Pascal Ide, « La sensualité est-elle un mal ? », Sources Vives, n° 69, La sexualité, septembre 1996, p. 103-113
Le terme sensualité peut prendre trois sens bien différents qu’il importe de ne pas confondre.
1) La sensualité comme sensibilité :
La sensualité a d’abord le sens général d’affectivité sensible. Tel est, pour une part, le sens du terme latin sensualitas. La sensualité s’identifie alors à la capacité de ressentir des émotions, à la source de nos sentiments, que ce soit la joie ou la tristesse, l’espoir ou l’audace, la colère ou l’amour.
La sensualité synonyme de faculté émotive est-elle un mal ? Certains penseurs l’ont cru : les philosophes stoïciens avaient pour finalité de faire disparaître de leur âme tout sentiment, par exemple toute crainte. On sait aussi que le monde oriental s’est fixé comme but d’abolir tout désir, donc toute sensibilité dans le cœur de l’homme. Tel est le contenu des quatre nobles vérités qu’énonce Bouddha dans son premier enseignement, le sermon de Bénarès [1]. La sortie de la roue infernale de la réincarnation est le Nirvana ; or, le préfixe nir- (nih-) exprime une négation (on retrouve cela dans le latin nihil, rien). Quant au terme vâna- provient de la racine verbale vâ-, il signifie souffler. En conséquence, nirvâna veut dire littéralement : non souffle, disparition du désir [2].
Sans professer un tel mépris de la sensibilité, on peut subtilement le dénigrer. Nos éducations ne sont-elles pas pourvoyeuses de ces anesthésies ? On a par exemple constaté que les petits garçons étaient cinq fois moins touchés que les petites filles. Notre vie sociale supporte peu les expressions trop extérieures. Par définition, un homme ne montre pas ses émotions [3]. Comment ces conditionnements socioculturels ne conduiraient-ils pas à secrètement diaboliser la sensibilité elle-même ? Que signifie la multiplication de ces héros aussi invulnérables qu’insensibles ? A-t-on déjà vu Rambo-Stallone avoir le moindre état d’âme ? Luke Skywalker, le héros de Starwars, ne sera un héros que s’il accepte, insensible, de rester vierge de tout sentiment amoureux vis-à-vis de la princesse Léïa qu’il abandonne à son coéquipier Hans Solo.
Qu’en penser ? Tout tient en deux propositions : 1. La sensualité entendue comme sensibilité est, éthiquement parlant, ni bonne ni mauvaise : elle est moralement neutre. Elle s’identifie à l’affectivité sensible qui est commune à l’homme et à l’animal ; or, un acte éthique est un acte responsable, donc un acte qui engage la volonté. Autrement dit, le plaisir, la colère ne sont bons ou mauvais, toujours du point de vue moral, qu’en fonction de l’orientation que leur donne la libre volonté : sont-ils ou non au service de l’amour ?
- En revanche, psychologiquement parlant, la sensualité, toujours comprise comme sensibilité, est une richesse. Reprenons l’exemple du trac (la crainte, dirait le langage classique) : sans trac, la personne perdrait le sens de la difficulté ; trop détendue, elle percevrait à retardement combien la situation demandait une plus grande vigilance. En revanche, le trac permet de mobiliser les énergies (précisément les hormones de stress) et d’affronter le choc. La question devient alors de ne pas se laisser submerger par la peur. C’est l’effet de la vertu de courage que d’utiliser l’affect, son énergie, en l’intégrant à nos projets de vie ; et c’est l’un des objectifs et des critères majeurs de la vie et de l’éducation que de l’acquérir. Entre sentimentalisme liquéfié et stoïcisme pétrifié, le courage apprend à maîtriser les affects, sans les mépriser.
Le Catéchisme de l’Église Catholique consacre tout un article aux passions qui confirme ces conclusions [4]. Historiquement, ce développement est aussi original qu’heureux : depuis plusieurs siècles, les catéchismes et les traités de théologie morale n’abordaient plus la question des passions qu’ils laissaient aux soins du traité de l’homme (la création). Cette réintégration de la vie affective dans la vie morale doit être saluée comme un important renouveau. Or, après avoir défini la passion (ce que nous appelons ici la sensualité), le Catéchisme l’évalue moralement : « Les grands sentiments ne décident ni de la moralité, ni de la sainteté des personnes ; ils sont le réservoir inépuisable des images et des affections où s’exprime la vie morale. Les passions sont moralement bonnes quand elles contribuent à une action bonne, et mauvaises dans le cas contraire. La volonté droite ordonne au bien et à la béatitude les mouvements sensibles qu’elle assume ; la volonté mauvaise succombe aux passions désordonnées et les exacerbe. Les émotions et sentiments peuvent être assumés dans les vertus, ou pervertis dans les vices.
« Dans la vie chrétienne, l’Esprit Saint lui-même accomplit son œuvre en mobilisant l’être tout entier y compris ses douleurs, craintes et tristesses, comme il apparaît dans l’Agonie et la Passion du Seigneur. Dans le Christ, les sentiments humains peuvent recevoir leur consommation dans la charité et la béatitude divine.
« La perfection morale est que l’homme ne soit pas mû au bien par sa volonté seulement, mais aussi par son appétit sensible selon cette parole du Psaume : «Mon cœur et ma chair crient de joie vers le Dieu vivant» (Ps 84, 3) [5]. »
2) La sensualité comme désordre de la chair :
Plus souvent, le terme sensualité est connoté de manière péjorative : il désigne une démesure du sentiment qui échappe à la liberté et ne respecte pas la mesure qu’elle lui impose.
Puisque notre perspective est éthique, nous nous demanderons si cette hubris peut être une faute ? Peut-il exister un péché par sensualité ? On sait le poids de culpabilité qui a longtemps pesé sur l’affectivité sensible. Aujourd’hui, pour une part par réaction, notre monde qui est devenu insensible (!) à une telle approche. Prenons l’exemple de la gourmandise. L’opinion courante en a fait, au minimum, une attitude neutre, et, plus souvent, l’attitude de celui qui aime la vie, sous sa forme la plus fondamentale : la bonne chère. Qu’en penser ? Que la gourmandise ne soit pas une faute grave ne signifie pas que ses conséquences ne le soient pas [6]. Au contraire, je ne pense pas que son élévation à la dignité de vertu [7] soit anodine. En effet, la nourriture est le don sans lequel nul ne peut vivre, il est même, avec l’affection maternelle, le premier don que l’enfant reçoit : l’oralité est le symbole de ce don originaire. Or, le corps humain est un corps de don [8]. Aussi, le gourmand opacifie le sens du corps. Vivant au régime (!) de son seul plaisir, il en oublie la réalité [9].
Mais précisons ce qu’il en est. Je me contenterai de notes trop brèves, renvoyant, pour plus de détail, aux autres articles de ce numéro [10]. Il faut avant tout nettement distinguer les sentiments antécédents et les sentiments conséquents. Les premiers précèdent toute délibération, comme une colère impulsive, une tristesse soudaine, etc. ; ils naissent en moi sans moi. Les seconds sont l’effet d’une volonté délibérée, ils en sont la conséquence, comme la joie du don, la haine longuement mûrie, etc. ; ils surgissent en moi, par moi.
Les sentiments conséquents ont la même qualification éthique que tout acte volontaire : si l’affect s’intègre à une finalité humanisante, il est non seulement bon mais souhaitable ; s’il aliène, il est pécheur : tel est le cas d’une complaisance dans la tristesse et la morosité, du sentiment amoureux librement entretenu, alors qu’il y a déjà engagement de l’un ou l’autre parti.
En revanche, les sentiments antécédents, par définition, échappent à la volonté. Leur qualification éthique est donc neutre. La raison et le critère est la spontanéité indélibérée, incontrôlable de cet affect. Ne culpabilisons pas un accès de désespoir ou un sentiment spontané de jalousie. Mais demandons-nous – et une aide est souvent nécessaire pour ce discernement, lorsqu’on débute dans la vie spirituelle – comment notre volonté prend en charge ces affects, pour les accueillir, les canaliser, les domestiquer [11].
On le comprend : toute la doctrine éthique du caractère vicieux ou bénéfique de la sensualité se fonde sur la maîtrise de notre sensibilité. Cette maîtrise n’est ni totale, ni impossible. En une expression suggestive, Aristote disait que l’homme est appelé à exercer un gouvernement non pas tyrannique mais paternel sur sa vie affective. Or, non sans y trouver notre compte, nous baignons aujourd’hui dans une atmosphère psychologique déresponsabilisante – la psychanalyse, dont l’intérêt et les mérites sont réels, a joué un rôle indéniable dans cet état de fait – ; plus encore, aujourd’hui, refuser d’écouter et de concrétiser tel sentiment, par exemple amoureux, qui surgit en nous, serait hypocrite ou névrogène.
Mais les témoignages de notre expérience et de l’éducation nous montrent le contraire. Les Pères du désert le savaient déjà et la psychologie actuelle l’a confirmé en le précisant : le désir humain est insatiable, il ne peut donc trouver en lui sa propre mesure. Comme nous vivons sans mémoire, nous nous réjouissons de ce que la satisfaction d’un plaisir désordonné nous apporte l’apaisement dans l’instant, sans prendre conscience – et le plus souvent, sans vouloir prendre conscience – qu’il creuse, pour l’instant d’après, une insatisfaction encore plus grande.
3) La sensualité comme concupiscence :
Enfin, sensualité est parfois synonyme de concupiscence [12]. Or, le terme désuet de concupiscence a dès lors un sens technique : il désigne la fragilité introduite en nous par le péché originel.
En effet, celui-ci consiste dans la perte de la grâce sanctifiante, qui nous « rend participants de la nature divine » (IIP 1,4). Or, la grâce divine, en unissant nos premiers parents à Dieu, harmonisait leur âme : ils étaient sains parce que saints. En retour et en conséquence, la perte de la sainteté a entraîné la perte de cette santé psychique. Ce désordre intérieur, conséquence du péché, voilà ce que la Tradition appelle la concupiscence ou le foyer de concupiscence (fomes concupiscentiæ). Ce fomes est-il un mal ? Contre Luther, le concile de Trente a très nettement refusé que la concupiscence soit un péché. Toute personne hérite du péché originel dont le baptême ôte totalement tout ce qui a raison de faute [13].
Cependant, si la concupiscence n’est pas le mal du péché, ne peut-elle pas être un principe de mal, une inclination au mal ? L’orthodoxie catholique n’a pas tranché cette question. Elle demande seulement que l’on tienne trois choses : 1. la concupiscence a blessé l’homme, c’est-à-dire l’a affaibli ; 2. seule la grâce sauve l’homme et peut le guérir ; 3. malgré la blessure, l’homme demeure libre de choisir entre le bien et le mal. Les deux premiers points s’opposent à Pélage et au semi-pélagianisme, le troisième à Luther et à l’ultra-augustinisme hétérodoxe de Baïus et Jansénius.
Mais revenons à la question : le désordre de la sensibilité impliqué par le péché originel est-il déjà un germe de malice déposé en nous ? Deux réponses sont possibles, qui, pour être réellement distinctes, sont toutes deux pleinement compatibles avec la foi catholique : l’une plus pessimiste, l’autre plus optimiste [14]. Selon la première optique, davantage représentée dans la tradition augustinienne, l’accent est mis sur la faiblesse de l’homme ; dès lors, la concupiscence est plus volontiers conçue, non pas comme un péché, mais comme une inclination au mal, une propension réelle à poursuivre ce qui est contraire à notre libération. Selon la seconde optique, davantage représentée dans les traditions thomasienne ou ignatienne – qui, je l’avoue, emportent spontanément ma sympathie -, l’accent est mis sur la bonté de l’homme ; dès lors, la concupiscence s’identifie non pas un principe mauvais, mais à l’anarchie, c’est-à-dire à une absence d’unification intérieure. L’incarnation la plus équilibrée et la plus complète de cette théologie plus « optimiste » des conséquences du péché originel est saint François de Sales : s’opposant vigoureusement au pessimisme de Port-Royal, il est le représentant de l’humanisme dévot, qui a éclos, au xvie siècle, dans le sillage de saint Ignace [15].
Ces deux explications, dans les limites du respect de la réalité et du donné révélé, sont recevables [16] : la première laisse la nature pécheresse plus endommagée et la seconde plus intègre. Chacune présente son risque propre : la première peut aller jusqu’au dualisme manichéen, la seconde jusqu’au naturalisme pélagien. « Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures », dit Jésus (Jn 14,2).
Pascal Ide
[1] Cf. par exemple Mircea Eliade, Histoire des croyances et des idées religieuses. 2. De Gautama Bouddha au triomphe du christianisme, « Bibliothèque historique », Paris, Payot, 1986, n. 156, p. 94 à 96.
[2] Cf. Stouchpak, Nitti et Renou, Dictionnaire sanskrit-français, Paris, Adrien-Maisonneuve, 1980, p. 359, 377 et 635.
[3] Cf. les descriptions nuancées, intéressantes d’Alain Braconnier, Le sexe des émotions, Paris, Odile Jacob, 1996. L’intuition centrale de l’ouvrage est qu’il existe une différence entre hommes et femmes non pas quant à l’affect lui-même, mais quant à la capacité de l’exprimer. C’est ainsi que sur 600 000 personnes atteintes de bégaiement en France, 480 000 sont de sexe masculin. Deux fois plus de femmes que d’hommes osent dire leur anxiété, alors que trois hommes pour une femme manifestent leurs colères ; mais l’anxiété demande plus de verbalisation que la colère qui est plus démonstrative.
[4] « La moralité des passions », in Catéchisme de l’Eglise Catholique, Paris, Mame-Plon, 1992, IIIème partie, 1ère section, chap. 1, art. 6, n. 1762-1775, p. 375 à 377.
[5] Ibid., n. 1768-1780, Op. cit., p. 376.
[6] Le vocabulaire courant a malheureusement confondu capital et important. Capital doit être pris ici en son sens étymologique (caput-capitis : la tête). Or, est tête, ce qui est à la tête, autrement dit engendre. Le péché capital est, disait saint Grégoire, comme une mère (!) aux nombreuses filles. Saint Thomas commente avec profondeur : cela vient de ce que le bien poursuivi par le péché capital se présente comme une fin désirable (cf. Somme de Théologie, Ia-IIae, q. 84, a. 1). Et tel est le cas de la nourriture. Il y a des personnes, dit saint Paul, pour qui Dieu est leur ventre : toute leur journée est comme polarisée, toute leur pensée tournée vers le bon repas qu’elles vont faire. Voilà pourquoi la gourmandise est un des sept péchés capitaux. Mais cela ne signifie pas que ce péché soit grave, dans sa nature (les péchés spirituels, comme l’orgueil ou la jalousie le sont beaucoup plus). Il demeure que la jalousie peut engendrer de véritables péchés spirituels, tels que l’égoïsme ou la colère (cf., pour sourire, Sempé, Vaguement compétitif, Paris, Denoël, 1986, p. 97).
[7] Cf. par exemple le dossier « Avec gourmandise », dans Croire aujourd’hui, Revue bimestrielle, Paris, Assas Editions, 1er février 1996, p. 12 à 17.
[8] Je me permets de renvoyer aux développements de mon prochain livre consacré à ce thème : Le corps à cœur, Paris, Ed. Saint-Paul, 1996 (parution début septembre).
[9] De grands observateurs de l’âme humaine ne s’y sont pas trompés. Cf. Saint Ignace de Loyola, « Pour s’ordonner désormais dans le manger », in Les exercices spirituels. Texte définitif (1548), trad. et commentaire de Jean-Claude Guy, coll. « Sagesses », Seuil, 1982, n. 210-217, p. 111 et 112. Cf. aussi les judicieuses remarques de saint Jean Climaque, « De la gourmandise », in L’échelle Sainte, trad. Placide Deseille, « Spiritualité orientale » n° 24, Abbaye de Bellefontaine, 21987, p. 151 à 157. Nous avons aussi noté en première partie, avec Michel Foucault, l’intérêt scrupuleux des Grecs et des Romains pour la diététique, survalorisée par rapport à la sexualité.
[10] L’exposé précis requerrait de longs développements. La source de toute réflexion en théologie morale demeure saint Thomas d’Aquin, Somme de Théologie, Ia-IIae, q. 74, a. 3 et 4 (sur la sensualitas comme siège de péché ; à noter l’intéressant commentaire de Cajetan sur les différents sens de la sensualité : a. 4, n. 1) et q. 77 en entier (sur la sensualitas comme cause de péché). Mais nous devons aussi faire appel aujourd’hui aux acquis de la psychologie en matière de psychosomatique, de culpabilité, de pulsions partielles, etc.
[11] A ce sujet, précieuse est la pratique de la prise de position élaborée par Elisabeth Saint-Pierre, Harmonie et sérénité. Un chemin de liberté, Paris (94, rue des Moines, 75017 Paris), V.A.L., 51987. Cf. aussi Elisabeth Saint-Pierre et Jacqueline Corréard, Ma vie dans la lumière, même éditeur, 1986
[12] Le Dictionnaire de Spiritualité ne comporte pas d’article sur la sensualité, mais renvoie à l’article « Concupiscence ». Le Dictionnaire de Théologie Catholique ne comporte, quant à lui, ni article sur ni mention de la sensualité.
[13] Cf. Gervais Dumeige, Textes doctrinaux du Magistère sur la Foi catholique, Paris, Ed. de l’Orante, 21975, n. 279, p. 170. De surcroît, rappelons que le péché originel, chez le non-baptisé, est péché de nature, non péché personnel ; c’est un état et non pas un acte. Il n’est donc pas source de mal, comme le vice en nous est générateur de péchés actuels.
[14] Illustrons ces deux tendances par des auteurs contemporains. La première : « …la vie accablante et bonne… », disait Paul Eluard (« Saisons », in Le dur désir de durer. Le temps déborde, Paris, Seghers, 1960, p. 42 et 43). La seconde : « Je crois qu’il y a dans l’homme beaucoup de ressources et qu’il est capable de remonter bien des pentes », déclare le professeur Dominique Laplane, qui ajoute avec équilibre : « Je crois aussi que les civilisations sont mortelles et que la nôtre touche peut-être à sa fin. » (Dominique Laplane un neurologue, Entretien avec Jacques Vauthier, « Scientifiques et croyants », Paris, Beauchesne, 1989, p. 63)
[15] Cf. Francis Vincent, Saint François de Sales Directeur d’âmes. L’éducation de la volonté, Paris, Beauchesne, 1925, chap. 1, p. 25 à 98 ; sur la conception salésienne du péché originel, cf. p. 75 à 98.
[16] A mon sens, cette différence d’interprétation se double d’une dualité de perspective et d’herméneutique d’une identique réalité : je pense qu’il existe une manière plus augustinienne ou plus thomasienne de lire la faiblesse, la vulnérabilité, la « misère » humaine en quoi le chrétien voit une déchéance ou une corruption. La première, plus attentive au vécu, considère et constate la globalité de l’effet dans l’existence, à savoir l’inclination au mal : saint Augustin dit ainsi que l’imago Dei en l’homme a été « usée, enténébrée », défigurée », sans toutefois « cesser d’être », alors que la ressemblance (cf. Gn 1,26) a été perdue et demande à être restaurée (De Trinitate, L. XIV, 4, 6, Ed. M. Mellet et Th. Camelot, in « Bibliothèque augustinienne », Paris, Desclée, vol. 16, 1955, p. 359). La seconde, plus attentive à la logique propre des plans et des essences, distinguera des facultés qui demeurent, prises individuellement, inclinées au bien, mais qui, prises dans leur opposition et leur résultante, semblent inclinées au mal.