Ça (It), film d’horreur américain d’Andrés Muschietti, 2017. Adapté de la première partie du roman éponyme de Stephen King, 1986. Avec Bill Skarsgård, Jaeden Lieberher, Sophia Lillis.
Thèmes
Démon, combat spirituel, inconscient.
Certes, cette nouvelle adaptation du célèbre roman horrifique de Stephen King est trop téléphonée, trop longue, trop bruyante. Certes aussi, le monstre aux multiples gueules n’effraie qu’à la mesure d’une musique tonitruante qui, la première et souvent la seule, fait sursauter le spectateur : c’est trop facilement s’en remettre à la bande-son et ne pas assez travailler sur l’image et son potentiel de suspense dont le maître hors-pair que demeure décidément Alfred Hitchcock nous a montré qu’elle pouvait conjuguer extrême tension et sobriété. Certes enfin, une grande partie du public américain, connaît déjà l’histoire, alors que le public français devra attendre 2019 pour posséder les clés d’un page-turner qui, lui, les livrait d’une volée.
Demeure un film encensé par la critique américaine et le public au point de devancer le mythique Exorciste qui, loin de déplaire outre-atlantique, n’est pas dénué de mérite, voire de profondeur.
Sans doute son succès tient-il, de manière générale, au succès planétaire de cet Edgar Allan Poe contemporain qu’est Stephen King – plus de dix romans ont connu une adaptation à succès au cinéma (dont le tout récent et décevant La Tour sombre sorti le 9 août dernier) – et, en particulier,dans sa bibliographie particulièrement prolifique et créative (plus de 50 romans et plus de 200 nouvelles), ce roman à part qu’est Ça : tant par sa complexité narrative parfaitement maîtrisée (l’entrecroisement de deux périodes, la multiplicité des personnages), la description sociologique de cet État fétiche du Maine dans les années 1980 et sa connaissance de la psychologie adolescente, que par la richesse de sa thématique horrifique et sa composante partiellement autobiographique (dans les personnages, les événements et les lieux de son enfance). Sans rien dire du phénoménal succès éditorial (pour la première fois dans l’histoire de l’édition, le premier tirage d’un roman atteint un million d’exemplaires !). Or, King, qui a visionné le film le 7 mars 2017, a déclaré que, par sa fidélité scrupuleuse au roman, le film dépassait ses attentes…
Peut-être aussi l’impression de déjà-vu tient-elle à une illusion rétrospective. Ne naîtrait-elle pas de ce que, loin de copier, King fut et est encore copié par beaucoup – à commencer par le masque, omniprésent, de Saw au Joker du Darknight ? Ne proviendrait-elle pas aussi de ce que nous n’avons visionné que le chapitre 1 qui ne trouve tout son sens qu’avec le chapitre 2, donc dans le parallèle entre le monde de l’enfance et le monde des adultes. Sans dévoiler ce que sera la suite, relevons une symétrie plus qu’éloquente : le premier volet montreun monde d’enfants dénué d’adultes (dignes de ce nom), alors que ce deuxième volet mettra en scène des adultes (en l’occurrence, les sept enfants 27 ans plus tard) privés de progéniture. En effet, dès la première scène, comment ne pas être outré par l’indifférence de cette voisine qui ne s’inquiète pas d’un enfant allongé sur la route, la tête plongée dans une bouche d’égout ? Surtout, les parents ne résument-ils pas toutes les formes d’abandon imaginables vécus par les enfants : la crainte surprotectrice pour Edward, la violence pour Beverly, le mépris pour Henry.
Centrons-nous sur la grande invention du roman et du film qui la sert et la serre avec fidélité : le méchant, c’est-à-dire Ça. Ce monstre est, en fait, une véritable galerie de l’horreur à lui tout seul. En effet, il adopte de nombreuses configurations ; et si cette entité maléfique aussi ancienne que puissante qui sort de son sommeil pendant 18 mois tous les 27 ans, choisit préférentiellement celle du clown, c’est seulement parce qu’il a constaté qu’elle séduit le plus grand nombre de ces enfants dont il se nourrit.
Mais le coup de génie de King – qui, répétons-le, est respecté par le cinéaste, l’araignée en moins – demeure le refus de séparer le réel et la projection fantasmatique dont le monstre est le résultat croisé. Si Ça possède une véritable consistance ontologique, son pouvoir de nuisance (méontologique !) est considérablement potentialisé par l’inconscient de ses victimes : plus le jeune est déstructuré, c’est-à-dire plus il est psychiquement vulnérable et moralement défaillant, plus il devient une proie et, dans le pire des cas, un prédateur à l’image du monstre (et tel est le cas du très fragile ) ; inversement, plus il est doué de courage, d’humour, de maîtrise de soi, plus Ça se trouve désarçonné, voire désarmé. N’est-ce pas, autre coup de génie du polygraphe de l’horreur, le sens du nom épinglé sur le mal : It renvoie autant à l’anonymat chiffré de la Bête de l’Apocalypse (cf. Ap 13,18) qu’à la couche la plus cachée et le plus redoutable de notre psychisme (Freud) – voire de notre organisme (Groddeck) –. En effet, It, c’est aussi le Id, le Ça de la deuxième topique freudienne. Or, il désigne le centre pulsionnel refoulé qui ne demande qu’à s’exprimer et que le fantastique ne demande qu’à hypostasier.
Mais pourquoi, plus profondément, ne pas voir en Ça une métaphore du démon ? Il habite les lieux obscurs, multiples et inférieurs (les « enfers ») ; son pervers plaisir est d’y entraîner ses victimes, c’est-à-dire de les perdre ; il les exclut pour toujours, dans une éternullité que métaphorise l’interminable tournoiement des corps ; comme le méchant du psaume, il prépare en secret ses mauvais coups !!! ; son pouvoir est démultiplié par nos failles intérieures ; dévoilé, il cherche à effrayer ; caché, il cherche à séduire pour mieux détruire. Enfin, son action principale, voire unique, celle que signifie son nom (le « diable » ou diabole s’oppose au symbole qui rassemble) est de diviser : certes, déchirer les chairs tendres des enfants, mais, plus encore, cliver les psychismes par la terreur et introduire la zizanie dans la communauté des hommes, en profitant des tensions sociologiques autant qu’éthiques entre sexes, générations, races, classes sociales, etc. Comme l’Adversaire, Ça travaille partout où le péché oppose déjà ; et le péché divise encore plus efficacement partout où Ça travaille. Voilà pourquoi son ambition suprême consiste à opposer ceux que l’amitié rassemble, en priorité le « groupe des Ratés » ; mais c’est aussi son risque suprême.
Dès lors, l’histoire devient la parabole efficace du combat spirituel : symboliser où Ça diabolise, moléculariser où Ça atomise ; faire cercle, main dans la main, là où Ça excite haines, jalousies, angoisses et rancœurs ; s’engager à la fidélité, même au prix du sang versé, là où Ça délite le lien et suscite la méfiance ; infuser et diffuser de l’amitié et même de l’amour – le scénario s’étant refusé à ce que l’audace de King osait montrer il y a 30 ans : l’enfant est heureusement devenu intouchable – là où la haine cannibale perfuse la mort.
Pascal Ide
Octobre 1988, dans la petite ville de Derry dans le Maine, alors qu’une terrible tempête fait rage, William « Bill » Denbrough (Jaeden Lieberher), bégayant et malade, joue avec son jeune frère Georgie (Jackson Robert Scott) et fabrique par amour pour lui une frégate en papier. Georgie sort pour jouer avec son bateau qui est happé par une bouche d’égout où se trouve un clown, qui dit s’appeler Grippe-Sou ou le clown dansant (Bill Skarsgård). Soudain, celui-ci l’attaque avec une extrême sauvagerie.
Juin 1989, au début des vacances d’été, nous retrouvons William et trois de ses amis : Richard « Richie » Tozier (Marsh Finn Wolfhard), le boute-en-train verbomoteur du groupe, Edward « Eddie » Kaspbrak (Jack Dylan Grazer), l’hypocondriaque surprotégé par sa mère, Stanley « Stan » Uris (Wyatt Oleff), le fils rationaliste et surcontrôlant du rabbin. Bien décidés à retrouver Georgie et d’autres enfants qui ont depuis disparu, ils sont rejoints par Benjamin « Ben » Hanscom (Jeremy Ray Taylor), obèse qui est le souffre-douleur d’un groupe de brutes locales mené par Henry Bowers (Nicholas Hamilton), le fils du shérif, Michael « Mike » Hanlon (Chosen Jacobs). Enfin, la belle Beverly « Bev » Marsh (Sophia Lillis) au père violent, qui fait tourner toutes les têtes, vient compléter ceux qui s’auto-nomment le « Club des Ratés ». Les sept enfants amis se rendent peu à peu compte qu’ils ont tous été confrontés au moins une fois à un événement « surnaturel » qui prend l’apparence de ce qui l’effraie le plus : par exemple, Eddie est poursuivi par un lépreux. Mais, en plus, chaque enfant est agressé par un clown terrifiant à la gueule dévorante qu’ils dénomment Ça. Selon les recherches faites par Ben à la bibliothèque municipale, Ça apparaît tous les 27 ans et semble lié aux mystérieuses vagues de disparitions d’enfants qui frappe la ville depuis sa fondation. Pourquoi ? Qui est Ça ? Est-il réel ou fantasmé ? Surtout, le « Club des Ratés » pourra-t-il arrêter les agissements criminels de la créature ?