Saint Jean, un Évangile pour le temps pascal

La liturgie du temps pascal nous donne de méditer de longs passages de l’Évangile selon saint Jean. Sans en rien prétendre être exhaustif, voici trois clés de lecture. La contemplation de l’aigle de Patmos est symbolique, sacramentelle, sapientielle.

 

Symbolique doit s’entendre non pas dans son sens affaibli, synonyme de dérisoire, voire d’irréel (« Ma part est symbolique »), mais dans son sens étymologique et puissant, synonyme d’unifiant (comme dans l’expression « Symbole des Apôtres »). Or, si le quatrième Évangile est celui de la divinité du Christ, comme le dit saint Thomas d’Aquin, il n’en souligne pas moins son humanité. Et c’est même là ce qui le caractérise, sa capacité à constamment unir le sensible et le spirituel, l’humain et le divin, le temporel et l’éternel. Voilà pourquoi il ne parle pas de miracle, mais de « signe » (séméion, en grec), le signe étant ce qui nous fait passer de ce qui est visible à ce qui est invisible. De même, au plan sensible, Jean associe constamment les deux langages expressifs, la parole et le geste : les signes que sont les miracles précèdent ou succèdent toujours un discours qui relèvent de la même thématique. Par exemple, le discours sur le Pain de vie suit le miracle sur la multiplication des pains (cf. Jn 6), celui sur la lumière du monde (cf. Jn 8,12 s) prépare à la guérison de l’aveugle-né (cf. Jn 9). Ainsi, « l’évangile spirituel », selon l’expression de Clément d’Alexandrie [1], est spirituel au sens le plus biblique qui est toujours unitaire, c’est-à-dire « raciné » (Péguy) dans le charnel. « Le Verbe s’est fait chair » (Jn 1,14) pour que la chair devienne verbe.

Chez saint Jean, le symbole n’est pas seulement cognitif, mais actif. Il ne fait pas que révéler, il transforme. Or, le sacrement est un signe qui accomplit ce qu’il exprime. Aussi la théologie johannique est-elle sacramentelle. C’est ainsi que, dans la série des sept signes qui rythment l’Évangile de Jean, le sommet est le côté ouvert (cf. Jn 19,31-37) qui, lui-même, prépare au tombeau ouvert et vide (cf. Jn 20,1 s). Or, ce signe des signes ne donne pas à voir la vie (dont l’eau est le symbole), mais la vie qui jaillit de la mort, donc le triomphe salvifique de celui qui est la Vie (cf. Jn 14,9), la résurrection à l’œuvre dès la Passion. Il donne aussi à voir l’eau et le sang qui, dans l’Esprit (cf. 1 Jn 5,6-8), symbolisent la totalité des sacrements : le baptême qui en est la porte d’entrée et l’Eucharistie qui en est le sommet. Voilà pourquoi les textes de la liturgie quotidienne font en ce moment entendre cette catéchèse baptismale qu’est l’entretien avec Nicodème (cf. Jn 3), puis cette catéchèse eucharistique qu’est le discours sur le Pain de vie à la Synagogue de Capharnaüm (cf. Jn 6).

Enfin, le signe johannique ne donne pas seulement à connaître et agir, il conduit à aimer. La vérité qui se dit et la bonté qui se donne ne s’épousent et ne s’achèvent que dans la beauté qui se montre gratuitement, c’est-à-dire qui aime. Or, la sagesse ne fait goûter (sapere, en latin, est la racine de sapientia) Dieu qu’en le donnant à chérir : elle voit parce qu’elle aime [2]. Ainsi cet Évangile fait entrer dans une vision sapientielle. Le disciple bien-aimé introduit dans cette sagesse d’amour d’abord parce qu’il l’a lui-même expérimentée : « La fleur des quatre évangiles – écrivait Origène – est l’évangile de Jean, dont seul celui qui a posé la tête sur la poitrine de Jésus et qui a reçu de lui Marie comme sa propre mère, peut saisir le sens profond [3] ». Ayant reçu de la poitrine, qui est le symbole du cœur qui lui-même est le symbole de l’amour, Jean nous conduit à notre tour à nous laisser toucher au cœur, c’est-à-dire à nous laisser transformer au plus intime en devenant fils dans le Fils (cf. Jn 1,12), afin que nous entrions « en communion » avec « le Père et son Fils Jésus-Christ » (1 Jn 1,3-4) et que nous nous aimions les uns les autres de cet Amour que Dieu est (cf. 1 Jn 4,8.16).

Et si, dans les semaines qui viennent, nous lisions ou relisions tout l’évangile selon saint Jean ?

Pascal Ide

[1] Elle est rapportée par Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, L. VI, 14, 7.

[2] Voilà pourquoi, à la suite de saint Augustin, saint Thomas d’Aquin lie le don du saint-Esprit de sagesse à la vertu théologale de charité.

[3] Origène, Commentaire de Jean, I, 6, 23, trad. Cécile Blanc, coll. « Sources Chrétiennes” n° 120, Paris, Le Cerf, 1966, p. 70 s.

20.4.2021
 

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