L’Eucharistie, sommet de la création

La grandeur d’un être, d’une action, d’une œuvre naît de sa capacité à s’ouvrir aux contraires et à les intégrer. Cela vaut même de la musique : « Karl Barth dit de l’énorme Oui, au cœur de la musique de Mozart, qu’il tire sa force de ce qu’il domine et contient un Non [1] ». Et, pour le chrétien, cela revient à accepter la grâce mais aussi la disgrâce à l’œuvre dans le monde.

Or, l’Eucharistie est le lieu et la cause par excellence de cette intégration du monde en sa totalité. En sa source, puisque l’acte salvifique du Christ s’adresse à tout homme sans aucune exception. Mais aussi en son sacramentum tantum, sa réalité visible. En effet, le pain et le vin sont des réalités soumises à bien des ambivalences, en leur origine comme en leur utilisation. Au point que certains théologiens de la libération  estiment que ce pain et ce vin pouvaient devenir indignes de servir de matière pour la célébration eucharistique. C’est le contraire qui est vrai. Lisons un passage remarquable du père dominicain Geoffrey Preston :

 

« Pensez à la domination, à l’exploitation, à la pollution de l’homme et de la nature qui accompagnent le pain, à toute l’amertume de la concurrence et de la lutte des classes, à l’égoïsme tarifé, à l’aberration de la distribution mondiale, à l’abondance des uns et à la pauvreté des plus nombreux. Et le vin aussi, fruit de la vigne et du travail des hommes, le vin des vacances et des noces […]. Le vin, c’est aussi la bouteille, l’un des instruments les plus tragiques de la dégradation humaine : ivresse, foyers brisés, débauches, dettes. Le Christ s’incarne dans ce pain et ce vin-là ; et il arrive à leur donner sens, à les humaniser. Rien d’humain ne lui est étranger. Si nous apportons du pain et du vin à la table du Seigneur, nous nous engageons nous-mêmes à porter à Dieu tout ce que le pain et le vin signifient, tout ce qui est cassé et sans amour. Nous nous impliquons nous-mêmes dans la peine et dans la joie du monde [2] ».

 

Par certains côtés, le pain et le vin résument toute la turpitude humaine : le pain, celui de l’exploitation, l’exacerbation de l’argent et du pouvoir et le vin, celui de la démesure de la jouissance. Or, les trois concupiscences (cf. 1 Jn 2,16) sont à la racine de tous les péchés du monde.

Pascal Ide

[1] Seamus Heaney, The Redress of Poetry, New York, Farrar Straus & Giroux, 1995, p. 169.

[2] Geoffrey Preston, God’s Way to be Man, London, Darton, Longman & Todd, 1978, p. 84.

21.6.2025
 

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