Paul Cuvelier, un bédéiste assoiffé d’absolu

L’évolution intérieure d’un dessinateur et peintre belge attachant, Paul Cuvelier (1923-1978), atteste combien l’art est un lieu de recherche de l’absolu, puisqu’il aspire à la beauté, mais aussi un lieu décevant, puisqu’il ne peut tenir les promesses. Elle témoigne aussi de ce que la BD, que le lecteur détache souvent de son auteur, épouse au contraire en profondeur son évolution.

C’est ce qu’affirment ses propos : « Il faut survivre – écrit-il en 1973. Il faut faire de la BD. À condition de disposer d’un scénario approprié, la BD peut concrétiser mes songes et mes hantises. Elle peut tirer quelque chose de mes manques et de leur parade, de ma faim dévorante, de mon atroce obsession, de ma possession creuse et tantalisante. Elle peut être le témoignage de l’enfer devant le paradis entrevu. Elle peut faire que tout n’a pas été vain de ce côté de ma vie ».

C’est ce que montre le parcours de sa vie. Dès l’enfance, Cuvelier est passionné par le dessin et invente le personnage de Corentin, un adolescent courageux et serviable, à qui il ne prête pas que sa plume. En 1945, il rencontre Hergé qui, subjugué par la fougue et l’habileté de ce gaucher, se refuse de le conseiller, mais l’oriente vers la BD. S’agrègeant à la prestigieuse équipe du journal Tintin, il veut transposer son personnage de Corentin. Mais, très vite, Cuvelier constate que cela ne suffit pas à combler son besoin d’absolu. En même temps, il lui manque du temps pour se consacrer à d’autres formes d’expression artistique. Il s’éloigne du neuvième art, parcourt l’Italie, la France, les USA. Puis il y revient. Mais, au journal Tintin, il ne livre, en huit ans, que deux histoires courtes. Son retour est donc plus douloureux qu’il ne l’imaginait. Il rêve d’une BD différente. Pour cela, il se lance dans le style oriental, indien, séduisant la jeunesse par des aventures exotiques. Voire, il explore des mondes troubles. C’est ainsi que, en 1968, il publie avec le scénariste Van Hamme l’album Epoxy qui lui permet d’exprimer sa fascination pour le corps humain (il est peintre anatomiste) et l’érotisme. Ses héros, comme Corentin ou Line (à partir de 1963), deviennent plus adultes.

En 1973, il rompt une nouvelle fois avec la BD. Mais ce sera pour ne plus y revenir. Toujours, au nom de sa quête d’absolu. Il poursuit alors ce qu’il appelle son « aventure artistique » dans un isolement volontaire et le dénument. Mais la maladie interrompt brutalement cet itinéraire aussi exigeant qu’insatisfaisant et la mort le surprend, le 5 août 1978. À 54 ans. « Trop tôt », commente-t-on comme il se doit. Mais notre terme, comme notre origine et notre fécondité, ne nous appartiennent pas…

Pascal Ide

 

17.6.2022
 

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