Il reste encore demain
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Pays:
Italien
Thème (s):
Homme-Femme, Violence
Date de sortie:
13 mars 2023
Durée:
1 heures 58 minutes
Évaluation:
****
Directeur:
Paola Cortellesi
Acteurs:
Paola Cortellesi, Valerio Mastandrea
Age minimum:
Adolescents et adultes

Il reste encore demain (C’è ancora domani), drame italien de Paola Cortellesi, 2023. En noir et blanc. Avec Paola Cortellesi et Valerio Mastandrea.

Thèmes

Homme-femme, violence.

Ce beau film à succès (plus de 5 millions d’entrées en Italie) sur la libération de la femme réussit le tour de force de ne pas être un film féministe. Pourquoi ? Définissons au préalable ce terme devenu si idéologique et si militant. Conformément à son étymologie, qui convoque le suffixe « isme » réduisant la réalité au radical, le féminisme sera la doctrine et la pratique qui émancipent la femme au détriment de l’autre moitié de l’humanité, c’est-à-dire l’homme-vir, et des institutions ou des croyances aliénantes qu’il aurait soi-disant mises en place pour défendre le patriarcalisme.

 

  1. Affirmons-le d’emblée pour ne pas nous tromper de cible. Le film dénonce, et avec une force rare, la très injuste humiliation permanente de la femme.

En ses multiples manifestations : physiques (les coups), verbales (les insultes), sociales ((le jeune garçon à qui elle apprend son métier de réparatrice de parapluies reçoit déjà un salaire supérieur au sien, simplement parce qu’il est un homme), morales (Delia ne peut littéralement rien faire qu’au préalable elle ne doive en demander l’autorisation à son mari).

En ses causes elles-mêmes plurielles, dont les principales sont : du côté de l’homme, la conviction que la femme lui est ontologiquement inférieure et donc doit être à son service ; du côté de la femme, l’intériorisation de son impuissance à renverser cette aliénante discrimination, quand ce n’est pas la conviction de surcroît justifiée de cette essentielle subordination et instrumentalisation, doublée d’une absence totale d’autonomie financière.

En ses diverses conséquences dont la plus grave est l’impossible rébellion face à ce que les amies de Delia appellent justement une incarcération et l’ambivalence, voire la concession anticipée de Marcella qui, tout en reprochant à sa mère sa soumission, est tellement aveuglée par l’amour qu’elle commence déjà à accepter l’inacceptable.

La scène d’ouverture est, de ce point de vue, appelée à entrer dans les classiques. Travelling latéral. Une femme se lève, salue gentiment son mari : « Bonjour, Ivano ! » et reçoit comme unique réponse… un soufflet retentissant. Et, encore plus inattendu que l’irrecevable violence du mâle dominant contre la femme encore plus humiliée que douloureuse, éclate une musique heureuse, plus, glorieuse.

 

  1. Une fois clairement affirmé que ce film n’est en rien complice de cet intolérable machisme, comment ne pas admirer le travail de Paola Cortellesi dont c’est la première réalisation ?

Le plus patent, et peut-être le plus heureux, est la volonté efficace non pas d’euphémiser la violence, mais de la styliser et ainsi de la dédramatiser. D’abord, en se refusant à la montrer directement. Ensuite, en se limitant aux conséquences physiques (le visage meurtri) et aux causes hypocrites (la fermeture des volets). Enfin, en transformant le corps à corps de la violence dans le corps à corps de la danse.

Une autre manière, subtile, de pointer la violence sans voyeurisme consiste à en manifester la logique systémique. En effet, même justifiée socialement, même bénéficiant des multiples complicités passives, d’ailleurs, des hommes comme des femmes, cette brutalité n’est en rien assimilée. Elle ressort de multiples manières, voilées, mais patentes à qui prend du recul : l’insupportable et constante haine fratricide, gestuelle et langagière, des deux cadets ; le crépage de chignon en règle sur la place publique ; et peut-être plus encore, la chute catastrophique du dessert pendant cet affligeant repas de fiançailles.

 

  1. Pourtant, si odieux soit cet irrespirable phallocratisme, la cinéaste se refuse à le généraliser.

Il y a la figure de William, ce soldat afro-américain dont on peut soupçonner que, sans nulle interaction avec ses collègues militaires, il subit lui aussi l’exclusion dans un pays connu pour son racisme latent (je parle de l’Italie).

Il y a aussi la figure délicate de Nino, le mécanicien qu’elle a aimé et dont la réalisatrice, avec une délicatesse toute fellinienne (je songe ici à La Strada), sait montrer qu’il l’aime toujours. De même qu’elle sait dénoncer Tanatos sans en étaler la violence, de même sait-elle célébrer Érôs en préservant notre pudeur. Comique et pudique métaphore du désir que ce chocolat jubilatoire qui remplit la bouche et fait virevolter le corps.

J’oserais ajouter le personnage du beau-père qui, certes, reproche à sa bru de ne pas être une cousine et de ne pas savoir se taire, mais se permet aussi de faire la leçon à son fils et, en troublant le repas de fiançailles, révèle toute l’hypocrisie de ces futures noces tout en tentant de les décourager.

 

  1. Mais, bien entendu, le plus inattendu et le plus réussi réside dans le coup de théâtre final. Dans sa puissance de révélation, il atteste plusieurs choses.

Avouons-le, nous nous sommes laissés totalement surprendre. Qui ne s’est pas trompé en pensant que Delia trompait son mari ? Comment ne pas saluer ce si heureux retournement de situation qui a su se préparer tout au long du film sans jamais se démasquer et accumuler les preuves en faveur de la fausse piste ? Le plaisir du twist s’en trouve redoublé.

La péripétie révèle aussi la réconciliation attendue entre la fille si prompte à juger sa mère et s’aveugler sur ses propres angles morts, et Delia si humblement discrète sur ses multiples actes d’amour qui sont autant de victoires intérieures sur la violence conjugale – mais aussi, le cas échéant, de spectaculaires réussites comme cette explosion aussi réelle que symbolique de la boutique qui à la fois libère Marcella et anéantit l’injuste enrichissement de la future belle-famille.

Il témoigne également de l’intelligence et de la résilience supérieures de cette femme, ce qui est la meilleure réponse à l’accusation répétée de sa sottise politique. Cette sagesse éclate dans son ingénieuse réponse à l’insoluble dilemme qui se pose à elle : partir avec Nino, mais abandonner ses enfants (c’est impensable) ; demeurer et s’abandonner à la violence conjugale (c’est tout aussi inconcevable). Ce triomphe collectif des femmes est aussi la consécration personnelle de Delia. Ce que symbolise son emplacement sur la marche supérieure, son silence si éloquent et la quasi-débandade désemparée du mari. Désormais, la vie ne sera plus la même.

Ce final montre aussi que, en se refusant de condamner le mariage, plus, en laissant entendre la conviction de Delia qui explique à sa fille que les épousailles sont non seulement une belle chose, mais un engagement pour toujours, la cinéaste n’a pas cédé au ressentiment.

Mais l’enseignement le plus riche ne réside-t-il pas dans l’étonnement que le retournement final suscite dans le cœur du spectateur et donc en révèle ? Déjà, en montrant que plus importante que la seule libération personnelle de Delia est l’affranchissement social de la condition féminine, ne dénonce-t-il pas notre insidieux individualisme et notre dramatique perte du sens du bien commun ? Surtout, ne montre-t-il pas notre secrète complicité avec la violence ? Une partie de nous-même n’attendait-elle pas, au minimum, son départ, au maximum, une sanglante révolte ? Notre surprise éventuellement doublée de notre frustration ne disent-elles pas quelque chose de notre désir de faire payer à Ivano toutes les violences commises à l’égard de Delia ?

 

On imagine ce qu’une telle histoire serait devenue entre les mains d’un vidéaste français, toujours si prompt à faire la leçon et à sombrer dans la revendication catégoriale ! Il ne se serait pas contenté d’humilier – osons-le dire, se venger de – « l’homme », en l’occurrence Ivano, il aurait aussi volontiers dénoncé la complicité de l’institution ecclésiale. Ou bien, ce qui serait un remède pire que le mal, aujourd’hui trop souvent adopté, il se serait contenté de montrer la violence, ses causes honteuses et ses conséquences ravageuses, sans offrir quelque issue, tant l’espoir serait une drogue anesthésiante.

Mais concrétisons notre propos en comparant le film de Paola Cortellesi avec le récent long-métrage de Teddy Lussi-Modeste (Pas de vagues, 2024). Tous deux nous décrivent par le menu et au quotidien les injustices subies par des personnes qui se refusent à adopter une posture victimaire, et donc nous éclairent sur les mécanismes pervers du pouvoir (patriarcal d’un côté ; institutionnel de l’autre). Mais ils diffèrent radicalement en ce que l’un propose une issue heureuse, alors que l’autre s’y refuse. En ce que l’un met en scène une espérance (dont le titre pourrait être le mot d’ordre), plus, une victoire – le tout sur fond de légèreté –, alors que l’autre nous introduit dans un univers claustrophobe et interdit consciencieusement tout échappatoire. Résultat : en sortant du cinéma, le spectateur de Pas de vagues est déprimé et celui de Il reste encore demain énergétisé.

Pascal Ide

En mai 1946, Rome est divisée, comme le reste de l’Italie, entre la pauvreté et les tragiques dévastations laissées par la Seconde Guerre mondiale, les unités militaires alliées qui sillonnent les rues et le désir de changement, alimenté par l’imminence du référendum institutionnel et l’élection de l’Assemblée constituante les 2 et 3 juin. Delia Santucci (Paola Cortellesi) est mariée à Ivano (Valerio Mastandrea), qui la bat régulièrement, la harcèle et l’humilie continuellement. Le couple héberge le père d’Ivano, Sor Ottorino (Giorgio Colangeli), un homme autoritaire dont elle doir ptendre soin, et a trois enfants : l’aînée, Marcella (Romana Maggiora Vergano), qui est sur le point de se fiancer, méprise sa mère pour la passivité avec laquelle elle subit la violence conjugale ; les deux cadets qui ne cessent de se disputer.

La journée de Delia se partage entre les tâches ménagères et divers emplois sous-payés : couturière, raccommodeuse de sous-vêtements, femme de chambre et soignante à domicile, réparatrice de parapluies. Ses seules sources de réconfort sont son amitié avec Marisa (Emanuela Fanelli), une vendeuse de fruits pleine d’esprit et d’optimisme, et avec Nino (Vinicio Marchioni), pour qui elle a eu une tendre affection dans le passé, complètement oubliée au fil des ans. Nino est un mécanicien et un ancien partisan qui lui propose de l’accompagner en Lombardie pour y trouver de meilleures opportunités de travail et de vie.

Un jour, Delia rapporte une photo de famille à un soldat américain William (Yonv Joseph), qui la remercie et lui offre du chocolat. Après plusieurs rencontres, il propose de l’aider après avoir remarqué les bleus sur son corps. Elle reçoit également une lettre secrète qu’elle a d’abord l’intention de jeter, mais qu’elle décide ensuite de conserver, y puisant la force de réagir progressivement à son état. Entre-temps, Marcella organise son mariage avec Giulio Moretti (Francesco Centorame), le jeune descendant d’une famille enrichie pendant la guerre qui possède un bar dans le quartier. Ivano voit d’un bon œil le gain financier qui pourrait résulter de ce mariage. À l’issue d’un déjeuner gênant avec sa belle-famille en raison de la vulgarité d’Ivano, des disputes perpétuelles des enfants et du du comportement grincheux d’Ottorino, Giulio demande Marcella en mariage, ce qu’elle accepte.

Cependant, en assistant à une scène au cours de laquelle Giulio menace Marcella, Delia se rend compte que sa fille devra faire face à un mariage semblable au sien, entre harcèlement et humiliation. Avec l’aide de William, elle décide de faire exploser le bar de son futur gendre, de sorte que ses parents tombent dans la misère et sont contraints de quitter la ville. Marcella est dévastée.

Delia semble décidée à échapper à Ivano, en acceptant l’invitation de Nino à s’enfuir ensemble le dimanche 2 juin. En vue de son évasion, elle a préparé un chemisier neuf, mis de l’argent de côté et caché un sac afin de sortir de la maison sans éveiller la méfiance. Mais le même jour, son beau-père Ottorino meurt subitement. Elle décide de l’ignorer, ment à Ivano en lui disant que son père dort et presse la famille d’aller à la messe. Elle a projeté de s’enfuir juste après la messe, en prétextant devoir faire des piqûres en urgence aux voisins de Marisa. Mais son plan s’effondre, lorsque l’ami de son beau-père le découvre mort dans son lit et court avertir la famille de la macabre découverte.

Ivano est le seul de la famille à être ébranlé par la perte de son père, et décide d’organiser la veillée funèbre le soir même. Delia est donc obligée de rester. Elle essaie à nouveau de convaincre Ivano de la laisser partir, pour aller chez les voisins de Marisa. Mais celle-ci se présente avec son mari à la veillée funèbre, empêchant ainsi cette nouvelle tentative d’évasion.

Le lendemain, avant de sortir, Delia part dès potron-minet, bien décidée à laisser la maison. Non sans avoir laissé l’argent qu’elle a économisé à Marcella pour lui permettre d’étudier – contre l’avis d’Ivano estimant qu’une femme ne devait pas étudier. Mais aussi non sans perdre un secret papier dont on devine qu’il est de première importance quand, en le découvrant tout aussi fortuitement, Ivano furieux part à sa recherche. Alors que tout donne à penser qu’il s’agit d’un billet doux et qu’elle va retrouver Nino pour fuir l’enfer familial, on découvre en fait que, depuis le début, son projet est de se rendre secrètement aux urnes pour choisir entre la monarchie et la république et ainsi élire l’Assemblée constituante. Et que le billet est une carte d’électrice. Comme les autres femmes d’Italie, il s’agit de sa première expérience de vote, à laquelle Ivano ne peut que s’opposer. Tout serait perdu si Ivano n’avait jeté cette carte en sortant de la maison et si Marcella ne l’avait trouvé. Comprenant tout, elle se met à son tour à la recherche de sa mère. Arrivera-t-elle avant Ivano ?

Oui ! Elle la lui rend à temps pour qu’elle puisse voter. Voyant Ivano marcher d’un bon pas vers elle, Delia pense à s’enfuir, mais au dernier moment elle s’arrête et se retourne pour le regarder, imitée par les autres femmes présentes, lèvres pincées. Intimidé, son mari tourne les talons.

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