« C’est aussi pour toi ! » Fête du Christ-roi (34e dimanche du TO, fête du Christ-Roi, 26 novembre 2023)

Le Christ est notre roi. Et, pour pouvoir parler d’un royaume, il faut un chef, un pays sur lequel il règne et des relations avec les autres pays.

 

  1. Le chef, le roi, c’est Jésus.

Écartons une incompréhension. Au moment où Jésus dit à Pilate qu’il est roi, il précise : « Mon royaume n’est pas de ce monde » (Jn 18,26). Un peu de grammaire n’est pas inutile. « De » peut signifier une possession (le manteau de saint Martin) ou une origine (saint Martin vient de Hongrie). Or, souvent, nous interprétons la parole de Jésus dans le premier sens. Dans ce cas, cela signifierait que Jésus ne doit pas régner dans ce monde, ce qui serait tout concéder au mensonge de l’Usurpateur qui se fait appeler « prince de ce monde ». Mais le « de » désigne une origine (« ex hoc mundo », traduit la Vulgate). La seigneurie du Christ ne provient pas de ce monde, puisqu’elle vient de Dieu même qui est créateur et saint Paul lui-même affirme que « en Lui [le Christ], tout a été fut créé, dans le ciel et sur la terre » (Col 1,16).

Mais comment Jésus devient-il roi ? Il peut bondir dans une âme comme il le fait avec Saul de Tarse. Et ne croyons pas que cette histoire est du passé. Vous connaissez peut-être le témoignage de conversion d’André Levet, le voleur et l’assassin repenti [1]. Né en 1932, il a commis tellement de crimes qu’il est condamné à 120 ans de prison. Il a déjà été tenté de s’évader six fois. Rebelle et ultraviolent, il est toujours révolté. Néanmoins, sans entrer dans le détail, lui qui est de famille athée et n’a jamais entendu parler de Dieu, rencontre un prêtre qui lui écrit fidèlement tous les mois et lui envoie une Bible. André lit quelques passages, mais il n’y croit pas. Mais, quand sa dernière tentative d’évasion échoue, il est profondément découragé et il lance un défi à Dieu. Laissons lui la parole :

 

« Je lui ai dit : ‘Si tu existes je te donne un rancart. Viens cette nuit à 2 heures du matin dans ma cellule et tu m’aideras à m’évader’.

Ayant oublié ma demande, je me suis endormi. Mais d’un coup au milieu de la nuit j’ai été réveillé. Prêt à bondir, j’ai senti une présence dans ma cellule, mais je ne voyais personne. Puis j’ai entendu une voix claire et forte à l’intérieur de moi : ‘André, il est 2 heures du matin, on a rendez-vous’.

J’appelais le gardien en criant : ‘C’est toi qui m’appelle ? – Non, me dit-il. – Quelle heure est-il demandais je ? – 2 Heures. – 2 heures combien ? – 2 Heures pile’, me répondit le gardien. Puis la voix se fit entendre à nouveau : ‘Ne sois pas incrédule, je suis ton Dieu, le Dieu de tous les hommes. – Mais comment tu peux me parler dans les oreilles, alors que je ne te vois pas ? Alors, laisse-moi tranquille, va t’en ou montre-toi !’, répondis-je plein de colère.

À ce moment-là, vers les barreaux de la lucarne, une lumière apparut. Les mots sont trop pauvres pour décrire la beauté de cette lumière. Il n’y a plus de barreaux, plus de mur, juste un beau ciel. Mais écoutons André témoigner :

« Et, là, dans cette lumière, il y a un homme, un homme que je ne connais pas, un homme que je n’ai jamais vu. Et alors, il va seulement me montrer des mains percées, des pieds percés, un côté percé. Et là, je vais entendre ces paroles qui seront très fortes : ‘Là, dans cette cellule, c’est aussi pour toi !’ [2] »

À ce moment-là, les écailles de mes yeux, lourdes de 37 ans de péchés, sont tombées et, là, en un éclair, je revois toute ma vie j’ai vu toute ma misère et toute ma méchanceté. Je comprends que je suis un pécheur et que Jésus est mon Sauveur. Alors là, moi qui ne me suis jamais incliné devant personne, pour la première fois, je suis tombé à genoux et suis resté dans cette position jusqu’à 7 heures du matin. J’ai pleuré devant Dieu et tout le mal est sorti de moi. J’ai compris que pendant 37 ans, j’avais enfoncé les clous dans ses mains et dans ses pieds.

À 7 heures les gardiens m’ont ouvert, ils m’ont vu à genoux et pleurant, je leur ai dit : ‘Je ne vous cracherai plus dessus, je ne frapperai plus personne, je ne volerai plus personne, car chaque fois que je le ferai c’est à Jésus que je le ferai’. Les gardiens ont été surpris, ils ont cru dans un premier temps à une ruse de ma part. Puis rapidement, ils ont compris que j’avais totalement changé. À ceux qui pensent qu’André veut encore s’évader, il répond : ‘Ma septième cavale, je l’ai déjà faite. Je l’ai faite avec Jésus. C’est la plus belle de toutes. Car, cette cavale, personne ne pourra m’arrêter. C’est une évasion avec Dieu, Jésus-Christ et Marie pour l’éternité’ ».

 

Certes, nous ne sommes pas tous des délinquants. Le plus souvent, nous n’avons pas rencontré Jésus comme une voiture percute un platane ! Le plus souvent, nous avons été élevés dans une famille chrétienne et nous n’avons pas perdu la foi. Comme la petite Thérèse. Mais, comme elle aussi, nous avons bénéficié de signes particuliers de Dieu. Notre foi héritée est devenue une foi appropriée. Nous sommes passés d’une foi d’enfant à une foi adulte, personnelle. Faisons-en mémoire. Et si ce n’est pas le cas, nous pouvons prier pour que Jésus soit le roi de notre vie. Et il nous répondra, comme il a répondu à André Levet : « C’est aussi pour toi ! »

Demandons-nous : est-ce que Jésus est celui qui règne en moi ? Est-ce que ma vie a le Père pour but, l’Esprit-Saint comme moteur, Jésus comme modèle ? Est-elle configurée par la Sainte Trinité ?

 

  1. Le Christ est roi s’il règne sur son royaume. Et le signe de son règne est l’unité, c’est-à-dire la paix.

Vous le savez, la majorité des prêtres de Paris s’est retrouvée il y a dix jours au sanctuaire marial de Lourdes. Or, pendant ces quatre jours, l’Esprit a soufflé de manière extraordinaire, l’Esprit de joie, ainsi qu’en témoigne le père de Fombelle dans le Trait d’Union de la semaine dernière. Mais aussi et peut-être plus encore, l’Esprit d’unité. Permettez-moi un témoignage personnel. Pour faire ressentir le travail de l’unité, soyons concret.

Quelques mois après sa nomination, Mgr Ulrich a souhaité rencontrer les prêtres du diocèse dans la crypte de l’église Saint-Honoré-d’Eylau. Nous venions de subir la démission de notre précédent archevêque dans les circonstances que vous savez ; quelque temps avant, deux vicaires généraux avaient eux aussi démissionné et quitté notre diocèse. L’incompréhension était grande, la souffrance palpable et, comme toujours dans ces cas-là, les tensions avivées. Nous les connaissons bien. Dans le pays qui, voici plus de deux siècles, a inventé la distinction-division droite-gauche, elle se traduit ecclésialement dans la polarisation traditionnaliste (ou classique) – progressiste.

Or, en nous retrouvant à Lourdes, nous ne pouvions manquer de repérer ces différences. De mille manières : dans les habits, la manière de concélébrer la messe, de prendre position sur telle ou telle question pastorale ou théologique. Pourtant, que s’est-il passé ? Prenons un exemple parmi d’autres. La dernière journée, une présentation a été faite d’un projet pastoral à l’échelle du diocèse. Il s’intitule : « Les sacrements, don de Dieu pour un monde fraternel ». Un long moment d’échanges s’en est suivi. Comme il fallait s’y attendre, une objection a surgi : « J’ai appris que les sacrements sont d’abord faits pour nous donner non pas une vie fraternelle, mais la vie éternelle ». Aussitôt, nous voyons apparaître l’insistance soit sur la dimension verticale, soit sur la dimension horizontale, qui caractérise les options relevées ci-dessus. Or, contre toute attente, nul débat ne s’en est suivi. L’observation a été enregistrée comme digne d’intérêt et nous sommes passés à d’autres sujets. Alors que, dans d’autres diocèses ou d’autres circonstances, j’ai pu assister à des polarisations qui mobilisaient toute l’énergie, toute l’attention et tout le temps, des polarisations où se rejouaient toutes les tensions et les divergences accumulées, ici, rien de tel. Ce qui importait n’était pas une uniformité lisse et consensuelle, mais une unité dialogale riche de ses différences.

Ainsi, à l’ombre de Marie, ce que nous avons expérimenté a été beaucoup plus qu’un moment de fraternité (depuis 34 ans que je suis prêtre du diocèse de Paris, le presbytérium ne s’est jamais retrouvé plus d’une journée), plus que la rencontre d’anciens combattants (et de plus jeunes combattants !), c’est l’action de l’Esprit d’unité, l’Esprit du Christ qui était véritablement le Roi de paix que nous étions venu rencontrer et servir. Et si le Christ a ainsi pu régner entre nous, c’est que, au cours des célébrations, de la messe à la grotte, de la veillée aux flambeaux, du chemin de croix, de la prière personnelle, il a régné en nous.

 

  1. Enfin, un royaume n’est pas une île – isola, en latin, qui a donné « isolé » –, mais il est lié aux autres royaumes. Comme l’affirmait Benoît XVI, ce règne n’est pas politique, mais d’abord intérieur. Pour autant, si Jésus règne en nous, cela ne pourra pas ne pas déborder hors de nous.

Après six années en prison, André Levet fut libéré. Il a voulu devenir prêtre, mais le Seigneur ne le voulait pas… derrière les murs d’un séminaire ! Il s’est mis à témoigner de l’amour de ce Dieu merveilleux qui a changé sa vie. Il en parle dans les écoles, il en parle aux gens de la rue, il en témoigne à ses frères détenus, il les visite, leur redonne espérance. Bref, il vit les paroles de l’évangile de ce jour. En novembre 2023, André Levet qui a 91 ans est toujours en vie.

Il n’est pas toujours facile de témoigner directement de Jésus. Du moins, dans un premier temps. Que faire ? Le pape François nous donne un précieux conseil dans sa belle lettre apostolique sur sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus : « Les dernières pages de l’Histoire d’une âme [3] sont un testament missionnaire. Elles expriment sa manière de concevoir l’évangélisation par attraction [4], et non par pression ou prosélytisme ». Et il cite un passage de Thérèse qui, elle-même, commente le Cantique des Cantiques : « Attirezmoi » : « Voici ma prière, je demande à Jésus de m’attirer dans les flammes de son amour, de m’unir si étroitement Lui, qu’Il vive et agisse en moi. Je sens que plus le feu de l’amour embrasera mon cœur, plus je dirai : Attirez-moi, plus aussi les âmes qui s’approcheront de moi (pauvre petit débris de fer inutile, si je m’éloignais du brasier divin), plus ces âmes » seront attirées. Elles « courront avec vitesse à l’odeur des parfums de leur Bien-Aimé, car une âme embrasée d’amour ne peut rester inactive [5] » [6].

 

Jésus, c’est aussi pour moi que tes mains, tes pieds et ton côté ont été percés. Sois le roi de ma vie, je te donne le volant. Et que ta présence, en moi, rayonne, que je sois artisan d’unité et de paix, que je cherche d’abord non pas ce qui divise, mais ce qui réconcilie. « Bienheureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5,8).

Pascal Ide

[1] Je croise la vidéo sur un autre site (https://www.youtube.com/watch?v=DpBz8Qjp8pM), et le texte sur un site qui résume le témoignage (https://laportelatine.org/spiritualite/temoignage-dandre-levet), tous deux consultés le 26 novembre 2023, fête du Christ-Roi. Cf. André Levet, Ma dernière cavale avec Jésus-Christ, Paris, Nouvelle Cité, 1988 ; La prison du rendez-vous ou la liberté de Dieu, Paris, Nouvelle Cité, 1983.

[2] https://www.youtube.com/watch?v=DpBz8Qjp8pM

[3] Cf. Ms C, 33v°-37r°, p. 280-285.

[4] Cf. François, Exhortation apostolique Evangelii gaudium, 24 novembre 2013, n. 14.

[5] Ms C, 36r°, p. 284.

[6] François, Exhortation apostolique C’est la confiance sur la confiance en l’amour miséricordieux de Dieu à l’occasion du 150e anniversaire de la naissance de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face, 15 octobre 2023, n. 10 et 13.

26.11.2023
 

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