Noé (Noah), peplum américain de Darren Aronofsky, 2014. Avec Russell Crowe, Jennifer Connelly, Ray Winstone, Anthony Hopkins, Emma Watson.
Thèmes
Violence.
Ne demandons pas à Darren Aronofsky de trancher la question de l’historicité de Noé, de l’unicité ou de la dualité des sources du texte de la Genèse (les chapitres 6 à 9 nomment Dieu de deux manières différentes), etc. De plus, s’il a opté pour la fidélité littérale au texte biblique, le réalisateur de Requiem for a dream a fait des choix qui se discutent – les mystérieux « fils de Dieu » (cf. Gn 6,1-4) qui semblent plus sortis de la Terre du Milieu que du fond biblique –, même si certains, tout en manquant de fondement scripturaire, ne manquent pas de cohérence – l’ivresse de Noé, d’autant plus étrange que l’homme est sage, ici expliquée comme fuite dépressive.
L’essentiel est ailleurs : l’itinéraire dramatique des personnages, au premier rang desquels Noé. Le budget et les moyens d’un blockbuster américain n’ont pas englouti (!) une histoire véritable et prenante. Le réalisateur épouse le parcours classique du héros : mission-chute-rédemption. La crise naîtra de questions qui méritent d’être posées : quelle fut l’attitude de Noé face aux être humains qui n’étaient pas moins justes que lui et sa famille, et que pourtant l’arche n’embarqua pas ? Quel retentissement peut avoir sur un psychisme humain, si généreux, si héroïque soit-il, le fait d’être non seulement l’unique juste, mais le sauveur de l’humanité envoyé par Dieu pour jouer ce rôle ? Une faille s’ouvre où, avec les eaux diluviennes, s’engouffre la tentation de projeter sur Dieu sa violence et, bientôt, de se prendre pour son bras armé. Russell Crowe, l’acteur oscarisé pour sa prestation dans Gladiator, est l’interprète idéal pour interpréter cet homme d’ombre et de lumière. Et le salut de cet homme puissant et blessé est d’autant plus crédible qu’il jaillit non pas d’un improbable miracle, mais du fond d’un cœur qui est resté vulnérable à l’amour (je n’en dévoile pas plus). Aronofsky a finement évité le schéma éculé et surtout décalé d’un Noé révolté qui accéderait à sa liberté en s’ébrouant du joug trop pesant de la foi en celui que, en continuité avec l’origine, il appelle « Créateur »
Saisissant est aussi le personnage de Tubal-Caïn, figure du mal et de la perversion : sa pénétration dans l’arche est heureusement symbolique de sa capacité diabolique à envahir l’esprit de Cham, le fils révolté de Noé ; lui aussi est d’autant plus crédible qu’il ne nie pas celui qui l’a créé, mais se révolte contre sa prétendue indifférence.
Il vaut aussi la peine de saluer un choix scénarique, plus biblique qu’on ne croit : l’humanité pervertie est carnivore, alors que Noé et sa famille sont végétariens ; Cham succombe à la tentation en dévorant un animal que l’arche protégeait. Nul anachronisme. De fait, au point de départ, Dieu fait don d’une alimentation végétale (Gn 1,29) ; c’est seulement après le déluge qu’il prescrit à l’humanité un régime carné (Gn 9,3 s). Ludwig Feuerbach le disait en un jeu de mots : « Der Mensch ist was er isst : l’homme est ce qu’il mange ». Alors que le premier menu est signe de douceur, avec le second, « Dieu ouvre de manière évidente un exutoire à leur violence », remarque l’exégète belge André Wénin dans Pas seulement de pain…
Qu’importe au fond les questions d’historicité ou d’anachronisme ? Le film montre l’inquiétante actualité de cet épisode biblique. Le Christ lui-même n’a-t-il pas parlé des « jours de Noé » (Mt 24,37 ; Lc 17,26) pour parler de son retour sur terre, et évoquer une humanité qui s’étourdit dans le divertissement et troque le bonheur contre le seul plaisir, le don de soi contre l’exclusion, la vérité contre le mensonge. Aujourd’hui, comme hier, à l’homme qui clame la violence, Dieu proclame son alliance.
Critique parue dans Le Figaro, le 8 avril 2014.
Pascal Ide
Tout jeune, Noé assiste au meurtre, par Toubal-Caïn (Ray Winstone), de son père Lamech, un roi qu’il voulait empêcher d’exploiter la nature pour le profit de son peuple. Des années plus tard, Noé (Russell Crowe) vit avec sa femme, Naameh (Jennifer Connelly), et ses trois fils, à l’écart du monde, tentant comme il peut de protéger les derniers animaux de la cupidité des hommes. Troublé par d’étranges visions, il décide de partir à la recherche de son grand-père, Mathusalem (Anthony Hopkins). En chemin, la famille sauve une orpheline, Ila (Emma Watson), qu’elle adopte. En cherchant à échapper à une attaque de pillards, Noé et les siens pénètrent sur le territoire des Veilleurs, des anges déchus pour avoir voulu aider les hommes, puis trahis par eux. Ceux-ci les capturent et, refusant de leur faire confiance, les abandonnent dans une fosse. Mais l’un des Veilleurs reconnaît la bonté en Noé et l’aide à retrouver Mathusalem. Celui-ci lui révèle que Dieu va détruire le monde par un déluge et qu’il lui demande de sauver les innocents. Mais comment faire ?