La faute à Rousseau, série télévisée française dramatique, 2021 et 2022. 2 saisons, 14 épisodes (8 et 6) de 52 minutes. Adaptée de la série catalane #Philo (Merlí). En accès libre sur France 2.
Thèmes
Philosophie, sagesse.
Il est facile (et utile) d’épingler les failles des personnages – la dialectique simpliste du gentil professeur versus Charlotte (Anne Girouard), la méchante proviseure –, l’incrédibilité du scénario (comment, à l’ère de l’obsession pour le harcèlement, un enseignant aussi intrusif qui se permet d’étaler les faiblesses de ses élèves devant toute la classe ne serait-il pas depuis longtemps cloué au pilori ? Dans Pas de vague, François Civil est happé par le vortex pour dix fois moins…). Et, plus encore, pour les dérives idéologiques qui sont autant de lâches concessions à l’air du temps (l’insistance sur les tendances gay de Théo qui finit par devenir idéologique, l’assimilation des participants de la Manif pour tous à des néo-nazis, l’Église catholique comme institution ultra-conservatrice, la philosophie comme voix de la cancel culture et de la déconstruction systématique, la mère et grand-mère Éva à la fois victimaire et laxiste, etc.).
Mais, la philosophie étant rarement à l’honneur, si l’on se réjouissait de ce que, en la plaçant au centre, cette série la place aussi au cœur de la vie. Certes, il s’agit d’une pop’ philosophie où l’on insiste plus sur le « Pense par toi-même » que sur le « Lis les auteurs, et tu pourras parler ». Certes, on ne voit jamais Benjamin lire, faire étudier un classique, donner des principes de méthode ou parler d’un philosophe autrement qu’en le réduisant à une simple citation (ce qui, paradoxalement, risque de transformer la philosophie en une réserve d’arguments d’autorité, de dicta probantia). Certes, enfin, la « philo » est réduite à sa dimension éthique. Les seuls titres des épisodes suffit à l’attester – pour la première saison : la liberté, l’amour, le devoir, l’identité (réduite de manière existentialiste à la création de soi par soi), la justice, le désir, la vérité (traitée sous l’angle du mensonge) et le bonheur ; pour la deuxième saison : la responsabilité, la nature (là encore en perspective anthropologique) et le destin, la guerre, l’autorité et la famille.
Mais ne nous arrêtons pas là. D’abord, Rousseau le bien nommé n’est pas un « psy » et, en cela, il est vraiment philosophe : il convoque ses élèves à leur responsabilité, donc à leur liberté et dénonce, avec Sartre, la « mauvaise foi » des multiples excuses que leur fabriquent sciences humaines et sociales. Ensuite, Rousseau n’est pas plus une assistante sociale : c’est un professeur qui se refuse à séparer l’éducation de l’instruction, le sujet de l’objet, l’affect de la connaissance. Et qui aime ses élèves au sens le plus noble du verbe : il veut leur bien. Ni dans la fusion-séduction, ni dans la distance-indifférence.
Alors, qu’est donc la philosophie pour notre enseignant ? Comme il l’affirme au début de la deuxième saison – et beaucoup mieux que l’épisode princeps, raccoleur et provoquant, de la première –, elle est une sagesse et, redisons-le, une sagesse pratique, ce que les Grecs auxquels il n’hésite pas à revenir, appelaient la prudence. Certes, je préférerais qu’elle soit arrimée à un regard contemplatif sur les choses et une confiance dans l’universel. Mais c’est déjà beaucoup. Une sagesse qui, toujours à l’école des Anciens, n’ignore pas les vertus. Ajoutons, ce qui n’est pas rien, une sagesse que l’enseignant lui-même cherche à vivre, grandissant de concert avec ses élèves. Oh ! Benjamin Rousseau n’est pas exemplaire, avec son côté Quentin de Montargis (présentiste). Du moins est-il généreux et vulnérable. Et s’il n’est pas cohérent, il cherche tout de même à être conséquent.
Pascal Ide
Benjamin Rousseau (Charlie Dupont), quadragénaire divorcé aussi brillant qu’atypique, vit encore chez sa mère Éva (Anny Duperey) et a un fils Théo Vallon-Rousseau (Louis Duneton). Tout en étant professeur de philosophie au lycée La Fontaine, il aime venir en aide à ses élèves de terminale par la philosophie – dont Théo fait partie. De fait, chaque épisode porte sur une notion de philosophie, que Benjamin aborde en écho à une situation concrète et délicate vécue par l’un de ses élèves. Mais, s’il est particulièrement doué pour leur trouver des solutions, il est tout aussi singulièrement inapte à régler ses propres problèmes relationnels avec les femmes, par exemple, avec la professeure d’anglais, Stéphanie Garnier (Samira Lachhab), qui est amoureuse de lui.