La place unique de saint Irénée selon le Père Lebreton

Le Père Jules Lebreton situe l’apport original de saint Irénée (mort en 202) à l’égard des époques antérieure et postérieure, avant de le signifier en propre [1].

Par rapport à avant

Le grand patrologue distingue premier et deuxième siècle comme Révélation (ou source) et Tradition (ou continuation). « Le premier siècle était le siècle de la révélation ; le deuxième siècle peut être considéré comme le siècle de la tradition : tradition qui s’affirme chez les Pères apostoliques ; tradition qui, chez les apologistes, se fait conquérante ; tradition qui, chez Irénée, se défend contre la gnose ».

Par rapport aux siècles suivants

La caractéristique de ce siècle est que le « travail de conservation et de défense n’est pas encore provoqué par les grandes luttes qui marqueront le troisième siècle ». En effet, les siècles suivants seront menacés de l’intérieur par des hérésies trinitaires : ceux qui formuleront le modalisme, le monarchianisme, le patripassianisme, le sabellianisme se présenteront comme des chrétiens et prétendront demeurer dans l’Église tout en en déformant le dogme central. Or, si le deuxième siècle est loin d’ignorer les hérésies et les attaques, celles-ci ne touchent pas l’être trinitaire de Dieu : notamment, la gnose méconnaît Dieu ; le marcionisme, quant à lui, est totalement étranger à l’Église et attaque le Dieu Trinité de l’extérieur. La conséquence en est un moment de pureté, de paix qui permet à l’Église de pouvoir s’approprier le trésor de sa foi.

De plus, le troisième siècle sera marqué par une attaque redoutable de l’hellénisme dans la présence de Plotin, de sa philosophie religieuse. D’ailleurs, à cette attaque doctrinale se joindra une attaque massive et brutale de l’empereur Dèce qui, par ses persécutions, tentera de décimer l’Église. Or, la pensée plotinienne se présente sous la forme d’une vaste synthèse prétendant comprendre l’homme, l’univers et l’Absolu (ici l’Un) dans un unique système. Aussi la réponse chrétienne ne pourra plus se contenter du sens très grand du mystère présent chez un saint Irénée ; elle devra mettre en place, pour la première fois, une synthèse. Ce sera l’œuvre des Alexandrins, au premier chef Origène. Quelle que soit la réserve de l’accueil ultérieur, des disciples incontestables l’ont profondément vénéré et furent extrêmement marqués par lui : Grégoire le Thaumaturge, Grégoire de Nazianze, Basile de Césarée.

Le deuxième siècle en propre

Face à la témérité des gnostiques, saint Irénée veille surtout à protéger l’absolu du Mystère. A d’autres les synthèses, l’harmonisation avec la foi. La mission de l’évêque de Lyon fut de préparer la foi chrétienne au combat intérieur qui va la menacer. En effet, nous sommes ici comme dans une période de latence, de possession relativement tranquille, paisible de la foi ; or, ces périodes favorisent l’appropriation et préparent au combat.

Tel fut « le rôle providentiel » de saint Irénée :

 

« à la veille des luttes intestines que les hérétiques allaient soulever, à la veille du grand assaut que l’hellénisme allait livrer, il dressa l’Église tout entière, sous la conduire de ses chefs, et la sauvegarde de sa règle de foi, pour la défense du dépôt confié par le Christ. Ce dépôt, nul docteur ne l’a jamais ni plus fermement étreint ni mieux aimé [2] ».

Pascal Ide

[1] Histoire du dogme de la Trinité des origines au Concile de Nicée, coll. « Bibliothèque de théologie historique », Paris, Beauchesne, tome 2. De Saint Clément à Saint Irénée, 1928, p. 615-617.

[2] Histoire du dogme de la Trinité des origines au Concile de Nicée, coll. « Bibliothèque de théologie historique », Paris, Beauchesne, tome 2. De Saint Clément à Saint Irénée, 1928, p. 617.

8.8.2024
 

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