Portrait de Dieu en psychothérapeute

La thèse du livre de Cyrulnik est énoncée par son titre – Psychothérapie de Dieu [1] –, si on le prend d’abord au sens objectif : Dieu n’est pas le sujet, mais l’objet, c’est-à-dire la cause de la thérapie. Autrement dit, la foi en Dieu est bienfaisante pour le psychisme humain. Cela est vrai de l’enfant et de l’adulte. Cela est vrai de la foi, mais aussi de la religion, que le neuropsychiatre toulonais, heureusement, ne sépare pas : « La religiosité individuelle doit s’articuler avec la religiosité culturelle pour devenir efficace [2] ».

Pour montrer sa thèse, Cyrulnik se fonde sur de nombreuses études, le plus souvent anglosaxonnes, encore trop méconnues, voire méprisées du public français, établissant combien Dieu apaise l’âme troublée [3]. Surtout, il convoque la notion centrale de ses recherches, la résilience ; il fait aussi appel à une notion plus inédite chez lui, l’attachement, que John Bowlby a développé avec grande fécondité. En effet, l’homme se construit à partir d’attachements sécurisants qui, lui donnant une stabilité, peuvent l’ouvrir à l’autre. Or, la religion joue un rôle de protection pour le psychisme. De fait, existent des continuités entre nos attachements à Dieu et à nos parents [4] – sans pour autant qu’il y ait déterminisme ou que l’on puisse une nouvelle fois, à la suite de Feuerbach et de Freud, réduire la foi à une projection. D’autres dynamismes, comme la synchronisation des émotions par la musique et le chant [5], éclairent les effets bienfaisants de la relation à Dieu. Mais, derechef, que Dieu passe par ces médiations (qu’il a lui-même instituées) ne signifie pas qu’on peut l’y réduire, ni que la foi est d’abord tournée vers l’ego – ce qui serait une insupportable instrumentalisation de Dieu – ; en revanche, ce processus permet de mieux nommer la tentation utilitariste qui menace tout fidèle…

Notre auteur s’oppose donc délibérément à la vulgate selon laquelle la religion est violence par essence ; elle ne l’est que si elle s’accompagne de fermeture, donc d’uniformisation, donc de violence ; ou si l’attachement du fidèle n’a pas été sécurisant, donc destructeur pour lui, donc destructeur pour les autres. Dès lors, le titre peut se prendre en son second sens, subjectif, si l’on accepte de substituer « religion » à « Dieu » : certaines pratiques ou doctrines religieuses bénéficieraient grandement d’une psychothérapie. Joseph Ratzinger n’hésitait pas à symétriser pathologie de la raison (en l’occurrence, lorsqu’elle est privée de religion, c’est-à-dire d’ouverture transcendante) et pathologie de la religion (en l’occurrence, lorsqu’elle est privée de raison, c’est-à-dire d’incarnation immanente).

Prévenons toutefois le lecteur : comme dans les autres ouvrages du même auteur, le style est circulaire, répétitif, synthétique, décourageant l’esprit systématique autant qu’analytique. Cyrulnik n’est pas un conteur ; il est encore moins un démonstrateur. Demeurent l’intention et l’intuition qui sont lumineuses autant que chaleureuses.

Pascal Ide

[1] Boris Cyrulnik, Psychothérapie de Dieu, coll. « Poches. Psychologie », Paris, Odile Jacob, 2019.

[2] Ibid., p. 56.

[3] Cf. un des rares ouvrages francophones dans ce domaine (mais qui, de fait, est une traduction) : Vassilis Saroglou (éd.), Psychologie de la religion. De la théorie au laboratoire, trad. Rob Kaelen, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, 2015, p. 21-99.

[4] Cf. Victor G. Cicirelli, « God as the ultimate attachment figure for older adults », Attachment and Human Development, 6 (2004) n° 4, p. 371-388.

[5] Cf. Boris Cyrulnik, Psychothérapie de Dieu, chap. 25.

28.9.2020
 

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