Dans les années 2000, un coléoptère, l’agrile du frêne, a tué plus de 100 millions de frênes de la côte Est à la côte Ouest des États-Unis. En comparant les dates et lieux où ces arbres sont morts aux registres de mortalité humaine géolocalisés à l’échelle des comtés américains, on en a déduit qu’il s’était produit, en plus de la moyenne, 6 113 décès par maladies respiratoires et 15 080 par pathologies cardiovasculaires [1]. En plein, si les frênes avaient survécu, 21 000 personnes auraient aussi survécu…
Montrons-le en positif. Une méta-analyse de 52 études effectuées au Japon a établi que les indicateurs physiologiques, tels que l’activité cérébrale, l’activité nerveuse autonome, l’activité endocrinienne et l’activité immunitaire, sont très améliorés grâce à la thérapie par la nature, comme la marche dans les forêts, la vision d’espaces verts urbains, la présence de plantes ou le contact avec des matériaux en bois. Insérant l’homme dans son histoire, l’article ébauche une explication évolutionniste en faisant observer que, l’urbanisation remontant à la révolution industrielle, notre espèce a passé moins de 0,01 % de son temps dans une ville et 99,99 % dans un environnement naturel [2].
Aujourd’hui nous ne faisons guère de bien à la nature. Loin d’être ingrate, celle-ci continue pourtant à favoriser notre bien-être. C’est ce que montre un livre littéralement intitulé Bonne nature, paru cette année (en anglais [3] et en sa traduction française [4]). L’auteure, qui fait le point sur les dernières études en ce domaine, conclut avec assurance : l’environnement naturel est un facteur essentiel, voire indispensable, de détente. « Mes recherches m’ont permis de voir que tout un nouveau domaine scientifique est en train d’émerger, démontrant un lien d’ordre médical d’une incroyable importance entre notre santé et le rapport à la nature [5] ».
Si Katherine « Kathy » Willis avait observé que, lorsqu’elle se promène dans les jardins de Kew au moment du déjeuner, elle se sent paisible et surtout plus sereine que lorsqu’elle déambule dans les rues londoniennes, elle n’en fut convaincue qu’en découvrant un article fameux (cité près de 9 000 fois) d’une revue elle-même fameuse, Science, publié voici déjà quarante ans. L’auteur y avait comparé des patients à qui l’on venait d’ôter la vésicule biliaire et qui, par la fenêtre de leur chambre d’hôpital, en Pennsylvanie, voyaient soit des arbres, soit des murs en brique. Les premiers se remettaient trois fois plus vite, avec un meilleur confort mental post-opératoire et une moindre consommation d’antalgiques [6]. Et l’étude montrait que cette notable amélioration venait de ce que la présence d’arbres bénéficiait non pas à l’environnement, mais au patient. En l’occurrence, de la connexion entre celui-ci et celui-là : c’est parce qu’il avait regardé les arbres que le malade allait mieux.
1) Thèse
Précisons brièvement les trois termes de la thèse : la nature est bienfaisante pour l’homme.
La nature…, c’est-à-dire les plantes (arbres et fleurs), et non pas les animaux (par exemple, de compagnie). L’auteure, qui est professeure de biodiversité à l’université d’Oxford et a dirigé le département scientifique des jardins botaniques Kew de Londres, le montre à travers sa spécialité qu’est la botanique. De fait, son ouvrage ne traite presque pas des interactions bonifiantes de l’homme et de l’animal que de nombreuses études attestent par ailleurs [7].
… est bienfaisante… Le livre montre que ces effets bénéfiques sont notamment de deux grands ordres : en creux, la nature diminue le niveau de stress (en ses trois composantes : neurologique, avec ses conséquences respiratoires et cardiovasculaires ; endocrinienne, avec libération de cortisol et d’adrénaline ; psychologique à titre d’anxiété jusqu’à la tristesse profonde ; et toutes les conséquences comme les maladies de civilisation, diabète, hypertension artérielle, etc. [8]) ; en plein, elle dope les performances cognitives (et l’amour ?).
Un groupe de chercheurs a synthétisé les fonctions de l’espace vert sur l’homme en trois rubriques que l’on pourrait systématiser en deux bivium engrenés. Une première fonction est extérieure : la réduction des nuisances (la pollution de l’art, le bruit et la chaleur). Les deux autres sont intérieures. D’abord, négative : la réparation des capacités (cognitive, la restauration de l’attention ; et émotionnelle : l’apaisement du stress). Ensuite, positive : la consolidation des capacités (l’encouragement à l’activité physique et la facilitation du lien social) [9].
… pour l’homme. Ces multiples dons parviennent à l’être humain par les sens externes (étrangement, le sens du goût n’est pas pris en cause, peut-être parce qu’il est surtout intriqué à une autre activité, en l’occurrence végétative, la nutrition).
Sondons la nouveauté de cette thèse. Nous savons tous que la nature nous est utile. Sans elle, non seulement nous ne pourrions nous nourrir ou respirer, ce qui intéresse nos puissances végétatives, mais nous disposons d’un sol stable et d’un environnement suffisamment chaud, nécessaires à notre corps, ainsi que de matériaux pour exercer nos activités techniques. Mais nous ignorons ou du moins n’avons pas conscience que, par surcroît, cette même nature est bien-faisante. Autrement dit, elle fait du bien à notre être même, grâce à cette puissance transformante qu’est l’affectivité. Et cela, par surabondance, donc par gratuité. Ainsi, la nature est un don auquel, par une correspondance harmonieuse qui devrait susciter autant d’émerveillement que le don lui-même, les personnes humaines sont singulièrement perméables et adaptées. La conclusion reviendra sur ces points essentiels.
L’ouvrage organise ses dix chapitres en fonction des différents canaux sensoriels. Il les considère d’abord analytiquement et en quelque sorte de manière abstraite ou séparée : la vue – de l’arbre, en sa forme [10] et en sa couleur [11], et de la fleur [12] –, l’odorat [13], l’ouïe [14] et le toucher – extérieur [15] et comme intérieur, c’est-à-dire le biotome [16]. Puis il les envisage concrètement (in re), donc synthétiquement à travers les activités qui les convient ensemble : soit contemplatives, en l’occurrence, la rencontre de la nature ou à couvert, c’est-à-dire en privé, dans la maison [17], ou à découvert, c’est-à-dire dans l’espace public [18] ; soit active, en l’occurrence le jardinage [19]).
2) Les bienfaits visuels des plantes
a) La nature en général
1’) Effets affectifs
Les plantes procurent un réel bien-être à l’être humain.
a’) Les faits
- Une équipe de l’université de l’Illinois s’est demandé si ce que voyaient les élèves par la fenêtre de la classe exerçait une influence sur leurs performances cognitives [20]. Ils ont réparti aléatoirement 94 élèves venus de 5 classes dans 3 salles de cours de même taille, même forme, même éclairage et même ameublement, mais se différenciant par la vue, l’une donnant sur un espace vert avec des arbres, la deuxième sur un mur lisse, et la troisième n’ayant pas de fenêtre. Les élèves se livraient à différentes activités, assis sur des chaises faisant face aux fenêtres ou au mur qui en était dénué. Or, pendant leurs tâches, on mesurait leur température corporelle, la variabilité de leur rythme cardiaque et leur conductance cutanée, qui sont autant d’indices du niveau de stress.
Les résultats ont pris en compte les variables culturelles et socio-économiques. Tous les élèves ont commencé les tests avec le même niveau de stress de base. Puis, ceux dont la fenêtre ouvrait sur la nature obtinrent de bien meilleurs résultats aux tests, avec un stress beaucoup plus bas que les deux autres catégories (fenêtres avec mur et mur sans fenêtres). De plus, les premiers récupéraient plus vite après la montée obligatoire du stress dû aux tests. Enfin, l’étude a montré que la vision de la nature – et pas seulement l’immersion en elle – suffit à procurer des avantages très sensibles.
- Et si nous sommes pris par le temps ? Cette vision de la nature n’a même pas besoin d’être prolongée. Une enquête sur des étudiants soumis à un test, donc, comme précédemment, à un stress, a mis en évidence que, quand ils avaient regardé pendant seulement quarante secondes un toit végétal entièrement fleuri, ils commettaient beaucoup moins d’erreurs et récupéraient beaucoup plus vite leur fatigue mentale, que lorsqu’on leur avait montré une toiture en béton brut pendant le même laps de temps [21].
- Et si nous n’avons pas de scènes de nature à portée de regard ? Même via un ordinateur, nous ressentons les effets bienfaisants de cette vision. Une équipe de chercheurs du Centre pour les sciences de l’environnement, de la santé et de la Terre, de l’université de Chiba au Japon, a présenté deux photos à des étudiantes pendant 90 secondes : la première représentait une forêt et la seconde des tours de bureaux. Elle observait en même temps l’activité cérébrale et demandait, à la suite, de remplir un questionnaire. Les résultats ont établi que, en regardant la nature, les sujets disaient ressentir plus « de confort » et « de détente » [22]. Inversement, celui qui ressentait un stress récupérait plus vite s’il contemplait une photo de nature que s’il regardait une photo de ville [23].
Application immédiate : et si vous vous offriez une micropause contemplative même d’une photo sur ordinateur, d’une demie-minute ?
b’) Les causes
Pourquoi la vision de la nature réduit-elle le stress ? Le psychologue environnementaliste Roger Ulrich et ses collègues ont proposé deux hypothèses explicatives. La première est cognitive : nous préférons ce qui suscite plus notre attention ; or, celle-ci est davantage suscitée par les images de nature. La seconde est affective : l’émotion agréable fait du bien ; or, la nature suscite en nous un « état émotionnel plus positif » [24].
2’) Effets cognitifs
a’) Les faits
Regarder la nature – en l’occurrence, faire une pause en contemplant la nature plus qu’en scrollant ou en regardant un paysage urbain – présente un impact non seulement émotionnel en amenuisant le stress, mais cognitif. En effet, les expériences constatent des progrès notables en trois domaines : le contrôle de l’attention, la mémoire de travail et la souplesse cognitive (le passage de deux à plusieurs concepts). Limitons-nous à une étude astucieuse sur des enfants d’école primaire faite par une équipe dirigée par un chercheur de l’Institut de santé mondiale de Barcelone, Payam Dadvand. Grâce à des images satellite, l’on a d’abord mesuré la surface d’espace vert dont les enfants disposaient sur trois zones tampons : 250 mètres autour de leur maison ; 50 mètres autour de leur école ; la somme d’espaces verts entre la maison et l’école, donc sur le chemin emprunté par l’élève. L’expérience s’est intéressée à 2 593 élèves de primaire venant de 36 établissements, ayant un âge moyen de 8 ans et demi, et présentant les mêmes conditions familiales et socio-économiques. Enfin, les chercheurs ont calculé le développement cognitif des enfants tout au long de l’année scolaire 2012-2013 à raison d’un test d’évaluation de l’attention et de la mémoire de travail tous les trois mois.
Un premier résultat fut que, plus l’enfant disposait d’espaces verts autour de lui, meilleure était sa progression dans les deux domaines de l’attention et de la mémoire de travail. Second résultat, encore plus important : le facteur le plus décisif était les espaces verts entourant les bâtiments de l’école et non ceux croisés en chemin. Là encore, l’application pratique est immédiate : puisque les enfants passent la majorité de leur temps dans la classe, qu’ils puissent voir des paysages de nature par la fenêtre [25].
b’) Les causes
Passons là encore du fait à la cause. Un couple d’enseignants de psychologie de l’université de Michigan, Stephen et Rachel Kaplan, ont élaboré une théorie dite de la restauration attentionnelle. En effet, dans la vie quotidienne en général et à l’école en particulier, multiples sont les sources d’information ou d’excitation (bavardages humains, bips de téléphones portables, bruits extérieurs, etc.). Tout au contraire, l’exécution des tâches requiert de focaliser son attention. Donc, ce que l’on appelle attention dirigée requiert en permanence d’écarter les sources parasites. Or, tout acte volontaire coûte de l’énergie mentale et neuronale, donc, engendre de la fatigue. C’est la raison pour laquelle, au fur et à mesure où passe la journée, notre attention dirigée décroît, engendrant plus de distractions, voire plus d’erreurs, et moins de contrôle de soi. Or, la vision des paysages de nature mobilise seulement l’attention involontaire. Voilà pourquoi les scènes naturelles réparent les fonctions cognitives [26].
Les Kaplan ont poussé plus loin l’analyse, en émettant l’hypothèse que la nature suscite une attention involontaire parce qu’elle contient bien moins de stimuli retenant cette attention [27]. Je trouve l’explication très mécaniste et surtout très en décalage avec l’expérience commune : les paysages de la nature nous apparaissent souvent beaux et harmonieux ; or, la beauté engendre joie [28], voire émerveillement, et l’harmonie extérieure produit en nous par résonance une harmonie intérieure, c’est-à-dire la paix. Il serait d’ailleurs intéressant d’affiner l’étude et de nous demander si la contemplation de belles architectures, donc d’édifices souvent urbains, n’éveillent pas la même restauration de l’attention.
b) La nature en particulier
Ne pourrait-on affiner ? En effet, nous avons parlé des effets visuels de notre environnement paysager. Or, la nature vue présente de multiples formes et couleurs [29]. Pourrait-on déterminer ce qui, dans les paysages mis en scène, produit ces effets émotionnellement apaisants et cognitivement dynamisants ? Les chercheurs ont ainsi précisé la connaissance des interactions bénéfiques entre l’homme et son environnement, particulièrement les types d’arbres. De prime abord, l’on pourrait croire que nos affinités pour tel ou tel style d’arborescence, donc de milieu, sont conditionnées par notre histoire personnelle ou par notre culture locale. En réalité, les études montrent que, de manière sinon contre-intuitive, du moins étonnante, nous avons des préférences transculturelles d’une étonnante constance pour certains paysages.
1’) La forme
a’) Les faits
Des chercheurs de l’université de l’Oregon ont présenté à 545 sujets, allant de 8 ans à l’âge de la retraite, des photographies de paysages d’une grande variété, pris dans les différentes régions du monde. Puis, ils leur ont demandé de dire leur préférence : où leur plairait-il de se promener, voire d’habiter ?
Quel fut le résultat ? Le croirez-vous ?, le paysage qui récolta le plus de votes fut la savane. Plus étonnant encore, ce sont les enfants de moins de 12 ans qui ont montré la préférence la plus marquée pour les photos de ce paysage, alors que, bien entendu, ils n’y avaient jamais été et que certains d’entre eux n’en avaient encore jamais regardé [30].
b’) Les causes
1’’) Une préférence innée ?
L’hypothèse qui fut initialement retenue est évolutionniste et n’est pas sans rappeler l’effet first sight : ce qui est premier nous marque plus en profondeur. Or, nos ancêtres ont évolué dans de vastes savanes dégagées, ponctuées d’arbres disséminés comme des acacias. Nous aurions donc une préférence innée pour ce style d’arbre. De fait, une enquête auprès de 277 étudiants de l’université de Californie à Davis a montré qu’ils préféraient en grande majorité des arbres à tronc court et avec un ratio largeur/longueur prononcé ; or, tel est le cas des acacias (ou des chênes) [31]. Et cette affinité se retrouve chez des sujets très différents quant à l’âge, la culture ou le contexte socio-économique [32].
L’on a objecté à cette étude que les personnes interrogées vivaient dans des villes entourées de paysages dégagés présentant quelques arbres disséminés. Or, tel est aussi le cas de la savane, même si les conditions climatiques sont très différentes. Donc, l’enquête ne permet pas de discriminer l’inné de l’acquis, le passé du présent.
Ainsi, ces mêmes scientifiques de l’Oregon ont exploré une tout autre population : des Nigérians qui avaient passé toute leur vie en forêt tropicale, précisément, des adolescents qui fréquentaient un établissement scolaire dans un petit village de pêcheurs d’une des îles du delta du Niger, et des jeunes lycéens habitant dans un lieu cerné par la forêt tropicale ; de plus, les trois quarts n’avaient jamais quitté leur biome. Comme toujours, les chercheurs leur ont demandé de classer des photos de paysage en fonction de leur préférence. Les réponses ont montré que celle-ci était dirigée vers les représentations de la savane. Or, autant celle-ci est pauvre en arbres, autant la forêt tropicale en est riche. L’on est donc dorénavant en droit de conclure comme la première étude, mais à juste titre, que nous présentons une affinité congénitale pour la savane [33].
2’’) Une préférence pour la fractalité ?
- Est-ce suffisant pour affirmer que l’explication est celle de la théorie évolutionniste ? Une autre hypothèse a été émise : nous éprouvons une propension pour les modèles présentant une structure fractale, précisément une complexité fractale moyenne. Autrement dit, ce sont ces types de paysage qui nous apaisent et restaurent nos ressources attentionnelles.
- Rappelons que les fractales sont des structures autosimilaires, c’est-à-dire des figures qui se reproduisent de manière similaire à différentes échelles. C’est ainsi qu’un flocon de neige (ou un poumon) a la même structure, qu’on le voit à grande ou à toute petite échelle.
Un physicien de l’université de l’Oregon a étudié ce qui attire l’attention de notre regard quand il parcourt un paysage : pour cela, il suffit de suivre les yeux et de repérer leurs fixations, ainsi que leur durée. Et il a présenté à différents candidats des paysages présentant des structures fractales plus ou moins complexes ; il a également pris soin d’uniformiser la couleur pour que sa prise en compte l’influence pas le résultat. Or, le chercheur a constaté que notre préférence allait à des structures fractales de complexité comprise entre 1,3 et 1,5, soit des structures de complexité moyenne. Plus encore, cette prédilection valait autant pour une photo que pour un tableau ou pour une image numérique [34].
Caroline Madeleine Hägerhäll et ses collègues de l’université de Suède des sciences de l’agriculture ont accompli un pas de plus en cherchant à établir les effets du visionnement de ces structures fractales sur le cerveau. Pour cela, ils ont étudié l’activité électroencéphalographique. Rappelons que l’on distingue différents régimes selon la fréquence des ondes émises par le cerveau. Plus celui-ci est actif, plus la fréquence est élevée : le rythme delta (rythme inférieur à 3 Hz) correspond au sommeil ; le rythme alpha (entre 7,5 et 13 Hz) à la détente (yeux fermés, par exemple) ; le rythme bêta (supérieur à 13 Hz) à l’activité éveillée, consciente. Or, quand un sujet regarde une image dont la dimension fractale est de 1,3, les fréquences alpha et bêta augmentent et les fréquences delta diminuent. Donc, cette fractalité moyenne à la fois incite au calme et stimule l’attention [35].
- Appliquons ces passionnantes données à notre problématique : les inclinations pour les types de paysage et les structures d’arbres. Qualitativement, la dimension fractale moyenne correspond justement au paysage de savane avec des arbres raréfiés. En revanche, une forêt de sapins avec des arbres rapprochés correspond à une dimension de 1,5 et plus. De fait, nous faisons l’expérience qu’une forêt trop dense ou une rue bordée par un nombre d’arbres trop élevé peuvent engendrer un sentiment d’oppression.
Des études quantitatives ont cherché à déterminer le seuil de densité d’arbres susceptible de susciter un stress chez son observateur. Des chercheurs de l’université de l’Illinois (décidément actifs !) ont invité des participants à regarder des vidéos 3 D qui montraient des rues présentant des densités d’arbres ou d’arbustes variés, en l’occurrence, allant de 2 à 62 %. Puis, ils ont mesuré la récupération après un exercice induisant un stress. Or, ils ont observé une courbe en plateau : entre 2 et 24 %, le taux de récupération augmente ; entre 24 et 34 %, il stagne ; à partir de 34 %, il décroît [36].
L’on objectera à cette explication suggestive qu’elle ne semble valoir que pour les hommes, puisque, chez les femmes, la densité des arbres n’y a pas exercé d’influence sur la récupération du stress [37]. Une insensibilité de la femme à l’égard de cette densité semble pourtant contraire à l’expérience courante. Une réponse, émise par les auteurs de l’étude, réside dans la durée : peut-être la femme a-t-elle besoin d’être exposée plus longuement à la nature pour pouvoir bénéficier d’une récupération équivalente aux hommes.
Pascal Ide
[1] Cf. Geoffrey H. Donovan et al., « The relationship between trees and human health. Evidence from the spread of the emerald ash borer », American Journal of Preventive Medicine, 44 (2013) n° 2, p. 139-145.
[2] Cf. Chorong Song, Harumi Ikei & Yoshifumi Miyazaki, « Physiological effects of nature therapy: A review of the research in Japan », International Journal of Environmental Research and Public Health, 13 (2016) n° 8, p. 781.
[3] Kathy J. Willis, Good Nature, London, Bloomsbury Publishing, 2024.
[4] Id., Naturel. Pourquoi voir, sentir, toucher et écouter les plantes nous fait du bien, trad. Laurence Kiefé, Paris, Seuil, 2024.
[5] Ibid., p. 14.
[6] Cf. Roger S. Ulrich, « View through a window may influence recovery from surgery », Science, 224 (1984) n° 4647, p. 420-421.
[7] Une exception, les chants d’oiseaux et, plus généralement, les bruits émis par les animaux (cf. Kathy Willis, Naturel, chap. 5).
[8] Cf. l’article de synthèse de Daryl B. O’Connor, Julian F. Thayer & Kavita Vedhara, « Stress and Health: A Review of Psychobiological Processes », The Annual Review of Psychology, 72 (2021) n° 1, p. 663-688.
[9] Cf. Iana Markevych et al., « Exploring pathways linking greenspace to health: Theoretical and methodological guidance », Environmental Research, 158 (2017), p. 301-317.
[10] Cf. Kathy Willis, Naturel, chap. 1.
[11] Cf. Ibid., chap. 2.
[12] Cf. Ibid., chap. 3.
[13] Cf. Ibid., chap. 4.
[14] Cf. Ibid., chap. 5.
[15] Cf. Ibid., chap. 6.
[16] Cf. Ibid., chap. 7.
[17] Cf. Ibid., chap. 8.
[18] Cf. Ibid., chap. 9.
[19] Cf. Ibid., chap. 10.
[20] Cf. Dongying Li & William C. Sullivan, « Impact of views to school landscapes on recovery from stress and mental fatigue », Landscape and Urban Planning, 148 (2016) n° 4, p. 149-158.
[21] Cf. Kate E. Lee, Kathryn J.H. Williams, Leisa D. Sargent, Nicholas S.G. Williams & Katherine A. Johnson, « 40-second green roof views sustain attention: The role of micro-breaks in attention restoration », Journal of Environmental Psychology, 42 (2015), p. 182-189.
[22] Cf. Chorong Song, Harumi Ikei & Yoshifumi Miyazaki, « Physiological effects of visual stimulation with forest imagery », International Journal of Environmental Research and Public Health, 15 (2018) n° 2, p. 213.
[23] Cf. Daniel K. Brown, Jo L. Barton & Valerie F Gladwell, « Viewing nature scenes positively affects recovery of autonomic function following acute-mental stress », Environmental Science & Technology, 47 (2013) n° 11, p. 5562-5569.
[24] Cf. Roger S. Ulrich, Robert F. Simons, Barbara D. Losito, Evelyn Fiorito, Mark A. Miles & Michael Zelson, « Stress recovery during exposure to natural and urban environments », Journal of Environmental Psychology, 1991 (11) n° 3, p. 201-230.
[25] Cf. Payam Dadvand et al., « Green spaces and cognitive development in primary schoolchildren », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 112 (2015) n° 26, p. 7937-7942.
[26] Cf. Stephen & Rachel Kaplan, The Experience of Nature. A Psychological Perspective, Cambridge, Cambridge University Press, 1989. Cf. l’article cité plus de 9 300 fois de Stephen Kaplan, « The restorative benefits of nature: Toward an integrative framework », Journal of Environmental Psychology, 15 (1995) n° 3, p. 169-182.
[27] Cf. Stephen Kaplan & Marc G. Berman, « Directed attention as a common resource for executive for executive functioning and self-regulation », Perspectives on Psychological Science, 5 (2010) n° 1, p. 43-57.
[28] « Le beau est ce qui, étant vu, plaît », affirme une définition classique (cf. Pascal Ide, La beauté, don de l’amour, Paris, Le Centurion, 2021, p. ).
[29] Dans les catégories précises de l’anthropologie (ou de la psychologie) aristotélicienne, la couleur est l’objet propre de la vue, c’est-à-dire l’objet qui spécifie ce sens externe dans sa différence avec les autres, alors que la forme est un objet commun (puisqu’il est partagé avec d’autres sens externes comme le toucher).
[30] Cf. John D. Balling & John H. Falk, « Development of visual preference for natural environments », Environment and Behavior, 14 (1982) n° 1, p. 5-28.
[31] Cf. Joshua Summit & Robert Sommer, « Further studies of preferred tree shapes », Environment and Behavior, 31 (1999) n° 4, p. 550-576. Cf., de même, Tina Gerstenberg & Mathias Hofmann, « Perception and preference of trees. A psychological contribution to tree », Urban Forestry & Urban Greening, 15 (décembre 2016), p. 103-111.
[32] Cf. Caroline Madeleine Hägerhäll, « Responses to nature from populations of varied cultural background », Arrow Matilda van den Bosch & William Bird (éds.), Oxford Textbook of Nature and Public Health. The role of nature in improving the health of a population, coll. « Oxford Medicine Online », Oxford, Oxford University Press, 2018, p. 189-192.
[33] Cf. John H. Falk & John D. Balling, « Evolutionary influence on human landscape preference », Environment and Behavior, 42 (2010) n° 4, p. 479-493.
[34] Cf. Richard P. Taylor, Branka Spehar, Paul Van Donkelaar & Caroline M. Hägerhäll, « Perceptual and physiological responses to Jackson Pollock’s fractals », Frontiers in Human Neuroscience, 5 (2011), p. 60.
[35] Cf. Caroline Madeleine Hägerhäll, Terry Purcell & Richard Taylor, « Fractal dimension of landscape silhouette outlines as a predictor of landscape preference », Journal of Environmental Psychology, 24 (2004) n° 2, p. 247-255.
[36] Cf. Agnes Van den Berg, Yannick Joye & Sander L. Koole, « Why viewing nature is more fascinating and restorative than viewing buildings: A closer look at perceived complexity », Urban Forestry & Urban Greening, 20 (décembre 2016), p. 397-401.
[37] Cf. Bin Jiang, Chun-Yen Chang & William C. Sullivan, « A dose of nature. Tree cover, stress reduction, and gender differences », Landscape and Urban Planning, 132 (2014), p. 26-36.