La Mission (News of the World), western américain de Paul Greengrass, 2020. Adapté du roman éponyme de Paulette Jiles, 2016. Avec Tom Hanks et Helena Zengel. Sans sortie salle et disponible sur Netflix à partir du 10 janvier 2021.
Thèmes
Paternité, présentisme, salut.
Sans ingéniosité, mais avec sobriété, Paul Greengrass raconte l’histoire d’une rédemption croisée.
- L’on croirait le film du réalisateur de Capitaine Phillips (2013) commandé par Netflix, alors qu’il n’est que diffusé par la plateforme de streaming. En effet, il en a la durée (c’est-à-dire l’étirement ennuyeux et l’étalement oiseux), la banalité (le spectateur devine dès le commencement, c’est-à-dire la rencontre de Kidd et Johanna, ce que sera le terme : l’orpheline a trouvé sans le savoir le père qui ne le sait pas plus) et les facilités (par exemple, comment une jeune Indienne débrouillarde ne saurait-elle pas dénouer la corde qui l’attache ?).
- Mais l’important est ailleurs. Sur fond d’Amérique traumatisée par la Guerre de Sécession (et l’on sait que le cinéaste aime sonder les soubresauts de son pays en gestation), le récit raconte l’itinéraire de deux êtres qui ont perdu ceux qui leur étaient chers et se sentent désormais perdus. Autrement dit, il raconte de manière parabolique et fractale la grande histoire à travers la petite. Pour y aviver l’espérance d’une issue.
La jeune immigrée répondant aux doux prénoms de Johanna et Cicada n’est pas doublement orpheline comme le dit le film, mais triplement : une première fois de sa famille proche (père et mère), une deuxième fois de sa famille adoptive indienne, une dernière fois de sa famille lointaine (oncle et tante). À la blessure originaire de l’abandon avivée par la répétition se joint celle de l’utilisation : par ces soldats-brigands qui sont involontairement perdants mais qui sont devenus volontairement perdus ; par cette famille qui ne voit en elle qu’une bouche à nourrir (de plus) ou des bras pour cultiver la terre. La conséquence en est que, en déficit de filialité, donc d’amour et d’inclusion (d’appartenance), la petite fille s’auto-exclut elle-même, en oubliant la langue de ceux qui l’ont oublié.
Le capitaine Jefferson Kyle Kidd est, lui de même, un homme navré. Ravagé par la mort de sa femme, il ne s’est toutefois ni abîmé dans une destruction sans fond de soi, ni perverti dans une destruction sans fin de l’autre (selon le mécanisme de la légitimité destructrice, bien individualisé par Ivan Boszormenyi-Nagy, qui est un des scénarios de la posture victimaire). Plus encore, il a décidé de porter à son prochain ce qui lui manque, faute de temps ou de culture : les nouvelles, sinon toujours bonnes, en tout cas, distrayantes.
Toutefois, en fuyant le passé et en hypertrophiant le présent, dans ce que l’on appellera le présentisme, il refuse de se donner un avenir. En partageant des aventures intermittentes avec son amie Ella qui lui est manifestement attachée et en passant de ville en ville, il récuse corrélativemet son enracinement dans un même lieu. Or, l’espace et le temps dit l’être. En se rétrécissant à un point en mouvement ou plutôt à des sauts successifs, Kidd se réduit à une identité saltatoire. Néanmoins, celle-ci ne rime pas avec dérisoire car, redisons-le, ces missions, si ponctuelles soient-elles, sont décentrées de lui et secrètement le préparent à une fécondité plus haute : la paternité.
Pour que ce nomade aux cent terres croise en vérité cette déracinée sans terre, pour que cet homme en déficit de paternité transforme en décision la rencontre qui n’est pas qu’un hasard avec cette petite fille en déficit de filiation, il leur faudra accomplir un double chemin symétrique de deuil à l’égard de l’amour de leur vie : elle, de ses premiers parents, lui de son épouse. Mais l’itinéraire de Johanna est plus bref et plus simple que celui de Jefferson : nous sommes enfants, alors que nous devenons parents.
En vivant au jour le jour avec cette jeune fille, il découvrira qu’il est moins incapable de devenir père qu’il ne le croit. En apprenant sa langue, il se montrera, encore plus qu’il ne lui montrera qu’il est capable de se donner à elle – ce qui est l’acte inaugural de la paternité. Et en apprenant d’elle ce qui va les sauver, il recevra et se recevra d’elle – ce qui est son acte sommital.
Pascal Ide
En 1870, donc cinq ans après la fin de la Guerre de Sécession, le capitaine Jefferson Kyle Kidd (Tom Hanks), ancien officier confédéré qui a servi dans le 3e Texas Infanterie et vétéran de trois guerres, gagne maigrement sa vie en voyageant de ville en ville au Texas et en lisant des articles de journaux aux résidents locaux pour un droit d’entrée de dix cents. Après avoir quitté Wichita Falls, Kidd rencontre un wagon renversé sur la route et découvre que le conducteur, un affranchi noir, a été lynché. Il trouve également une jeune fille blanche (Helena Zengel) d’origine allemande qui ne parle que le kiowa et porte des habits kiowa. Kidd apprend grâce aux documents de la jeune fille qu’elle est Johanna Leonberger, qui avait été kidnappée et adoptée par la tribu indienne six ans plus tôt. Les troupes de l’armée de l’Union ont découvert Johanna alors qu’elles dispersaient un camp Kiowa et, grâce à l’affranchi, elle a été emmenée chez son oncle et sa tante. Une patrouille de l’armée de l’Union qui passe demande à Kidd d’emmener la jeune fille dans un avant-poste d’une ville sur la route. Kidd n’a d’autre choix que d’acquiescer.
En ville, Kidd est informé que le représentant du Bureau des Affaires indiennes de l’avant-poste sera indisponible pendant trois mois. Kidd envisage initialement de laisser Johanna aux soins de ses amis, Simon (Ray McKinnon) et Doris Boudlin (Mare Winningham). Mais, quand la jeune fille tente imprudemment de s’enfuir avec une bande d’Amérindiens en voyage lors d’une tempête, il accepte la responsabilité de la rendre à sa famille à Castroville, à environ 400 milles de là. À Dallas, Kidd s’arrête dans une auberge locale dirigée par Ella Gannett (Elizabeth Marvel), une amie intime. Ella parlant le kiowa, il apprend que la famille amérindienne adoptive de Johanna a également été tuée, faisant d’elle « une double orpheline ». Il découvre également grâce à la traduction que son nom en kiowa est Cicada, « cigale ».
Après avoir lu les nouvelles la nuit suivante, Kidd et Johanna sont abordés par trois anciens soldats confédérés qui veulent lui racheter Johanna. Kidd refuse et s’enfuit avec la jeune fille, mais les hommes le poursuivent dans le désert. La situation est dramatique, parce que Kidd est sous-armé. Mais Johanna lui montre comment se débarrasser de ses poursuivants, en montrant à Kidd que les dix sous qu’il gagne grâce à son travail pourraient être utilisés comme munitions de fortune pour son fusil de chasse.
Ils poursuivent leur voyage. Mais Kidd perd le contrôle sur une route escarpée. Perdant chariot et chevaux, Kidd et Johanna doivent continuer à pied. Après avoir enduré la chaleur et une tempête de sable aveuglante, ils rencontrent un groupe itinérant de Kiowa qui donne un cheval à Johanna. Sauvés par ce don, Kidd et Johanna atteignent finalement la ferme Leonberger. Après avoir parlé de Johanna avec la tante Anna (Winsome Brown)et l’oncle Wilhelm (Neil Sandilands), Kidd la laisse, non sans tristesse de part et d’autre.
Il poursuit sa route vers San Antonio pour visiter la tombe de sa femme Maria, décédée du choléra 5 ans auparavant alors qu’il servait dans l’armée confédérée. Alors qu’il fait ses adieux à Maria, Kidd se rend compte que Johanna est devenue sa famille, il revient vers elle. Il découvre alors que, Johanna ayant tenté de s’enfuir à plusieurs reprises, Anna et Wilhelm n’ont pas trouvé d’autres moyens que de l’attacher par le pied à un poteau. Kidd s’excuse de l’avoir laissée derrière lui et le couple demande à Johanna d’accompagner Kidd, avec qui elle est clairement beaucoup plus heureuse – d’autant que le capitaine a récemment appris à parler Kiowa.
L’on retrouve plus tard, le capitaine Kidd poursuivant sa profession de « rapporteur public », en train de lire « les nouvelles du monde » à un public dans une grande salle. Mais il le fait dorénavant avec enthousiasme et en bénéficiant de l’aide de Johanna qu’il présente comme sa fille.