Deadpool 2, film fantastique de super-héros américain de David Leitch, 2018. Inspiré du personnage créé, au sein de Marvel Comics, par le scénariste Fabian Nicieza et le dessinateur/coscénariste Rob Liefeld (1991 et s). Film faisant suite à Deadpool de Tim Miller, 2016. Avec Ryan Reynolds, Morena Baccarin et TJ Miller (Weasel).
Thèmes
Ironie.
Peut-on rire de tout ? Que l’on ne s’y trompe pas. Ma question n’est pas éthique (a-t-on le droit de rire de tout ?), mais métaphysique (est-il possible de rire de tout ?).
Assurément, nous le savons, c’est le genre littéraire de cet anti-héros qu’est Deadpol : passer au vitriol, et le plus corrosif de tous, qui est le cynisme ironique. Tout. C’est-à-dire toutes les valeurs ou, mieux, tous les biens et toutes les personnes, y compris les plus intouchables. Au hasard : la vie (le film s’ouvre sur un suicide particulièrement réussi où le corps du héros se trouve émietté, « façon puzzle ») ; le handicap (Althea, son amie aveugle, est ridiculisée de ne pas avoir surdéveloppé les autres sens que la vue), la tolérance (Deadpool est ouvertement raciste) ; Dieu (dans une des scènes post-génériques, Deadpool se compare ouvertement au « Seigneur »).
Cet abrasement-embrasement universel n’oublie pas, prudence minimale oblige, de s’inclure – évitant le paradoxe de l’arroseur arrosé et répondant ainsi à l’argumentum baculi de l’angle mort. En effet, de manière générique, les Marvels, surtout les X-mens, sont la cible privilégiée de cette immolation par le fou-rire, à commencer par l’alter-ego de Deadpool dans le film X-Men Origins, Wolverine : le film qui s’ouvre sur sa figurine empalée s’achève sur son élimination par balles. La charge s’élargit à tous les traits caractéristiques des super-héros, des super-pouvoirs (par exemple, celui de Neena Thurman alias Domino qui, réussite humoristique, se réduit à une longue suite de coïncidences, ce que l’on appelle chance) à la mission (l’équipe de mutants baptisée X-Force par Wade est carbonisées avant même d’avoir atterri), en passant par la double identité (derrière le masque de Deadpool, le corps de grand brûlé de Wade est lui-même un nouveau masque dissimulant son histoire autant que sa vulnérabilité) ou le célibat (c’est Vanessa qui, dans l’au-delà, renvoie Wade auprès de sa nouvelle famille alors que son compagnon ne rêve que de la retrouver). Ou elle se concentre sur le héros : comble du recul, dans la dernière scène post-générique, Deadpool tue l’acteur Ryan Reynolds après que celui-ci a lu avec enthousiasme le scénario du film (de fait lamentable) Green Lantern.
Pourtant, malgré ces notables efforts à effondrer tout ce qui a la grâce d’être et, plus encore, le mérite de croître vers plus de beauté, de vérité et de bonté, Deadpool laisse subsister des pans entièrement intouchés. Par exemple, même s’il chambre scénarios et scénaristes, le film raconte une histoire ; même s’il se gausse de la frontière entre bien et mal, il oppose ce qui ressemble furieusement à un Super-vilain, à un discours presque moralisant sur la solidarité aux plus démunis ; même s’il brocarde l’amour, il idéalise la Belle et idyllise leur passion, en la sacrifiant dès la première scène.
Surtout, il faut clairement affirmer que l’énoncé « on peut rire de tout » est une contradiction dans les termes. La seule déconstruction conséquente serait l’auto-effacement. Kirilov, le révolté de Dostoïevski, l’avait compris qui se suicide et Camus en a fait la théorie, lui qui affirme que le seul problème philosophique est l’autolyse. Les sceptiques, indécrottables bavards, devraient être une secte de muets, puisque vaine est toute parole. N’est-ce pas ce que le scénario a perçu lorsqu’il transforme Wade en un double du Henderson devenu mutique du premier Matrix, mais seulement le temps d’un clin d’œil : il n’a pas eu la rigueur-vigueur d’en tirer les conséquences – il est vrai, financièrement désastreuses !
La raison de cette contradiction tient à l’essence même de l’ironie : celle-ci naît de la distance ; autrement dit, le moqueur jouit du recul qui manque au moqué. Or, si l’on peut ponctuellement se distancier (passer en position « méta »), l’on ne peut procéder à l’infini. Ici joue le grand principe aristotélicien : « Il faut s’arrêter : Anankhè sténaï ». Un recul qui se prendrait en recul est tout aussi impossible qu’un ensemble qui contiendrait tous les ensembles qui ne se contiennent pas eux-mêmes. Autrement dit, la dérision n’est crédible qu’en devenant auto-dérision ; mais le moi qui se moque ne peut coïncider avec le moi qui est moqué.
Kierkegaard l’avait indirectement dit en faisant de l’ironie une médiation, c’est-à-dire le passage entre la vie esthétique (celle de Don Juan) et la vie éthique (celle de la personne qui s’engage dans le mariage). Elle ne trouve sa raison d’être qu’à faire passer, donc à s’effacer. En effondrant l’éthique pour ne laisser subsister que l’esthétique ironique, ce clown triste qui n’est qu’un triste sire, finit par prendre la pose, s’auto-observe en train de vitrifier et donc se laisse happer par sa puissance de néantisation. Exit le poussif et peu jouissif Deadpool (du moins espérons !). Exit ce rire amer qui ne séduit que parce qu’il réduit et ne conduit qu’à lui.
Il faut beaucoup de persévérance et d’espérance pour édifier de l’édifiant, si vulnérable demeure-t-il. Il suffit de quelques paroles éclatantes et d’un rire aux éclats pour le réduire en éclats. Alors, peut-on rire de tout ? Les rires trop bruyants, pas assez bon enfant et surtout pas assez détendus de certains spectateurs, suffisent pour répondre à la question.
Pascal Ide
Deadpool alias Wade Wilson (Ryan Reynolds) décide de mettre fin à ses jours en pulvérisant son corps à l’aide de barils d’essence disposés dans son appartement. Six semaines plus tôt, Deadpool est devenu un mercenaire tuant de nombreux criminels à travers le monde. Lors d’une mission dans sa ville, il s’apprête à tuer un baron de la drogue, mais celui-ci réussit à s’échapper. Deadpool rentre chez lui pour célébrer l’anniversaire de son couple avec Vanessa Carlysle (Morena Baccarin) où ils s’échangent leurs cadeaux : Vanessa reçoit un jeton de la salle d’arcade de leur première rencontre et Wade le stérilet de sa compagne, lui annonçant qu’elle est prête à fonder une famille avec lui. Mais en pleine nuit, le baron de la drogue et ses hommes les attaquent et tuent Vanessa d’une balle en plein cœur durant l’assaut. Wade poursuit le criminel dans la rue, l’arrête, l’étreint sur la route. Un camion les renverse alors à toute vitesse, anéantissant net le baron, alors que l’indestructrible Deadpool survit intact. Dès lors, nous comprenons la scène inaugurale suicidaire. Mais aussi l’inefficacité de la mise en scène spectaculaire.