The quiet girl
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Pays:
Irlandais
Thème (s):
Amour, Education, Famille, Rédemption
Date de sortie:
12 avril 2023
Durée:
1 heures 36 minutes
Évaluation:
***
Directeur:
Colm Bairéad
Acteurs:
Catherine Clinch, Carrie Crowley, Andrew Bennett, Kate Nic Chonaonaigh, Michael Patric
Age minimum:
Adolescents et adultes

The Quiet Girl (An Cailín Ciúin), drame irlandais écrit et réalisé par Colm Bairéad, 2022. Inspiré de la nouvelle de Claire Keegan, Foster (Les trois lumières). Avec Catherine Clinch, Carrie Crowley, Andrew Bennett, Kate Nic Chonaonaigh et Michael Patric. Ours de cristal du jury international Generation Kplus du meilleur film et nomination pour le meilleur long métrage international à la 95e cérémonie des Oscars.

Thèmes

Famille, éducation, amour, rédemption.

Si critiques et spectateurs ont volontiers applaudi à l’esthétique des paysages toute en luminosité enchanteresse et celle des visages, toute en sobriété et délicatesse, l’on a moins noté la pédagogie toute en justesse mise en œuvre par la famille élargie des cousins qui conduit à une remarquable maturation de la jeune Cáit.

 

  1. De prime abord, presque tout oppose ces deux mondes séparés par beaucoup plus que trois heures de route (ce qui n’est pas négligeable en Irlande) : la famille nombreuse versus le couple (apparemment) sans enfant ; le milieu miséreux versus l’aisance bourgeoise ; la baraque sale et désordonnée versus le domicile propret et bien rangé ; le mari colérique versus l’époux attentif ; la mère débordée jusqu’à friser le burn-out et l’indifférence versus la quasi-mère toute attentive et attentionnée à celle que, dès qu’elle ouvre la porte de la voiture, elle salue d’un : « Regarde-moi cette jolie fille. Sors que je te regarde » ; le jugement permanent et excluant versus le regard qui n’observe que pour prendre soin ; la moquerie humiliante pour l’énurésie versus l’excuse délicate (« Ces housses sont décidément très humides ») ; l’absence de toute parole d’adieu qui d’attachement versus le délicat acte de pardon (le gâteau abandonné sur le bord de la table qui vaut mieux que mille paroles) ; la petite fille négligée jusqu’à la saleté versus la jeune fille soignée jusqu’à la beauté ; la défense par l’absence, le silence et l’indifférence versus l’ouverture dans la présence, la parole et la participation ; etc.

Mais le risque d’une opposition aussi polaire n’est pas seulement une présentation manichéenne qui diabolise la famille de sang et canonise la famille de cœur, il est de préparer une dramatique désidéalisation de celle-ci qui fera sombrer la jeune fille plus bas que celle-là.

Et tel est le péril qui pointe lorsque, à la suite d’une incompréhensible imprudence (si le dialogue qui suit montre combien les Cinnsealach n’ignorait pas combien la voisine anonyme était une vipère amère, pourquoi a-t-elle couru un tel risque ?), la fillette est doublement affectée : avant tout dans sa confiance vis-à-vis d’Eibhlín qui trahit une parole-promesse, d’autant qu’elle fut prononcée avec solennité ; dans une proximité avec le fils mort dont elle a porté les habits pendant une semaine. À ce qu’elle ressent comme trahison et mensonge par omission qui taillade le lien se joint, en-deçà des mots, une autre œuvre de mort : la substitution (d’enfant) et la compensation (d’amour) se muent en identification (avec le défunt).

 

  1. La Roche tarpéienne est proche du Capitole – surtout à une époque tentée par le pessimisme et la déconstruction. Pourtant, Cáit ne brûlera pas ce qu’elle a adoré. Pourquoi ne s’enferme-t-elle pas à double tour dans le mutisme et la méfiance qui sont ses fuites habituelles ? Comment conjure-t-elle la tentation de la bouderie ? Nous sommes voués aux hypothèses tant la profondeur admirable du cœur demeure accessible à celui seul qui l’ouvre à la parole, et tant le film s’arrête avec discrétion sur le seuil du mystère tout en impliquant le spectateur.

Assurément, the quiet girl ne peut raturer des semaines d’amour dont elle a ressenti dans sa chair les bienfaits nouveaux et profondément rénovateurs, jusqu’à cesser de s’oublier au lit en quelques jours…

Assurément aussi, joue la communication franche, surprenante même, par laquelle d’un côté Cáit ne dissimule rien de ce qu’elle a ressenti après les révélations de la commère et, de l’autre, ce qui est encore plus admirable, les cousins ne cachent rien de ce qui fait leur honte.

Toutefois, le plus important réside dans une scène aussi fugitive que décisive, aussi éthique que symbolique, où Seán explique sobrement, mais profondément, à Cáit l’intention de son épouse. Prenant soin du décor, il montre qu’il prend soin de la personne de cette quasi-fille adoptive. Comme un père, il cherche et trouve les mots pour dire ce qu’Eibhlín a vécu avec ses entrailles. Ce faisant, il écarte une double issue trompeuse : la complicité transie de compromission ou de chantage affectif, la simplicité prétendue et idéalisée de personnes adultes dont la parole serait débarrassée de toute ambiguïté, celle de protéger ou de se protéger. Pour cela, il introduit Cáit à la complexité de la personne dont Maine de Biran disait qu’elle est « simplex in vitalitate et duplex in humanitate » : d’un côté, l’intention d’Eibhlín était heureuse ; de l’autre, la réalisation (à savoir l’omertà) était calamiteuse. Cette entrée dans la maturité qui est identiquement la sortie de l’idéalisation simplifiante et le consentement à des relations tissant ombres et lumières, est l’un des buts et des signes de l’éducation réussie. Rappelons-nous le terme et sommet de ce superbe film d’animation qu’est Inside Out (Vice Versa de Pete Docter et Ronnie Del Carmen, 2015) : la naissance, chez une préadolescente à peine plus âgée, de ce beau sentiment complexe qu’est la nostalgie, conjuguant joie et tristesse.

 

Et là réside peut-être la clé de la dernière scène du film qui oscille entre deux simplismes qui sont les deux interprétations unilatérales épinglées ci-dessus : la fuite avec les parents adoptifs et aimants ; le retour chez les parents démissionaires sinon violents. En étreignant enfin cette figure paternelle protectrice et en criant « papa », Cáit peut vivre cet enchevêtrement ambivalent qui n’est pas seulement le lot nos cœurs intranquilles (non quiet) d’être blessés et fautifs, mais l’étape intermédiaire obligée du refus des oppositions binaires, sur le chemin qui nous fait accéder à la paix durable des unités réconciliées. Celle-ci demande de renoncer autant au désamour des proches par centration boudeuse sur son ego prétendument incompris qu’à un amour idéal, mais irréaliste, pour reconnaître tout ce qu’elle a reçu de sa famille élargie et enfin pouvoir vivre un amour difficile, mais possible avec des parents défaillants, mais au fond bienveillants au sens le plus étymologique du terme.

 

  1. Comment, enfin, ne pas nous réjouir de l’ouverture spirituelle suggérée par le film ? Dans la saisie que ce Seán qui critique le curé pour ses homélies trop longues n’est en rien imperméable au verbum abreviatum par excellence : l’amour-don et le pardon. Dans la symbolique de cette scène féerique où l’infinité apaisée de l’océan fusionne avec l’infinité éroilée du firmament. Plus encore, dans la symbolique des trois étoiles – ou plutôt de la naissance d’une troisième étoile – qu’il appartient au spectateur de déchiffrer : miracle d’une lumière naissant dans un cœur d’enfant qui comprend, consent et s’ouvre à nouveau ? éclosion d’un tiers consolateur entre des parents meurtris par la mort de leur enfant ? trace de la Trinité salvatrice ?

Pascal Ide

Irlande, 1981. Benjamine d’une famille nombreuse et miséreuse, Cáit Cháit (Catherine Clinch), est délaissée par sa mère Máthair (Kate Nic Chonaonaigh) qui attend un nouvel enfant, et son père Athair (Michael Patric) qui, avec ses sœurs aînées, la méprisent, parce qu’elle fait encore pipi au lit et lit avec difficulté. Mal intégrée dans sa famille comme à l’école, la fillette de 9 ans est solitaire et taciturne.

Ses parents décident alors de l’envoyer passer l’été dans la ferme d’une cousine éloignée, Eibhlín Cinnsealach (Carrie Crowley), qui vit seule avec son mari Seán (Andrew Bennett), à 3 heures de route de chez eux, à Rinn Gaeltacht, dans le comté de Waterford. Autant Eibhlín accueille Cáit avec cordialité, lui fait couler un bain, la lave avec soin et la coiffe précieusement, autant Seán est avare de paroles affectueuses et de gestes chaleureux. Comme le père est reparti en ayant négligemment oublié la valise de Cáit, Eibhlín lui prête des habits de garçon. Elle lui affirme aussi avec solennité que, dans cette maison, il n’y a point de secret.

Eibhlín apprend à Cáit les tâches ménagères et lui montre un puits profond où prendre prudemment de l’eau. Un jour, appelée au chevet d’un voisin malade, elle confie la petite à Seán. Occupé à nettoyer l’étable, l’homme ne la voit pas s’éloigner. Inquiet, il finit par la retrouver et la gronde. Effrayée, Cáit s’échappe encore. Pris de remords, le fermier finit par s’adoucir. Un biscuit d’abord et des courses chronométrées jusqu’à la boîte aux lettres le rapprochent de la fillette. Plus encore, il convainc son épouse hésitante à l’emmener en ville pour lui acheter des robes colorées afin de remplacer les vêtements de garçon qu’elle porte depuis son arrivée.

De retour, ils apprennent que le voisin malade est décédé. Tous trois assistent à la veillée funèbre. Alors que Cáit semble s’ennuyer sur sa chaise, Eibhlín accepte la proposition d’une voisine (Carolyn Bracken) de l’emmener chez elle quelques heures pour jouer avec ses enfants. Sur le chemin, cette commère médisante questionne la fillette au sujet des Cinnsealach et surtout prend un malin plaisir à lui apprendre un terrible secret : poursuivant le chien, leur fils unique est mort noyé en tombant dans la fosse à purin. Cette nouvelle bouleverse Cáit : les vêtements qu’elle portait était ceux de l’enfant mort et, surtout, Eibhlín n’a pas tenu sa promesse de ne rien cacher.

Comment cette jeune fille si fragile va-t-elle réagir ? Comment les liens de confiance si heureusement tissés pourront-ils résister à ce qui lui apparaît comme une trahison ?

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