Le bruit, frère jumeau du biais. Deux blessures de l’intelligence 3/3

D) Les différentes espèces de bruit

Nous avons vu que le bruit est une erreur de jugement liée à la variabilité. Or, l’on peut distinguer différentes composantes en celle-ci [1].

1) La distinction entre bruit de niveau et bruit de pattern

a) Un exemple

Pour comprendre cette distinction, Kahneman part de l’exemple du bruit qui fut audité chez les juges. En 1981, une étude fut publiée en vue de réformer la variabilité si injuste des peines infligées pour un même délit [2].

Sans entrer dans tout le détail, disons que les auteurs de l’étude ont isolé 16 descriptions simplifiées d’affaires criminelles où le prévenu, jugé coupable, devait être condamné. Puis, ils ont réalisé des entretiens très structurés de 208 juges fédéraux en activités : en 90 minutes, ils examinaient les 16 cas et fixaient la peine.

Les chercheurs observèrent d’abord, sans étonnement, une variabilité et une grande variabilité : en l’occurrence une différence moyenne de 3,8 ans pour une peine moyenne de 7,0 ans. Ce qui est considérable en soi et « inacceptable [3] » pour le prévenu – d’autant que « le niveau de bruit auquel les prévenus sont soumis dans un vrai tribunal est plus grand encore [4] ».

Surtout, et c’est ce point nouveau qui nous intéresse, les enquêteurs ont repéré deux facteurs distincts dans la différence observée.

Le premier est la disposition des juges à prononcer des peines plus ou moins sévères. En effet, c’est une évidence pour tous, certaines personnes ont des jugements plus généreux et d’autres des évaluations plus indulgentes. En creux, cette diversité ne tient pas à l’objectivité du droit ou à la justice, mais à la personne du magistrat. Elle s’explique par les différentes « composantes » de la personne dans sa différence avec les autres : géographique (innée ou structurelle) et historique (acquise ou fonctionnelle). On sait par exemple qu’un juge basé dans les États du Sud ou un républicain prononce des peines de prison significativement plus longues que son homologue d’autres États ou démocrate. Pour une raison que nos auteurs n’explicitent pas, cette différence entre juges s’appelle bruit de niveau.

Or, l’étude a permis de préciser la part qui est liée au juge dans la différence moyenne dont nous avons vu qu’elle est de 3,8 ans : 2,4 ans. C’est donc qu’un autre facteur joue aussi un rôle qui n’est pas négligeable. Kahneman appelle bruit de pattern cette seconde composante. En effet, on observe que les juges ne sont pas aussi sévères dans toutes les affaires qu’ils traitent. Or, la motivation qui les conduit à ces jugements est liée à leur pattern. Par exemple, un juge a sa représentation du prévenu qui peut lui rappeler quelqu’un d’aimable ou de haïssable. Quoi qu’il en soit, voilà pourquoi l’on parle d’erreur (ou de bruit) de pattern.

b) Exposé

Je dois dire que les deux appellations – bruit de niveau et bruit de pattern – n’aident pas à la bonne compréhension de leur différence. D’une part, elles ne possèdent pas de sens transparent – d’autant que le terme pattern, propre à la langue anglaise, ne possède pas de traduction adéquate (comme insight). D’autre part, elles ne contiennent pas un critère permettant de nommer le caractère exclusif et exhaustif, donc dichotomique, de la distinction.

Si je comprends bien autant la première différence ou variabilité est interindividuelle, autant la seconde est intraindividuelle.

2) La subdivision des bruits de pattern en stable et occasionnel

Les chercheurs distinguent deux espèces de bruit au sein du genre bruit de pattern : ceux qui sont occasionnels [5] et ceux qui sont stables. Comme l’adjectif qui, ici, est limpide, le critère de différenciation est temporel. Les premiers sont liés à des effets transitoires et les seconds à des effets durables.

Nous pouvons expérimenter nous-même le bruit occasionnel en mesurant plusieurs fois de suite un intervalle de temps de 10 secondes. Nous observerons que nos jugements vont légèrement différer. Un exemple plus marquant est la différence dans les tirs au but ou les lancers francs. Pour ces derniers, dans les matchs de la NBA (le championnat professionnel américain), le joueur réussit environ trois lancers francs sur quatre ; même les meilleurs joueurs ne réussissent qu’un peu plus de 90 % [6]. Or, personne, le joueur y compris, ne peut prévoir s’il réussira son prochain lancer franc. Il s’agit donc véritablement de cette loterie que nous avons appelé bruit, ici personnel, donc de pattern, et transitoire, donc occasionnel.

3) Conclusion

Résumons ces distinctions en un arbre récapitulatif. Les erreurs ou blessures de l’intelligence se répartissent de la manière suivante :

 

+ Erreur d’un seul jugement ou biais cognitif

+ Variabilité entre les jugements ou bruit (ou bruit systémique)

+ + Le bruit de niveau

+ + Le bruit de pattern

+ + + occasionnel

+ + + stable

 

Nos chercheurs concluent de leur longue enquête que « le bruit de pattern stable est la plus importante des composantes du bruit systémique [7] ». Et comme, selon eux, le bruit intervient majoritairement sur le biais dans l’erreur, la cause première de la blessure est donc le bruit de pattern stable.

E) Quelques mécanismes

Après avoir proposé un diagnostic symptomatique, Kahneman, Sibony et Sunstein élaborent un diagnostic étiologique et donc explorent les différentes causes (et mécanismes) du bruit, dans la troisième et la quatrième parties de leur ouvrage.

1) La variabilité intrinsèque des jugements

a) De multiples exemples

Nous en avons vu de multiples exemples dans la partie inductive. En voici encore quelques autres. Dans un grand concours de vins qui se déroulait aux États-Unis, les œnologues ont noté les mêmes vins à deux reprises. Or, ils donnèrent une note identique à seulement 18 % des vins [8]. De même, on demande à des informaticiens expérimentés d’évaluer le temps nécessaire à l’accomplissement d’une tâche identique à deux occasions différentes. Or, ils ont donné deux estimations très disparates [9].

b) Un exemple similaire très significatif

Une confirmation analogue et en même temps plus générale éclairera ce qui est en jeu : elle concerne les processus de mémorisation. Une équipe de l’université de Pennsylvanie dirigée par Michael Kahana a demandé à 79 sujets de participer, jour après jour, à 23 sessions successives. Pendant ces sessions, ils ont dû mémoriser des mots issus de 24 listes comprenant chacune 24 mots. Et les chercheurs ont évalué leur performance mnésique à partir du pourcentage de mots mémorisés.

En fait, l’intention de l’étude n’était pas de mesurer les différences interindividuelles, mais les variabilités intra-individuelles, c’est-à-dire la fluctuation des performances chez un même participant. L’équipe s’est par exemple demandé si la performance variait : selon la forme physique du sujet, sa qualité de sommeil la nuit précédente, l’heure de la journée, le moment de la session, sa fatigue, son ennui, le type de liste de mots ? Or, ainsi qu’on l’observe les paramètres couvrent l’ensemble de la situation : les personnes, les choses (les listes), le temps, etc. De plus, un modèle intégrait toutes ces variables.

Or, même en prenant en compte toutes ces composantes, le résultat fut que ce modèle n’expliquait les variations de performance d’un même sujet qu’à raison de… 11 %. Conclusion des chercheurs : « Nous avons été stupéfaits de voir qu’une très grande part de la variabilité demeurait inexpliquée, même une fois que les effets de toutes nos variables prédictives étaient pris en compte [10] ». Certes, il y avait des régularités. Notamment, le meilleur prédicteur du score était le résultat de la mémorisation de la liste immédiatement antérieure ; concrètement, un sujet qui avait brillamment réussi avait plus de chance de retenir aussi brillamment la liste suivante (et vice versa si la performance avait été médiocre). Toutefois, si on élargissait l’observation à toute une session, donc à de nombreuses listes, les résultats, eux, fluctuaient de manière considérable et sans cause extérieure identifiable, donc de manière aléatoire.

Or, la mémorisation présente de nombreuses analogies avec le jugement : c’est un acte de connaissance ; elle est souvent intellectuelle ; elle est soumise à des variations de performance ; elle est liée à de nombreux facteurs qu’il est possible d’analyser dans un environnement très contrôlé. L’on peut donc conclure que le bruit occasionnel observé pour le processus de mémorisation vaut aussi pour le jugement. Autrement dit, celui-ci est soumis à une grande variabilité. Et puisque les causes extérieures lui sont en grande part étrangères (leur élimination ne l’élimine pas), il faut donc en déduire que ces tâches cognitives sont douées d’une fluctuation intrinsèque. Ce que l’analyse philosophique va appeler contingence.

2) Le besoin de cohérence

Une méta-étude a fait une synthèse de 41 enquêtes sur la variabilité intra-individuelle des jugements professionnels. Elle a montré que, le plus souvent, les experts émettaient en général le même jugement à quelque temps de distance, dans une même session de travail. Bref, qu’ils étaient d’accord avec eux-mêmes. En termes techniques, nous observons donc une loi de stabilité ou de fidélité test-retest [11].

3) La sagesse de la foule

a) Expérimentation
1’) Une première expérience

Des centaines d’enquête ont établi ce que l’on appelle l’effet « sagesse de la foule » : la moyenne des jugements indépendants élimine le bruit d’un jugement individuel [12]. Si la question n’est pas insurmontablement difficile, la foule tombe souvent juste. Par exemple, si l’on demande à un grand nombre de personnes le nombre de bonbons présents dans un bocal transparent, de prévoir la température qu’il fera dans une semaine ou d’estimer la distance entre deux villes de leur pays, la réponse médiane est fréquemment proche de la vérité [13]. Cela est même vrai pour un savoir plus spécialisé, à partir du moment où la foule a quelque compétence dans ce domaine. C’est ainsi que, en 1907, Francis Dalton a demandé à 787 villageois présents à une fête agricole d’estimer le poids d’un bœuf. Il était de 1 198 livres. Or, si aucun ne tomba juste, la moyenne fut de… 1 200, ce qui est très proche de la vérité.

Or, la foule interrogée est à la pluralité synchronique ce que la même personne interrogée plusieurs fois d’affilée est à la pluralité diachronique. Ainsi deux chercheurs, Edward Vul et Harold Pashler, ont décidé de tester la sagesse de notre foule intérieure. Pour cela, ils ont posé à des sujets un certain nombre de questions qui appelaient une réponse en pourcentage et dont les participants, de prime abord, ne pouvaient pas avoir la réponse. Ils demandaient par exemple : « Quelle proportion des aéroports de la planète se trouve-t-elle aux États-Unis ? », la réponse étant échelonné entre 1 % et 99 % (à titre de curiosité, sachez la réponse précise est 32 % [14], ce qui n’est pas immédiatement déductible, puisqu’on y trouve moins de 5 % de la population mondiale). Puis, après une première réponse, les enquêteurs posaient à nouveau la question. Ils cherchaient à tester l’hypothèse suivante : la moyenne des deux réponses successives serait plus juste que chacune d’entre elles.

Résultat : si la première réponse était souvent plus proche de la vérité que la seconde, en revanche, la moyenne des deux était la meilleure estimation [15].

2’) Affinement par la réestimation dialectique

Indépendamment de cette recherche et presque concomitamment, deux scientifiques allemands, Stefan Herzog et Ralph Hertwig ont proposé une expérience légèrement différente, faisant appel à une technique qu’ils ont intitulée « réestimation dialectique ». Ils ont aussi posé à des sujets deux fois la même question [16]. Mais, la deuxième fois, ils ont demandé au participant qu’il formule l’estimation la plus différente de la première tout en demeurant véridique ou plausible. Le résultat fut que la moyenne des réponses fut plus proche de la vérité. Il y a plus. Dans cette expérience, le gain de vérité est supérieur à celui de la première expérience. En revanche, il est inférieur de la moitié de celui qu’apporte le jugement d’une personne différente. La foule intérieure est tout de même moins sage que la foule extérieure. Victoire de l’altérité !

b) Interprétation

Bien entendu, l’expérience d’Herzog et Hertwig s’explique d’abord par le fait que, en demandant la réponse plausible la plus différente, elle requiert une réflexion active mobilisant les informations qui n’avaient pas été prises en considérations lors de la première interrogation. Or, une seconde réponse passive ne les prend pas en compte. Il est donc normal que la seconde expérience rapproche les participants de la vérité.

Cette passionnante expérience peut aussi être interprétée métaphysiquement, en l’occurrence, comme une expression de la loi de totalisation.

c) Conséquence pratique

Ces passionnantes observations invitent à différentes applications pratiques qui sont autant de moyens pour réduire le bruit occasionnel. Le prochain paragraphe va y revenir. Relevons seulement ici les quatre instructions que donnaient Herzog et Hertwig. Elles pourraient être transformées en règle d’hygiène anti-bruit :

 

« 1. Partez du principe que votre première estimation est loin du compte.

  1. Demandez-vous pourquoi. Lesquelles de vos hypothèses et de vos considérations peuvent-elles avoir été fausses ?
  2. Qu’impliquent ces nouvelles considérations ? Votre première estimation était-elle trop élevée ou trop basse ?
  3. À partir de cette perspective nouvelle, proposez une nouvelle estimation [17]».

F) Quelques remèdes

Chemin faisant, nous avons déjà traité (sic !) d’un certain nombre de mesures thérapeutiques vis-à-vis du bruit (en incluant aussi quelques biais [18]). Reprenons cette question de manière plus générale. Kahneman et ses collègues consacrent les deux dernières parties de leur ouvrage, soit pas moins des deux cinquièmes à explorer les moyens de traiter les bruits. Double est le traitement : curatif (cinquième partie) et préventif (sixième partie). Il est hors de question d’entrer dans le détail. Le premier pas vers la guérison est la reconnaissance de la maladie. Nous nous limiterons à quelques moyens touchant le diagnostic de ces erreurs et à leur remède proprement dit.

1) Diagnostiquer les biais

Outre les deux dernières parties dont nous avons dit qu’elles exposent des moyens pour améliorer les jugements, Kahneman et ses collègues proposent un certain nombre de moyens pour corriger les bruits (et les biais) dans trois annexes auxquelles nous renvoyons [19].

Un certain nombre de questions permettent de détecter la présence des biais les plus fréquents lors d’une prise de décision complexe, qui peut donc être soumise à ces scotomes [20]. On peut les distinguer selon les trois grands moments du discernement que sont l’intention, la délibération et la décision. Cette liste d’interrogations thérapeutiques autant qu’éthiques sont donc autant de moyens pour nommer les blessures de l’intelligence pratique.

a) Biais touchant l’intention
1’) Questions détectant un biais de substitution

– Le choix des informations utilisées par le groupe et leur discussion indiquent-ils qu’une question plus facile a été substituée à la question difficile qui leur était posée ?

– Le groupe a-t-il négligé un facteur important ou donné du poids à un facteur qui ne l’est pas ?

2’) Questions détectant un biais d’« endogamie »

Autrement dit, un manque de vision externe :

– Le groupe a-t-il adopté une vision externe et essayé sérieusement d’utiliser cette vision externe pour formuler des jugements relatifs, plutôt qu’absolus ?

3’) Questions détectant un biais d’uniformisation

– Y a-t-il une raison de penser que les membres du groupe partagent des biais qui pourraient se traduire par une corrélation de leurs erreurs ?

– Inversement, y a-t-il une expertise ou un point de vue importants qui ne sont pas représentés dans ce groupe ?

b) Biais touchant la délibération

Il s’agit de l’enquête collectant les informations menant à la décision

1’) Questions détectant un biais d’indisponibilité des données

– Les participants exagèrent-ils la pertinence d’une information ?

– Les raisons de cet excès peuvent être soit objectives, liées à l’événement source de l’information (ou qu’il soit plus récent ou qu’il soit plus spectaculaire, donc plus prégnant), soit subjectives (il entraîne une plus grande résonance personnelle).

2’) Questions détectant un biais d’ancrage

– Des chiffres dont la pertinence ou l’exactitude sont douteuse jouent-ils un rôle important dans le jugement final ?

3’) Questions détectant un biais d’inattention

– Le jugement repose-t-il fortement sur des anecdotes, des histoires ou des analogies ?

– Si c’est le cas, des données plus complètes confirment-elles la représentativité de ces éléments ?

4’) Questions détectant un biais de prédiction non régressive (par équivalence)

– Les participants ont-ils fait des extrapolations, des estimations ou des prévisions intuitives qui ne tiennent pas compte de la régression vers la moyenne

c) Biais touchant la décision

Avant la prise de la décision. Questions détectant un préjugement

1’) Un préjugement initial

– Les décideurs (ou certains) ont-ils plus à gagner d’une conclusion que d’une autre ?

– Quelqu’un est-il déjà convaincu d’une conclusion ? Y a-t-il des raisons de suspecter la présence de préjugés ?

– Les opposants à une opinion ont-ils pu exprimer leurs opinions ?

– Y a-t-il un risque d’escalade de l’engagement dans une voie sans issue ?

2’) La décision elle-même

a’) Le biais du planificateur

– Quand des prévisions ont été utilisées, a-t-on posé des questions sur leurs sources et leur validité ?

– La vision externe a-t-elle été utilisée pour mettre en perspective ces prévisions ?

– A-t-on utilisé des intervalles de confiance pour les chiffres incertains ? Sont-ils assez larges ?

b’) Le biais d’aversion à la perte

– L’appétence pour le risque des personnes qui prennent les décisions est-elle alignée sur celui de l’organisation ?

– Ces personnes sont-elles pusillanimes (c’est-à-dire pèchent-elles par défaut d’initiative) ?

c’) Le biais pour le présent

– Les calculs (y compris le taux d’actualisation utilisé) reflètent-ils l’équilibre entre les priorités de court et de long terme de l’organisation ?

3’) Après la prise de la décision

Ces questions détectent une conclusion prématurée. Or, celle-ci relève du péché contre la prudence appelée précipitation.

– Y avait-il un biais accidentel dans le choix des éléments qui ont été discutés les premiers ?

– D’autres choix possibles ont-ils été pleinement pris en considération ? A-t-on activement recherché des éléments qui permettraient de les étayer ?

– Des données ou des opinions gênantes ont-elles été négligées ou étouffées ?

2) Réduire les biais ou le traitement curatif

a) La réduction des biais déjà connus

Prenons l’exemple d’un pèse-mesure qui ajoute cinq cents grammes à votre poids. Comme le biais conduit à une erreur de jugement, l’on peut qualifier cette balance de biaisée. Soit l’on ignore qu’elle est faussée, et l’on ne peut que se tromper. Soit l’on apprend qu’elle l’est, par exemple par rapport à une autre balance. Il y a alors deux manières de remédier à l’erreur de jugement qu’elle induit : ou bien l’on ôte la livre au chiffre lu lors de la pesée ; soit on règle le cadran une fois pour toutes. La première méthode se fait après l’erreur de jugement, donc est dite ex post, la deuxième corrige en amont, donc, avant que le jugement soit posé, donc est dite ex ante. Reprenant l’analogie de la médecine, l’on pourrait aussi qualifier le premier remède de symptomatique, le second d’étiologique.

Chacun des deux traitements présente ses avantages et ses inconvénients. Si le premier doit être répété à chaque pesée, au risque d’oublier de le faire, il est léger dans son application. Si le second, remontant à la cause, est appliqué une fois pour toutes, toutefois, il est plus lourd et délicat dans son exercice.

Appliquons maintenant cette analogie à la question des biais de jugement (c’est-à-dire de décision).

1’) Les réductions de biais ex post

Elles opèrent selon deux modes : spontané ou réfléchi.

a’) Les réductions spontanées

Nous corrigeons souvent les biais ex post de manière spontanée. Par exemple, vous supervisez une équipe qui estime qu’elle devrait mener son projet à bien en trois mois. Votre expérience vous montre que ces durées sont souvent bien sous-estimées. Vous rectifiez alors spontanément le délai en lui ajoutant un mois. Ajoutons une vigilance : encore faut-il que, connaissant le planificateur, l’équipe elle-même n’ait pas anticipé la marge de sécurité supplémentaire qu’il donne habituellement ! Voire qu’elle ait consciente de l’avoir fait et n’ait pas agi par simple habitude…

b’) Les réductions réfléchies

Cette réduction peut aussi opérer de manière réfléchie. En effet, pour reprendre le précédent exemple, celui-ci a été formalisé sous l’appellation de biais optimiste du planificateur. C’est ainsi que, en Angleterre, le ministère des Finances a publié pour l’évaluation des projets où il suggère aux planificateurs de prévoir les coûts et durées des projets, en ajoutant un certain pourcentage aux estimations initiales de son équipe [21].

2’) Les réductions de biais ex ante

Ces débiaisements se subdivisent aussi en deux : nudges et boosting.

a’) Les actions sur l’environnement ou nudges

Un ouvrage a été consacré à ce mécanisme par Richard Thaler, un autre prix Nobel d’économie disciple de Kahneman [22].

Partons d’une analogie, voire d’un exemple. Par ignorance, par biais d’optimisme ou par paresse (procrastination), beaucoup de salariés ne souscrivent pas à un plan d’épargne-retraite qui pourtant, leur permettrait d’avoir un meilleur niveau de vie lorsqu’ils atteindront la retraite. Pour remédier à cet inconvénient, certaines entreprises procèdent à une inscription automatique des employés. Or, cette action ne nie pas leur liberté, puisqu’ils peuvent se désinscrire à tout moment. Donc, l’entreprise propose un rectificatif à partir de l’environnement de la personne ou sur ce qu’on appelle l’architecture du choix, donc agit médiatement et non pas sur lui (et la personne). Autrement dit, elle lui donne un coup de pouce (nudge, en anglais). Tel est, plus généralement, le cas des choix par défaut.

b’) Les actions sur les personnes ou boosting

Autant la première approche agit médiatement sur la personne, autant celle-ci intervient immédiatement sur elle et son choix. En l’occurrence, elle consiste à la former pour la rendre capable de détecter et surmonter ses biais. Or, le boosting (terme anglais qui, par anglicisme, est devenu aussi français) est l’opération permettant de démarrer une voiture par une batterie d’appoint ou des câbles volants, bref joue le rôle d’un démarrage-secours. Voilà pourquoi certains auteurs ont nommé cette procédure boosting [23].

Cette approche requiert un apprentissage, notamment pour transférer une connaissance d’un domaine à un autre. En effet, Carey Morewedge, de l’Université de Boston, a enseigné les erreurs commises par différents biais cognitifs comme la confirmation ou l’ancrage, En utilisant des jeux et des vidéos, et en procédant à des feedbacks. Or, les résultats ont montré que le nombre d’erreurs par biais commises par les participants diminuait non seulement pendant l’apprentissage, mais encore huit semaines plus tard [24]. L’expérience a été confirmée par Anne-Laure Sellier, d’HEC Paris [25].

Toutefois, cette méthode qui demande une formation [26], notamment en statistique, est lourde et pas toujours totalement efficace. Une étude a porté sur des prévisionnistes en météorologie. Ceux-ci ont appris à calibrer ses prévisions en évitant les excès de confiance. Concrètement, s’ils annoncent qu’il y a 40 % des chances qu’il pleuve, leur pourcentage est souvent adéquat. Pourtant, si on leur pose une question en culture générale, leur jugement sera aussi biaisé par l’excès de confiance que n’importe qui d’autre [27].

b) La réduction des biais inconnus : l’observateur de la décision
1’) Limite des méthodes précédentes

Ces différentes corrections, ex post ou ex ante, par nudge ou par boosting, sont valables pour les biais qui sont uniques et connus. Mais elles ne peuvent s’appliquer lorsqu’on ignore le biais qui est à l’œuvre ou s’il y en a plusieurs. Par exemple, lors d’une prise de décision intervient souvent un autre biais, l’aversion à la perte : une équipe de décideurs peut hésiter à prendre des risques par crainte de perdre la mise à initiale. De plus, ce biais est puissant et peut intervenir encore davantage que le biais d’optimisme.

De plus, n’oublions pas cette loi générale : la plupart des personnes sont inconscientes de leur biais cognitif. Ce méta-biais fameux porte un nom : le point aveugle des biais [28]. Joint à sa correction, je lui donnerais volontiers le nom évangélique de la paille et la poutre…

2’) Le remède

a’) Exposé

Derechef, la limite dicte en creux ce que le remède va corriger en plein. Il se fonde sur cette vérité d’expérience : ce que je ne peux voir du dedans, un observateur autre peut le voir du dehors. L’angle mort que le conducteur ne peut observer, est très aisément accessible à la personne extérieure au véhicule. L’application est immédiate : un observateur bien formé reconnaîtra plus aisément le biais affectant la décision [29]. L’on pourrait ajouter que sa temporalité sera plus efficace. Alors que la correction ex ante n’agit qu’après coup et la correction ex post doit anticiper, la correction par observation extérieure opère au présent.

Par exemple, un groupe de décideurs doivent poser un jugement important et difficile. Tel a été par exemple le cas lors de la pandémie. Eh bien, la méthode de débiaisement postera un observateur de la décision qui évaluera si les biais (qui sont inévitables) obèrent ou non le jugement.

b’) Évaluation ou plutôt objections

Fort de ce que l’école Palo-Alto nous a appris, j’ajouterais volontiers que cette méthode par surplomb ou recul adopte la posture « méta », avec les avantages et les difficultés d’une telle posture.

L’avantage, on vient de le dire, est la capacité à détecter les multiples biais ou angles morts coessentiels à tout décideur solitaire, mais aussi à tout groupe possédant une forte identité.

Les inconvénients sont au moins doubles. Le premier est la compétence souvent moindre, donc l’illégitimité. En effet, le conseil des décideurs est souvent constitué par les experts et parfois par les meilleurs experts. À un moindre degré, cet observateur extérieur de la décision n’a ni la formation ni la connaissance de l’environnement.

Le second est l’impopularité. En effet, le biais est une erreur. Or, l’expert est souvent convaincu qu’il sait mieux que l’autre, surtout qu’un observateur extérieur et moins compétent. Il est donc narcissiquement éprouvant de se voir souligné par un autre ses propres failles.

Ces limites ne sont pourtant pas insurmontables. Dès lors, les inconvénients se transforment en objections à résoudre.

Quant à l’incompétence, il s’agira de former l’observateur de la décision. Or, c’est ce que permet la check-list des biais (exposée plus haut en 1). Et l’expérience montre que les check-lists permettent véritablement de conjurer les erreurs passées et donc d’améliorer les décisions à venir[30] .

Quant à l’impopularité, il est essentiel que ce soient les décideurs eux-mêmes qui décident d’introduire l’observateur de la décision. Donc, que sa présence ne soit pas imposée. Sinon, sa position sera aussi intenable que ses propositions seront inentendues, donc inefficaces.

c’) Application

Question annexe : un tel observateur existe-t-il dans les instances gouvernementales, par exemple, au conseil des ministres ? Existe-t-il dans les instances ecclésiales, par exemple, dans un conseil presbytéral, un conseil de Séminaire ? Au nom de la confidentialité, combien de fois exclut-on un point de vue extérieur qui pourtant permettrait d’éviter nombre de biais. Avec son génie pratique, saint Ignace conseillait de placer une sorte de « fou du roi » auprès de toute personne devant prendre de graves décisions. Si ses raisons semblaient être éthiques (danger d’orgueil, de la solitude du jugement), elles étaient peut-être aussi pratiques, voire pragmatiques (le bruit accompagnant tout jugement).

3) Réduire les bruits ou le traitement préventif

En fait, nous n’avons pas affronté le plus difficile. En effet, le biais est une erreur détectable, prévisible et corrigible en droit, sinon en fait, puisqu’il est dû à un mécanisme connu. Mais le bruit, nous l’avons vu, est aléatoire ; il est lié à une indétermination intrinsèque et donc imprédictible.

Or, de même qu’Esculape, le dieu grec de la médecine, avait deux filles, Panacée et Hygie (qui a donné « hygiène »), de même double est la médecine, curative et préventive. Si le bruit ne peut être guéri, du moins peut-il être prévenu. Et c’est pour cela que Kahneman parle d’une « hygiène de la décision ». De même que le lavage des mains (qui est un des moyens de la prévention) nous protège de germes inconnus, de même cette hygiène des jugements nous protège des bruits invisibles ou à venir. Ajoutons que, de même que l’on ne saura jamais la maladie que l’on a évitée, de même nous ne connaitrons jamais le bruit que nous avons conjuré. En effet, il est malaisé de garder à sa conscience une réalité seulement possible ; or, tel est le cas d’un événement futur ; voilà pourquoi la prévention du bruit est une stratégie souvent méconnue, toujours vulnérable, et pourtant indispensable.

Kahneman offrant quelques exemples de ces tactiques anti-bruit, dans la police scientifique [31], la prévision [32], la médecine [33] et les ressources humaines [34], nous nous contenterons de rappeler deux procédures globales.

a) Rendre les estimations indépendantes

L’hygiène de décision la plus efficace et « la plus universellement applicable » consiste à « agréger un grand nombre d’estimations indépendantes [35] ». Une application est la tactique du séquençage.

De l’expérience de Vul et Pashler et, plus encore, de la réestimation dialectique, nous pouvons déduire différentes règles méthodologiques en situation de décision ou de jugement concernant un taux, une donnée plus quantitative :

  1. Avant tout, faites appel à l’opinion d’autres personnes et la demander de sorte qu’elles soient indépendantes les unes des autres.
  2. Sinon, émettez vous-même un nouveau jugement.
  3. Opérez une réévaluation dialectique, c’est-à-dire prenez en compte les raisons que vous avez ignorées. Voire, formulez l’estimation plausible la plus différente de la première.
  4. Enfin, que la foule soit extérieure ou intérieure, faites la moyenne des estimations (à moins que l’une d’entre elles ait de très bonnes raisons de peser sur votre jugement).
b) Le protocole d’évaluations intermédiaires

L’un des principaux inconvénients des stratégies anti-bruits (ou plutôt de la réduction du bruit) est leur multiplicité. Aussi Kahneman et Sibony proposent-ils une stratégie d’intégration qu’ils appellent « protocole d’évaluations intermédiaires » [36]. Elle se déroule en trois étapes dont l’intérêt est qu’elles sont différentes de celles arpentées habituellement dans une entreprise (et en Église !).

1’) Exposé à partir d’un exemple

Pour l’exposer, nos auteurs partent d’un exemple fictif : l’entreprise Mapco étudie la possibilité de faire l’acquisition stratégique une entreprise concurrente importante, Roadco.

a’) Première réunion : se mettre d’accord sur l’approche

Le P-DG réunit le comité stratégique du conseil pour discuter cette possible acquisition. Mais sa finalité est habituelle : s’assurer que les délibérations du conseil seront de bonne qualité. Pour cela, il propose une analogie entre l’évaluation d’une option stratégique et l’évaluation d’un candidat à l’embauche. Voici ce qu’il dit :

 

« Vous connaissez les études qui montrent que, dans le recrutement, les entretiens structurés produisent de meilleurs résultats que les entretiens non structurés, et, plus largement, que structurer une décision d’embauche permet de l’améliorer ». Or, « les options [stratégiques] sont comme des candidats ». Donc, « cette similitude m’amène à penser que la méthode qui fonctionne pour évaluer des candidats fonctionnera aussi, en l’adaptant bien sûr, pour évaluer des options stratégiques [37] ».

 

Le P-DG répond aux différentes objections opposées à sa proposition et s’assure que les membres du comité acceptent l’expérimentation.

b’) Deuxième réunion : définir les critères d’évaluation intermédiaire

Le P-DG propose ensuite, comme première tâche, de dresser une liste de critères d’évaluation possibles pour la transaction. Pour cela, il est nécessaire de bâtir une liste répondant à deux critères : qu’elle soit exhaustive, c’est-à-dire englobe tout ce qui est pertinent ; que ces critères soient indépendants, c’est-à-dire ne se recouvrent pas. L’intention est de fournir une évaluation indépendante et objective de chacun des critères d’évaluation intermédiaire.

c’) Troisième réunion : la décision

Je n’entre pas dans le détail. Je relèverai seulement trois points d’importance : chaque critère d’évaluation est examiné séparément ; les participants produisent leurs jugements individuellement (en l’occurrence, les administrateurs donnèrent leur note sur leur smartphone et le résultat fut projeté sur un écran visible par tous) avant d’entrer dans la discussion ; la décision finale fait appel au dialogue et à l’évaluation plus qu’à l’intuition, sans pourtant l’exclure.

2’) Évaluation de sa nouveauté et de son efficacité

Les différences introduites par cette nouvelle procédure construisent un mur anti-bruit :

  1. Nous avons vu que le premier temps a consisté à structurer la décision en cherchant des critères d’évaluation intermédiaire. Autrement dit, il a fait un pas de côté et, plus encore, de recul. Or, cette posture « méta » permet de discuter ce qui n’est jamais discuté, de se mettre d’accord sur les critères.
  2. Les évaluations intermédiaires sont, autant que possible, mesurées par une vision externe. Or, cette méthode efficace pour les biais l’est aussi pour les bruits. Toujours au nom du recul, mais effectué ici par une personne étrangère.
  3. La collecte des critères d’évaluation intermédiaire, a pris comme critère leur indépendance. Il en est de même pour l’examen des critères lors de la décision et pour l’estimation des différents participants. Or, nous avons aussi souvent vu combien les biais s’introduisaient par interférence et donc par dépendance.
  4. Enfin, la décision diffère l’intuition sans pour autant l’interdire. Or, nous avons vu que celle-ci est l’un des grands pourvoyeurs de biais.

G) Relecture philosophique

En guise de conclusion, proposons une interprétation de ce phénomène à la fois si patent (par son importance et son extension) du bruit à la lumière sapientielle de la philosophie, notamment de la métaphysique de l’amour-don.

1) La blessure

Alors que le biais est une véritable blessure de l’esprit, le bruit persistant de nos jugements semble plutôt en être une propriété intrinsèque que le prochain paragraphe tentera d’interpréter. La noise ne devient source d’erreur que lorsqu’elle est démesurée. L’unification totale des diagnostics médicaux, des décisions de justice, des évaluations, serait une insupportable uniformisation autant que le fantasme omnipotent d’une raison dominatrice qui impose univoquement sa forme. Elle serait l’équivalent judicatif du monisme méthodologique (Discours de la méthode).

2) Les causes du bruit

a) L’explication classique

Le bruit, nous l’avons vu, se définit comme l’extrême variabilité des jugements. Or, un jugement est un acte de connaissance qui unit le sujet connaissant à l’objet connu. L’on peut donc estimer que la raison de cette dispersion tient à deux types de causes : subjective et objective.

Du côté du sujet, elle réside dans la limite de notre raison qui ne parvient à la vérité que pas à pas, par essais et erreurs. Kahneman est trop pessimiste en affirmant : « votre première estimation n’a pas mobilisé l’ensemble de vos connaissances, ni même les plus pertinentes. Ce n’était qu’une réponse parmi la constellation de réponses possibles que votre esprit aurait pu produire [38] ». En effet, un discernement pris avec prudence cherche toujours la bonne solution et même souvent la meilleure. Toutefois, le chercheur a raison d’insister sur le fait que tous nos jugements sont affectés par un bruit occasionnel, c’est-à-dire par un ou plusieurs angles morts. De plus, en matière humaine, l’homme n’a pas accès aux intentions et doit se contenter d’interpréter sans pouvoir expliquer.

Du côté de l’objet, l’extrême diversité des jugements épouse celle de la chose connue. En effet, la matière est éminemment contingente ; or, ce qui est contingent peut ne pas être, donc n’est pas prédictible.

À ces raisons classiques, nous souhaiterions joindre deux autres :

b) La loi de fluctuation

Elle est elle-même évoquée en passant par Kahneman et ses collègues : « Nos opinions changent souvent sans raison apparente, même quand il s’agit des jugements réfléchis et prudents que produisent des experts [39] ». Cette loi de fluctuation énonce que toute réalité individuelle oscille, c’est-à-dire ébauche de manière non intentionnelle une action. Dès lors, le bruit du jugement ne serait qu’une des concrétisations de cette loi universelle.

Métaphysique, elle s’établit par une induction scalaire et supposerait une étude à part. Notons seulement un exemple pour chaque degré d’être : dans l’ordre des corps appartenant au microcosme, la vibration sempiternelle (sans perte d’énergie) de l’atome d’hydrogène et des particules atomiques ; dans l’ordre des corps appartenant au macrocosme, l’infatigable activité à la surface du soleil (voire le rayonnement fossile qui n’est pas qu’une trace de l’origine, mais un bouillonnement persistant et fondamental) ; dans l’ordre des corps appartenant au mésocosme, le bruissement de l’eau et le chuchotis de tous les milieux hors le désert (qui est artificiel) ; dans l’ordre des vivants, le frissonnement continu des arbres ou le pivotement ininterrompu des phospholipides dans la couche membranaire ; dans l’ordre de l’esprit, l’ébauche permanente de sensations, de sentiments, de pensées et de volitions (inclinations à l’action) ; dans l’ordre de la charité, l’incessant tressaillement de l’Esprit à l’œuvre.

Enfin, elle peut s’élaborer à partir de l’être-amour : cette fluctuation constitue la première réponse, du côté du bénéficiaire du primo-don. En effet, loin d’être seulement sujet qui possède son être (premier sens de l’expression « habens esse »), la substance s’inscrit dans une dynamique ternaire où la possession (deuxième signification de l’expression « habens esse ») s’incurve et s’intériorise en autopossession. Or, ce qui reçoit gratuitement au point d’en être constitué (et ainsi de conjuguer la réception au présent) est, du dedans, appelé à redonner de manière créative. Mais toute donation en retour ne rencontre pas immédiatement le deutéro-donateur qui pourra recevoir son bienfait. Aussi le récepteur devenu donateur ébauchera-t-il cette redamatio – ce qui prend la figure d’un tressaillement ou d’un tremblement. Dit autrement, la fluctuation est donc la manifestation du flux – à savoir, autant l’effet que sa préparation.

L’on pourrait se demander si la fluctuation est une propriété du récepteur ou une propriété de l’interaction, en l’occurrence ébauchée, entre le récepteur et le donateur qui lui communique son acte. Il me semble qu’il faut clairement répondre qu’elle est un acte du récepteur préparant à l’interaction, et donc la précédant. Deux signes l’attestent : cette fluctuation ne dépasse pas le stade de l’ébauche ; il est isotropique et non pas directionnel comme une finalité.

L’on pourrait aussi s’interroger sur la relation entre la fluctuation et la rythmicité qui est une des grandes lois de l’amour-don en son temps pneumatique (la dynamique trinitaire du don qui doit être distinguée de la dynamique ternaire). D’un mot, la fluctuation n’est pas seulement ébauchée, mais désordonnée, alors que le rythme provient de la figure achevée et ordonnée. La cadence est à la fluctuation ce que le son est au bruit (en ce sens, le nom et le titre de l’ouvrage sont une véritable trouvaille pédagogique).

Enfin, cette loi de fluctuation permet de réinterpréter la notion de contingence. Cette variabilité intrinsèque et continuée n’est pas seulement liée à la potentialité, ni uniquement un indice d’imperfection face à la détermination imposée par la nécessité, ni la source d’une blessante loterie. L’agitation ondoyante toujours reconduite atteste la donation latente et en attente.

c) La loi de totalisation

Il me semble que ce bruit n’est pas seulement le témoignage du don qui travaille le monde, et donc du principe de fluctuation. Il est aussi le signe de ce que j’appelle ailleurs la loi ou le principe de totalité ou de totalisation [40]. Là encore, d’un mot, elle énonce que toute partie recherche le tout. Le bruit ne serait alors qu’une incarnation de cette recherche de la totalité.

Cette loi peut aussi se démontrer inductivement, à partir de l’échelle des êtres dont nous ne ferons que donner quelques exemples : dans l’ordre des corps, le mouvement se déroule entre des contraires ; dans l’ordre des vivants, l’œil reconstitue la couleur complémentaire ou l’oreille le son qui lui manque (acouphènes) ; dans l’ordre de l’esprit, l’intelligence explore le possible qui lui a échappé jusqu’à contredire pour mieux atteindre le tout.

La raison, empruntée à la métaphysique de l’être-amour, me semble être la suivante. Elle configure une sorte de dialectique position-opposition-composition. Tout être tend à se communiquer. Mais la donation ne s’accomplit que dans une réception qui elle-même ne s’achève que dans une donation en retour. Enfin, cette pulsation donation-réception devient la vie d’une communion où circule le plus possible l’esprit présidant à ce don. Or, le tout est l’ensemble (dynamique) des parties. Donc, la donation ne peut aller sans une loi de totalisation.

Le bruit signale cette totalité en recherche autant qu’en attente : du point de vue diagnostique avec le caractère multifocal, ubiquitaire (nous avons parlé d’isotropie) du bruit ; du point de vue thérapeutique, avec la sagesse de la foule, extérieure et intérieure.

3) Les remèdes

a) La fin : la santé

Enfin, la philosophie s’est toujours intéressée à l’assainissement de la raison : davantage comme une école de vie pendant l’Antiquité, comme une conversion durant le Moyen-Âge chrétien, comme une libération depuis la modernité, comme une guérison avec l’époque contemporaine et le développement des sciences humaines. Or, si le bruit est constitutif de la vie de la raison, notamment pratique, il dépasse très souvent la mesure pour devenir un parasite douloureux et même injuste (inéquitable). Aussi mérite-t-il toute l’attention de la philosophie qui, de nouveau, se doit de quitter son mentalisme et son isolement pour retrouver toutes ses vertus curatives.

Cette vigilance diagnostique et cette puissance thérapeutique intéresse au premier chef la philosophie du don, ici l’anthropologie à la lumière du don. En effet, selon la dynamique ternaire, la personne n’est pas seulement appelée à se recevoir pour se donner, mais, à titre médian, à être donnée à elle-même. Or, la santé est la propriété d’un organisme (autant spirituel que corporel) harmonieusement unifié. Donc, elle qualifie le moment intermédiaire du don : le don à soi.

b) Le moyen

Les moyens mis en œuvre pour amenuiser le bruit intéressent aussi la philosophie de l’amour-don. En effet, nous avons vu que, pour corriger l’erreur liée au bruit, il était bon de corriger (synchroniquement) le premier jugement par celui d’un autre ou de s’autocorriger (diachroniquement) par un jugement ultérieur. Or, une philosophie du don est à la fois personnelle et interpersonnelle (systémique). Donc, le traitement du bruit gagne aussi à être relu à la lumière de l’être-amour.

Quelques biais

L’erreur du parieur

a) Le fait

Un biais est intéressant à repérer chez ceux qui sont exposés à poser des actes similaires dans un contexte qui paraît aléatoire. Tel est par exemple le cas d’un banquier qui examine des demandes de crédit, des arbitres de base-ball qui jugent le jeu des joueurs, d’un juge qui doit trancher différentes affaires ou voit défiler des prévenus. Or, de prime abord, l’ordre de la séquence est dicté par le seul hasard. Pourtant, l’on constate que la personne humaine tend à intervenir, à son insu.

L’on a par exemple constaté aux États-Unis que, les juges des demandes d’asile ont 19 % plus de chances de refuser l’asile à un requérant lorsqu’il l’a accordé aux deux personnes l’ayant auparavant demandé [41]. De même, une personne qui demande un prêt a plus de probabilité de recevoir une réponse positive si le banquier a refusé les deux requêtes précédentes (et vice versa).

b) L’interprétation

Comment expliquer ce qui conduit au minimum à de l’arbitraire, au maximum à de l’injustice ? Une analogie (au sens fort) permettra de comprendre le processus. Elle a d’ailleurs donné son nom au biais : le biais ou l’erreur du parieur. En effet, les paris se déroulent souvent dans des contextes où la personne pose les mêmes actes dans le même contexte. Par exemple, en tirant à pile ou face et en estimant la probabilité qu’une suite de résultats soient identiques. Or, contrairement à ce que l’on imagine, l’aléa produit non pas des séquences alternées de pile et de face, mais des séries de pile ou de face, par exemple trois, quatre fois et plus d’affilée. L’on peut même calculer la fréquence d’apparition de ces occurrences. Or, nous avons tous tendance à sous-estimer cette fréquence et suspecter leur apparition. Nous sommes donc portés à les corriger pour les « normaliser ».

Or, le juge, le banquier, l’arbitre gardent en mémoire les cas précédents, plus encore, ils s’en servent comme d’un cadre de référence, tout en sachant que ces différents cas surgissent sans ordre. Voilà pourquoi ils corrigent de manière volontariste les régularités en introduisant des décrochages… dont les personnes (prévenus, plaignants, demandeurs, joueurs, etc., font les frais.

Mais allons plus loin et, pour cela, faisons appel à la philosophie de la nature [42]. Sans entrer dans le détail, pour un scientifique, le hasard s’oppose à ce qui est nécessaire, déterminé, donc régulier. Puisque le processus étudié est aléatoire, il doit donc être irrégulier. Par ailleurs, l’homme est habité par un grand besoin d’ordre [43], sans pour autant nier ce qui l’ignore. C’est la raison pour laquelle, face à un phénomène dont il sait qu’il est casuel, l’homme le corrige. Et le corrige pour une bonne intention, celle de davantage coller à la vérité.

Or, le processus aléatoire non seulement ne nie pas la régularité, mais il est puissance de rencontre. La coïncidence est aussi une convergence de séries qui sont par définition indépendantes. Pour la démonstration, nous renvoyons à l’article cité en note : l’on pourrait traduire l’expression « par hasard » par « par rencontre ». Beaucoup sont dénuées de sens, d’autres, plus rares, ne le sont pas.

Ajoutons que ce fin observateur de la condition humaine qu’est Blaise Pascal avait observé que, spontanément, nous passons d’un contraire à l’autre, nous compensons l’un par l’autre (cf., sur le site : « La morale selon Pascal ou l’harmonie des contraires »). Ce mécanisme, particulièrement prégnant en morale, doit donc être étendu à tous nos jugements, y compris théoriques.

c) Le remède
1’) Objectif

Une nouvelle fois, le mal dicte le remède. Le hasard joint des processus, des actions (naturelles ou humaines) qui sont indépendantes, c’est-à-dire mues par des causes qui n’ont rien en commun. La guérison du biais consistera à rendre à ces actions cette indépendance, à les décorréler. Il s’agit donc, objectivement, de rendre chaque jugement à son indépendance. Ce qui est vrai par exemple pour les biais de contexte en matière de dactylographie, l’est ici à raison de la matière (du texte) lui-même, à savoir le caractère même du hasard qui n’est irrégulier que pour permettre, parfois, de pseudo-régularité à laquelle un esprit (ou des contraintes internes à la nature, permettant l’émergence d’une nouveauté) donnera un sens.

2’) Subjectif

Tournons-nous maintenant vers les personnes en prise avec des activités séquentielles qui engendreront tôt ou tard des séries. Elles se doivent de procéder à une sorte d’amnésie méthodologique. Et ainsi d’arracher le temps à sa fausse permanence pour le rendre à sa discontinuité. Plus précisément, il s’agirait de passer de la pseudo-continuité du flux à la réelle discrétion des événements.

Verticaliser le temps aiderait à cette guérison, si l’on acceptait de l’interpréter, en un sens kierkegaardien, dans sa dialectique de l’instant et de l’éternité. En effet, nous introduisons une continuité entre le passé et le présent en raison du lien de causalité entre ces deux instances du temps. Or, plus profondément, le nunc fluens se reçoit du nunc stans de l’éternité. Pour une raison universelle, métaphysique : la primauté de la cause première qui, plus que la cause seconde, engendre l’effet créé, selon le premier principe du De causis. Pour une raison prochaine, anthropologique : les événements contingents et les actions authentiquement libres (contingence intrinsèque) surgissent en quelque sorte ex nihilo. Dit autrement, le présent semble se recevoir d’une cause non pas immanente, mais transcendante. Ainsi, pour reprendre des catégories grecques fameuses, celui qui s’ouvre à l’aïon (la méta-histoire éternelle, mesure de toutes les temporalités) est davantage à même de vivre le kairos (le temps opportun qui est celui de l’événement) dans le chronos (l’écoulement de la durée) [44].

Les biais affectifs

L’on a montré que le temps (au sens météorologique du terme) affecte le jugement professionnel. Par exemple, les peines judiciaires ont tendance à être plus sévères lorsqu’il fait plus chaud dehors. De même, les marchés financiers sont modifiés par le beau temps [45]. Dans une étude, Uri Simonsohn a cherché à déterminer l’objet de l’attention des responsables d’admissions à l’université. Il a alors constaté qu’ils étaient plus sensibles au cursus scolaire lorsque le temps était couvert, et aux activités extra-scolaires quand il était ensoleillé [46] !

Or, le beau ou le mauvais temps joue d’abord sur l’humeur de la personne. C’est donc indirectement, par la médiation de l’affectivité que la météo biaise les jugements. Faut-il aussi inclure la mémoire, puisque l’on a observé une association entre temps nuageux et mauvaise mémoire [47] ?

Pascal Ide

[1] Cf. le tableau récapitulatif Ibid., p. 219. Cf. aussi le glossaire Ibid., p. 392.

[2] Kevin Clancy, Iohn Bartolomeo et al., « Sentence decision making : The logic of sentence decisions and the extent and sources of sentence disparity », The Journal of Criminal Law and Criminology, 72 (1981) n° 2, p. 524–544. Voir également Inslaw, Inc. et al., Federal Sentencing – Towards a More Explicit Policy of Criminal Sanctions III-4, 1981.

[3] Daniel Kahneman, Olivier Sibony et Cass R. Sunstein, Noise, p. 76.

[4] Ibid., p. 77.

[5] Un chapitre entier leur est consacré, qui est intitulé : « Le bruit occasionnel » (chap. 7).

[6] Voir http://www.iweblists.com/sportslbasketballlFreeThrowPercent_c.html, consulté le 27 décembre 2020.

[7] Daniel Kahneman, Olivier Sibony et Cass R. Sunstein, Noise, p. 220. Pour le détail, cf. chap. 17 : « Les composantes du bruit ».

[8] R. T. Hodgson, « An examination of judge reliability at a major U.S. wine competition », American Association of Wine Economists, 2008. Journal of Wine Economics, 3 (2008) n° 2, p. 105-113.

[9] Stein Grimstad & Magne Iorgensen, « Inconsistency of expert judgment-based estimates of software development effort », Journal of Systems and Software, 80 (2007) n° 11, p. 1770-1777.

[10] Michael J. Kahana et al., « The variability puzzle in human memory », Journal of Experimental Psychology : Learning, Memory and Cognition, 44 (2018) n° 12, p. 1857-1863.

[11] Cf. Robert H. Ashton, « A review and analysis of research on the test-retest reliability of professional judgment », Journal of Behavioral Decision Making, 13 (2000) n° 3, p. 277-294.

[12] L’écart-type des jugements moyens (notre mesure du bruit) décroît en proportion de la racine carrée du nombre de jugements.

[13] James Surowiecki, The Wisdom of Crowds : Why the Many Are Smarter Than The Few and How Collective Wisdom Shapes Business, Economies, Societies, and Nations, Doubleday, 2004.

[14] Central Intelligence Agency, The World Factbook, Washington, 2020. Le chiffre cité inclut tous les aéroports ou aérodromes identifiables depuis les airs. Là ou les pistes peuvent être bitumées ou non, et comprendre des installations fermées ou abandonnées.

[15] Edward Vul & Harold Pashler, « Measuring the crowd within : Probabilistic representations within individuals », Psychological Science, 19 (2008) n° 7, p. 64-5-648.

[16] Stefan M. Herzog & Ralph Hertwig, « Think twice and then : Combining or choosing in dialectical bootstrapping ? », Joumal of Experimental Psychology : Learning Memory and Cognition, 40 (2014) n° 1, p. 218-232.

[17] Daniel Kahneman, Olivier Sibony et Cass R. Sunstein, Noise, p. 89.

[18] Pour une excellente synthèse, voir Jack B. Soll et al., « A user’s guide to debiasing », in Gideon Keren, George Wu (dir.), The Wiley Blackwell Handbook of Judgment and Decision Making, John Wiley and Sons, New York, 2015, vol. 2, p. 684.

[19] Daniel Kahneman, Olivier Sibony et Cass R. Sunstein, Noise, p. 391-407.

[20] Cf. Annexe B : « Observer une décision », p. 399-401. Je me suis permis de réorganiser le questionnaire et de changer tel ou tel intitulé.

[21] HM Treasury, The Green Book: Central Government Guidance on Appraisal and Evaluation, Londres, UK Crown, 2018, https://assets.publishing.service.gov.uk/ government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/685903/The_Green_ Book.pdf.

[22] Cf. Richard Thaler et Cass Sunstein, Nudge. La méthode douce pour inspirer la bonne décision, trad. Marie-France Pavillet, Paris, Vuibert, 2010. Brève synthèse de Daniel Andler, « Logique, raisonnement et psychologie », Jacques Dubucs et François Lepage (éds.), Méthodes logiques pour les sciences cognitives, coll. « Langue, raisonnement, calcul », Paris, Hermes, 1995, p. 25-75 (repris dans Daniel Andler [éd.], Introduction aux sciences cognitives, coll. « Folio essais », Paris, Gallimard, 22004, p. 315-405.

[23] Ralph Hextwig & Till Grune-Yanoff, « Nudging and boosting : Steering or empowering good decisions », Perspectives on Psychological Science, 12 (2017) n° 6, p. .

[24] Carey K. Morewedge et al., « Debiasing decisions : Improved decision making with a single training intervention », Policy Insights from the Behavioral and Brain Sciences, 2 (2015) n° 1, p. 129-140.

[25] Anne-Laure Sellier et al., « Debiasing training transfers to improve decision making in the field », Psychological Science, 30 (2019) n° 9, p. 1371-1379.

[26] Geoffrey T. Pong et al., « The effects of statistical training on thinking about everyday problems », Cognitive Psychology, 18 (1986) n° 3, p. 253-292.

[27] Willem A. Wagenaar & Gideon B. Keren, « Does the expert know ? The reliability of predictions and confidence ratings of experts », Intelligent Decision Support in Process Environments, (1986) n° , p. 87-103.

[28] Emily Pronin et al., « The bias blind spot : Perceptions of bias in self versus others », Personality and Social Psychology Bulletin, 28 (2002) n° 3, p. 369-381.

[29] Daniel Kahneman, Dan Lovallo & Olivier Sibony, « Before you make that big decision… », Harvard Business Review, 89 (2011) n° 6, p. 50-60.

[30] Atul Gawande, The Checklist Manifesto : How to Get Things Right , , Metropolitan Books, 2010.

[31] Cf. chap. 20.

[32] Cf. chap. 21.

[33] Cf. chap. 22.

[34] Cf. chap. 23 et 24.

[35] Daniel Kahneman, Olivier Sibony et Cass R. Sunstein, Noise, p. 272. Pour le détail, cf. chap. 21 : « L’agrégation et la sélection ».

[36] Ils la détaillent dans le chap. 25. Cf. Daniel Kahneman, Dan Lovallo & Olivier Sibony, “ A structured approach to strategic decision. Reducing errors in judgment requires a disciplined process”, MIT Sloan Management Review, 60 (2019) n° 1, p. 67-73.

[37] Daniel Kahneman, Olivier Sibony et Cass R. Sunstein, Noise, p. 325.

[38] Daniel Kahneman, Olivier Sibony et Cass R. Sunstein, Noise, p. 90.

[39] Daniel Kahneman, Olivier Sibony et Cass R. Sunstein, Noise, p. 85.

[40] Je l’ai par exemple développé à l’occasion de deux articles portant sur un autre sujet : Pascal Ide, « Le tout est (dans) la partie. La loi holographique, contrepoint à l’émergence », Philippe Quentin (éd.), Émergence, colloque de l’ICES, La Roche-sur-Yon, 19 et 20 mars 2019, coll. « Colloques », La Roche-sur-Yon, Presses Universitaires de l’ICES, 2021, p. 52-112 ; « L’ontologie trinitaire des couleurs. Une relecture de la loi de complémentarité chromatique », Sophia, 14 (2022) n° 1, p. 143-160.

[41] Joseph P. Forgas, Liz Goldenberg et al., « Can bad weather improve your memory ? An unobtrusive field study of natural mood effects on real-life memory », Journal of Experimental Social Psychology, 45 (2008) n° 1, p. 254-257.

[42] Cf. Pascal Ide, « Le jeu du hasard et de l’amour », Philippe Quentin (éd.), Hasard et création, Colloque de l’ICES, La Roche sur Yon, 7 et 8 mars 2022, Paris, Éd. de l’Emmanuel, 2023, à paraître.

[43] « Sapientis est ordinare : le propre du sage est de mettre de l’ordre », dit un axiome scolastique, que l’on attribue à Aristote, mais semble plutôt relever de la glose albertinienne.

[44] Kierkegaard aurait-il la ressource pour synthétiser les approches plus complémentaires qu’opposées de Bachelard et de Bergson ?

[45] David Hirshleifer & Tyler Shumway, « Good day sunshine : Stock returns and the weather », Journal of Finance, LVIII (2003) n° 3, p. 1009-1032.

[46] Uri Simonsohn, « Clouds make nerds look good : Field evidence of the impact of incidental factors on decision making », The Journal of Behavioral Decision Making, 20 (2006) n° 2, p. 143-152.

[47] Daniel Chen et al., « Decision making under the gambler’s fallacy : Evidence from asylum judges, loan officers, and baseball umpires », The Quarterly Journal of Economics, 131 (2016) n° 3, p. 1181-1242.

1.8.2024
 

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