La médecine narrative

1) Brève histoire

La médecine narrative est une discipline récente fondée par le professeur américain en médecine clinique (nous dirions « médecine interne ») Rita Charon (1949-), directrice du programme Narrative Medicine à l’Université Columbia à New York. L’ouvrage fondateur date de 2006 : Narrative Medicine: Honoring the Stories of Illness [1], suivi par deux coéditions [2].

Nombreux et étroits sont les liens entre les deux universités de Columbia et Paris-Descartes. Rita est venue à plusieurs reprises dans notre capitale. Une étudiante en médecine lui a rendu visite à New York et a participé à ses consultations en médecine interne comme témoin, bien entendu avec l’accord du patient. Voici le témoignage de l’étudiante :

 

« Une atmosphère de compassion, de compréhension, de confiance et d’acceptation des deux côtés se met en place. Écouter le patient me donne l’impression que la maladie n’est pas une entité séparée, mais qu’elle fait partie d’une histoire, l’histoire de quelqu’un que vous ne pouvez pas prendre en charge complètement si vous n’avez pas accès à l’histoire que cache la maladie. La maladie est une sorte d’expression d’une histoire. La relation est un échange qui vous enrichit tous les deux [3] ».

 

Aujourd’hui, soit seulement moins de vingt ans après sa naissance, cette pratique de la médecine se répand dans le monde [4]. C’est ainsi qu’un premier Congrès international de médecine narrative réunissant des spécialaistes des cinq continents s’est déroulé à Londres dès juin 2013. Grâce au zèle de sa fondatrice. C’est ainsi que, dans les années 2000, le professeurs François Goupy et ses collègues de la faculté de médecine Paris-Descartes ont travaillé avec Rita, ses collègues de Columbia (ainsi que ceux de l’Université McGill à Montréal) pendant une décennie. Puis, en 2009, Rita Charon est venue à plusieurs reprises à Paris-Descartes pour présenter ses intuitions aux institutions, enseignants et étudiants. C’est ainsi que, suite à cette visite, en 2011, après un vote de la Commission de Pédagogie, la médecine narrative fait partie de l’enseignement obligatoire pour les étudiants de médecine de la Faculté. Un ouvrage a été tiré de cette féconde coopération entre Rita Charon et François Goupy [5].

L’on attribue souvent plusieurs sources à la médecine narrative. Celle-ci s’inscrit dans le courant Literature and Medecine, qui se fonde autant sur la narratologie inventée par l’École formaliste russe que sur la théorie ricœurienne de l’identité narrative. Cette médecine est aussi affine du Patient Centered Care. Rita Charon a cette formule heureuse : la médecine narrative est le « cousin clinique de Literature and Medecine, et le cousin littéraire du Patient Centered Care ».

2) Définition

Comme son nom l’indique, cette médecine est fondée sur la narration, celle que le patient fait de sa maladie. Or, cette narration n’est pas un acte isolé, a fortiori égotique, d’une personne qui se raconte elle-même. Elle est une parole adressée à une personne qui l’écoute avec respect et compétence : le soignant, le médecin. Et la compétence du soignant se fonde non pas sur sa pratique spontanée, mais peu réflexive, voire très relative. Elle requiert une formation, en l’occurrence en narratologie.

 

Rita Charon et son équipe de Columbia distinguent « trois mouvements de la médecine narrative » qu’ils nomment : « attention », « representation » et « affiliation » [6]. Même si les termes ne sont pas immédiatement transparents (en leur signifiation), ils ont un équivalent français et sont donc conservés.

L’attention est l’attitude du soignant à l’égard du récit que le patient fait de sa maladie. Pour entrer dans le monde du patient, le soignant doit s’oublier et oublier le monde extérieur, ainsi que se centrer sur celui qui parle.

La représentation n’est pas seulement la répétition de ce qui a été dit, ou la mise en mot intérieure, mentale. Cet acte recouvre aussi la structuration et la conservation sur un support matériel de cette information.

Enfin, l’affiliation (qui est aussi ici un faux ami) désigne la mise en lien du parlant et de l’écoutant, ou de l’écrivain et du lecteur, c’est-à-dire ici du malade (et parfois de sa famille) et du médecin (et les membres de l’équipe soignante).

3) Moyens

a) Du côté du malade

Nous ne pouvons pas entrer dans le détail concret. Mais, par exemple, Rita Charon propose au médecin qui accueille un malade dans une première constultation de s’adresser à lui avec ces mots : « Je dois en savoir autant que possible sur votre santé. Pourriez-vous me raconter toute ce que je dois savoir, selon vous, sur votre situation ». Puis elle invite à écouter le malade, sans l’interrompre, sans prendre de notes et enfin, cela pendant une demie-heure se besoin [7]. L’on notera notamment la double expression « selon vous », « sur votre situation ». Elles soulignent le point de vue du patient : de fait, c’est lui qui vit sa maladie ; de fait, c’est lui qui la subit. Elles montrent donc que le vécu du malade est premier, et pas seulement chronologiquement, sur l’observation clinique du médecin.

b) Du côté du soignant

La médecine narrative requiert que le soignant développe une compétence qui se réfracte en quatre actes que Rita Charon énumère dans sa préface : « la compétence narrative de reconnaître, absorber, interpréter et être ému par les histoires de maladies [8] ». Détaillons.

Reconnaître, c’est accueillir le besoin qu’énonce le patient. Or, cette formulation ne se limite pas aux seuls signes ; il s’étend à son histoire. En effet, toute maladie, qu’elle soit aiguë ou chronique, suscite une rupture, donc de l’angoisse et un besoin de sens. Or, en narrant son histoire, le patient cherche le sens et d’abord le besoin de sortir de cette angoisse.

Absorber signifie « offrir au patient un espace pour accueillir son récit [9] ». Ce verbe est assurément un terme étrange, voire suspect à l’oreille psychanalytique qui y suspectera une fusion et craindra que, outrepassant la recommandation de garder une distance professionnelle, le soignant sombre dans l’épuisement compassionnel (ou la manipulation). Pourtant, Rita Charon qui connaît cette résistance n’hésite pas à utiliser ce terme car elle estime le risque opposé encore plus grand : celui de l’attitude autoritaire qui suscite chez le patient la conviction d’être ignoré, voire instrumentalisé et abandonné.

Interpréter, là encore, ne se réduit pas au seul sens habituel, à savoir déchiffrer le sens de l’histoire qui est raconté par le malade. L’interprétation inclut « la capacité de garder ouvertes des interprétations possibles, souvent contradictoires ou ambigües », au-delà même de la perception très cohérente que le malade en a. La finalité d’une telle attitude est donc d’apporter un éclairage parfois inédit aux informations apportées.

Être ému exprime la capacité qu’a le soignant de se laisser touché par par la maladie ou plutôt par l’histoire de la maladie. L’on pourra se demander quelle est la différence entre la deuxième et la quatrième attitude. Celle-ci concerne clairement l’affectivité, alors que celle-là engage davantage, à savoir la totalité de la personne. Une nouvelle fois, celui qui a été formé dans nos institutions soupçonnera la (pro)position de Rita Charon de trop effacer la juste distance. Toute l’Université française, toute la pensée depuis Descartes, ne sont-elles pas caractérisées par cette objectivité de la raison qui interdit l’interférence de la passion ? On observera d’abord que le passif « être ému » traduit l’anglais « be moved » qui, littéralement, veut dire « être mû ». Est ainsi indiqué que l’affectivité est finalisé par la volonté : l’affectif est au service de l’effectif. Pour convoquer le registre du care qui est celui-là même dont nous nous occupons, la préoccupation ou le souci conduit au soin. Ensuite, cette opposition entre la cognition et l’émotion (et d’ailleurs l’imagination) hérite d’un dualisme presque aussi profond que celui, également cartésien, de la nature et de l’esprit, du corps et de l’âme, de l’extérieur et de l’intérieur – autant de préjugés que, par exemple, les travaux d’Antonio Damasio ont contribué à lever [10].

c) Quant à la relation. L’écoute

La médecine narrative se fonde sur le récit de la maladie. Or, double est la médiation langagière : orale et écrite. De prime abord, l’écrit semble être un doublon de l’oral. En réalité, le passage par l’écrit affine considérablement l’analyse de soi : il permet de nommer ce qui était passé inaperçu à l’oral. La raison en est que l’écrit permet un double recul : il ralentit, il enrichit.

La pratique de la médecine narrative requiert donc l’apprentissage de deux compétences : l’écoute (ou la lecture attentive) et l’écriture réflexive. La première fait appel aux outils de l’analyse narratologique. Concrètement, Rita Charon propose d’employer une grille empruntée à celle-ci et adaptée au récit du patient. Elle distingue cinq composantes dans un récit : le cadre, la forme (qui elle-même se subdivise en : genre, narrateur, métaphore, diction), le temps, l’intrigue, le désir (ou plutôt l’intention du narrateur, la signification qu’il donne au récit). Pour ma part, je distinguerai une sixième composante : les acteurs (impliqués ou, ce qui est tout aussi significatif, absents). Donnons-en une vision synoptique et illustrons-les en un tableau :

 

Cadre

Contexte, source, destinataire, evironnement

Forme

Genre

Prose, poésie, drame, prière, document légal

Narrateur

Parle en « je », « il ».

Statut : expert, victime

Métaphores employées

Quelle est l’image dominante ?

Diction (à l’oral)

Sérieux, froideur, emphase, plaidoyer, etc.

Temporalité du récit

Extase du temps

Passé, présent, futur

Continuité

Retours en arrière, trous

Intrigue

Que se passe-t-il ? (recherche, chaos, reconstitution ?)

Désir (intention) du narrateur

Quelle est l’intention, la signification ?

d) Quant à la relation. L’écriture réflexive

Le recours à l’écriture réflexive en clinique quotidienne constitue un des apports les plus originaux de la médecine narrative. Elle opère sous trois formes, selon les acteurs qui s’y engagent.

D’abord, le patient écrit lui-même (sur) sa maladie. Ou spontanément : il rapporte son histoire, voire les événements marquants de sa vie. Ou réflexivement : il est alors poussé à tenir un journal de bord de sa maladie et des effets de son traitement.

Ensuite, le soignant peut lui-même écrire sur le patient. Ce document est appelé parallel chart, « dossier parallèle », car il s’agit d’une rédaction non technique, parallèle au compte-rendu proprement médical. Dans ce récit, il écrit tout ce que le technique censure comme non-signifiant : ses doutes ou du moins ses interrogations ; ses propres réactions affectives face au patient, sa prise en charge, etc. Le parallel chart n’est toutefois pas voué à demeurer privé : il est annexé au dossier médical, voire peut être lu en partie par le patient à la consultation suivante et faire l’objet d’une discussion.

Enfin, malade et clinicien peuvent décider de co-écrire, ce que l’on appelle le co-authoring. À tel ou tel moment clé du cheminement, ils proposent une sorte de synthèse provisoire de ce qui, alors, devient à l’évidence une véritable alliance thérapeutique – ce que Rita Charon nomme « affiliation » et ce que j’appelle une communion.

4) Objections

Même si elle gagne rapidement du terrain, multiples sont les résistances de la médecine et des médecins à l’égard de la médecine narrative.

a) Durabilité ?

Ne s’agit-il que de nouvelles modes comme celles du storytelling, en partie venues d’Amérique du Nord – sous-entendu, ces propositions alternatives sont vouées à la même obsolescence programmée que les autres modes ?

Nous répondrons que autre est le temps de la découverte, autre son contenu. Or, ce temps est contingent, donc accidentel. Précisons toutefois qu’un temps contingent peut aussi être un kairos, et devenir important donc, rétrospectivement, nécessaire. En revanche, quant au contenu, la narration est essentielle. Elle est une composante de notre humanité, ou plutôt de son appropriation. C’est ce qu’a montré Paul Ricœur : notre identité est réflexive et, réflexive, est historique (s’inscrit dans une histoire) et, historique, est narrative. Or, comme le disait l’étudiante en médecine : « La maladie est une sorte d’expression d’une histoire ». Plus encore, il suffit d’écouter une personne pour se rendre compte que ses histoires de maladies occupent plus de place (temps et espace) que l’histoire de sa bonne santé.

b) Nouveauté ?

Ensuite, les médecins n’écoutent-ils pas les patients depuis longtemps ? Ils n’ont pas attendu Rita Charron pour écouter leurs malades !

En fait, l’on sait aujourd’hui que les médecins écoutent moins leurs patients qu’autrefois. Précisons d’emblée que cette baisse provient non pas d’une volonté du médecin lui-même qui aurait par exemple renoncé à cette écoute des besoins du patient parce qu’elle serait devenue inutile, mais des contraintes multiples liées à son exercice : la multiplication des examens complémentaires qui médiatisent et relativisent l’apport du patient ; le morcellement des spécialités qui rend inutile ou plutôt inutilisable le discours global du malade ; la multiplication des tâches, directement médicales (soins, formation continue), ou indirectement (évaluation, administration) ; et, ce que l’on ne doit pas négliger, une judiciarisation de la profession (avec son lot de méfiance, d’objectivation, de souffrance).

c) Utilité ?

Enfin, si l’écoute est importante, elle est précédée par les questions du médecin. Assurément, le médecin doit recevoir le patient et se mettre à son écoute : c’est bien lui qui est malade et présente les symptômes. Mais tout bon médecin sait que, ce qui le différencie de l’homme de la rue, c’est sa capacité à reconnaître et interpréter les symptômes, plus, à savoir signifiant ce qui ne l’est pas au regard du non-médecin. Or, avant l’examen clinique et les examens complémentaires, c’est l’interrogatoire du médecin qui recueille ces signes.

Moins anecdotique que les précédentes, cette objection permet d’aller au cœur de la relation médecin-malade : l’apport propore de celui-ci. Révélatrice est, de ce point de vue, l’attestation de l’étudiante en médecine : « La relation est un échange qui vous enrichit tous les deux ».

d) Impractibilité ?

L’objection la plus fréquente adressée à la médecine narrative est qu’elle ne peut être pratiquée. En effet, elle requiert que le patient soit entendu parfois une demie-heure sans être interrompu. Or, quel praticien, en régime 1, c’est-à-dire touchant 27 euros par consultation, peut-il se permettre d’offrir un tel temps sans travailler 14 heures par jour ou mettre la clé sous le paillasson ?

Le professeur Goupy répond concrètement. Averti de l’importance vitale, bienfaisante d’une écoute ininterrompue du patient, le clinicien pourra procéder ainsi dans une consultation de médecine générale dans laquelle par exemple il consacrera dix minutes au receuil des signes avant l’examen physique :

 

« Rien ne s’oppose à ce que huit minutes soient réservées à une écoute sans interruption, sans prise de notes dans le dossier (ou dans l’ordinateur) ; l’interrogatoire sera conduit pendant les deux minutes restantes, et l’observation sera consignée dans le dossier médical pendant que le patient se déshabille pour l’examen clinique [11] ».

e) A-scientificité

Enfin, certains s’imaginent que la médecine narrative s’oppose à la médecine scientifique – la médecine fondée sur les preuves. Or, tout ce qui est réactif est partial, donc partiel.

Répondant elle-même à cette difficulté, Rita Charon s’est fortement opposée à ce dualisme néfaste. Elle-même affirme qu’elle pratique la Evidence-Based-Medecine, « la médecine fondée sur les preuves », et forge une nouvelle expression « Narrative Evidence-Based-Medecine » [12]. Elle rappelle à cette occasion la distinction on ne peut plus traditionnelle entre les deux aspects de la médecine que sont l’art et la science. Or, la narrativité relève de l’art ; de fait, comme l’art, elle dispose d’outils opérationnels pour mieux écouter les patients.

5) Relecture à la lumière de la dynamique du don

a) Un éloge de la réception

L’apport peut-être le plus décisif de la médecine narrative est l’insistance accordée à l’écoute du patient et à l’écoute sans aucune interruption. Cette caractéristique peut sembler accidentelle. Elle me semble au contraire de grande portée phénoménologique pour une philosophie de l’amour. Les raisons me semblent être de deux sortes, en négatif et en positif.

En creux, interrompre, c’est non seulement ni d’abord manquer de respect pour la parole de l’autre (qui aime être interrompu ?), mais c’est secrètement estimer que sa parole (ou sa question, même si elle est destinée à clarifier un propos) est plus importante que celle d’autrui, donc adopter une posture surplombante. Or, la domination est l’ennemie de la donation (y compris de la réception). De même, interrompre, c’est introduire mon ipséité dans l’altérité. Or, le moi est aliquid, autre que l’autre. Donc, couper la parole, c’est couper le vin de l’altérité, par l’eau inopportune de la mêmeté.

En plein, recevoir, c’est offrir à l’autre un espace qui le contient : ce n’est pas seulement lui faire face avec disponibilité, c’est en quelque sorte l’envelopper. Or, comme la matrice corporelle, le « chez » spirituel est dénué de solution de continuité spatiale ou temporelle : comme en reflet de l’unité de ce qui se donne, ce qui reçoit lui offre une unité encore plus vaste. Ce n’est pas un hasard si la donation et la réception entre en résonance avec la symbolique du masculin et du féminin, du yang et du yin. Et il n’y a pas plus un et unificateur que cet abri féminin. Par ailleurs, la parole est, sinon la personne d’autrui (ce serait réduire l’être à l’agir, si noble soit-il), du moins l’effectuation et la symbolisation de l’autre (au sens de la loi de symbolisation). Or, la personne est une entité une, totale, continue. Donc, accueillir l’autre requiert que j’honore la totalité de sa parole, par exemple de son récit et que je ne l’interrompe pas.

b) Une reconnaissance de la dynamique ternaire du don

Par ailleurs, la dynamique (interne) du don est rythmée par un triple moment : réception, appropriation et donation. Or, nous avons vu que la médecine narrative requiert « trois mouvements » : l’attention est par excellence l’attitude réceptive qui décentre de soi et centre sur l’autre ; la représentation est une conservation et une configuration, qui sont, justement, les deux actes les plus fondamentaux de l’appropriation ; et l’affiliation s’identifie au fond à l’alliance ou à la communion qui est la finalité du don ou un un don réciproque.

D’ailleurs, pour exposer le mouvement propre proposé par la médecine narrative, Rita Charon fait appel à la métaphore de la dynamique cardiaque : diastole et systole. En effet, comme la diastole, l’attention correspond à ce moment d’accueil, d’écoute de l’autre, d’attention à son récit ; alors que, à l’instar de la systole, la représentation et l’affiliation correspondent au moment actif de synthèse, de jugement diagnostique et de décision thérapeutique. Or, les deux moments de la rythmique cardiaque correspondent très précisément à la réception et à la donation. L’on notera seulement que manque le moment de l’appropriation.

6) Conclusion

L’ouvrage fodateur de la Médecine narrative a pour sous-titre : Honoring the Stories of Illness. Rappelons que la langue anglaise emploie trois mots là où le français n’en connaît qu’un seul, maladie : illness, la maladie-subjective, c’est-à-dire le vécu intérieur de la maladie ; disease, la maladie-objective, c’est-à-dire la pathologie que le médecin l’analyse ; sickness, la maladie-sociale, c’est-à-dire la représentation collective. La distinction la plus importante, celle des deux premiers termes, illness et disease, recouvre la différence philosophique, précisément phénoménologique, entre le corps-sujet ou chair (Leib) et le corps-objet (Körper). Ainsi, Rita Charon a voulu pleinement revalorisé la dimension vécue de la maladie à travers le récit qu’en trace la personne du patient. Ce faisant, elle efface la dénivellation toujours menaçante existant entre les deux acteurs du soin.

Pascal Ide

[1] Rita Charon, Narrative Medicine: Honoring the Stories of Illness, Oxford, Oxford University Press, 2006 : Médecine narrative. Rendre hommage aux histoires de maladies, trad. sous la direction du Dr Anne Fourreau, coll. « Sciences humaines », Aniche, Sipayat, 2015.

[2] Cf. Rita Charon & Martha Montello, Stories Matter: The Role of Narrative in Medical Ethics, London, Routledge, 2002 ; Rita Charon & Peter L. Rudnytsky, Psychoanalysis and Narrative Medicine, Albany (New York), SUNY Press, 2008.

[3] Rita Charon, « Narrative medicine in the international education of physicians », La Presse Médicale, 42 (2013) n° 1, p. 3-5.

[4] Cf., par exemple, Rita Charon (éd.), Principes et pratique de médecine narrative, coll. « Sciences humaines », Paris, Sipayat, 2020.

[5] Cf. François Goupy et Claire Le Jeunne (éds.), avec la coll. de Dr Gaëlle Abgrall-Barbry, Dr Anne Chahwakilian, Pr Élisabeth Aslangul et Pr Serge Perrot, La médecine narrative. Une révolution pédagogique ?, Paris, Med-line éditions, 2016.

[6] Cf. Rita Charon, Médecine narrative, chap. 7 : « Attention, Representation and Affiliation ».

[7] Rita Charon, « Narrative and medicine”, New England Journal of Medicine, 350 (2004) n° 8, p. 62-864.

[8] “… the narrative competence of recognize, absorb, interpret and be moved by the stories of illness” (Rita Charon, “Préface”, Narrative Medicine: Honoring the Stories of Illness, p. vii).

[9] François Goupy, « Présentation de la médecine narrative », François Goupy et al., La médecine narrative, p. 23-36, ici p. 26.

[10] Cf. Antonio R. Damasio, L’erreur de Descartes. La raison des émotions, trad. Marcel Blanc, Paris, Odile Jacob, 1995 ; Spinoza avait raison, trad. Jean-Luc Fidel, Paris, Odile Jacob, 2003.

[11] François Goupy, « Présentation de la médecine narrative », p. 33.

[12] Cf. Rita Charon, “The art of medicine. Narrative Evidence-Based-Medecine », Lancet, 371 (2008) n° , p. 296-297.

11.3.2024
 

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