Le don de soi comme aban-don selon Joseph Schrijvers

Le père rédemptoriste Joseph Schrijvers (1876-1945), auteur spirituel prolifique et reconnu, a publié en 1941 un ouvrage intitulé Le don de soi [1], qui, régulièrement réédité [2], s’est vendu à plus de 66 000 exemplaires. Le succès tient sans doute à sa lecture très aisée, à son plan très structuré, à son élan très zèlé, à son inscription dans cette spiritualité de l’école française alors si répandue. Celui-ci s’ouvre, sans nul préambule ni précaution, par ces mots :

 

« Se donner à Dieu, c’est lui remettre son corps et son âme, c’est Lui abandonner toutes ses puissances, ses aspirations et ses sentiments, ses désirs et ses craintes, ses espérances et ses plans d’avenir, ne se réservant que le soin de L’aimer. Se donner à Dieu, c’est s’oublier soi-même, c’est déposer dans le cœur de jésus toutes ses préoccupations, toutes ses sollicitudes et les mille embarras de la vie quotidienne, c’est Lui confier tous ses intérêts, Le chargeant de pouvoir à tout, de remédier à tout [3] ».

 

Autrement dit, le don de soi est l’autre nom de l’abandon total et confiant en Dieu. Ce thème se justifie théologiquement – la première partie montre qu’il est juste (ch. 1), sage (ch. 2) et aisé (ch. 3) de se donner à Dieu –, se décline pratiquement – la deuxième partie parle de l’abandon en général (ch. 1), dans les occupations (ch. 2) et dans les épreuves (ch. 3) –, se déploie en différentes conséquences – la troisième partie les développe dans la vie d’amour (ch. 1), d’oubli de soi (ch. 2) et de dévouement (ch. 3) – et se retrouve au terme dans l’ultime chapitre sur « la vie de dévouement » : « Se donner à Dieu, c’est se livrer à Lui par un ardent acte d’amour. […] Aimer, s’oublier, se dévouer, voilà le don de soi, voilà la perfection ! [4] ».

S’il est profondément évangélique et sanctifiant de se donner à Dieu et de s’abandonner à lui, peut-on encore entendre aujourd’hui ce que j’oserai appeler une rhétorique de l’oubli de soi où le soin de soi n’a pas de place ? La raison de cet oubli de soi est profonde : plus l’âme s’oublie, plus Dieu pense pour elle. « Pense à moi, je penserai à toi », dit Jésus à sainte Catherine de Sienne [5]. Toutefois, le spirituel n’y accède qu’après avoir mis en place un organisme vertueux où figure une juste estime de soi. Sans elle, la spiritualité de l’abandon court le risque du quiétisme. Pour le dire dans les catégories de la spiritualité classique : la voie unitive (la vie selon les dons) dont relève cet abandon total requiert d’avoir traversé la voie purgative (l’arrachement à la mort du péché) et la voie illuminative (la vie selon les vertus).

Pascal Ide

[1] Jos. Schrijvers, Le don de soi, Bruxelles, L’édition universelle, 1941.

[2] Ibid., Suresnes, Clovis-Fideliter, 2018, p. 9.

[3] Éd. de 1941, p. 9.

[4] Ibid., p. 249-250.

[5] Citée p. 243.

24.5.2024
 

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