b) « Dieu est méchant ». L’excès dans la culpabilité
Nous allons voir qu’il y a le refus de s’avouer coupable. Elle est assez présente dans le cinéma français. Que l’on songe au détestable et nauséeux Sœur sourire ou à Laissez-la partir (avec Carole Bouquet).
Inversement, les Américains sont obsédés par la culpabilité. Ou plutôt, on retrouve la même bipolarité avec les deux côtes américaines. Ici, il s’agit bien sûr de la côte orientale, plus puritaine. Nous en avons une bonne illustration dans Phonegame, le thriller américain de Joel Schumacher, 2003.
Illustration cinéma : Phonegame
Scène 23 : de 1 h. 2 mn. 3 sec. à 1 h. 5 mn. 40 sec.
1’) Histoire
Stuart Shepard (Colin Farrell), attaché de presse, est un jeune loup de Manhattan qui manipule ses correspondants. Il est marié et pourtant il drague Pam, une jeune femme en lui faisant miroiter des avenirs qui chantent, sans bien sûr lui dire qu’il est engagé. Un jour, après avoir appelé Pam, le téléphone public d’où il appelle sonne. Il décroche. Une voix inconnue lui recommande, au péril de sa vie, de ne pas raccrocher. N’est-ce pas un canular de mauvais goût ? Mais un jouet explosé au pied de la cabine, puis le point rouge d’un viseur laser sur sa chemise l’assure que, véritablement, un tueur est embusqué derrière l’une des fenêtres des gratte-ciels qui borde la huitième avenue. Cet homme, qui semble avoir tout prévu et résister à toutes les manipulations, exige de Stu qu’il avoue toute la vérité, c’est-à-dire qu’il annonce à sa femme et à son amante cette relation adultérine, c’est-à-dire le mensonge dans lequel il les maintient. La situation se complique encore davantage lorsqu’un homme est tué près de la cabine et que Stu se trouve accusé. La police arrive. Un redoutable dilemme se pose alors : s’il reste dans la cabine, il accroît la présomption de culpabilité et la police risque de l’abattre ; mais s’il quitte la cabine, c’est le mystérieux interlocuteur qui le tuera. Et quand sa femme Kelly (Katie Holmes), puis Pam, alertées par le journal télévisé qui le filme en direct, arrivent, c’est leurs vies elles-même qui se trouvent menacées. Sera-t-il possible au Capitaine de police (Forets Whitaker) et à Stu d’éviter le massacre ?
2’) Scène
Scène 23 : de 1 h. 2 mn. 3 sec. à 1 h. 5 mn. 40 sec.
3’) Sens
a’) Cela paraît représenter une vraie confession
D’un côté, vous avez Stu qui est coupable, et coupable des péchés les plus évidents, les moins nobles. Au fond, c’est un pécheur ordinaire : il ment (à tout le monde, même à sa femme, et peut-être plus encore à lui-même), utilise l’autre pour ses intérêts (mais non sans leur complicité), sauve son apparence, il convoite les jolies femmes (donc n’est adultère que dans le regard),
De l’autre, le justicier-tueur. les prérogatives arrogées à l’interlocuteur. Omniscient, il sait presque tout de la vie intime de Stu, a tout prévu des manœuvres de la police et donc prévenu leurs tactiques. Invisible, il ne peut être détecté par Stu qui le cherche désespérément. Anhistorique (sans histoire), il dit avoir eu un passé heureux. Supérieur à tout, autrement dit transcendant, il jette un regard dominateur sur toute la scène et se considère extérieur à ce monde impur qui n’est que compromission et lâcheté. Omnipotent, enfin, il a tout pouvoir sur la vie d’autrui : il a déjà fait justice deux fois ; ici, il a tué une fois. Sans faille, il a déjoué le piège que lui tend Stu en croyant téléphoner à son insu, non seulement la première fois mais la seconde. Justicier, il lance son jugement : « Tu es coupable d’inhumanité envers ton prochain ».
Et l’on pourrait ajouter le troisième interlocuteur : une police impuissante. Autrement dit, les médiations humaines (le sacrement de l’Église) sont impuissantes.
Il y a tous les éléments d’une confession – le terme même est employé : celui qui entend l’aveu et qui est l’intermédiaire de Dieu ; l’aveu des péchés ; l’aveu de tous les péchés et la vérité qui libère (y compris l’autre, puisque sa femme le regarde avec émotion au lieu de fuir ou de l’injurier) ; l’attitude intérieure de contrition jusqu’aux larmes, enfin la vulnérabilité, voire l’humilité. Enfin, cette cabine n’est-elle pas l’équivalent d’un confessionnal ? En effet, la cabine qui est au croisement de la 53ème rue et de la 8ème avenue est présentée comme « peut-être le dernier vestige d’intimité de Manhattan-Ouest ». De plus, Stu va choisir d’y entrer et de décrocher une seconde fois. Et enfin d’avouer.
b’) Caricature de confession
En fait, c’est tout le contraire. Loin de protéger l’intimité, elle sera le siège d’une violation de celle-ci : Stu devra avouer sa faute à tous. Sa cabine s’étend à la dimension de cette ville ville de 12 millions d’habitants et possédant 22 millions de téléphones, où s’échangent 1 milliard de communications chaque jour : c’est la nouvelle Babylone qui est ainsi condamnée.
Ensuite, Stu sort de cette « confession » écrasé, humilié, voire détruit. Quelle jouissance ce Dieu, le spectateur trouve-t-il à voir le héros ainsi défiguré ? Tout au contraire, de la véritable confession, nous sortons transfiguré. Non pas dévisagé par ce Dieu froid et voyeur, mais en-visagé par un Dieu aimant qui, comme le Père de l’enfant prodigue, interrompt notre aveu : « Père, je ne suis plus digne d’être appelé… »
Enfin, le film nous propose une image caricaturale de Dieu qui est la projection de notre culpabilité. En regard, Dieu n’extorque pas ainsi l’aveu : certes, Dieu veut la vérité ; mais il désire que ce soit un acte de liberté et plus encore d’amour.
Toutefois, il se dit ici quelque chose de vrai : la peur de « passer au JT de 20 heures ». ce qui arrive à Stu.
Se dessine ainsi en creux ce qu’est le sacrement : la vérité, l’intimité et l’amour. Et surtout, l’absolution (la parole de pardon). Qui manque cruellement dans le film.
En vérité
A celui qui a trop entendu parler du tribunal de la confession et pour qui Père est plus synonyme de Juge que de Mansuétude, je ne peux que lui conseiller de méditer souvent cette remarque de Thérèse de Lisieux dont la justesse théologique le dispute à la libérante profondeur : « Quelle douce joie de penser que le Bon Dieu est Juste, c’est-à-dire qu’Il tient compte de nos faiblesses, qu’Il connaît parfaitement la fragilité de notre nature. De quoi aurais-je donc peur [1] ? »
c) « Pourquoi ne pas se confesser directement à Dieu ? »
Autre objection souvent entendue : pourquoi ne pas se confesser directement au bon Dieu ?
1’) Raison christologique
Le besoin d’entendre le pardon de manière sensible.
Certes, le pardon est une « initiative de Dieu. Par lui-même, l’homme est incapable de se réconcilier avec le Créateur qu’il a offensé par son péché. L’action de Dieu est ici première et décisive, (2 Co 5,18). Lui nous aimait déjà quand nous étions ses ‘ennemis’ (Rm 5,10), et c’est alors que son Fils ‘est mort pour nous’ (5,8). Le mystère de notre réconciliation rejoint celui de la Croix (cf Ep 2,16) et du ‘grand amour’ dont nous avons été aimés (cf. Ep 2,4) ».
Or, « à l’Église » a été confié « le ministère de la réconciliation ». Toute l’œuvre du salut est déjà accomplie de la part de Dieu, mais, à un autre point de vue, elle se poursuit actuellement jusqu’à la parousie, et Paul peut définir l’activité apostolique comme ‘le ministère de la réconciliation’ (2 Co 5,18). ‘En ambassade pour le Christ’, les Apôtres sont les messagers de « la parole de la réconciliation » (5, 19s). Un ancien papyrus parle même ici de , et telle est bien la teneur du message apostolique (cf Ep 6,15 : ‘l’Evangile de la paix’). Dans leur ministère, les serviteurs de l’Evangile s’appliqueront donc à l’exemple de Paul, à être pour leur part les artisans de la paix qu’ils annoncent (2 Co 6,4-13) [2] ».
Les exemples scripturaires abondent qui manifestent la volonté du Christ de passer par ses disciples, c’est-à-dire par les prêtres de son Église (Mt 14,19 ; Mc 10,49 ; etc.). Dans la parabole de l’Enfant Prodigue, le père n’enlève pas les habits de son fils, symboles de péché, mais demande à ses serviteurs de le faire, manifestant ainsi la médiation ecclésiale (Lc 15,22). De même, ce sont les Juifs qui, obéissant à l’ordre de Jésus, délient Lazare et le laissent aller (Jn 11,44).
2’) Raison humaine
Sur un ton tragico-comique typiquement britannique, André Maurois raconte une étonnante histoire qui montre l’importance du signe sensible, ici vocal, qu’est le sacrement. L’homme pécheur a besoin d’entendre le prêtre lui dire de la part de Dieu qu’il est réconcilié.
« Un gentleman avait tué un homme : la justice ne le soupçonnait pas, mais les remords le faisaient errer tristement. Un jour, comme il passait devant une église anglicane, il lui sembla que le secret serait moins lourd s’il pouvait le partager ! Il entra donc et demanda au vicaire d’écouter sa confession.
Ce vicaire était un jeune homme fort bien élevé, ancien élève d’Eton et d’Oxford ; enchanté de cette rare aubaine, il s’empressa. « Mais certainement, ouvrez-moi votre cœur, vous pouvez tout me dire comme à un père ».
L’autre commença : « J’ai tué un homme ».
Le vicaire bondit. « Et c’est à moi que vous venez dire cela ! Misérable assassin ! Je ne sais pas si mon devoir de citoyen ne serait pas de vous conduire au poste de police le plus proche… En tout cas, c’est mon devoir de gentleman de ne pas vous garder une minute de plus sous mon toit ».
Et l’homme s’en alla. Quelques kilomètres plus loin, il vit, près de la route qu’il suivait, une église catholique. Un dernier espoir le fit entrer et il s’agenouilla derrière quelques vieilles femmes qui attendaient près d’un confessionnal. Quand vint son tour, il devina dans l’ombre le prêtre qui priait, la tête dans ses mains.
« Mon père, je ne suis pas catholique, mais je voudrais me confesser à vous.
– Mon fils, je vous écoute.
– Mon père, j’ai assassiné ».
Il attendit l’effet de l’épouvantable révélation. Dans le silence auguste de l’église, la voix du prêtre dit simplement : « Combien de fois, mon fils ? » [3]
d) « La confession, c’est hypocrite ! »
Le pardon divin sans condition n’est-il pas une incitation au délit, à l’irresponsabilité ?
Cette objection oublie l’essentiel. Pardon rime avec contrition. Or, l’acte de contrition requiert « le ferme regret » et « la ferme résolution de ne plus recommencer ». Sans repentir, quand bien même Dieu voudrait pardonner, il ne le peut pas : la porte de notre cœur fermée, il ne peut venir habiter chez nous (Jn 15 : « Si quelqu’un m’aime, mon Père et moi nous viendrons chez lui et nous y ferons notre demeure ».)
e) « Ma faute est trop grave »
Karla Faye Tucken a été condamnée à mort il y a quatorze ans pour un double meurtre. Elle s’est convertie en prison. « Quelques heures avant le moment prévu pour son exécution (le 3 février 1998), elle est apparue une dernière fois sur les écrans du Christian Broadcast Network (CBNC), le réseau câblé chrétien du télévangéliste fondamentaliste Pat Robertson : ‘Je prie pour que mon exemple aide tous les chrétiens à se rendre compte que Dieu peut racheter n’importe qui, quelle que soit l’horreur de son crime. Il faut toujours laisser place au pardon, parce que Dieu l’exige encore plus que la justice», a-t-elle expliqué, affirmant qu’elle envisageait sa fin «sans peur’ [4] ».
f) « À quoi cela sert-il de se confesser, on dit toujours la même chose ? »
À quoi cela sert-il de se laver tous les jours, c’est toujours la même crasse ? Si on ne se lave pas pour soi, on le fait par charité pour les autres !
Par ailleurs, si c’est le même péché pour vous, il est toujours différent pour l’offensé ! Imaginez que, tous les matins, votre patron (conjoint, etc.) vous donne une giffle. Comme dans le film Il reste encore demain [5]. Vous habitueriez-vous ?
g) « Et si le prêtre se souvenait de tout ? »
Pourquoi avez-vous peur de vous confesser, demande le curé de Cucugnan ?
« Il y en a beaucoup que c’est par vanité. Ils ont peur d’avouer à un autre homme toutes les fautes qu’ils ont commises, et ils s’imaginent que je vais prendre des notes dans ma tête, et que si je les rencontre dans la rue, je vais les regarder d’un air malicieux, en pensant à leur confession. Mais, mes pauvres enfants, si un prêtre gardait dans sa mémoire tous les péchés qu’on lui confie, il lui pousserait une tête comme une coucourde, il semblerait un bilboquet et, en plus, il deviendrait fou ! En réalité, ce n’est pas moi qui vous écoute, moi, ça rentre par une oreille, ça sort par l’autre pour aller jusqu’aux pieds du Bon Dieu. Alors, il juge votre repentir et il m’inspire la pénitence que je dois vous infliger ! »
h) « Attendons le dernier moment ! »
Lisons à nouveau ce grand théologien qu’est le curé de Cucugnan, alias Marcel Pagnol. Il prend en compte les objections classiques. « Puisque la confession efface tout, ce n’est pas la peine de se confesser tout le temps, et la dernière est suffisante ! »
Le curé a beau jeu de répondre que c’est souvent trop tard :
« même si vous avez l’intention de m’appeler à la première alerte sérieuse, est-ce que vous êtes bien sûrs qu’à ce moment là vous ne serez pas déjà à moitié gaga ? J’en ai confessé beaucoup de ces pauvres absents. Ils s’accusent de n’importe quoi, comme d’avoir mis le feu à l’église, ou d’avoir pensé du mal du président de la République, ce qui est peut-être une erreur, mais sûrement pas un péché… […] N’attendez pas d’en être là, car le seul repentir sincère et valable, c’est celui des gens en bonne santé ».
Pascal Ide
[1] S. Thérèse de L’Enfant-Jésus, Manuscrits autobiographiques, p. 207.
[2] Léon Roy, art. « Réconciliation », Xavier Léon-Dufour éd., Vocabulaire de théologie biblique, Paris, Le Cerf, c. 1075 à 1078.
[3] André Maurois, Les silences du Colonel Bramble, Paris, 1935, chap. ix, p. 76s.
[4] Libération, 4 février 1998.
[5] C’è ancora domani, drame italien de Paola Cortellesi, 2023. Cf. critique sur le site pascalide.fr