsi, chaque personnage du film interviendra à un moment ou l’autre et permettra à l’amour de se dire et de se vivre. Ces interventions sont autant d’adoucissements du regard trop critique que nous serions tentés de porter sur la société du début du vingtième siècle. Ce regard si bienveillant, autant que l’heureuse fin, expliquent l’impression de bien-être jubilatoire au sortir du film.
Enfin, une autre médiation, plus subtile, traverse tout le film : le « destin » qui veille sur le bonheur de ces êtres si prompts à le froisser. En effet, une étonnante coïncidence permet la nouvelle rencontre de George et Lucy et leur offre une seconde chance. Le Révérend saura y détecter des affinités inconscientes (les peintres italiens de la National Gallery) ; mais, paradoxalement plus religieux que « le pasteur philosophe », George ne renonce pas à son interprétation. La Providence ne cesse de faire signe ; mais il faut un cœur affiné par l’amour pour en déchiffrer les traces.
Ainsi donc, l’amour qui réalise la communion la plus désirable, car la plus immédiate, ne gomme jamais, au moins en ce monde, mais convoque les humbles médiations… même celle, apparemment si modeste, d’une chambre avec vue.
Pascal Ide
Lucy Honeychurch, en voyage à Florence avec une vieille cousine, tombe amoureuse d’un jeune Anglais, qui comme elle a été témoin d’un meurtre. Mais, elle étant « convenable » et lui pas, elle rompt puis s’impose des fiançailles de convenances avec un autre. Ayant désespéré tour à tour les deux jeunes hommes, malheureuse, elle décide de repartir, pour Athènes cette fois.