Wonder Woman, film fantastique américain de Patty Jenkins, 2017, tiré de la série éponyme de bandes dessinées DC (Comics), créée par William Moulton Marston en 1941. Avec Gal Gadot, Chris Pine, Robin Wright, Connie Nielsen.
Thèmes
Courage, mission, homme-femme.
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Que peut être une superhéroïne ? Certes, elle possède les quatre caractéristiques communes aux super-héros. Mais elle les décline au féminin. En effet, tels sont les vœux de son créateur, William Moulton Marston, qui ne se comprend pas sans la tendance féministe de l’époque : « Même les filles ne voudront pas être des filles tant que nos archétypes féminins manqueront de force, de vigueur et de puissance. Comme elles ne veulent pas être des filles, elles ne veulent pas être tendres, soumises, pacifiques comme le sont les femmes bonnes. Les grandes qualités des femmes ont été méprisées à cause de leur faiblesse. Le remède logique est de créer un personnage féminin avec toute la force de Superman plus l’allure d’une femme bonne et belle [1] ». De même, lors de la création du personnage, le communiqué de presse précise : « Wonder Woman a été conçue par le docteur Marston dans le but de promouvoir au sein de la jeunesse un modèle de féminité forte, libre et courageuse, pour lutter contre l’idée que les femmes sont inférieures aux hommes et pour inspirer aux jeunes filles la confiance en elles et la réussite dans les sports, les activités et les métiers monopolisés par les hommes [2] ».
Laissons de côté la double identité, commune à presque tous les super-héros – ici, Diana Prince / Wonder Woman [3]. En effet, le film se déroule intentionnellement en deça de l’apparition de celle-ci et n’évoque que l’origine du pseudo de camouflage.
Le superhéros se caractérise d’abord par une origine singulière. Parfois (partiellement) extraterrestre, souvent cachée, toujours blessée. Ce traumatisme s’identifie à celui de la mort de la tante qui, seconde mère, lui a tant appris, et la brutale sortie de l’innocence qui s’en suit. S’y ajoute de manière tout aussi explicite un secret de famille aux conséquences insondables : fille de Zeus (d’où elle tire ses pouvoirs), Diana est donc la sœur d’Arès. Plus subtilement, cette blessure provient enfin d’une autre origine – que le féminisme ambiant, plus idéologique et moins excusable que le premier, ne voudra formuler – : l’absence d’hommes (viri). La conséquence, au moins double, en est l’ignorance de la moitié de l’humanité, ignorance qui conduit à une caricature, voire un mépris de l’autre moitié ; le risque important d’assumer la symbolique de l’autre genre : de fait, les Amazones l’ont tellement conquise qu’elles peinent à vivre leur part féminine.
Et c’est là qu’intervient déjà la touche féminine typique de la future Wonder Woman. Celle-ci, loin d’être effarouchée par l’homme ou méprisante à son égard, s’avère confiante, voire curieuse, tout en gardant une juste distance. C’est d’ailleurs en puisant dans cette confiance qu’elle trouvera – au moins partiellement – l’énergie lui permettant de s’arracher à sa douce patrie.
Un superhéros se définit aussi par ses superpouvoirs (la seule exception étant Batman). Or, ici encore quelque chose de la belle féminité de Diana trouve à se dire. Lorsque son superpouvoir (qui n’est en fait que l’un d’entre eux) s’exprime pour la première fois, au lieu de se réjouir de posséder une telle puissance, elle s’inquiète de la souffrance qu’il a infligée à sa tante. Or, les théoriciennes du féminisme ont noté que le care (« prendre soin » de l’autre) caractérise la féminité.
Les armes qui sont aussi les emblèmes de ces pouvoirs le confirment : l’épée – à la symbolique transparente, même pour un non-psychanalyste – dont elle s’empare en quittant l’île, disparaît en faveur de sa personne qui, selon l’aveu même d’Arès, est la « tueuse des dieux » ; son lasso magique n’est pas tant un fouet qu’un révélateur de vérité, qui opère donc du dedans, selon une symbolique typiquement féminine.
Mais l’identité du super-héros est avant tout sa mission – cette affirmation devant être prise au sens strict qui compacte l’être et l’agir. Le film le rappelle à plusieurs reprises, notamment au terme : « C’est ma mission, à tout jamais », affirme Diana. C’est au nom de cette vocation que celle-ci trouve le courage de s’affronter à sa mère, alors qu’elle vient de perdre sa sœur et de s’arracher à la douce île qui la protège, dans une poignante scène d’adieu (« Tu es ma joie et mon chagrin ») ; c’est aussi en son nom qu’elle lance l’assaut sur le front dans une réjouissante et dynamique scène d’offensive contre les Allemands ; c’est surtout grâce à elle qu’elle peut combattre sans se décourager la multitude de ses ennemis : le général Erich Ludendorff (Danny Huston), Isabel « Dr Poison » Maru (Elena Anaya), la chimiste créatrice du nouveau gaz moutarde, et surtout Sir Patrick Morgan qui s’avère être son frère Arès (David Thewlis).
Mais, là encore, la touche féminine est mise en avant – d’au moins quatre manières.
- Elle l’est d’abord dans le profilage du mal. En effet, les trois figures qui l’incarnent ne se notifient pas tant par leurs pouvoirs extérieurs et spectaculaires – l’un est un quinquagénaire ventripotent (même s’il se dope à ce poison survitaminé), l’autre une frèle jeune femme défigurée et esseulée, le dernier, un vieillard claudiquant –, mais surtout par leur puissance de nuire du dedans. De fait, le plan réellement démoniaque élaboré par le jaloux Arès consiste non pas à faire, mais à faire faire, transformant Diana en bras armé de sa vengeance contre leur père commun, donc en la pervertissant de l’intérieur : non seulement il lui montre la laideur irréversible des hommes et ainsi la convainc de les éliminer, mais il tient presque le même discours qu’Hippolite sa mère. Comment la future Wonder Woman pourrait-elle résister à la tentation de détruire celle (Isabel Maru) qui vient de détruire Steve ?
- Ici gît la deuxième déclinaison de sa mission au féminin. Diana renonce à confondre justice et vengeance quand elle contemple le choix héroïque posé par son bien-aimé. En embrasant le ciel de son sacrifice héroïque, Steve embrase aussi le ciel intérieur de son aimée. Diana opte alors clairement pour le pardon qui est d’autant moins un acte de faiblesse qu’à partir de ce moment là, elle peut aussi recueillir toute la force de son frère (de même que sa croissance en puissance réveille son frère, de même la puissance de celui-ci peut énergétiser Diana) et déployer les superpouvoirs qui lui donneront d’être Wonder Woman. Dès lors, s’éclairent deux phrases. La première, prononcée par Diana dans la scène inaugurale : « Faire le bon choix est plus compliqué qu’on ne le pense. Je l’ai appris à mes dépens ». Elle mentionne peut-être la prime décision qui lui a fait quitter les siens ; mais elle désigne, plus encore, le dialogue, d’abord inentendu, car in-ouï, puis révélé, où Trevor lui dit son choix de détruire le poison : en offrant sa vie, il lui offre sa mission : « Je sauve quelques vies, tu sauves le monde ». De fait, juste avant de prononcer la phrase sur la difficulté de l’option, Diana a commencé en affirmant : « Je voulais sauver le monde » – phrase qui, par son inclusion, résume le film.
La deuxième phrase, prononcée par Hippolyte : « Les hommes ne te méritent pas », revient en mémoire à Diana. Et elle est au cœur de la tentation infligée par Arès. La princesse ne pourra lui résister qu’au terme d’un bref, mais intense combat intérieur, digne de Christopher Nolan. En effet, l’arme par excellence du démon est l’enfumage, c’est-à-dire la demi-vérité. Or, la phrase d’Hippolyte dit vrai, mais ne dit pas tout. Elle lui oppose la foi qui espère ou mieux, la foi opérant dans la charité (cf. Ga 6,4) qui espère tout. Si l’homme ne mérite pas Diana, car son aide est gratuite, en revanche, il vaut qu’on croit en ses ressources de bonté. Comment ne pas lire ici en écho l’opposition des deux logiques structurant les deux cités : celle de l’orgueil qui, à force d’action, croit tout obtenir et tout mériter et, s’il ne peut posséder, arracher ou se révolter, celle de l’humilité qui sait que, avant d’agir, l’homme doit recevoir, dans la confiance ? Et cette foi elle-même surgit de l’amour : « L’amour croit tout » (1 Co 13,7). De même, en soulignant la malice humaine, le jugement d’Arès dit quelque chose de son cœur, mais non pas tout – ce qu’elle corrige en affirmant : « J’ai appris que, en chaque être humain, il y a de la lumière et des ténèbres ».
- Ensuite, les combats eux-mêmes n’ont pas la violence exacerbée des affrontements toujours plus spectaculaires entre super-héros et super-méchants, mais la grâce (c’est-à-dire l’esthétique) de danses magnifiées et adoucies par le ralenti.
- Enfin, au présent, Diana décrit sa mission avec des mots que l’on peinerait à trouver dans la bouche de Superman ou de Captain America : « Je voulais sauver le monde. Il n’y a que l’amour qui peut sauver le monde ».
Pour finir, les exigences de disponibilité constante et de liberté intérieure du super-héros appellent, comme sa condition hautement convenante, un statut de vie célibataire – achevant ainsi de configurer son être à son identité messianique. Le scénario joue avec légèreté de l’innocence qui rime avec ignorance, de la princesse amazone. Elle culmine dans la scène poétique qui succède à la victoire contre le front allemand. Steve et Diana se rapprochent, dans un enchantement de tous les sens, qui provient de la découverte émerveillée de la neige, de la musique envoûtante émanant de ce personnage attachant qu’est Charlie, le tireur d’élite alcoolique (Ewen Bremner) se révélant être un pianiste talentueux, et de la danse improvisée qui les enlace dans la douce nuit. Comment ces multiples marqueurs sensoriels n’inscriraient-ils pas définitivement cette scène fondatrice, toute en délicate suggestion, dans la mémoire de la jeune femme ? Un seul regret : le réalisateur n’a pas su s’arrêter là. Je ne parle pas d’en rester à la suggestion – car la caméra est d’une discrétion qu’on ne peut que saluer –, mais d’en rester à la promesse – que Steve et Diana se séparent sur le seuil de sa chambre. Que notre époque, qui fait de la frustration le mal absolu et ne sait plus résister à l’immédiate consommation, se mette à l’école de la suggestive remarque de Georges Bataille : « Tout l’érotisme est dans l’entrebaillement du corsage »…
[1] The American Scholar, 1943. Cité par Jill Lepore, « La chienne de garde de l’Amérique », Vanity Fair, 20 (février 2015), p. 116-125 et 164.
[2] Ibid.
[3] Pour plus de détail, cf. Scott Beatty, Wonder Woman. L’encyclopédie de la princesse amazone, trad. Edmond Tourriol, coll. « Semic de luxe », Paris, Semic, 2004.
Pascal Ide
La princesse Diana, fille de la reine Hippolyte (Connie Nielsen) et dénuée de père (selon les dires de sa mère, elle fut façonnée à partir de l’argile), est l’unique petite fille du peuple des Amazones qui est uniquement composée non seulement de femmes guerrières, mais d’adultes. Provenant de la planète Themyscira, elles vivent sur une île paradisiaque, cachée du reste de la Terre par un brouillard impénétrable, où elles passent la majorité de leur temps à s’entraîner au combat en vue de la mission que Zeus leur a confiée : garder les hommes de leur pire ennemi, Arès – en latin, Mars, le dieu de la guerre. Formée par la générale Antiope (Robin Wright), qui est la plus grande guerrière de son peuple et se trouve aussi être sa tante, Diana devenue adulte (Gal Gadot) découvre un jour qu’elle possède le pouvoir de projeter une grande énergie hors d’elle. Sa mère et sa tante refusent toutefois d’en révéler l’origine, craignant qu’ainsi ne se réveille Arès.
Jusqu’au jour où un pilote américain qui est aussi espion, Steve Trevor (Chris Pine), s’écrase sur l’île et lui apprend qu’une guerre terrible fait rage à l’autre bout de la planète. Pire, il entraîne involontairement dans son sillage un bataillon de soldats allemands qui les agresse. Dans la bataille qui s’en suit, Diana perd sa tante bien-aimée. Elle comprend alors qu’elle doit abandonner cet havre de paix où sa mère lui demande par obéissance de rester, pour accomplir sa mission. Mais comment peut-elle seule affronter une redoutable armée et une arme encore plus redoutable (un gaz toxique terriblement destructeur, fabriqué non plus à base de soufre, mais d’hydrogène) ? Et comment retrouver la cause de tous les maux, Arès, dont elle ignore non seulement où il se cache mais quelle est son apparence ?