Avatar, science-fiction américain de James Cameron, 2009. Premier opus de la franchise cinématographique éponyme. Avec Sam Worthington, Sigourney Weaver, Zoe Saldana.
Thèmes
Humilité, unité, réceptivité, don.
Afin de préparer l’analyse du deuxième opus de la franchise phénomèn(al)e de Cameron, nous nous permettons un retour détaillé sur le premier – analyse qui ne rend pas caduque la précédente, mais ouvre d’autres champs [1]. À version (DVD) plus longue, commentaire plus long !
Depuis combien de temps Jim Cameron subcrée-t-il le monde d’Avatar, ce monde qu’est Avatar ? Sans doute pas moins d’années que Georg Lukas. En effet, celui-ci a dédié plus d’un tiers de siècle à élaborer l’univers de Star Wars et ainsi nous faire rêver. Or, le premier script de Cameron sur son film remonte à 1994, alors qu’il avait 40 ans et dont il avait ajourné la réalisation à cause d’autres priorités cinématographiques comme Titanic (1998). Néanmoins, le record, semble-t-il absolu, demeure Tolkien qui, lui, a consacré pas moins de soixante années de sa vie à inventer la mythologie « absolue » de la Terre du Milieu.
De même que Dieu crée le monde, c’est-à-dire « le ciel et la terre » (Gn 1,2), de même l’artiste subcrée un monde imaginaire. Ou plutôt, il faudrait dire que, de même qu’une mère conçoit son enfant, qu’un génie conçoit une idée (ne parle-t-on pas, justement, de concept ?), de même un artiste, en particulier un poète, un dramaturge, un romancier ou un cinéaste-scénariste, conçoit-il un monde fictionnel – ce qui ne veut surtout pas dire seulement fictif. Le dernier le construit avec son imaginaire ou sa fantasy (qui est beaucoup plus que la seule imagination sensible), le deuxième avec son intelligence, la première avec son corps (et non sans son cœur). Or, on le sait, la conception d’un enfant se déploie en neuf mois d’une vie toute intérieure et se poursuit dans l’œuvre d’éducation pendant des années ; de même un verbe n’accouchera d’une œuvre intellectuelle qu’après des années d’élaboration (que l’on songe aux sept rédactions successives de l’Action de Blondel) ; de même, également, l’intuition créatrice ne fructifie qu’après une longue, très longue maturation. Si « je crains l’homme d’un seul livre [2] », inversement, je crains l’artiste de plusieurs œuvres…
Donc, Avatar est, par nécessité, une œuvre d’art profondément conçue, longuement portée, puissamment enfantée. Mais est-ce un chef d’œuvre ?
Avatar est une histoire fabuleuse aux deux sens du terme. Certes, la technique ultra-immersive déployée et, plus encore, développée, par Cameron, y joue beaucoup. Mais le récit y joue plus. Et une méta-anthropologie (comme une méta-physique) encore davantage. En effet, comment, rétrospectivement, ne pas noter la structure secrètement trinitaire de notre compte-rendu qui, pourtant, n’avait d’autre intention que de coller au plus près à la logique de fond animant cette merveille subcréée par le cinéaste : paternelle de la générosité verticale ; filiale de l’humble réceptivité ; pneumatique de l’unité communionelle ?
Nous n’avons pas la naïveté ou l’intention de récupérer le long-métrage de Cameron pour le transformer en praeparatio evangelica, encore moins l’outrecuidance d’imaginer quelque prosélytisme chez ce grand artiste. Si nous pensons y retrouver quelques semences du Verbe et nous refusons de le diaboliser comme le font certains méfiants, nous avons seulement tenté de déchiffrer, avec empathie et, plus, enthousiasme, les raisons d’un succès mérité, qui va bien au-delà du savoir-faire hollywoodien, d’une évasion réussie, et n’a rien d’un produit de consommation aussi vite digéré qu’oublié. Des raisons qui s’enracinent au plus intime de notre humanité configurée à l’image du Dieu unitrine et honorent son abyssale profondeur qui faisait dire à Pascal : « L’homme passe infiniment l’homme [3] ».
Pascalide
[1] Si je laisse à d’autres le soin de détailler les prouesses techniques et esthétiques, ainsi que l’invention cosmologique des trois règnes, minéral, botanique et zoologique, ce n’est pas que je les néglige (au contraire, je les admire considérablement), mais parce que les sites ne manquent point !
[2] « Timeo hominem unius libri » : cette phrase est attribuée à saint Thomas d’Aquin (sans référence) par un évêque anglais du xviie siècle, Jeremy Taylor, selon la notice Wikipédia en anglais consacrée à l’aphorisme.
[3] Blaise Pascal, Pensées, éd. Brunschvicg 434 (éd. Lafuma 131 et éd. Sellier 164).
Afin de préparer l’analyse du deuxième opus de la franchise phénomèn(al)e de Cameron, nous nous permettons un retour détaillé sur le premier – analyse qui ne rend pas caduque la précédente, mais ouvre d’autres champs [1]. À version (DVD) plus longue, commentaire plus long !
Depuis combien de temps Jim Cameron subcrée-t-il le monde d’Avatar, ce monde qu’est Avatar ? Sans doute pas moins d’années que Georg Lukas. En effet, celui-ci a dédié plus d’un tiers de siècle à élaborer l’univers de Star Wars et ainsi nous faire rêver. Or, le premier script de Cameron sur son film remonte à 1994, alors qu’il avait 40 ans et dont il avait ajourné la réalisation à cause d’autres priorités cinématographiques comme Titanic (1998). Néanmoins, le record, semble-t-il absolu, demeure Tolkien qui, lui, a consacré pas moins de soixante années de sa vie à inventer la mythologie « absolue » de la Terre du Milieu.
De même que Dieu crée le monde, c’est-à-dire « le ciel et la terre » (Gn 1,2), de même l’artiste subcrée un monde imaginaire. Ou plutôt, il faudrait dire que, de même qu’une mère conçoit son enfant, qu’un génie conçoit une idée (ne parle-t-on pas, justement, de concept ?), de même un artiste, en particulier un poète, un dramaturge, un romancier ou un cinéaste-scénariste, conçoit-il un monde fictionnel – ce qui ne veut surtout pas dire seulement fictif. Le dernier le construit avec son imaginaire ou sa fantasy (qui est beaucoup plus que la seule imagination sensible), le deuxième avec son intelligence, la première avec son corps (et non sans son cœur). Or, on le sait, la conception d’un enfant se déploie en neuf mois d’une vie toute intérieure et se poursuit dans l’œuvre d’éducation pendant des années ; de même un verbe n’accouchera d’une œuvre intellectuelle qu’après des années d’élaboration (que l’on songe aux sept rédactions successives de l’Action de Blondel) ; de même, également, l’intuition créatrice ne fructifie qu’après une longue, très longue maturation. Si « je crains l’homme d’un seul livre [2] », inversement, je crains l’artiste de plusieurs œuvres…
Donc, Avatar est, par nécessité, une œuvre d’art profondément conçue, longuement portée, puissamment enfantée. Mais est-ce un chef d’œuvre ?
1) L’unité harmonieuse de Pandora
Le premier critère est, indéniablement, l’unité. Or, ce qui caractérise la planète non bleue des hommes bleus, c’est avant tout son étroite connexion, plus, sa communion. En plein et en creux.
a) En plein
Cette unité est d’abord celle des dix mille milliards d’arbres dont parle le docteur Grace Augustine (nom qui est tout un programme !) [3]. Or, ce premier opus insiste d’abord sur la richesse de la communication (pas moins de cent mille arbres sont reliés ensemble), sa vélocité (lors de la première et dramatique sortie, Grace fait des prélèvements avec Norman « Norm » Spellman, le scientifique nouveau venu, qui s’émerveille de la vitesse de diffusion de l’information), sa complexité (selon une comparaison qui, aujourd’hui, est devenue habituelle, mais, à l’époque, ne manquait pas d’originalité, ce réseau forestier [4] ressemble fort au network de notre encéphale humain).
Cette harmonie végétale embrasse aussi le règne animal dont le terme de l’histoire nous montrera combien il est solidaire de Pandora, avec laquelle il forme un tout.
Cette unité intéresse aussi le monde minéral, puisque celui-ci, en certains lieux, comme la chaîne flottante des Halleluyah, est doué de propriétés anti-gravifiques, donc pneumatiques, qui sont liées à ce minerai inconnu de la Terre, l’unobtanium, et corrigent la pesanteur propre aux individualités.
Enfin, et encore davantage, ce holisme panconnecté vaut pour les Na’vis en général et le clan des Omaticayas en particulier. En effet, les habitants de Pandora possèdent de longs filaments clairs, partant du haut de leur nuque et enveloppés autant que protégés par une natte ; or, cet organe qu’ils partagent avec les animaux et les plantes leur permet, d’entrer en connexion, tant avec le monde animal, par exemple un ikran (dragon volant), qu’avec le monde végétal, par exemple un Utral Aymokriyä (l’Arbre des voix), dans un acte de communion, autant physique que psychique, qu’ils appellent tsaheylu, « faire le lien ».
De fait, les Omaticayas sont connectés localement entre eux : par une vie sociale très intime (nous voyons un moment une famille entière étroitement entrelacée au sein d’un même hamac) ; par des paroles qui lient en profondeur, à commencer par la salutation désormais fameuse : « Je te vois », ce qui signifie : « Je vois en toi », « Je te reconnais » ; par les valeurs de communion qui sont tout sauf naïvement naturalistes, puisqu’elles permettent de s’ouvrir à un étranger et de le faire naître, littéralement, à la communauté : « Je suis né une deuxième fois », confie et confesse Jake Sully (elle est la signification symbolique du terme Avatar sur laquelle nous reviendrons) ; par les rites qui nouent rythmiquement l’entièreté de la communauté dans une immanence qui est une transe en danse, en vue de l’intégration (au milieu du film, lorsque Jake est accueilli comme un Omaticaya à part entière), de la guérison (vers la fin de l’histoire, quand la connexion se fait plus étroite afin de tenter de ranimer le docteur Grace) et de l’élection (au terme de l’intrigue, lorsque Jake naît à son avatar sans le secours de la technique, dans un transfert énergétique qui conduit à l’ouverture des yeux et à la dernière image d’un film qui est aussi une méditation sur le regard : « Je vois »).
Pour autant, ce systémisme ne rime pas avec monisme, puisque chaque individualité conserve sa liberté et que Neytiri n’hésite pas à choisir l’homme de sa vie en dehors de son clan. De même, l’immanence ne rime pas avec toute-puissance, puisque, malgré toute sa science, Mo’at ne pourra ramener Grace à la vie. Nous reviendrons aussi sur l’interprétation de ce point sensible.
Les Omaticayas sont aussi connectés globalement, puisque le nouveau Toruk Makto, le cavalier de la Dernière Ombre, qui a réussi à dompter le plus redoutable prédateur de Pandora, un Grand Leonopteryx, rallie pas moins d’une quinzaine de tribus de Na’vis et, plus encore, grâce à sa supplique à Eywa, réputé pour sa neutralité dans les conflits, obtient que toute la planète se rassemble et se révolte contre l’emprise humaine. Comment mieux dire l’unité riche de sa diversité caractéristique de ce monde au nom béni (Pandora joint, en effet, le mythologique et l’étymologique qui, en grec, signifie « tout est don ») ?
b) En creux
Cette communion-vibration est confirmée en négatif par l’attitude des « crânes rasés » qui ne sont que violence morcelante. Celle-ci s’incarne dans trois figures.
- La plus évidente est bien entendu celle de Miles Quaritch qui porte cette fragmentation jusque dans son corps. Violenté dès sa première sortie dans la jungle sauvage de Pandora, le colonel veut en garder la mémoire permanente, pour l’extérioriser incessamment, dans ses multiples agressions, dont la pire quoique plus inaperçue, est la manipulation des esprits, par laquelle il pénètre dans la biographie de Jake, comprend son désir de résupérer ses jambes et, par une empathie aussi cognitive que peu affective, convoque ce besoin de restauration de l’intégrité joint à celui de donner sens à son existence en redevenant un authentique Marine.
En réalité, Quaritch n’intériorise la wilderness de Pandora et ne la pérennise dans son corps griffé que parce qu’il a décidé de n’en voir que la cruauté et de s’aveugler sur sa merveilleuse splendeur. Par contraste, il est hautement révélateur que, lors de sa première nuit sur l’exolune, Jake, qui vient de subir la violence prédatrice des loups-vipères carnivores, découvre ensuite, grâce à Neytiri, la magie phosphorescente et plus végétale des bénédictions nycthémérales.
Et plus que du sacrifice manichéen au règlement de compte qui se doit d’achever tout film d’action où le bien annihile le mal, le duel final participe de la motivation vengeresse et amère que, depuis l’origine, Quaritch dissimule derrière ses motivations prétendument militaires. En effet, même vaincu, il poursuit la lutte, dévoilant combien, loin d’être mû par sa mission, la justice ou, moins éthiquement, la victoire, il n’est agi que par la haine destructrice et le ressentiment. D’où l’énergie viscérale tant qu’il n’a pas anéanti son ennemi. D’où l’intuition diabolique qui lui fait aller jusqu’à découvrir le lieu où se cache le corps humain de Jake. D’où, enfin, la jouissance perverse qui fait grimacer ses traits lorsqu’il s’apprête à l’assassiner.
- Il ne faudrait pas que cette figure plus spectaculaire en efface une autre, dont l’importance est directement proportionnelle à sa discrétion : Parker Selfridge, le chef civil de l’opération. En effet, il révèle la motivation profonde de cette atomisation néantisante : la cupidité. De manière aussi symbolique qu’éloquente, Cameron joint constamment à ses rencontres, ses dialogues et ses décisions l’acte clé de l’avidité qu’est la consommation jouissive. C’est ainsi qu’on le voit jouant au golf miniature, se distrayant avec un morceau du très précieux unobtanium, avalant un mug de café.
- Enfin, la dramatique serait inefficace sans ces anti-héros de l’ombre que sont les Marines. Là aussi, le réalisateur les campe par quelques traits qui, s’ils sont parcimonieux, sont d’une grande justesse. Dès le début, par la bouche de Jake, il souligne combien ce sont non pas les militaires, mais des mercenaires. Autant les premiers sont animés par la justice voire la piété patriotique, autant les seconds par l’utilitarisme. On ne vient aussi longtemps (six ans) sur une planète aussi dangereuse après un voyage aussi long (de durée équivalente) que parce que sa vie est devenue une survie, son sens désespérance et ses relations vacuité. Seul Jake Sully échappe à cette motivation mortifère par, nous l’avons dit, sa recherche explicite d’une intégrité et implicite d’une signification.
Voilà pourquoi, se trompant eux-mêmes, ces faux militaires et vrais mercenaires sont prêts à se laisser manipuler par le discours toxique d’un officier les enfumant par sa vision scotomisée de Pandora. C’est ainsi que la scène hypnotique d’endoctrinement précédant l’affrontement final est ponctuée par les hochements approbateurs des têtes et des esprits en attente de servitude volontaire.
Mais, objectera-t-on, en devenant Toruk Makto, Jake Sully ne fait-il pas de même avec le peuple Omaticaya ? Les Na’vis n’opinent-ils pas eux aussi du chef au chef ? Après avoir écouté attentivement et sans interruption le cavalier de la Dernière Ombre, c’est-à-dire le chevaucheur du Grand Leonopteryx, ne finissent-ils pas par le suivre sans coup férir pour coup férir ? La différence subtile entre les deux modes de recrutement fera mieux ressortir les deux formes d’unité polarisant l’histoire.
La différence réside bien évidemment dans l’intention qui, d’un côté, est le bien qu’est la protection de la planète et, de l’autre, le mal inouï qu’est sa destruction. Et cette fin qualifie du dedans la violence qui en découle : défensive d’un côté, offensive de l’autre. On ne peut donc purement et simplement opposer le mal de l’agression et celui de la vengeance.
De plus, si l’on ne peut nier que les soldats soient relativement courageux (leur supériorité technique compensant leur infériorité physique), les extraterrestres, eux, mobilisent en outre les vertus de prudence (au sens noble de vertu de l’initiative), de justice et de fraternité.
Plus encore, si Jake Sully atteste sa crédibilité en osant affronter le plus grand danger de Pandora et donc en risquant sa propre vie, Quaritch montre symétriquement son manque total de fiabilité en risquant la vie de ses hommes pour assouvir son irrépressible besoin de vengeance (lors de la fuite des prisonniers, il détruit la verrière protectrice au risque d’asphyxier les nombreux occupants humains de la pièce).
L’altérité des deux visions se manifeste enfin dans la modalité même par laquelle le gouvernement se concrétise : solitaire et vertical (top down) du côté des Terriens ; solidaire et horizontal de l’autre des Omaticayas.
Cette différence se vérifiera dans les résultats. Alors que le monde de Quaritch ne s’achève que par l’homicide, l’écocide et, finalement, par le suicide (symbolique) de son chef, celui des Na’vis se refuse à la vengeance et même à la peine légitime, en se contentant de raccompagner les Terriens à leur vaisseau, leur exprimant ainsi la confiance qu’ils ne reviendront pas. Confiance que déjouera le second opus… Ainsi, l’opposition ne passe pas de manière quasi-ontologique entre les mauvais Terriens et les bons Extra-terrestres, mais de manière éthique, entre les promoteurs et les contempteurs de l’uni-diversité. La preuve en est que certains hommes, Avatar 2 le montrera aussi, demeurent sur Pandora.
c) Conclusion
Les commentaires ont souvent opposé de manière binaire et excluante une Pandora paradisiaque et une Terre démoniaque. En réalité, l’opposition passe entre ceux qui cherchent l’unité, jusqu’à héberger l’altérité, et ceux qui, purement et simplement, la nient jusqu’à la broyer. Un autre signe : alors qu’aucun des envahisseurs (hors l’équipe scientifique) n’a pris la peine d’apprendre la langue locale, les Na’vis parlent un anglais tout à fait honorable ; or, la langue est la matrice de la culture ; autant l’univers de Quaritch et de Selfridge est celui de la mêmeté belliqueuse, autant le cosmos des Omaticayas et de Jake est celui de l’altérité respectueuse. Autrement dit, à l’unité harmonieuse (ce qui n’exclut pas qu’elle soit laborieuse) des Na’vis s’oppose la pseudo-amitié batailleuse des brigands dont C. S. Lewis a montré avec lucidité, dans son livre sur les quatre amours, combien elle n’est qu’illusion : n’existant que contre l’adversaire et motivée par le seul appât du gain ou de la vengeance, elle ne peut que retourner, tôt ou tard, cette violence contre elle-même et se dévorer. Voilà pourquoi les esprits impurs qui s’appellent « Légion » refusent de retourner en enfer où leur situation est pire que sur la terre, même menacée par l’exorcisme – quitte à passer leur colère haineuse sur le troupeau de porcs.
2) Un univers moniste ?
Il serait insuffisant de relire l’univers fascinant de Pandora à l’aune du seul transcendantal unum (unité). D’ailleurs, à trop souligner cette logique du « tout est lié », certains finissent par suspecter Jim Cameron d’avoir cédé à l’idéologie mainstream de la non-dualité, voire du panthéisme [5] – qu’il est de bon ton de qualifier, en se gaussant, de néo-orientaliste, voire New Age. Pourtant, plusieurs données interdisent cette lecture trop réactive.
Au ras de la cosmologie, on ne l’a pas assez noté, Pandora est centrée sur différentes entités, comme l’Arbre-maison et le Jardin des âmes dont on dit que, s’il est détruit, il rendra impossible la communication entre la planète et ses habitants. D’ailleurs, les entités végétales en général sont médiatrices entre les Na’vis et Eywa. Or, rappelons que l’une des caractéristiques les plus notables du monde végétal est son acentrisme. D’abord, du point de vue individuel : contrairement à l’animal, l’arbre ne possède pas d’organe intégrateur comme le cœur ou le cerveau. Ensuite, du point de vue collectif : contrairement aux animaux, les arbres ne sont pas structurés hiérarchiquement (à partir, par exemple, d’une reine des abeilles ou d’un mâle alpha), mais connectés systémiquement. Pour le dire avec les catégories de Deleuze, le vidéaste n’a donc pas sacrifié à la logique réactive du seul rhizome [6].
Il faut dire plus, toujours du point de vue de la nature. À cette logique centriste qui conjure l’adhésion unilatérale et ingénue à une âme du monde se joint une logique qui se symbolise dans l’ontotopie de la verticalité, en l’occurrence, celle de l’Arbre-maison dont la hauteur impressionne même le colonel. Or, même si l’intrigue n’explique pas la différence entre ces deux entités (l’Arbre-maison et le Jardin des âmes), elles semblent complémentaires. En outre, si systémiques soient les connexions nouant les membres, si holistique soit le clan Omaticaya, celui-ci demeure hiérarchique, organisé à partir d’un chef qui décide. Toutefois, sans unilatéralisme patriarcal, voire avec un rare équilibre : ne pouvons-nous interpréter le Kelutral et le Vitraya Ramunong (l’équivalent en na’vi) comme les deux pôles unificateurs, l’un plus masculin, l’autre plus féminin, comme la tête et le cœur ? Eytukan, le chef du clan Omaticaya, n’écoute-t-il pas l’avis de Mo’at, comme Tsu’tey celui de Neytiri, sa promise ? À l’inverse, combien d’apparentes démocraties sont de très réelles monarchies…
Rappelons aussi ce que le plus bref compte-rendu a développé. Le référentiel du film émarge beaucoup plus aux cultures africaines qu’aux cultures asiatiques – qu’il s’agisse, par exemple, de la langue, du choix des acteurs ou du type physique ayant inspiré le visage des Na’vis. Or, ignorant la suspicion à l’égard de l’impermanence et valorisant la parole, les religions traditionnelles africaines (improprement qualifiées d’animistes) sont beaucoup plus proches de nos visions pluralistes, occidentale ou chrétienne, que les métaphysiques de la non-dualité (notamment indiennes et chinoises) caractéristiques de l’Orient.
De plus, même si Eywa semble immanente et que l’on ignore si cette divinité possède quelque transcendance, elle est suffisamment personnalisée, donc individualisée, pour que les Na’vis la prient et soient assurés qu’elle exauce les demandes instantes. De plus, elle est assez distincte des habitants de Pandora pour ne pas s’identifier à leurs intérêts et y répondre de manière différée.
On protestera que Cameron parle d’esprit à propos des communications inter-arbres. Or, l’esprit n’est-il pas analogue à ces énergies dont la vision nouvelâgiste est si friande ? Nous répondrons brièvement – car la démonstration requerrait de longs développements – que l’appel à ces connexions pneumatiques peut opiner soit vers la gnose moniste, soit vers la philosophie du Portique. Or, la cosmo-anthro-théologie d’Avatar bifurque beaucoup plus vers un néostoïcisme.
D’ailleurs, univers moniste rime avec univers déterministe – et ce sacrifice si coûteux de la libeté ne s’explique que par le besoin, plus fondamental, mais pas plus sommital (important), de sécurité. Or, il est significatif que, dans la scène qui suit l’élection de Jake par le clan, lui et Neytiri se choisissent. Loin d’être nécessités par l’option première (Tsu’tey) du clan, loin aussi d’être portés par la seule passion romantique, loin même d’être déterminés par la prière à Eywa, Jake et Neytiri attendent respectueusement l’un de l’autre qu’il fasse élection et le formule. La litanie des noms de femme qu’égrène Neytiri n’est pas seulement l’expression d’une crainte d’être préférée à une autre (moins encore la jalousie des dons d’une autre potentielle épouse, ainsi que, après avoir dit que telle est une grande guerrière, le révèle son tressaillement à la réponse affirmative de Jake), mais celle du choix très personnel qui est laissé de la future et définitive épouse.
Ce dernier fait plaide également contre le monisme et pour le tropisme vers une vision au moins aussi verticale qu’horizontale. Neytiri explique que le choix de l’époux se fait pour toujours. Or, historiquement et doctrinalement, le monothéisme va de pair avec la monogamie, du moins lorsque la relation entre Dieu et l’homme est interprété non point seulement comme une supériorité dominatrice (Islam), mais comme l’alliance sponsale de Dieu avec son peuple (judaïsme) ou avec l’humanité (christianisme).
3) Un éloge de la réceptivité
Une dernière logique, complémentaire, traverse cette œuvre qui est décidément un chef d’œuvre : celle de la réceptivité. C’est d’ailleurs elle qui en interdit une interprétation manichéenne. Le titre de la saga le signifie : le vrai héros est Jake Sully, non point d’abord parce qu’il va changer d’identité, mais parce qu’il vit à travers ce double qui rétroagit sur lui. Quelle est la raison profonde de sa radicale métamorphose ?
a) Un génie narratif
L’extraordinaire génie narratif de James Cameron pourrait nous la dissimuler. Titanic l’atteste de manière paradigmatique, le scénariste-réalisateur est d’abord un extraordinaire conteur (doublé d’un sublime poète). En effet, l’art (qui est beaucoup plus qu’une technique) du récit réside, objectivement, dans le suspense [7] – « Le suspense n’est pas un artifice racoleur : c’est l’essence même du cinéma [8] » – et, subjectivement, dans sa capacité à tenir le spectateur en haleine. Or, de même que Titanic multiplie de manière profuse et parfaitement maîtrisée les montées de tension scénaristique et dramatique (plus d’une soixantaine [9]), de même Avatar foisonne de moments de suspense très habilement mis en scène dont la prévisibilité ne se démasque qu’a posteriori. De ce seul point de vue, le film mériterait d’être analysé avec attention et reconnaissance : Cameron ne cesse de susciter à loisir et avec plaisir des obstacles sur les pas de Jake Sully, les surmonte avec une rare inventivité et les articule avec une suggestive cohérence. Trois exemples parmi beaucoup – qui tous incluent la mort, tant le suspense est d’autant plus puissant qu’il suscite la crainte de la plus grande perte : celle de l’autre ou de l’amour.
- Lorsque Jake et Grace se retrouvent ligotés et que le Kelutral s’abat lentement sur eux en menaçant de les tuer, tout salut leur semble désormais refusé : de la part de leurs compatriotes humains, puisqu’ils sont devenus leurs adversaires ; de la part des Na’vis, puisque Jake vient de révéler sa duplicité et que Grace ne peut qu’être convaincue de complicité. Ainsi tous ceux qui pourraient potentiellement leur porter secours se sont détournés d’eux. Ce suspense insoutenable ne fait que s’aggraver lorsque la Tsahik s’approche d’eux, le couteau à la main : comment ne précipiterait-elle pas la mort de ceux qui, au moins indirectement, ont causé la mort de son époux et du chef du clan ? Or, loin d’être arbitraire (et donc de troquer le suspense contre le seul spectaculaire), le retournement de Mo’at a été préparé de longue date : il s’inscrit dans le prolongement de ce qu’elle montre depuis le début. C’est elle qui, contre l’avis général des Omaticayas, a accueilli l’étranger Jake Sully. De plus, son attitude est conforme à l’identité du chamane (qui est bien différente de celle du sorcier) qui vit souvent à la périphérie du village, conjuguant ainsi même et autre. Elle est assez unie au clan pour le guérir ou l’éclairer ; elle en est assez différente pour vivre l’expérience qui la crédibilise et, le cas échéant, remettre en question une décision collective provenant d’une logique trop panurgiste. D’ailleurs, sa première apparition ne met-elle pas en scène cette relation distanciée sans être distante d’avec son peuple – non pas surgissant et se détachant du groupe, mais descendant, seule, de l’arbre-maison ?
- Lorsque Quaritch détruit l’Arbre des âmes, tout semble perdu pour les Omaticayas. Mais ils seront provisoirement protégés par l’intervention de Jake. Or, loin d’être seulement spectaculaire, cette désobéissance à l’égard de sa mission et cette option en faveur des Na’vis sont préparés depuis le début par l’insistance mise à souligner son indépendance d’esprit. Dès la scène introductive où il assiste à l’incinération de son frère tout en entendant les officiels lui assigner sa nouvelle mission, Sam Worthington, dans un beau jeu d’acteur, doublé d’une direction sans fille, montre avec retenue sa tristesse et son scepticisme à l’égard de ce discours utilitariste. Donc, là encore, Cameron ne cède en rien à la logique court-termiste et presque manipulatrice du spectaculaire pour, ainsi qu’il le fait constamment, convoquer le suspense qui, s’il est beaucoup plus exigeant scénaristiquement, est tellement plus gratifiant narrativement.
- Un autre moment de suspense intense réside dans la défaite finale de l’armée Na’vi totalement débordée par celle des Terriens. Elle est dramatiquement manifestée et individualisée dans la personne de Neytiri qui, par désobéissance à l’injonction prudente de Jake et par solidarité avec son peuple, s’apprête à mourir pour lui. Ainsi que le résumé de l’histoire l’a dit, les pandoriens seront sauvés grâce à l’intervention des puissances animales lancées par Eywa.
Or, derechef, ce retournement a été longuement et minutieusement préparé. Certes, de manière prochaine, par la prière de Jake ; mais aussi, de manière lointaine, réellement, par la découverte que les nantangs sont résistants aux balles des envahisseurs et symboliquement par le retournement des thanators, titanosaures et autres ikrans, c’est-à-dire de tout le bestiaire de Pandora, contre l’oppression aliénante et mortifère des Terriens. Insistons. Cette victoire définitive n’est pas seulement la banale volte-face d’une bataille où l’ennemi se trouve débordé par des renforts supérieurs en nombre et en force (comme, par exemple, au terme du combat de Fort-le-Cor, au gouffre de Helm, si bien narré soit-elle par Tolkien [10]), mais résume tout le combat spirituel (et pas seulement intérieur) mené par Pandora pour sa libération d’un envahisseur qui ne tue les Na’vis que pour mieux en surexploiter les ressources et sans doute, bientôt, comme sur la Terre, les épuiser.
Explicitons encore pour un consommateur rendu trop passif par des blockbusters inconsistants, trop abreuvé d’émotions fortes et trop déshabitué à joindre affectivité et intelligence pour mesurer le tour de force scénaristique, ce qu’un spectateur attentif et actif a sans doute déchiffré s’il a pris le temps de mettre en mots la tension inhabituelle qui le crispe sur son fauteuil – et ainsi, répétons-le, admirer l’art narratif d’Avatar. Dans la lutte finale, la perte semble vraiment totale et la défaite inéluctable. En effet, toutes les ressources conduisant à un possible renversement ont été épuisées, de sorte que nul secours ne peut plus désormais être envisagé. Voilà pourquoi le triomphe ultime est si stupéfiant et le contentement qu’il engendre si exubérant.
b) Un itinéraire d’humilité
Il était juste et bon de nommer et d’exposer longuement cet exceptionnel talent de raconteur, qui relève pourtant encore de l’extension en surface, afin de mieux descendre dorénavant dans la profondeur beaucoup moins visible, mais autrement plus passionnante de l’auteur. Car le revirement des forces naturelles et humaines en présence est d’abord le fruit de la conversion de Jake. Sans sa conversion à la cause des Omaticaya, son arrachement à la logique narcissique et violente des Terriens et son identification à son avatar, Pandora aurait été dévastée et ses habitants anéantis. Or, le héros n’est si efficacement salvateur que parce qu’il est d’abord débiteur. Pour le dire dans les catégories de la dynamique du don, il n’accède à cette générosité communicative et à cette réussite totalisante que parce qu’il a d’abord consenti au plus profond de lui-même à recevoir, plus, à se recevoir de ce peuple hôte en totalité.
Or, loin d’être spontané, ce superbe aboutissement est le fruit de tout un itinéraire. Tout d’abord, il est involontairement préparé par l’accident qui, en le rendant paraplégique, a appauvri Jake et l’a rendu vulnérable. Il s’est poursuivi par un acte à peine plus libre qui l’a envoyé sur Pandora, en substitution de son frère Tommy : après avoir été dépouillé de sa mobilité (ce qui est d’autant plus spoliant qu’il est un homme d’action), il a été plus profondément dépossédé de son identité en endossant la mission de son jumeau.
Mais il y a plus subtil, plus ancien et encore plus infravolontaire. Après avoir subi la présence de ce rival pendant les neuf mois de sa vie intra-utérine, Jake a dû se confronter à la très probable comparaison dénigrante avec ce frère ultra-brillant. Et, à juger par son grade de simple Marine, à des auto-comparaisons encore plus excluantes. A-t-il « choisi » le destin de Tommy parce que, en partie à son insu, il ne cessait de le suivre mimétiquement depuis sa conception ? Isaac n’est-il pas né en tenant le talon d’Esaü ? (cf. Gn 25,26).
Ces manques criants qui creusent et navrent le psychisme de Jake, avant que son corps ne le signifie en perdant toute capacité de se mouvoir par lui-même, ne doivent surtout pas effacer ses multiples talents que le film distille avec insistance : sa constante curiosité (attestée par un cerveau exceptionnel), son courage qui, ignorant le danger, le conduira à affronter le Thanator, son indépendance vis-à-vis des injonctions de la très dominante Grace, sa distance par rapport à la mise en condition de Quaritch, sa générosité (lorsqu’il se réveille en pleine attaque des bulldozers, il pense aussitôt non pas à fuir, c’est-à-dire à se soucier de son bien propre, mais à protéger l’arbre des âmes, c’est-à-dire à servir le bien commun).
Surtout, à ces premières vertus qui font plus que compenser le quasi-déterminisme de l’origine et de l’histoire originelle, il faut joindre un cheminement vers la réceptivité docile. Celle-ci se manifeste dès le premier contact avec Neytiri. Dans des paroles riches de sens et prometteuses d’avenir, Jake affirme d’emblée : « Apprends-moi ! » Il est sans doute frappé par la profonde vérité de la métaphore de la jeune femme qui, après avoir reconnu avec un rare équilibre son exceptionnel courage (« Tu es fort, tu n’as aucune peur »), ajoute ce qu’elle pense n’être qu’un défaut rédhibitoire : « Mais tu es comme un enfant ignorant ».
Or, dans le sillage de ce diagnostic inaugural, Jake ne cessera d’apprendre. Plusieurs indices témoignent de la profondeur de sa réceptivité qui est tout sauf passivité : son questionnement permanent ; l’initiative par laquelle il s’engage corps et âme, et même esprit (alors que, formulant ce que le spectateur lui-même se dit, il affirme craindre ce truc « New Age », il adopte la foi-croyance en Eywa) ; sa persévérance au-delà des besoins vitaux de nourriture et de sommeil ; son insistance à apprendre alors même que Tom semble le prendre pour un « skull » ; son refus de se décourager quand, non content de tomber une énième fois de son Equidius, il chute face à un Tsu’tey ironique et un rien jaloux, il ne cesse de se relever ; sa pauvreté, qui lui fait s’arracher à ce qu’il a, sait, peut et même est (en affrontant l’ikran qui veut le tuer, Jake risque pas moins que sa vie), pour s’attacher à qu’il aura et sera ; son obéissance qui est soumission sans démission à sa mission (c’est parce qu’il a accepté celle de Quaritch qu’il finit par rencontrer de l’intérieur le clan Omacitaya ; c’est parce qu’il fait consciencieusement les compte-rendu demandés par Grace qu’il s’approprie la culture Na’vi).
c) Tout perdre pour tout recevoir. Tout recevoir pour se recevoir
Or, le don est proportionnel non pas seulement à la générosité du bienfaiteur, mais à l’humilité du récepteur. Si, à l’image d’Eywa le bienveillante et de Pandora la luxuriante, les Na’vis sont prodigues, Jake a consenti à être profondément creusé par sa préhistoire humaine et son histoire avatar. Il ne peut donc pas ne pas accueillir beaucoup et même tout : sa nouvelle identité (devenue ipséité) Na’vi. Ayant tout perdu, et surtout ne s’étant pas approprié le peu qui lui restait, il a pu se dessaisir de tout et ainsi recevoir tout.
Faut-il le dire, une nouvelle fois, cette attitude d’humble accueil est confirmée en négatif par l’orgueilleuse posture du Terrien que résume le mot d’Eytukan à Jake : « On ne peut pas remplir une coupe déjà pleine ». Mais n’oublions pas la réponse spontanée de celui qui n’est encore qu’un avatar : « Ma coupe est vide, croyez-moi ! Demandez au docteur Augustine ! » D’ailleurs, en en appelant au témoignage d’autre que sa seule bonne foi (« croyez-moi ! »), Jake redouble son humble pauvreté. « Bienheureux les pauvres en esprit, le Royaume des cieux est à eux ! » (Mt 5,3).
Un acte symbolise au mieux cette humilité toute en concavité : en dégringolant de son Pa’li, Jake touche terre et, en la touchant, se macule de boue ; or, humilité vient d’humus. Comme Adam le glaiseux ou le glébeux (le substantif homme » a aussi humus pour étymologie), il ne naît à sa nouvelle identité qu’en consentant à cette origine doublement humble.
Plus encore, un épisode l’annonce de manière révélatrice. On le sait, comme l’ouverture d’un opéra, la scène inaugurale d’un grand film contient en germe, de manière fractale, non pas seulement les principaux thèmes, mais la totalité de celui-ci [11]. Or, pour n’isoler que ces quelques éléments, non seulement le réveil dans la capsule de stase nimbée de bleu annonce la couleur de la peau des Na’vi, mais il offre une parabole du processus y conduisant : le montage alterné très efficace qui présente l’atterrissage du vaisseau sur Pandora, en même temps que la crémation de Tommy sur le fond des explications de Jake annonce le thème central de la renaissance ; la forme du cercueil incinéré ne rappelle-t-elle pas l’aquarium oblong où flotte l’avatar ? Enfin, s’il y avait besoin, la voix off du héros explique : « Une vie finit, une autre commence [One life ends, another begins] ». Décidément, Avatar désigne non pas tant le moyen ou le terme, que le processus même de transfiguration ou de résurrection par lequel Jake quitte son existence amputée pour naître à une existence intégrale. Ou plutôt, le chemin de conversion par laquelle il se reçoit humblement de la nouvelle vie qui lui est généreusement offerte.
4) Conclusion
Avatar est une histoire fabuleuse aux deux sens du terme. Certes, la technique ultra-immersive déployée et, plus encore, développée, par Cameron, y joue beaucoup. Mais le récit y joue plus. Et une méta-anthropologie (comme une méta-physique) encore davantage. En effet, comment, rétrospectivement, ne pas noter la structure secrètement trinitaire de notre compte-rendu qui, pourtant, n’avait d’autre intention que de coller au plus près à la logique de fond animant cette merveille subcréée par le cinéaste : paternelle de la générosité verticale ; filiale de l’humble réceptivité ; pneumatique de l’unité communionelle ?
Nous n’avons pas la naïveté ou l’intention de récupérer le long-métrage de Cameron pour le transformer en praeparatio evangelica, encore moins l’outrecuidance d’imaginer quelque prosélytisme chez ce grand artiste. Si nous pensons y retrouver quelques semences du Verbe et nous refusons de le diaboliser comme le font certains méfiants, nous avons seulement tenté de déchiffrer, avec empathie et, plus, enthousiasme, les raisons d’un succès mérité, qui va bien au-delà du savoir-faire hollywoodien, d’une évasion réussie, et n’a rien d’un produit de consommation aussi vite digéré qu’oublié. Des raisons qui s’enracinent au plus intime de notre humanité configurée à l’image du Dieu unitrine et honorent son abyssale profondeur qui faisait dire à Pascal : « L’homme passe infiniment l’homme [12] ».
Pascalide
[1] Si je laisse à d’autres le soin de détailler les prouesses techniques et esthétiques, ainsi que l’invention cosmologique des trois règnes, minéral, botanique et zoologique, ce n’est pas que je les néglige (au contraire, je les admire considérablement), mais parce que les sites ne manquent point !
[2] « Timeo hominem unius libri » : cette phrase est attribuée à saint Thomas d’Aquin (sans référence) par un évêque anglais du xviie siècle, Jeremy Taylor, selon la notice Wikipédia en anglais consacrée à l’aphorisme.
[3] Toutefois, soit dit en passant, étrangement, c’est dix fois moins que notre Terre dont on estime qu’elle compte une myriade d’arbres par homme.
[4] Il faudrait ajouter celui, souterrain, des mycorhizes. Je me permets de renvoyer à Pascal Ide, « Pour une approche philosophique des champignons », Revue des questions scientifiques, 193 (2022) n° 3-4, p. 1-104.
[5] L’on a aussi suspecté Avatar de concéder à l’idéologie écoféministe en optant par exemple pour une chamane.
[6] Cf. Gilles Deleuze et Félix Guattari, Rhizome. Introduction, Paris, Minuit, 1976.
[7] Je renvoie à la longue étude sur le site : « Métaphysique du suspense ».
[8] Francis Bordat, « Pour le suspense quand même ! », CinémAction, 71 (1994) n° 2, p. 187-192, ici p. 187.
[9] Cf. l’étude méticuleuse de Sylvain Rigollot, Méthodologie du scénario. « Titanic ». D’après le film de James Cameron, Paris, Dixit, 1999.
[10] John Ronald Reuel Tolkien, Le Seigneur des anneaux. II. Les deux tours, L. III, 7, trad. Francis Ledoux, coll. « Presses Pocket » n° 2658, Paris, Christian Bourgois, 1972, p. 190-192.
[11] Pour une fine analyse de la scène d’ouverture, cf. le site consulté le 12 janvier 2023 : https://apprentiotaku.wordpress.com/2022/10/05/analyse-de-sequence-la-scene-douverture-davatar-de-james-cameron/
[12] Blaise Pascal, Pensées, éd. Brunschvicg 434 (éd. Lafuma 131 et éd. Sellier 164).
Pascal Ide
Jake Sully (Sam Worthington) ouvre les yeux. Nous sommes en l’an 2154, et cet ancien Marine paraplégique se réveille d’une longue stase sur un vaisseau qui l’a conduit au voisinage de Pandora, l’une des lunes de Polyphème, située dans le système stellaire d’Alpha Centauri, à 4,4 années-lumière du système solaire. Il a accepté de participer au programme Avatar, pour remplacer son défunt frère jumeau, Tommy, et venir sur cette exolune recouverte d’une jungle luxuriante, peuplée d’une faune et d’une flore aussi magnifiques que dangereuses. L’air est irrespirable pour les Terriens et la planète est habitée par les Na’vis, une espèce indigène humanoïde à la peau bleue, considérée comme primitive et hostile. Ils peuvent atteindre trois mètres de haut, possèdent une queue, et vivent en harmonie avec leur environnement.
Lorsque les humains arrivent sur la planète, ils découvrent un minerai jusqu’alors inconnu dans le système solaire, l’unobtanium, qui est la clé pour résoudre la crise énergétique sur une Terre surexploitée. Tous les intervenants sont employés par la RDA (Resources Developpement Administration), un consortium militarisé visant à l’exploitation des ressources minières dans l’espace. Comme le plus gros gisement se situe sous les racines d’un arbre gigantesque qui abrite un clan Na’vi, les Omaticayas, les Terriens décident de créer le programme Avatar, un programme diplomatique, pour gagner la confiance des Na’vis et déplacer leur peuple, afin d’extraire le minerai. Ce programme est piloté par Parker Selfridge (Giovanni Ribisi), qui est secondé par le chef de la sécurité militaire de la mission Avatar, le colonel Miles Quaritch (Stephen Lang).
Jake Sully est recruté pour faire partie du programme Avatar car il possède le même génome que son frère jumeau, un scientifique participant au programme, mais assassiné lors d’un vol. En effet, chaque « avatar » est créé génétiquement à partir d’ADN de Na’vi et de l’ADN de son « pilote ». Cela donne un être possédant un corps Na’vi et un cerveau humain, qui est contrôlable à distance par un humain grâce à des ordinateurs. Un avatar qui n’est pas relié à un pilote est dans le coma et quand un pilote est connecté à un avatar dans un caisson spécial, son corps est comme endormi. Plusieurs humains participent au programme et ont donc un avatar, dont le docteur Grace Augustine (Sigourney Weaver) qui est responsable scientifique et Norman « Norm » Spellman (Joel Moore), spécialiste de la langue Na’vi qui est débarqué en même temps que Sully.
Jake prend donc le contrôle de son avatar et découvre la joie de pouvoir marcher à nouveau. Quaritch lui donne alors trois mois de la mission pour infiltrer les Omaticayas et les convaincre de quitter le lieu du gisement d’unobtanium. Le marine part ensuite en mission d’exploration dans la jungle avec les avatars de Grace et Norman. Il découvre les multiples beautés et dangers de Pandora. Poursuivi par le Thanator, un prédateur gigantesque, et séparé de ses compagnons, il se retrouve seul à passer la nuit dans la jungle pandorienne – où personne ne peut survivre. De fait, une Na’vi l’a repéré et s’apprête à le tuer avec son arc, lorsqu’une graine d’un arbre sacré arrête son geste. Plus tard, alors que la ténèbre l’envelope, il est assiégé et attaqué par une meute de loups-vipères qui ne tardent pas à le dominer.
Mais soudain surgit la même jeune femme, Neytiri (Zoe Saldana), qui le sauve. Suite au signe d’Eywa, divinité Na’vi qui personnifie la nature, elle décide de l’emmener avec elle. Jake fait alors la connaissance du peuple Omaticaya. Il apprend que Neytiri est la fille d’Eytukan (Wes Studi), le chef du clan, et de Mo’at, la Tsahik, c’est-à-dire la chamane, que d’ailleurs elle deviendra lorsque sa mère quittera ce monde. Le futur chef du clan, qui devra former un couple avec Neytiri, est le chef des guerriers, nommé Tsu’tey (Laz Alonso).
Durant les trois mois de sa mission, Jake s’intègre de plus en plus au clan Na’vi : il apprend les coutumes du peuple, et rapporte tous ses apprentissages à Quaritch. Mais ayant appris à vivre comme un Na’vi en apprenant à chasser, à parler leur langue et surtout à dompter son Ikran (une sorte de dragon volant), il est considéré comme faisant partie des Omaticayas. Plus encore, il s’aperçoit brusquement qu’il est tombé amoureux de Neytiri avec laquelle il s’unit devant Eywa.
Mais, le lendemain matin, Quaritch et Selfridge, qui n’en peuvent plus d’attendre, décident d’envoyer sans crier gare, les bulldozers. Non content de détruire les précieux arbres de Pandora, ceux-ci trouvent sur leur passage l’avatar de Jake en train d’effectuer son transfert. Mais il se réveille in extremis dans son corps d’avatar. Aussitôt, il s’en prend à la machine avant d’être mis en déroute par les soldats. Les Omaticayas se réunissent pour préparer une riposte. Mais à ce moment-là, Jake s’effondre, car sa liaison a été interrompue par Quaritch venu dans l’annexe pour le ramener à la base avec Grace et Norman pour trahison. L’équipe de Grace comprend que les Terriens ont pris une décision radicale et dévastatrice pour le peuple Omaticaya. Quaritch fait décoller les forces aériennes pour détruire l’Arbre Maison. Grace réussit à les convaincre de laisser Jake retrourner chez les Omaticayas pour les prévenir du danger et procéder à l’évacuation de la population. Mais, là-bas, Jake est également rejeté par les Omaticayas quand, en toute probité, il leur apprend qu’il est en réalité venu à eux pour les convaincre d’abandonner leur arbre. Grace et lui sont faits prisonniers.
Peu après, Quaritch fait détruire par les forces aériennes l’Arbre Maison où vivent les Omaticayas. Mo’at, la mère de Neytiri, libère Jake et Grace de leurs liens et ce dernier aide les deux femmes à échapper à l’effondrement du Kelutral, l’arbre-maison. Leur chef meurt lors de son effondrement. Jake est vu comme un paria, un ennemi du peuple Omaticaya par ses actions passées et se retrouve abandonné dans les cendres de l’arbre-maison, mais il est également vu comme un traître par Parker qui les fait arrêter, tout comme Grace et Norman. Ils arrivent à s’évader de leur cellule grâce à la pilote Trudy, mais Quaritch tire sur eux et blesse gravement Grace. Les fuyards se réfugient près de « l’arbre des âmes » pour éviter qu’ils ne soient débranchés par les militaires non sans déplacer l’annexe des Hallelujah.
Pour revenir auprès de son peuple, Jake est obligé de commettre un acte intrépide : devenir un Toruk Makto, en domptant un Grand Leonopteryx, le plus gigantesque prédateur de Pandora. Ce dernier est vénéré par les Na’vi et Jake fait l’unanimité auprès du clan Omaticaya, qui a trouvé refuge dans leur sanctuaire sacré auprès de l’arbre des âmes, en arrivant sur le dos de la créature. Pour faire front à l’armée humaine, il rassemble une alliance d’une quinzaine de clans. Jake demande l’aide des Omaticayas pour soigner Grace, ou passer définitivement son esprit dans le corps de l’avatar, mais il est déjà trop tard et elle s’éteint sous l’arbre des âmes, son esprit rejoignant Eywa. Jake décide de rallier les autres tribus Na’vis pour préparer une contre-attaque. Il demande également de l’aide auprès de l’arbre des âmes mais Neytiri lui dit qu’Eywa n’intervient pas dans une bataille.
Quaritch, voyant d’importants mouvements de troupes Na’vis, monte une attaque préventive contre eux avec pour but de détruire « l’arbre des âmes », un site où réside Eywa, le plus grand lieu de recueillement pour les Na’vis. Ceux-ci, dirigés par Jake Sully, Norman et Tsu’tey, nouveau chef des Omaticayas, vont alors entrer en guerre contre les humains. Gagnant au début grâce à l’effet de surprise, ils sont ensuite écrasés par la puissance des armes terriennes qui élimine de nombreux amis de Jake comme Trudy, l’avatar de Norm, Tsu’tey et l’ikran de Neytiri.
Toutefois, au moment où tout semble perdu et où Neytiri s’apprête à une contre-offensive désespérée qui la voue à une mort certaine, des milliers d’énormes animaux furieux déferlent, contre toute attente, sur les troupes de Quaritch et les déciment : Eywa a exaucé la prière de Jake !
De son côté, Jake fait exploser la navette comportant les explosifs avant qu’elle n’arrive à l’arbre et fait s’écraser l’appareil du colonel. Ivre de vengeance, ce dernier a le temps de s’équiper de son armature en exosquelette et de s’en éjecter. Il trouve l’annexe cachée et s’apprête à la détruire. Mais Neytiri l’en empêche. Toutefois, elle est rapidement coincée par sa monture, le Thanator, que le colonel tue. S’en suit un duel avec Jake qui arrive à endommager l’habitacle de l’armure du colonel. Ce dernier réplique en dépressurisant l’annexe, ce qui asphyxie Jake dormant dans son caisson. Neytiri tue Quaritch de deux flèches et se rend dans l’annexe, y reconnaît le corps humain de Jake, comprend son besoin de masque, le lui donne et lui sauve la vie. Tous deux se regardent avec amour.
Désormais, les Terriens doivent quitter la planète sous l’œil attentif des Na’vis. Toutefois, ceux qui les ont aidés demeurent sur Pandora. Enfin, intercédant auprès d’Eywa, les Omaticaya transfèrent définitivement l’esprit de Jake dans le corps de son avatar. La dernière image, qui fait inclusion avec la première, le montre en train d’ouvrir les yeux : il est devenu un Na’vi comme les autres.