Philosophie de la connaissance : réalisme et idéalisme 3/3

E) Quelques synthèses ascendantes à partir de la phénoménologie

Un certain nombre de philosophes ont tenté un dépassement du dilemme idéalisme-réalisme par le bas.

1) Maurice Merleau-Ponty

 

« Si la chose était atteinte, elle serait désormais étalée devant nous et sans mystère. Elle cesserait d’exister comme chose au moment même où nous croirions la posséder. Ce qui fait la ‘réalité’ de la chose, est donc justement ce qui la dérobe à notre possession. L’aséité de la chose, sa présence irrécusable et l’absence perpétuelle dans laquelle elle se retranche, sont deux aspects inséparabes de la transcendance [1] ».

 

« Nous interrogeons notre expérience précisément pour savoir comment elle nous ouvre à ce qui n’est pas nous. Il n’est même pas exclu que nous trouvions en elle un mouvement vers ce qui ne saurait être présent en original et dont l’absence orrémédiable compterait ainsi au nombre de nos expériences originaires [2] ».

 

Maurice Merleau-Ponty a tenté de dépasser les apories liées à l’opposition entre réalisme naïf et idéalisme par la démarche phénoménologique qui le caractérise en propre. Il présente son intention dans l’introduction à la Phénoménologie de la perception.

a) Une lecture de l’introduction à la Phénoménologie de la perception

1’) Le refus de l’idéalisme

Merleau-Ponty refuse fermement l’idéalisme. Le mouvement phénoménologique « est absolument distinct du retour idéaliste à la conscience [3] ». En effet, il « s’agit de décrire, et non pas d’expliquer ni d’analyser [4] ». En effet, le « monde est là avant toute analyse que je puisse en faire et il serait artificiel de le faire dériver d’une série de synthèses qui relieraient les sensations, puis les aspects perspectifs de l’objet, alors que les unes et les autres sont justement des produits de l’analyse et ne doivent pas être réalisés avant elle [5] ». Aussi, « le réel est à décrire, et non pas à construire ou à constituer ». (id.)

C’est le « sens de la célèbre réduction phénoménologique [6] » : « Le plus grand enseignement de la réduction est l’impossibilité d’une réduction complète [7] ». L’idéalisme transcendantal oublie la présence d’autrui et ne peut en rendre compte [8].

Merleau-Ponty remarque dans un autre ouvrage qu’il faut substituer l’affirmation de l’être à l’affirmation idéaliste :

 

« Le rapport du sujet et de l’objet n’est plus ce rapport de connaissance dont parlait l’idéalisme classique et dans lequel l’objet apparaissait toujours comme construit par le sujet, mais un rapport d’être selon lequel paradoxalement le sujet est son corps, son monde et sa situation et, en quelque sorte, s’échange [9] ».

2’) Le refus du réalisme

Merleau-Ponty refuse tout aussi fermement le réalisme qualifié de naïf. On pourrait croire que Merleau-Ponty retrouve le réalisme : « La phénoménologie […] replace les essences dans l’existence et ne pense pas qu’on puisse comprendre l’homme et le monde autrement qu’à partir de leur ‘facticité’. C’est une philosophie […] pour laquelle le monde est toujours ‘déjà là’ avant la réflexion, comme une présence inaliénable, et dont tout l’effort est de retrouver ce contact naïf avec le monde pour lui donner enfin un statut philosophique [10] ». Il dit plus loin que « ce qui fait la ‘réalité’ de la chose est donc justement ce qui la dérobe à notre possession [11] ».

Mais l’auteur de la Phénoménologie de la perception met en garde. Il remarque dès le début que la phénoménologie « est une philosophie transcendantale qui met en suspens pour les comprendre les affirmations de l’attitude naturelle [12] ». Le sens « ne doit pas être posé à part, transformé en Esprit absolu ou en monde au sens réaliste. Le monde phénoménologique, c’est, non pas de l’être pur, mais le sens qui transparaît à l’intersection de mes expériences et à l’intersection de mes expériences et de celles d’autrui ». Pourquoi ? Parce qu’il est « inséparable de la subjectivité et de l’intersubjectivité qui font leur unité par la reprise de mes expériences passées dans mes expériences présentes, de l’expérience d’autrui dans la mienne [13] ».

Bref, « le monde phénoménologique n’est pas l’explicitation d’un être préalable, mais la fondation de l’être [14] ».

3’) L’ouverture à une troisième voie ?

Ce serait l’ambition de la phénoménologie. « La plus importante acquisition de la phénoménologie est sans doute d’avoir joint l’extrême subjectivisme et l’extrême objectivisme dans sa notion du monde ou de la rationalité [15] ».

Et nous rappelions plus haut la belle invitation à l’exigence de l’étonnement :

 

« La meilleure formule de la réduction [husserlienne] est sans doute celle qu’en donnait Eugen Fink, l’assistant de Husserl, quand il parlait d’un ‘étonnement’ devant le monde. […] Le transcendantal de Husserl n’est pas celui de Kant, et Husserl reproche à la philosophie kantienne d’être une philosophie ‘mondaine’ parce qu’elle utilise notre rapport au monde, qui est le moteur de la déduction transcendantale, et fait le monde immanent au sujet, au lieu de s’en étonner et de concevoir le sujet comme transcendance vers le monde [16] ».

 

La phénoménologie de la perception va découvrir l’être dans le phénomène. Dans la perception, sujet et objet à la fois sont corrélés et irréductibles : le sujet connaissant se découvre par le monde et transcendant à lui ; de même, l’être déborde le phénomène, même s’il m’est donné dans son apparition phénoménale. Et c’est ce point qu’il faut discuter.

b) Évaluation critique

Nous emprunterons ces observations critiques (négatives) à Pierre Fontan qui cherche à montrer l’illusion nourrie par Merleau-Ponty [17].

La question décisive est la suivante : « L’indépendance affirmée par la conscience et le monde au sein de leur relation est sans doute au-delà du phénomène. Mais à quel titre précis ? À titre d’indication donnée par le phénomène. Leur vérité est donc comprise dans la vérité de celui-ci en ce sens qu’elle ne va pas plus loin. Comment, alors, parler d’un au-delà [18] ? »

Il faut le reconnaître, on trouve sous la plume de Merleau-Ponty des formulations idéalistes : « Je suis la source absolue, mon existence ne vient pas de mes antécédents, de mon entourage physique et social ; elle va vers eux et les soutient, car c’est moi qui fais être pour moi, et donc être au seul sens que le mot puisse avoir pour moi, cette tradition que je choisis de reprendre, ou cet horizon dont la distnce à moi s’effondrerait puisqu’elle ne lui appartient pas comme une propriété, si je n’étais là pour la parcourir du regard [19] »

Et Pierre Fontan propose la voie d’une solution qui part du point de vue de Merleau-Ponty. En effet, quelle est la thèse essentielle de la phénoménologie ? Merleau-Ponty « refuse de purifier l’objet – être, donné, problème- du regard et de l’affirmation qui le visent. Le sujet s’inscrit en lui, déteint sur lui. Non par une composition dissipant les distances : ces distances résistent et le formalisme est écarté. Mais parce que la vérité est vérité pour l’homme et que ce mot ‘pour’ ne la désigne pas du dehors et lui reste essentiel [20] ». Il faut donc toujours envisager la relation du sujet et de l’objet : la phénoménologie est essentiellement relativisme.

C’est là où intervient la critique de notre auteur. Merleau-Ponty veut partir du vécu. Soit. Or, parmi les données vécues, il y a l’acte qui pose le système. Or, « l’acte qui pose le système résiste au système [21] ». Détaillons ce point.

 

« Quelle que soit sa nuance, [l’affirmation relativiste] ne doute pas d’elle-même. […] La formule peut faire état de clauses subjectives contenant le relativisme lui-même : ‘à mon sens, de mon point de vue, etc.’. Elle peut enfermer la vérité dans ces parenthèses et proposer comme définitive cetet inclusion. [Il demeure que] La proposition ainsi montée n’est objet d’assentiment que si notre acte prétend à la vérité des parenthèses [22] ».

 

Autrement dit, le relativisme se détruit lui-même. C’est la réfutation classique et somme toute banale du scepticisme : « il n’est pas question d’innover, mais de retrouver la force d’une exéprience commune [23] ».

La phénoménologie de la perception a donc échoué à retrouver le sens de l’acte de connaissance ; elle ne s’intéresse qu’aux énoncés. Fontan dénote là une concession trop grande faite au positivisme des sciences [24].

Pierre Fontan conclut :

 

« L’alternative est stricte. Il faut choisir entre le primat critique du phénomène et celui de l’être atteint en son ‘acte d’exister’. Inutile de simuler un passage du phénomène à l’être si l’être, premier connu, n’a d’abord authentifié sa propre perception [25] ».

 

C’est ce que nous disions au point de départ de ce § : il n’y a pas de troisième voie entre idéalisme et réalisme.

2) Edith Stein

(0) Introduction. Importance

La figure d’Edith Stein est, selon moi, essentielle pour au moins deux raisons. La première est philosophique. Stein est un penseur fécond (nous verrons qu’elle a très tôt fait œuvre personnelle) en son contenu (qui couvre des champs variés, de l’anthropologie à la métaphysique en passant par l’éducation) et en sa méthode (elle n’a cessé de chercher, de revenir au commencement).

La seconde est chrétienne : c’est une philosophe femme et sainte. Cela ne signifie pas que l’Eglise a canonisé sa doctrine en canonisant sa personne. En effet, il n’y a pas de sainteté sans humilité, donc écoute inconditionnelle de la vérité, amour de la vérité plus que de sa vie. Or, plus encore que les sciences, la sagesse, ici rationnelle requiert cette écoute d’une vérité qui transcende toute maîtrise. Ainsi, la sainteté n’est pas sans retentissement sur les conditions d’exercice de la philosophie. De fait, ses écrits reflètent et assurent une cohérence, une pureté, voire une vérité qui n’est pas si fréquente (combien de philosophes modernes ont-ils vécu ce qu’ils ont professé ?) et qui est en tout cas est une condition indispensable de la recherche philosophique authentique.

J’ose dire plus. Comment ne pas s’étonner de ce que, parmi les très rares philosophes qui sont canonisés, nous soyons en présence de deux penseurs d’exception qui ont tous deux traversé les deux champs de la métaphysique et de la phénoménologie, il est vrai en sens inverse : le premier, Karol Wojtyla, est passé de la métaphysique à la phénoménologie, sans abandonner la première ; la seconde, Edith Stein, est passée de la phénoménologie à la métaphysique, sans abandonner la première. Les deux ont travaillé dans des domaines voisins (l’homme), mais aussi différents (plus spéculatif chez Stein, plus éthique chez Wojtyla). Ce double geste n’est-il pas emblématique d’une posture neuve ? Plus que le détail du contenu, encore très en gésine, chez l’un comme chez l’autre, n’est-ce pas le geste qui mérite d’être imité.

(1) État de la question

a) La question posée

Sur l’appartenance d’Edith Stein à la phénoménologie ou à la métaphysique thomasienne, nous sommes face à une aporie : la philosophe allemande est-elle demeurée ou non fidèle à Husserl, donc à la phénoménologie dans sa version transcendantale ? La question demande à être posée, car on sait son évolution. En deux mots, en 1925, Edith Stein lit Thomas d’Aquin et découvre ainsi du dedans la métaphysique traditionnelle ; plus encore, elle va traduire l’imposante Q.D. De Veritate et écrire un ouvrage dont le titre n’a vraiment rien de phénoménologique : L’être fini et éternel. Pourtant, le sous-titre devrait alerter : Essai d’une atteinte du sens de l’être. Edith Stein a-t-elle connu une Kehre métaphysique ?

Derrière se tient un double débat : épistémologique entre réalisme et idéalisme ; métaphysique entre l’accès à la seule immanence de la conscience et l’accès à la transcendance (du monde, voire de Dieu). Et peut-être aussi une question plus personnelle : la disciple peut-être la plus brillante de Husserl a-t-elle trahi le Maître [26] ?

b) Un « tournant » métaphysique
1’) Exposé

L’argumentation est parfois doctrinale. C’est ainsi qu’un philosophe anglais affirme que la philosophie d’Edith Stein est « franchement [outspokenly] thomiste ». En effet, « après sa conversion, elle a rapidement transféré son allégeance philosophique à la philosophie thomiste […]. En dépit de l’importance de son héritage phénoménologique dans l’élaboration de son grand œuvre posthume L’Être fini et l’être éternel, la phénoménologie a surtout joué ici un rôle complémentaire comme servante du thomisme [27] ». Est-ce la position de Gaboriau ou de Secrétan ?

Elle est plus souvent historique, voire psychologique et historique : sa « rupture avec la phénoménologie » serait un désaveu procédant d’une « déception profonde », voire un « revirement » l’ayant conduit à « rompre avec son passé [28] ».

On pourrait ajouter un argument négatif de grand poids. Comment ne pas s’étonner du décalage suivant ? D’un côté, les œuvres complètes d’Edith Stein connaissent une seconde édition critique en allemand [29], et sont traduites dans leur presque totalité en anglais, espagnol et italien. De l’autre, les textes phénoménologiques d’Edith Stein commencent à peine à être publiées en français. On pourrait observer le même hiatus pour les colloques : les colloques francophones consacrés à la philosophie d’Edith Stein sont rarissimes.

Comment interpréter ces faits, surtout quand on sait combien les œuvres de Husserl et des autres husserlien sont labourées, alors qu’Edith Stein était considérée par le Maître lui-même comme son disciple le plus proche ? Osons-le dire : cela tient à ce que la philosophie française d’inspiration chrétienne s’est développée dans une lignée non seulement anti-thomasienne, mais anti-métaphysique. Ainsi, ce silence qui fait figure d’omertà est bien celui de la suspicion implicite d’une conversion d’Edith Stein à la métaphysique naïve de Thomas – quand la sainte n’est pas méprisée, justifiant ainsi qu’elle ne soit pas lue.

2’) Confirmation plus générale

Une confirmation en est le destin philosophique en France des autres membres du Cercle de Göttingen : Adolf Reinach, Roman Ingarden, Hedwig Conrad-Martius, etc. Or, tout en demeurant phénoménologues, ces philosophes se sont inscrits dans le sillage des Recherches logiques, et font donc partie de ce que l’on appelle parfois la « phénoménologie réaliste [30] ». D’ailleurs, Edith Stein les a rejoints en 1913.

Cette prise de position vis-à-vis d’Edith Stein s’inscrit dans une prise de position plus générale, selon laquelle la phénoménologie prend la « relève » de la métaphysique [31] : non pas au sens où elle s’inscrirait dans sa continuité, en achevant certaines virtualités, mais au sens où elle s’en distancierait et en sortirait : « La phénoménologie n’introduit pas à la métaphysique, elle en sort [32] ». En même temps qu’elle l’achève, elle

La raison fondamentale est la suivante : la phénoménologie part de l’expérience, alors que la métaphysique pense en dehors de l’expérience. La phénoménologie part de la seule donnée évidente, le vécu de conscience, alors que la métaphysique postule d’emblée une saisie d’entités transcendant le cogito.

D’ailleurs, de fait, certains penseurs ont décidé de prolonger la phénoménologie non pas par une métaphysique, mais par une herméneutique, le plus célèbre d’entre eux étant Ricœur qui, dans une image célèbre, parle d’une greffe herméneutique de la phénoménologie.

c) Sa fidélité à la phénoménologie
1’) Exposé

Convoquons en regard, le témoignage massif des faits. D’abord, en négatif, jamais Edith Stein n’atteste qu’elle a rompu avec la phénoménologie. Certes, nous le redirons en détail, elle a pris des distances à l’égard de telle ou telle position du Maître ; mais elle a au contraire toujours défendu son appartenance à l’école phénoménologique.

De plus, en creux, les avis des connaisseurs de saint Thomas ont été au minimum divisés, au maximum réservés sur la compréhension, voire sur l’effective entrée d’Edith Stein dans la philosophie de l’Aquinate [33]. Elle-même, ayant reçu de ses supérieurs du Carmel l’ordre de travailler à nouveau à la publication de Puissance et acte en 1935, écrit : « Les présentes recherches représentent une seconde tentative qui saisit la question de manière plus vaste et plus profonde. Elles se relient à quelques notions thomistes fondamentales, mais n’ont pas la prétention d’être une représentation totalisante du système thomiste ni d’être une prise de position définitve à son égard [34] »

D’ailleurs, Edith Stein fait un usage très restreint du terme « métaphysique ». D’ailleurs, cet emploi ne semble pas être technique, lui donnant le sens étymologique d’un « au-delà de l’expérience » [35].

En outre, un aveu est d’autant plus révélateur qu’il date d’une de ses dernières œuvres et que, répétons-le, Edith Stein est une femme très soucieuse de vérité : elle parle de la phénoménologie comme de sa « langue maternelle philosophique [36] ».

Enfin, un certain nombre de travaux français [37] ou autres [38], attestent la continuité dans l’itinéraire intellectuel d’Edith Stein.

2’) Limite de cette interprétation

Toutefois en rester à une Edith Stein phénoménologue n’est pas plus adéquat à la réalité. En effet, Edith Stein a dit son grand intérêt pour la philosophie médiévale. Przywara l’ayant invité à traduire le De veritate de saint Thomas et de le commenter, elle remarque dans un manuscrit :

 

« Edmund Husserl a formé ma pensée philosophique. Dans son école, j’ai mûri pour un travail autonome avant de connaître l’univers de pensée de saint Thomas d’Aquin. La traduction des Quaestiones disputatae de veritate fit en sorte que j’étais tellement touchée intérieurement par cet univers de pensée que devint inévitable une discussion interne entre elle et la forme du philosopher phénoménologique [39] ».

 

On peut y joindre un témoignage de grand poids, celui du jésuite silésien, Erich Przywara :

 

« Le père Przywara, un jésuite de Munich, m’a rendu visite ; j’étais entrée en contact épistolaire avec lui à l’occasion de la traduction de Newman qu’il publie. C’est un très bon connaisseur de la philosophie moderne (il est responsable des recensions philosophiques pour Stimmen und Zeit) et notre échange épistolaire avait déjà fait apparaître que nous avions tous les deux les mêmes desiderata, que nous considérions comme l’urgence de l’heure : à savoir une confrontation entre la philosophie catholique traditionnelle et la philosophie moderne (où, pour lui aussi, la phénoménologie est la plus importante). Au cours de notre entretien, il m’a fortement exhortée à reprendre le travail scientifique et à réduire le plus possible mes heures de cours dans ce but [40] ».

 

Bénédicte Bouillot le dit de manière claire, quoiqu’embarrassée :

 

« Loin de constituer une allégeance aux courants néo-thomistes de l’époque, ou un retour à la forme traditionnelle de pensée métaphysique, l’ontologie, telle qu’Edith Stein la met en œuvre dans les années trente, se comprend certainement davantage, nous voudrions l’établir, comme une ‘hyperphénoménologie’. Une telle démarche qui n’est certes plus purement phénoménologique, n’est pas non plus métaphysique au sens où elle entend le terme : en effet, loin de s’établir sur des principes abstraits, et de procéder de manière purement déductive, elle ne fait que poursuivre, à l’endroit même où l’analyse phénoménologique doit marquer un point d’arrêt, l’investigation des objets et problèmes auxquels cette dernière a elle-même conduit [41] ».

 

Passons l’interprétation non seulement réductionniste, mais erronée de la métaphysique (du moins de la métaphysique de l’être telle qu’elle est pratiquée par Aristote ou Thomas).

Une objection pourrait toutefois pointer : vouloir à toutes forces intégrer métaphysique thomasienne et les philosophies ultérieures, modernes et contemporaines, n’est-ce pas nier l’incommensurabilité des cadres de référence (frameworks) ou des paradigmes, pour parler comme Thomas Kühn, ou tout simplement la distance infranchissable des siècles à laquelle l’herméneutique nous a rendu sensible ?

Certes, la philosophie prend en compte le contexte historique. Mais elle sait aussi que la vérité est transhistorique. Deux attestations d’autorités. Le premier est Heidegger. En 1915, celui-ci tente dans son Traité des catégories et de la signification de Duns Scot, de trouver une voie de conciliation enter la pensée médiévale et la phénoménologie. « À mes yeux, [l’étude approfondie du Moyen Âge] consistait moins à mettre en évidence les relations historiques entre les différents penseurs, qu’à comprendre et à interpréter le contenu théorique de leur philosophie avec les moyens de la philosophie moderne [42] ». Le second est Edith Stein qui poursuit un chemin inverse : alors qu’elle est une phénoménologue reconnue, elle tente de montrer les convergences avec les grandes métaphysiques médiévales, notamment celles de Thomas et de Duns Scot. Aussi peut-elle écrire que les « ‘authentiques philosophes’ peuvent se comprendre par-delà les frontières de l’espace et du temps [43] ».

d) Une troisième voie ?
1’) Exposé

Selon Bénédicte Bouillot, dans sa « période métaphysique », à partir des années 30, Edith Stein n’a pas abandonné la méthode phénoménologique. Elle considère le « sens de l’être » et le « sens de la transcendance », c’est-à-dire, dans une optique phénoménologique, elle part de la sphère immanente pour atteindre une réalité transcendant l’immanence de la subjectivité. Toutefois, elle refuse de faire de l’ego le seul lieu de donation originaire : depuis la conscience, il est possible de faire une Durchbruch, « percée » vers plusieurs niveaux de transcendances finie (la substance et les essences) et même jusqu’à la transcendance absolue de Dieu.

Autrement dit, si l’ego est le point de départ pour accéder à l’être, il n’est pas le seul.

Edith Stein a elle-même indiqué qu’elle souhaitait faire des ponts. Dès 1922, la jeune convertie (elle vient de recevoir le baptême) écrit : la scolastique offre un « appareil conceptul précis et bien construit qui fait défaut [à la phénoménologie]. En contrepartie, il manque souvent [à la scolastique] le contact immédait avec les choses qui est notre air vital, l’appareil conceptul fait si facilement barrage à la réception de quelque chose de nouveau [44] ».

2’) Une illustration

Un bon exemple est fourni par la « substance ». D’un côté, l’on sait que c’est, pour Aristote, et donc pour la métaphysique traditionnelle, l’étant par excellence, la première de toutes les catégories. De l’autre, la phénoménologie a banni ce concept, le suspectant d’une compréhension naïve et chosiste de la réalité, y compris de la conscience. Aussi tant Husserl que Scheler lui accordent-ils une signification très négative et le rejettent-ils massivement.

Or, sans employer le terme honni, Edith Stein fait appel à des concepts voisins comme « âme », « noyau de l’âme ». Cela ne signifie pas tant qu’elle reprend intégralement la métaphysique traditionnelle, mais qu’elle observe des convergences entre celle-ci et la phénoménologie. Disons plus. Edith Stein emploie, certes timidement, mais réellement, ces termes, alors qu’elle est encore l’assistante privée du Maître. Ainsi, sa « rupture avec la conception husserlienne de la subjectivité est consommée dès la période phénoménologique [45] ».

3’) Comment appeler cette nouvelle voie ?

Gabriel Marcel parle d’hyperphénoménologie – « Ces remarques [à propos de la mort] sont assurément phénoménologiques, mais elles ouvrent la voie à une réflexion hyperphénoménologique qui est la métaphysique même [46] » – et Gabellieri de méta-phénoménologie – « Il conviendrait […] d’appeler ‘méta-phénoménologie’ toute phénoménologie qui, consciente des limites de l’intuition, implique l’affirmation d’un ‘au-delà’ de celle-ci [47] ». Je propose une troisième dénomination qui accorde plus à la métaphysique et moins à la phénoménologie : une métaanthropologie ou d’une métanoétique. Le terme est construit sur la métaphysique, en prenant en compte la via anthropologica. L’inconvénient est double : laisser de côté la via cosmologica et ne pas parler de la phénoménologie.

(2) Position d’Edith Stein

Il est possible de répartir le chemin (et donc l’œuvre) d’Edith Stein en trois temps : une période phénoménologique, une période métaphysique ou plutôt ontologique, une période mystique. Chacun de ses trois temps est lui-même scandé de trois grands écrits, le plus souvent non publiés.

C)   Période phénoménologique

Dès les premiers textes, nous voyons la double attitude d’Edith Stein : d’une part, elle admet la réduction au Je transcendantal ; d’autre part, en négatif, elle se refuse à conclure que l’être du monde serait le résultat de cette subjectivité transcendantale.

1’) Adhésion au projet husserlien

Edith Stein adhère au projet husserlien d’un fondement absolu de la connaissance dans le moi pur. C’est ainsi qu’elle affirme dans son Introduction : « Pour ce qui est de l’existence du monde, nous laissons la question provisoirement ouverte. Nous ne la nions pas, ne faisant aucun usage de l’expérience naturelle, nous ne pratiquons pas la suspension du jugement – l’épochè, comme disaient les Sceptiques [48] ». En creux, elle s’oppose à l’attitude spontanée ou naïve qui se rapporte en plein, elle cherche à saisir les « choses [Sache] mêmes ».

2’) Réaction à l’égard du tournant idéaliste de Husserl

Toutefois, cette adhésion n’est pas inconditionnelle, ainsi que l’atteste l’adverbe « provisoirement ». C’est aussi ce que confirment les nombreuses conversations avec Husserl et la correspondance de l’époque. Elle partage ainsi à Ingarden en 1917 son tropisme pour un certain réalisme :

 

« Je me figure savoir à peu près ce qu’est la constitution – mais en rupture avec l’idéalisme ! D’un côté une nature physique qui existe absolument, et de l’autre, une subjectivité de structure déterminée, me semblent présupposées pour qu’une nature intuitive [anschauliche] puisse se constituer. Je ne suis pas encore parvenue à confesser cette hérésie au Maître [49] ».

 

En 1918, Edith Stein va plus loin, confiant une véritable évolution :

 

« L’idéalisme se trouve à l’ordre du jour. Husserl s’est plongé depuis peu dans le traité de l’an dernier sur la phénoménologie et la théorie de la connaissance et il a trouvé quelque part ma note, qui n’avait pas été prise en compte, où je lui demandais de repenser encore une fois toute son argumentation et de prendre clairement position sur l’idéalisme. Il est maintenant disposé à le faire. Il cherche à rassembler tout ce qu’il a sur la question et n’en a parlé ces derniers jours. J’ai ajourné tous les autres travaux pour lire les Idées (t. 1) et me noter tout ce que je trouve discutable. N.B. : je me suis moi-même convertie à l’idéalisme et crois qu’on peut le comprendre d’une manière qui soit métaphysiquement satisfaisante. Mais il me semble que beaucoup de ce qui se trouve dans les Idées doit obligatoirement être compris autrement [50] ».

 

Donc, autant Edith Stein partage avec Husserl la conviction kantienne selon laquelle l’apparition du monde dépend de la structure de la subjectivité. En revanche, elle refuse que la conscience soit à ce point absolue que le monde ou la réalité ne soit qu’un corrélat intentionnel. Autrement dit, elle nie que la transcendance (du monde, des essences, de Dieu) soit incluse dans l’immanence de l’ego. Voici par exemple comment elle réagit à la lecture du fameux § 49 :

 

« Ce qui a provoqué la réaction de ses propres amis et disciples est une conséquence – à notre avis, non nécessaire – qu’il tira du fait de la constitution : s’il résulte nécessairement de certains processus de conscience réguliers que son ‘donné’ au sujet un monde d’objets, alors être objectif, par exemple l’existence du monde sensible ne signifie pas autre chose que être donné pour une conscience de tel ou tel genre, plus précisément : pour une pluralité de sujets qui sont entre eux en relation de réciprocité et d’échange […]. Cette interprétation de la constitution est appelée idéalisme transcendantal. Elle est apparue comme un retour au kantisme, comme un abandon du retour à l’objet considéré comme l’apport essentiel de Husserl, ainsi que de cette ontologie […] dans laquelle Scheler et les ‘husserliens’ de Göttingen qui lui étaient proches, voyaient leur tâche et un champ de recherche où ils avaient déjà fait du bon travail [51] ».

 

C’est précisément sur la question du noyau de l’âme, irréductible à la constitution ou à la subjectivité, que Edith Stein va résister au tournant idéaliste de Husserl.

3’) Conclusion. Limite

Edith Stein conclut en relevant que le matériau sensible est « relatif à moi, et pourtant étranger au moi [52] ». Mais elle ne va pas jusqu’à proposer une interprétation réaliste de la méthode phénoménologique, ni à critiquer ouvertement l’idéalisme, bref à synthétiser immanence et transcendance. C’est ainsi que l’existence du monde est « provisoirement [vorläufig] ouverte [53] ». Surtout, elle n’est pas encore à même d’ouvrir une nouvelle voie qui intègre les acquis husserliens sans sombrer dans sa visée subjective où l’ego constitue sans reste le sens de l’objet. En l’occurrence, Einführung (dont nous rappelons qu’il est demeuré inachevé) ne propose pas une analyse de la perception des data sensoriels qui sera le prochain point de départ.

b) Période ontologique

Dans la deuxième période, notamment dans les deux grands ouvrages, Être fini et être éternel, et plus encore Puissance et acte (dont nous allons étudier l’important Excursus), Edith Stein montre clairement sa prise de distance, non pas à l’égard de la phénoménologie, mais à l’égard de son interprétation idéaliste.

1’) Continuité

Edith Stein ne cesse et n’a cessé d’être fidèle à la méthode initiée par Husserl, donc à la réduction ; elle est une « phénoménologue née », comme dit sa compagne Hedwige Conrad Martius [54] ; elle mourra phénoménologue. Elle l’affirme explicitement dans Potenz und Akt : « Une telle tentative [de désolidariser l’épochè de son interprétation idéaliste transcendantale] n’aura de force face à l’argumentation phénoménologico-transcendantale que si elle-même, pour autant que cela est possible, est réalisée dans la réduction phénoménologique [55] ».

2’) Réinterprétation réaliste de la phénoménologie hylétique

Pour avancer dans cette direction, Edith Stein par du statut des data sensoriels qui constituent la perception comme perception. Avec Ingarden, Edith Stein considère que la controverse idéalisme/réalisme, se cristallise précisément dans l’analyse de la sphère hylétique, délaissée par Husserl, pour qui « les analyses de loin les plus importantes et les plus fructueuses sont du côté noétique [56] ».

a’) Question

La question posée est la suivante : ce matériau hylétique remplit les sens comme provenant de l’extérieur, donc d’une instance transcendante qu’est la réalité (interprétation réaliste), ou de l’intérieur, donc de la subjectivité (interprétation idéaliste) ?

b’) Topique

Puisque nous parlons de lecture réaliste, il convient d’écarter d’emblée le réalisme naïf ou le sensualisme. En effet, selon ces doctrines épistémologiques, le sens reçoit tel quel le donné sensoriel ; or, l’idéalisme kantien et l’idéalisme husserlien ont montré, de manière définitive que l’objet est constitué par les sens et par l’esprit ; de plus, certaines sensations sont objet d’illusion, autrement dit attestent qu’elles ne proviennent que de la conscience.

Edith Stein critique cette posture ingénue pour les mêmes raisons que Husserl : elle ignore la réduction ; c’est d’ailleurs pour cela qu’elle fut déçue par ses études de psychologie à Breslau [57], pourtant commencées avec enthousiasme.

Tout à l’inverse, Husserl a proposé une version fortement idéaliste : toute la signification présente dans les sens relèvent de l’ego ; le monde est d’abord le monde pour moi. Il est même plus idéaliste que Kant pour qui, non sans réalisme naïf, l’apparition transcendantale du monde présuppose une « chose en soi », donc une transcendance de la réalité, bien qu’inconnaissable.

Edith Stein critique aussi cette posture extrême. On pourrait reprendre en creux ou en négatif, les arguments qui vont être données en faveur de l’interprétation réaliste.

C’) Interprétation d’Edith Stein

Entre ceux deux postures extrêmes, Edith Stein ouvre une troisième voie, à savoir une interprétation à la fois idéaliste non transcendantale ou non subjective (objective ?) et réaliste non naïve (réfléchie ?) de la phénoménologie, autrement dit, montrer à partir de l’expérience phénoménologique qui, pour elle, demeure toujours première, que l’expérience sensible ouvre à une réalité transcendant la conscience.

  1. Argument par la sagesse du langage. En allemand, comme en français, on décrit l’acte de sensation par l’expression courante : « tomber sous les sens : in die Sinne fallen [58]». Or, ce qui tombe est ce qui arrive, advient, survient du dehors. Donc, l’interprétation idéaliste nie ce que le langage commun décrit de l’expérience sensorielle. Ainsi, « dire d’une chose qu’elle apparaît, que quelque chose tombe sous nos sens, n’est alors plus qu’une ‘façon de parler’ [59]».
  2. Argument par les conséquences. Selon la phénoménologie idéaliste, l’ego est la source originaire du sens de toute transcendance. Or, une donation de sens (Sinngebund) est extérieure. Donc, toute irruption extérieure est dénuée de signification. Pourtant, nous faisons l’expérience de données sensibles qui ne sont pas constitués par le sujet. Par conséquent, ce matériau sensible est dénué de logos, dans le vocabulaire phénoménologique, il est un « résidu irrationnel ».

 

« Ce qui donne souvent à réfléchir, ce n’est pas seulement la conception des choses et de l’être qui procède de l’orientation originaire de l’esprit, mais le fait que cet idéalisme transcendantal considère même le matériau sensoriel, pourtant présupposé pour toute constitution, et la factualité du travail de constitution comme un reste sans solution possible, irrationnel [60] ».

 

  1. Argument par la nature même de l’expérience de perception. Pour cela, Edith Stein part du corps sentant et montre la contrainte qu’il impose à la perception. Elle part de l’expérience suivante :

 

« La donnée sensible apparaît comme quelque chose qui interpelle et accomplit mon actualité de vie et qui est pourtant, en un certain sens, indépendant de moi ; elle vient sans être appelée, elle pénètre ma connexion de vie, elle interrompt peut-être un fil de pensée dans lequel je vivais. Je n’ai pas la liberté de la convoquer ou de l’éloigner par une activité purement spirituelle. Je puis m’en protéger en fermant les yeux et en les couvrant avec la main, mais je peux m’y exposer en ouvrant les yeux [61] ».

 

Cette expérience du surgissement du donné sensible présente différents traits :

  1. du point de vue de la liberté : ce data ne dépend pas de l’ego, il n’apparaît pas à ma guise ; plus encore, il contraint la conscience qui ne peut pas nier ce son de cloche, ce rayon de soleil, etc.
  2. du point de vue du corps : cette expérience s’accompagne toujours d’un mouvement corporel, certes minime, mais involontaire : par exemple, je dresse l’oreille, je tourne la tête, j’ouvre ou ferme les yeux, etc. Or, le sujet fait spontanément un lien entre ces mouvements et la sensation : existent « des connexions entre stimulations et réactions, c’est-à-dire entre sensations et mouvements du corps, puis entre eux et les organes corporels [62]». En ce sens, le data sensoriel exerce donc une contrainte sur le corps.
  3. du point de vue temporel, elle surgit de manière soudaine dans mon champ de conscience, c’est-à-dire d’une part de manière imprévisible et inattendue
  4. du point de vue en quelque sorte spatial, cette vision, certes, dépend de mon œil, mais pas seulement de lui, de sorte que je le perçois subjectivement comme venant « du dehors [von aussen] ». Précisons : plus que le temps, l’espace est ce qui inscrit de la distance, par exemple entre moi et une autre réalité qui sera vécue comme extérieure à moi. Or, la sensation survient indépendamment de moi. Donc, elle est vécue comme survenant du dehors : « Avec la constitution du corps, les données de la sensation sont soumises à une localisation spatiale : certains dans ou sur le corps, les autres dehors dans l’espace. Le propre de certaines stimulations est de provenir du dehors [63]». Plus encore, la sensation n’est rendue possible que par cette distance. Autrement dit, celle-ci n’est pas seulement un fait, mais une nécessité. Par exemple, cette lumière ne peut être vue que parce que la source lumineuse ne s’identifie pas à mon corps. Même le goût ou le toucher s’effectuent à distance (faible) de l’organe sensoriel.

Or, ces quatre traits font signe en direction d’une objectivité irréductible à la subjectivité transcendantale. Ne nous cachons pas que Husserl ne les ignore pas, mais les interprète comme révélateurs d’un monde qui est « l’horizon externe, ouvert et infini, d’objets co-donnés [64] ». Toutefois, pour Edith Stein, ce sont autant de coefficients phénoménaux qui sont indiciels d’une indépendance de l’être. Elle réinterprète donc le concept husserlien de monde. Ces caractéristiques, dit-elle, fondent la croyance, une foi perceptive, qui

 

« devient l’indice d’un quelque chose qui se montre à partir de soi-même […]. ‘Monde’ alors n’est ni seulement une thèse, un ace de poser, ni non plus uniquement un ensemble de structures noématiques ; mais il appartient à ses composants noématiques ; mais il appartient à ses composants noématiques de contenir précisément aussi quelque chose qui n’est pas soi-même relatif à ces composants [65] ».

 

Edith Stein réinterprète aussi la foi perceptive en ce monde comme une foi rationnelle. Que les datas sensoriels doivent s’interpréter à partir de l’intentionnalité ne s’oppose nullement à l’existence d’une réalité extramentale et extrasubjective.

  1. Une objection classique est celle des illusions perceptives. En cas de forte impression imaginative, a fortiori en cas d’illusion, les data sensoriels ne présentent plus d’indice d’objectivité.

Certes, l’illusion existe. Mais d’abord, elle est rare ; ensuite, elle est corrigible. Par exemple, le sujet peut préciser l’expérience en changeant de lieu, de canal sensoriel, en attendant (pour savoir si elle perdure). Autrement dit, je ne suis pas démuni face à une perception ; bien que son apparition soit contrainte, sa continuation l’est moins voire, pas ; je puis en maîtriser la source ou du moins l’incidence subjective. Il est donc possible de distinguer différents types d’expériences et ainsi d’opérer un discernement dont Edith Stein rend compte ainsi :

 

« Les affections se divisent en celles qui manifestent seulement une excitation du corps et d’autres qui ont une fonction objective, c’est-à-dire qui actualisent la fonction cognitive spécifique des sens. Dans certains cas, l’hésitation entre ces deux interprétations est possible, et donc l’erreur ; la poursuite de l’expérience permet l’éclaircissement et la rectification. Ainsi […] il est raisonnable de se conformer à la croyance induite par la perception et l’expérience, qui attribue au monde extérieur un être indépendant de l’expérience, tant que la poursuite de l’expérience ne rencontre pas de difficultés qui obligent à récuser cette croyance sur certains points particuliers [66] ».

 

Il est donc possible de conclure que, dans Potenz und Akt, Edith Stein a nettement avancé par rapport à Einführung : désormais, l’existence du monde est affirmée. Toutefois, sans nulle naïveté, car l’autonomie (Eigenständigkeit) de la chose est affirmée en même temps que le pouvoir constituant de la conscience. C’est ce que va maintenant montrer la réinterprétation de la conception classique de la vérité dans Être fini

3’) Réinterprétation de la vérité

En quoi ce que nous venons d’affirmer retentit-il sur la conception de la vérité ?

Nous sommes en présence de deux conceptions contrastées de la vérité. L’interprétation réaliste (naïve) en fait le résultat de l’information de l’esprit par la réalité ; l’interprétation idéaliste (transcendantale) en fait le résultat de l’information de la réalité par l’esprit. Chacune de ces lectures se caractérise par son unilatéralité : la réception fonctionne dans un seul sens et l’adéquation ou l’accord n’est pas réciproque, introduit une dénivellation.

Comme pour la connaissance perceptive, Edith Stein ouvre une troisième voie. Les deux pôles de la vérité sont impliqués réciproquement :

 

« Deux sortes d’éléments se recouvrent ici : le contenu [Gehalt] du savoir (son contenu intentionnel ou son sens logique) et l’objet réel, tel qu’il est donné dans une représentation qui se réalise : son être, son quod et son comment et aussi sa structure purement formelle [67] ».

 

Dès lors, la vérité est l’accord entre les deux pôles, subjectif et objectif, l’esprit et l’étant, tous deux actifs.

  1. L’esprit n’est pas seulement ouvert ou réceptif, il possède, par son intentionnalité, c’est-à-dire le contenu intentionnel de sa visée, un pouvoir constituant.
  2. De l’autre, l’objet intuitionné, se manifeste à l’esprit, se donne à voir. « ’Être manifesté [offenbar sein]’, ‘être ordonné’ – concernent l’être lui-même. Il ne faut pas y voir une espèce particulière de l’être, mais cela appartient à l’être même. Être (sans épuiser toutefois la signification complète du terme), c’est être manifesté [Offenbarsein] à l’esprit [68]». Edith Stein souligne particulièrement cet aspect monstratif ou manifestatif à la suite de Thomas. Elle est aussi frappée de la convergence avec la conception heideggérienne du dévoilement de l’être : « Lorsque, avec Hilaire, [Thomas] définit le vrai comme l’être qui se manifeste et se déclare (De ver., q. 1, a. 1, resp.), cela ressemble étrangement à la vérité comme dévoilement selon Heidegger [69]».
  3. Enfin, la notion même d’accord doit être révisé. Edith Stein parle de « recouvrement », Deckung, du contenu noématique et de l’objet pensé ou d’« abordination [Zuordnung] entre l’esprit et l’étant [70]». Ce dernier terme est intentionnellement emprunté au lexique husserlien. Il souligne l’activité mutuelle et originaire des deux pôles qui caractérisent cette nouvelle voie, accordant autant à l’esprit qu’à l’étant.
c) L’interprétation steinienne de la « décision » husserlienne

Edith Stein a aussi vu que le problème tourne autour de la sphère hylétique, c’est-à-dire les sensations. Or, Husserl délaisse leur analyse pour la sphère noétique. Or, justement, les data sensoriels sont donnés du dehors. Mais faut-il considérer la sensibilité comme Sinngebung (donatrice de sens) ou plutôt comme les seuls éléments originaires qui ne sont pas constitués, du moins au sens de produits ?

d) Évaluation

Edith Stein a-t-elle trahi Husserl ? Ecoutons un husserlien de la première heure qui a lui-même pris ses distances à l’égard de Husserl. Paul Ricœur affirme avec beaucoup de clarté : « L’œuvre de Husserl est le type de l’œuvre non résolue, embarrassée, raturée, arborescente ; c’est pourquoi bien des chercheurs ont trouvé leur propre voie en abandonnant aussi leur maître, parce qu’ils prolongeaient une ligne magistralement amorcée par le fondateur, et non moins magistralement biffée par lui. La phénoménologie est pour une bonne part l’histoire des hérésies husserliennes [71] ».

e) Remarque. Le facteur personnel ou la relation entre Husserl et Edith Stein

On ne peut passer sous silence les relations entre Edith Stein et Husserl, d’autant que la femme, même abstraction, ne fait pas autant abstraction de cette épaisseur humaine. On doit donc à Edith Stein elle-même quelques confidences d’intérêt.

1’) Admiration

La relation est tout d’abord de profond respect et estime mutuelle. Plus encore, Husserl fait grandement confiance à son assistante.

Edith Stein vient de passer sa thèse sur l’empathie, thèse qui a été saluée par la plus haute récompense, Summa cum laude. Qu’en pense le Maître ? Le plus grand bien, ainsi que le montre l’épisode qu’elle rapporte avec émotion et enthousiasme :

 

« ’Mademoiselle Gothe m’a dit que vous aviez vraiment besoin d’un assistant. Pensez-vous que je pourrais vous aider ?’ Nous étions juste arrivés à ce moment-là sur le pont au-dessus du Dreisam. Le maître s’arrêta net en plein milieu du pont Friedrich et s’écria dans son étonnement et sa grande joie : ‘Vous voulez vraiment venir m’aider ? Oui, j’aimerais travailler avec vous !’ Je ne sais pas qui de nous était le plus heureux. Nous étions comme un jeune couple au moment des fiançailles [72] ».

 

L’image est parlante, à la fois très incarnée et très féminine. De fait, elle occupera son poste pendant les 18 mois qui suivront l’obtention de son doctorat.

2’) Mais pas de réciprocité

Toutefois, cette relation n’est jamais devenue totalement réciproque :

 

« La collaboration avec le cher Maître est une affaire des plus compliquées, c’est-à-dire que le problème réside dans le fait qu’il ne veut pas en arriver à une véritable col-laboration. Il s’occupe toujours de questions particulières et m’en fait même un compte-rendu détaillé, mais il ne veut pas mettre le nez dans ce que j’élabore à partir de ses vieux papiers, pour qu’il retrouve une vue d’ensemble qu’il a perdue. Tant qu’on ne peut l’obtenir, on ne peut naturellement pas songer à une mise en forme définitive [73] ».

 

On admirera dans cette lettre, qui n’a rien d’un écrit officiel et où Edith Stein pourrait « se lâcher », la conjonction de l’affection et de la vérité – rappelons que nous sommes en 1917, donc avant la conversion. D’ailleurs, ce jugement plein de clémence n’entame en rien sa décision dont elle fait part à Roman Ingarden, toujours dans un grand équilibre : « Le Maître m’a déjà fait lus d’une allusion à son vif désir de me voir reprendre mon poste. Mais il n’en est absolument pas question. Je l’ai assuré, comme je l’avais déjà fait par écrit, que je serai toujours prête à lui rendre service à l’occasion. Mais je ne prendrai pas d’engagement [74] ».

Un signe très clair en est que Husserl accepte mal qu’Edith Stein quitte son poste d’assistante privée en 1918. De même, Husserl n’a pas soutenu Edith Stein pour qu’elle obtienne une habilitation et donc une chaire universitaire, ni en 1919, ni en 1931. La raison n’en est pas un doute sur les compétences d’Edith Stein. Mais la raison, qui n’est pas sans nous étonner aujourd’hui, paraît être la suivante : très conservateur, Husserl est convaincu que la mission première de la femme est familiale [75].

3’) Ajout

Ajoutons une autre différence qui n’est pas sans incidence sur leurs philosophies réciproques. Edith Stein se caractérise par son souci de fonder constamment ses analyses sur des illustrations concrètes, alors que Husserl peine à offrir des exemples. Il y va probablement d’une différence homme-femme et, derrière cette distinction de l’union ou de la séparation (objectivante) entre l’esprit et la vie. De fait, Edith Stein écrit un moment combien elle n’a jamais fait que philosopher sur son existence.

(3) Confirmations

Nous avons vu plus haut que, notamment à partir d’Ideen, § 49, Husserl adoptait un tournant nettement idéaliste et que ses disciples du cercle de Göttingen n’ont pas adhéré à cet infléchissement du Maître.

a) Distance à l’égard de l’interprétation idéaliste proposée par Husserl
1’) Chez les autres membres du Cercle

Husserl en est le témoin, au moins a posteriori : « Personne ne me suit après le grand renversement dans ma philosophie, après mon virage intérieur. […] Même Edith Stein m’a suivi seulement jusqu’en 1917 [76] ».

Le témoignage le plus net est peut-être celui de Roman Ingarden, d’autant plus intéressant qu’il fut le maître… de Karol Wojtyla. Edith Stein resta toujours proche d’Edith Stein, ainsi que l’atteste l’abondante correspondance philosophique qui dura jusqu’à l’exil d’Ingarden aux Pays-Bas, en 1938. Or, Roman Ingarden dit lui aussi être tourmenté par cette question de l’idéalisme [77]. Jusque dans ses derniers écrits [78], Ingarden a cherché à montrer que, au point de départ de la recherche, la réduction transcendantale se justifie méthodologiquement. Mais le point d’arrivée ne saurait être la seule constitution : nécessairement, nous sommes conduits à mettre en évidence des données qui reconduisent à la position d’un monde extérieur à la conscience. Plus encore, selon Ingarden, c’est Husserl qui était ambivalent : « Husserl ne s’est jamais exprimé de façon définitive et sûre […] tout au long de sa vie, il a hésité sur la décision à prendre, tout en tendant toujours davantage à reconnaître à l’intentionnalité de la conscience un pouvoir producteur d’être [79] ».

Une autre disciple du cercle de Göttingen, Hedwig Conrad-Martius, déplore : « Husserl répète avec insistance que l’être ou un étant indépendant de la conscience relève du non-sens. C’est certainement vrai dans la mesure où il y va de l’être ou d’un étant qui appartient au contenu noématique de la conscience […]. Mais toute autre est la question de savoir si une facticité ontologique correspond à l’être noématique [80] ».

De même, il vaut la peine de lire le témoignage de Jean Hering (1890-1966). Moins connu que les autres, le strasbourgeois est celui qui a envoyé « un élève lituanien très doué » à Husserl, selon le mot de celui-ci à Ingarden du 13 juillet 1928 : Levinas… Il fut élève de Husserl à Göttingen de 1909 à 1912, et Edith Stein fit sa connaissance l’été 1914 [81]. Au point de départ,

 

« les visées de Husserl lui-même étaient modestes. Il ne rêvait pas encore d’une expansion mondiale de la phénoménologie, que plus tard de nombreux disciples venus de partout lui ont sans doute suggérée. Ce qu’il aurait voulu, c’était former un groupe restreint, mais bien entraîné de disciples devant travailler en équipe exactement d’après ses méthodes et conformément à un programme qu’il s’était tracé. Des outsiders qui travaillaient un peu trop à leur manière, ainsi que des amateurs qui ne voulaient pas mettre la main à la pâte, il se méfiait plus ou moins ».

 

Or, quels furent les résultats ?

 

« On peut dire qu’à cet égard, les espoirs du Maître furent à la fois dépassés et déçus. Ce n’est pas un petit groupe de chercheurs qu’il put former à Göttingen et à Fribourg, mais un bataillon assez impressionnant par sa qualité et sa quantité. Mais peu nombreux furent ceux (et peut-être même inexistants) qui continuèrent à travailler exactement comme il l’eût désiré, en se partageant méthodiquement les problèmes comme on le fait dans les laboratoires de physique […]. De fait, et à y regarder de plus près, il y a actuellement presque autant de types de phénoménologie que de phénoménologues [82] ».

2’) Chez les phénoménologues français

Il est encore plus intéressant que Mais peut-être les phénoménologues français qui ont écarté Edith Stein, intentionnellement ou par ignorance, peuvent-ils être, à leur tour, convoqués ? En effet, Emmanuel Levinas, Michel Henry et Jean-Luc Marion ont tous trois transgressé l’idéal husserlien d’une phénoménalité pure pour introduire un donné qui est en excès à l’égard de l’intention : le premier avec autrui, le deuxième avec la vie, le troisième avec le phénomène saturé.

Est-ce un hasard si deux de ces phénoménologues sont chrétiens et le troisième, juif – tous confessant (pour Henry, au terme de sa vie) ?

b) Prolongement métaphysique ?

De manière suggestive, dans les années 30, Edith Stein parle un moment d’une « fusion [Verschmelzung] [83] » entre phénoménologie et philosophia perennis, donc métaphysique. Il demeure que, avec Karol Wojtyla, Edith Stein semble une étoile filante dans le ciel phénoménologique : seule elle est allée jusqu’à proposer ce lien hyperphénoménologique entre phénoménologie et métaphysique, en partant de la première.

(4) Relecture doctrinale personnelle

a) Connexion de l’idéalisme et du réalisme

Ne pourrait-on imaginer un chemin en trois temps ?

  1. Un premier temps serait celui du réalisme naïf. En effet, pour le réalisme, l’objet vient du dehors et n’est pas constitué par le sujet. Or, de fait, dans l’expérience, le donné intuitionné dans la sensation fait irruption dans le flux de conscience, il surgit comme par effraction. Certes, le sujet maîtrise les conditions d’accès, par exemple en ouvrant les yeux ou en tournant la tête ; mais cette maîtrise ne relève pas de l’acte sensoriel lui-même. Autrement dit, les données hylétiques font face à l’individu, lui sont comme étrangères. Or, ces data sensoriels entrent en compte dans l’acte perceptif de la constitution de l’objet. Donc, la connaissance est d’abord réaliste.
  2. Un deuxième temps est idéaliste. En effet, pour l’idéalisme, l’objet n’est pas séparé du sujet, mais lui est immanent. Or, dans un temps plus réflexif, le sujet prend conscience que cette donation originaire des choses appartenant au monde n’est pas totalement dissociable de l’acte de sensation ; leur signification n’est pas transcendante à la subjectivité ; autrement dit, la matière de la sensation appartient au flux des vécus de conscience. Donc, la connaissance est ici de facture idéaliste.
  3. Edith Stein conclut dans son Introduction à une sorte de non-lieu ou plutôt de posture liminale : le donné sensoriel « se tient à la frontière où sujet et objet se séparent, autrement dit, à la frontière entre immanence et transcendance [84]». Autrement dit, elle adopte une position intermédiaire entre réalisme naïf et idéalisme transcendantal.
b) Reprise de cette connexion à partir du don

La proposition ci-dessus est plus qu’une juxtaposition, mais moins qu’une articulation conceptuelle. Peut-on préciser comment cette connexion s’opère ? La phénoménologie procède en trois temps. Le premier est l’épochè (En fait, double est l’épochè : celle des sciences et celle de l’attitude naturelle) ; le deuxième est la réduction transcendantale ; le troisième est la réduction eidétique. Nous ne considérerons que la deuxième, la réduction transcendantale.

C’est le moment selon moi le plus important et l’expérience la plus décisive. Le doute cartésien, tel l’épochè, suspend toute croyance naturelle, spontanée, naïve. Sauf une : la certitude de sa pensée. En effet, Descartes fait l’expérience suivante : « At certe videre videor : à tout le moins, il me semble que je vois [85] ». Et Michel Henry souligne le caractère décisif de cette expérience : « Le cogito trouve sa formulation la plus ultime dans la proprosition videre videor : il me semble que je vois [86] ». Or, la certitude porte non pas sur les objets de la vision qui pourraient être des illusions, mais sur l’acte lui-même par lequel il pense. Donc, le philosophe français est conduit à l’apodicité non seulement du cogito, mais des cogitationes, c’est-à-dire des actes de la conscience. Quand bien même le monde n’existe pas, subsiste la vie réflexive et la vie transcendantale qui la porte. D’où l’exigence et même l’ascèse, en phénoménologie, de ne « jamais dépasser les limites du contenu du phénomène [87] ».

On peut encore préciser. Descartes découvre toute la richesse de cette expérience : l’ego n’est pas isolé, il est prégnant de toute une vie intérieure, de flux de conscience qui le traverse. Certes, le monde est mis entre parenthèses ; mais un monde intérieur tout aussi profus et vivant apparaît donc la subjectivité est la source et le centre. Dans l’« expérience transcendantale du moi », « l’ego s’atteint lui-même de façon originelle [88] ». Ainsi, la phénoménologie nous fait découvrir que l’ego est capacité de rayonnement :

 

« Le Moi qui reste après la mise entre parenthèses, la réduction, n’est rien d’autre que le sujet du vécu ; il n’a aucune qualité et n’est soumis à aucune condition de réalité ; on ne peut rien en dire, sinon que le vécu rayonne de lui, qu’il vit en lui ».

 

Or, ce que Descartes a vécu, Husserl l’a pleinement fait fructifier, par la démarche phénoménologique : la description des phénomènes de conscience, à la fois indubitables et déréalisés, c’est-à-dire aussi certains dans leur existence d’acte qu’incertains dans l’existence des contenus, des objets qu’ils manifestent.

D’où le principe des principes » de la phénoménologie :

 

« Toute intuition donatrice originaire est une source de droit pour la connaissance ; tout ce qui s’offre à nous dans ‘l’intuition’ de façon originaire […] doit simplement être reçu pour ce qu’il se donne, mais sans non plus outrepasser les limites dans lesquelles il se donne alors [89] ».

c) Conclusion

La dynamique du don me paraît capable d’éclairer la différence, mais aussi le lien existant entre le réalisme et l’idéalisme, spécialement, la phénoménologie. Le premier honore le don originaire (don 1) en lui-même, comme don 1, hors son impact appropriant dans le don 2 réflexif du sujet cognitif. Le second, lui, honore le don à soi, le don 2 du sujet connaissant, hors son origine dans le don 1. Son immense importance et mérite est d’avoir vu combien l’appropriation conduit à une possession immanente : ce que je connais est à moi (même s’il n’est pas de moi). Il est aussi de voir que, loin d’être passif, l’ego rayonne à son tour et est théâtre de multiples flux de conscience. Autrement dit, l’ego pur est le foyer de tous les vécus intentionnels, ce qui porte le cogito vers son cogitatum, ce qui tourne chaque vécu actuel vers un objet. Le texte suivant exprime de manière particulièrement limpide le caractère fontal du moi pur :

 

« J’expérimente [le moi pur] comme point de rayonnement de tout vécu. Il se détache de tout non-moi, tant d’objets inertes que d’autres sujets, et il se distingue de ces autres sujets indépendamment de leurs qualités ou de les siennes. C’est précisément ce moi, qui n’exige aucune consistance matérielle pour se limiter par son ipséité, de tout le reste, que nous appelons le moi pur. C’est de lui que jaillit continûment une vie de conscience actuelle qui, en revenant en arrière, devient du ‘vécu’ forme l’unité du flux constitué de la conscience [90] ».

 

Mais, de même que le don 2 prolonge et achève (relativement) le don 1, de même, l’idéalisme accomplir le réalisme. Toutefois, réalisme et idéalisme n’ont pas leur fin en eux-mêmes, mais dans le don 3, qui est au minimum le témoignage de leur unité, de leur réconciliation.

Ainsi, le je ou le moi est bien fécond d’un certain nombre d’actes comme le cogito ; en retour, dans cette communication, la conscience vit, s’effectue, se manifeste : « Chaque ‘cogito’, chaque acte en un sens spécial, se caractérise comme un acte du moi, il procède du moi, en lui le moi ‘vit’ actuellement [91] ».

(5) Conclusion

Ainsi, Edith Stein a affirmé ce que Dilthey disait déjà : « l’expression de l’expérience comporte plus que ce que contient la conscience [92] ».

Donc, si tournant il y a, il est plus présent chez Husserl que chez Edith Stein…

Cette attitude phénoménologique retrouve au moins une intuition aristotélicienne : le désintéressement caractéristique du savoir théorétique. C’est ainsi qu’Edith Stein parle d’une « attitude théorique » qui est « désintéressée [93] ». En effet, inversement, le savoir naïf est très souvent utilitaire : ingénument, le réaliste croit que les choses sont ce qu’elles sont, parce qu’elles sont utiles, ce qui caractérise non plus la théoria, mais la technè.

(6) Bibliographie

a) Bibliographie primaire
1’) En langue originale

Edith Stein Gesamtausgabe, Freiburg im Brisgau, Herder, 25 vol. Cité par l’acrostiche ESGA.

2’) Traduction française

a’) La trilogie phénoménologique

  1. La thèse de doctorat en philosophie : Edith Stein, Einführung in die Philosophie, ESGA 8, 2004 : Le problème de l’empathie, trad., Paris, Le Cerf, 2012.
  2. Edith Stein a rédigé deux autres textes en 1918 et 1919, pour prolonger le travail sur l’empathie en direction d’une constitution de l’homme comme être psychique et spirituel, et en vue de l’habilitation à l’université de Göttingen en 1919. Mais elle échoua et finalement elle les a réunis en un seul texte intitulé Edith Stein, Contributions à la fondation philosophique de la psychologie et des sciences de l’esprit, qui est paru dans le Jahrbuch, 1922.

– Edith Stein, Psychische Kausalität, in Beiträge zur philosophischen Begründung der Psychologie und der Geisteswissenschaften, 1ère partie, ESGA 6, 2010.

– Edith Stein, Individuum und Gemeinschaft, in Beiträge zur philosophischen Begründung der Psychologie und der Geisteswissenschaften, 1ère partie, ESGA 6, 2010.

  1. Einführung in die Philosophie, ESGA 8. Cette Introduction à la philosophie fut rédigée probablement à partir de 1918 et achevée en 1921, lors de sa conversion. Longtemps négligé par les commentateurs, il ne fut publié qu’en 1991. Pourtant, il semble qu’Edith Stein y accordait une particulière importance, puisqu’elle l’emportait toujours avec elle lors de ses multiples déplacements (Breslau, Speyer, Münster, Köln et Echt). Cet ouvrage correspond à la série de cours qu’elle dispensa à Breslau à une trentaine d’étudiants, les initiant à la philosophie par des analyses phénoménologiques de la nature (ah !) et de la subjectivité.

B’) La trilogie « ontologique»

– Edith Stein, Potenz und Akt. Studien zu einer Philosophie des Seins, ESGA 10, 2005.

– Edith Stein, Endliches und ewiges Sein. Versuch eines Aufstiegs zum Sinn des Seins, ESGA, 11/12, 2006 : L’être fini et éternel. Essai d’une atteinte du sens de l’être, trad., Paris, Les Belles Lettres, Louvain, Nauwelaerts, 1972. Traduction détestable.

C’) La trilogie mystique

– Edith Stein, Phénoménologie et philosophie chrétienne, trad. Paris, Le Cerf, 1987.

D’) Autres ouvrages

– Edith Stein, Correspondance I. 1917-1933, trad., Paris, Le Cerf, 2009 ; Correspondance II. 1933-1942, trad., Paris, Le Cerf, 2012.

– Edith Stein, Der Aufbau der menschlichen Person, ESGA 14, 2011 : De la personne humaine, trad., Paris, Ad Solem, 2012.

b) Bibliographie secondaire

1’) Germanophone

– P. Schulz, Edith Steins Theorie der Person. Von der Bewusstseinsphilosophie zur Geistmetaphysik, Freiburg und Münch, Alber, 1994.

2’) Francophone

– Bénédicte Bouillot, Le noyau de l’âme selon Edith Stein. De l’épochè phénoménologique à la nuit obscure, coll. « De Visu », Paris, Hermann, 2015.

– Florent Gaboriau, Edith Stein, Paris, FAC Éd., 1990.

F) Conclusion

L’idéogramme japonais de connaissance est composé de deux idéogrammes, intelligence et métier à tisser [94]. Autrement dit, l’acte de connaître requiert la double approche plus réaliste (réceptive) et plus idéaliste (émissive). Les différentes propositions de synthèses plus ou moins abouties entre réalisme et idéalisme constituent comme une topique qui appelle une synthèse dans la lumière de l’amour-don. Cette intégration sera faite dans le chapitre conclusif. Ici, contentons-nous de deux observations apéritives.

1) Réponse génétique

Génétiquement, la conscience adulte s’éveille cartésienne. Edith Stein l’a bien montré : l’horizon premier est bien le flux de conscience. Mais, progressivement, la conscience fait l’expérience de réalités transcendant ce donné, irréductibles, ce que Marion appelle des « phénomènes saturés », qui invitent à une fondation métaphysique. L’achèvement réside dans « le transitus, le passage du phénomène au fondement ».

Il faut dire plus. Lorsque l’adulte accède à la sagesse intégrant approche phénoménologique et approche métaphysique, il perçoit que la croyance réaliste autant qu’idéaliste de l’enfant était, certes naïve, mais vitalement vraie. En effet, l’enfant, maître de simplicité, vit tout à la fois dans la béatifiante unité avec la mère et l’irruption du monde et de l’autre, l’évidence d’une transcendance. Le tout, dans l’amour qui permet à cette double exérience d’unité et d’altérité de ne pas déchirer la conscience humaine.

Autrement dit, cette génétique nous atteste que nous vivons à la fois cette riche dualité, réalisme-idéalisme, et leur unification. Non sans une tension dramatique. Au point de départ est la vérité de l’idéalisme : toute chose m’apparaît, m’est donnée ; quel pouvoir, quelle spontanéité sont accordés aux sens et, plus encore, à l’esprit. Puis, après avoir été convaincu que notre point de vue était la chose même, que l’objet formel s’identifiait à l’objet matériel, il nous faut consentir au hiatus entre l’esprit et la chose même, donc à la vérité du réalisme. Nous sommes enfin disposés à célébrer les bienheureuses noces du réel et de l’esprit, du réalisme et de l’idéalisme, sans fusion in fission.

2) L’analogie de l’amour

L’amour épouse une dialectique décisive pour accéder à sa pleine vérité. L’amour naît dans une indifférenciation entre l’aimant et l’aimé. Cela est vrai de l’amour-attrait, mais aussi partiellement de l’amour-don. C’est le stade romantique du « je ». Puis, il éprouve l’incommensurabilité des aimants. C’est le stade dramatique du « tu ». Enfin, il traverse l’épreuve en accédant au « nous ». Or, l’idéalisme indifférencie le monde et la conscience, alors que le réalisme les dualise. Donc, le stade du « je » correspond à l’idéalisme, le stade du « tu » au réalisme, le stade du « nous » à la réconciliation ou, mieux, la synthèse intégrative de l’idéalisme et du réalisme.

Pascal Ide

[1] Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1945, p. 270.

[2] Maurice Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, suivi de Notes de travail, Paris, Gallimard, 1964, p. 211. Réédité en coll. « Tel » n° 36.

[3] Ibid., p. III.

[4] Ibid., p. II.

[5] Ibid., p. IV.

[6] Ibid., p. V.

[7] Ibid., p. VIII.

[8] Cf. l’analyse des pages VI et VII.

[9] Maurice Merleau-Ponty, Sens et non-sens, Paris, 1948, p. 143-144.

[10] Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, p. I.

[11] Ibid., p. 270.

[12] Ibid., p. I.

[13] Ibid., p. XV.

[14] Ibid., p. XV.

[15] Ibid., p. XV.

[16] Ibid., p. VIII. Souligné dans le texte

[17] Cf. Pierre Fontan, « Le primat de l’acte sur l’énoncé – À propos de ‘La phénoménologie de la perception’ », in Revue philosophique de Louvain, 53 (1955), p. 40-53 ; repris dans Le fini et l’absolu. Itinéraires métaphysiques, coll. « Croire et savoir » n° 14, Paris, Téqui, 1990, p. 239-252.

[18] Pierre Fontan, Le fini et l’absolu, p. 243-244.

[19] Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, p. III.

[20] Pierre Fontan, Le fini et l’absolu, p. 245.

[21] Ibid., p. 248.

[22] Ibid., p. 248-249.

[23] Ibid., p. 249.

[24] Ibid., p. 249.

[25] Ibid., p. 251

[26] Ce titre, qui d’ailleurs déplaît à Husserl, est donné par les disciples quand ils se retrouvent entre eux (cf. Vie d’une famille juive, trad. Cécile Rastoin, Paris, p. 295).

[27] H. Spiegelberg, The Phenomenologial Movement. An historical introduction, The Hague, Nijhoff, 21976, p. 223-224.

[28] R. Guilead, De la phénoménologie à la science de la Croix. L’itinéraire d’Edith Stein, Louvain-Paris, Nauwelaerts, 1974, p. 11 et 103.

[29] Cf. Edith Stein Gesamtausgabe, Freiburg im Brisgau, Herder, 25 vol. Cité par l’acrostiche ESGA.

[30] Bénédicte Bouillot, Le noyau de l’âme selon Edith Stein. De l’épochè phénoménologique à la nuit obscure, coll. « De Visu », Paris, Hermann, 2015, p. 10.

[31] Cf. Emmanuel Gabellieri, « De la métaphysique à la phénoménologie : une ‘relève’ ? », Revue philosophique de Louvain, 94 (1996) n° 4, p. 625-645.

[32] Jean-Luc Marion, avant-propos de Phénoménologie et métaphysique, Paris, p.u.f., 1994, p. 10-11. Cf. Id., « La ‘fin de la métaphysique’ comme possibilité », Yves-C. Zarka et Bruno Pinchard (éds.), Y a-t-il une histoire de la métaphysique ?, Paris, p.u.f., 2005.

[33] Cf., par exemple, Edith Stein, Lettre au père L. M. Stiemer, 4 novembre 1934, Correspondance II. 1933-1942, trad., Paris, Le Cerf, 2012, p. 111.

[34] Sr Teresia Benedicta a Cruce, ocd, Monastère carmélitain de Cologne-Lindenthal, 20 mai 1935, cité dans ESGA 10, 2005, p. xx.

[35] Par exemple dans une lettre à Hedwig Conrad-Martius, 13 novembre 1932, Correspondance I. 1917-1933, trad., Paris, Le Cerf, 2009, p. 643.

[36] Edith Stein, Être fini et être éternel. Essai d’une atteinte du sens de l’être, trad., Paris, Les Belles Lettres, Louvain, Nauwelaerts, 1972, p. 18.

[37] Cf. Chantal Beauvais, « Edith Stein et la modernité », Laval théologique et philosophique, 58 (2002) n° 1, p. 117-136.

[38] Cf. P. Schulz, Edith Steins Theorie der Person. Von der Bewusstseinsphilosophie zur Geistmetaphysik, Freiburg und Münch, Alber, 1994.

[39] Manuscrit du 20 mai 1935. Cf. Edith Stein, Potenz und Akt. Studien zu einer Philosophie des Seins, ESGA 10, 2005, p. xx.

[40] Edith Stein, Lettre à Roman Ingarden, 8 août 1925, Correspondance I. 1917-1933, trad., Paris, Le Cerf, 2009, p. 295.

[41] Bénédicte Bouillot, Le noyau de l’âme selon Edith Stein, p. 30.

[42] Martin Heidegger, cité par H. Ott, Martin Heidegger. Éléments pour une biographie, Paris, Payot, 1988, p. 91-92.

[43] Edith Stein, « La phénoménologie de Husserl et la philosophie de saint Thomas d’Aquin », Phénoménologie et philosophie chrétienne, trad. Philibert Secretan, Paris, Le Cerf, 1987, p. 32.

[44] Edith Stein, Lettre à Roman Ingarden, 1er août 1922, Correspondance I, p. 273.

[45] Bénédicte Bouillot, Le noyau de l’âme selon Edith Stein, p. 29.

[46] Gabriel Marcel, Du refus à l’invocation, Paris, Gallimard, 1940, p. 106.

[47] Emmanuel Gabellieri, dans Emmanuel Falque (éd.), Philosophie et théologie en dialogue, 1996-2006. LIPT : une trace, Paris, L’Harmattan, 2005, p.

[48] Einführung in die Philosophie, ESGA 8.

[49] Edith Stein, Correspondance I, p. 72.

[50] Lettre à Ingarden, 24 juin 1918, Correspondance I, p. 145-146.

[51] Edith Stein, « La signification de la phénoménologie comme conception du monde », Phénoménologie et philosophie chrétienne, p. 41.

[52] Edith Stein, Phénoménologie et philosophie chrétienne, p. 29.

[53] Ibid., p. 19.

[54] Hedwig Conrad-Martius, « Edith Stein », Archives de philosophie, 22 (1959), p. 163-174, ici p. 165. En effet, « son esprit sobre, clair, objectif, son regard franc, sa soumission absolue au réel […] prédestinaient » Edith Stein « à la phénoménologie », ajoutons : comme à la vie religieuse…

[55] Edith Stein, Potenz und Akt, p. 236.

[56] Edmund Husserl, Ideen I, § 85, p. 289.

[57] « Toutes mes études en psychologie m’avaient seulement convaincue que cette science en était encore à ses premiers balbutiements, qu’il lui manquait encore le fondement indispensable de concepts de base clarifiés et qu’elle n’était pas elle-même en mesure de se forger ses concepts » (Vie d’une famille juive, p. 261).

[58] Edith Stein, Potenz und Akt, p. 246.

[59] Ibid., p. 236.

[60] Ibid., p. 236.

[61] Ibid., p. 236.

[62] Ibid., p. 237.

[63] Ibid., p. 237.

[64] Edmund Husserl, Expérience et jugement. Recherches en vue d’une généalogie de la logique, trad. D. Souche-Dagues, coll. Épiméthée », Paris, p.u.f., 1970, p. 38.

[65] H. R. Sepp, « La Vie intérieure et son Dehors. Edith Stein dans le contexte de la première phénoménologie », Jean-François Lavigne (éd.), Edith Stein philosophe. Actes du colloque, Paris, avril 2013, à paraître.

[66] Edith Stein, Potenz und Akt, p. 246-247.

[67] Edith Stein, Être fini et être éternel, p. 298 : ESGA 11/12, p. 255.

[68] Ibid., p. 301 : p. 258-259.

[69] Edith Stein, « La philosophie existentiale de Martin Heidegger », p. 110. Cf. Id., Être fini et être éternel, p. 143, n. 42.

[70] Edith Stein, Être fini et être éternel, p. 299-300 : ESGA 11/12, p. 256. La traduction de Zuordnung est proposée par Philibert Secretan dans « Essence et personne », Freiburger Zeitschrift für Philosophie und Theologie, 26 (1979), p. 491.

[71] Paul Ricœur, « Sur la phénoménologie », A l’école de la phénoménologie, Paris, Vrin, 2004, p. 182.

[72] Vie, p. 481.

[73] Edith Stein, Lettre à F. Kaufmann, 12 janvier 1917, Correspondance I, p. 61.

[74] Edith Stein, Lettre à Roman Ingarden, 5 mai 1918, Correspondance I, p. 129.

[75] Cf. T. Wobbe, « Sollte die akademische laufbahn für Frauen geöffnet werden. Edmund Husserl und Edith Stein », Edith-Stein-Jahrbuch, 2 (1996), p. 361-374.

[76] A. Jaegerschmid, « Gespräche mit Edmund Husserl (1931-1936) », cité par Waltraud Herbstrith, Edith Stein. Wege zur inneren Stille, Aschaffenburg, Kaffke, 1987, p. 216.

[77] Roman Ingarden, Husserl. La controverse Idéalisme-réalisme (1918-1969), trad., coll. « Textes et Commentaires », Paris, Vrin, 2001, p. 152.

[78] Cf., par exemple, Roman Ingarden, « Bermerkungen zum Problem Idealismus-Realismus », Jahrbuch für Philosophie und phänomenologische Forschung, Halle, 1929, p. 159-190. Cf. aussi « Lettre à Husserl sur la 6e Recherche logique et l’idéalisme », Alter. Revue de phénoménologie, 7 (1999), p. 309-329.

[79] Roman Ingarden, « Le problème de la constitution et le sens de la réflexion constitutive chez Edmund Husserl », Husderl. Cahiers de Royaumont, coll. « Philosophie » n° 3, Paris, Minuit, 1959, p. 258.

[80] Hedwig Conrad-Martius, « Die transzendantale und die ontologische Phänomenologie », Edmund Husserl (1859-1959), p. 180. Cf. L’évidence du monde. Méthode et empirie de la phénoménologie, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis de Bruxelles, 1994, p. 153-154.

[81] Cf. la belle présentation dans Edith Stein, Vie, p. 344.

[82] Jean Hering, « Edmund Husserl. Souvenirs et réflexions », Edmund Husserl. Recueil commémoratif publié à l’occasion du centenaire de la naissance du philosophe, La Haye, Martinus Nijhoff, 1959, p. 26-27.

[83] Edith Stein, Être fini et être éternel, p. 2.

[84] Edith Stein, Einführung in die Philosophie, p. 67.

[85] René Descartes, Méditations métaphysiques, II.

[86] Michel Henry, La généalogie de la psychanalyse. Le commencement perdu, Paris, p.u.f., 1985, p. 24.

[87] Edith Stein, Einführung in die Philosophie, p. 18.

[88] Edmund Husserl, Méditations cartésiennes, § 9, p. 49.

[89] Edmund Husserl, Ideen I, § 24, p. 78.

[90] IG, p. 112 s.

[91] Edmund Husserl, Ideen I, § 80.

[92] Wilhelm Dilthey, Gesammelte Schriften, vol. 7, p. 213-214. Cité par Camilleri, Phénoménologie de la religion et herméneutique théologique dans la pensée du jeune Heidegger. Commentaire analytique des Fondements philosophiques de la mystique médiévale (1916-1919), coll. « Phaenomenologica » n° 184, Springer Verlag, 2008, p. 94.

[93] Edith Stein, Einführung in die Philosophie, p. 7.

[94] Cf. Paul Glynn, Requiem pour Nagasaki. Biographie de Takashi Nagai, le « Gandhi japonais”, trad. Jean-Marie Wallet, Paris, Nouvelle Cité, 51994, p. 35.

23.4.2025
 

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