Les sites de rencontre en 2015 [1]
1) Leur importance
En 2014, on compte plus de 2 500 sites consacrés à la drague en France : bien sûr, Meetic pour les romantiques à l’ancienne ; mais aussi Parship, Adopte un mec… Près d’un célibataire sur trois y est ou y a été inscrit [2].
La réussite est indéniable. Un Français sur deux inscrits en ligne a réussi à nouer une relation sur le Web. Moitié des relations ouvrent sur un plan sexe, moitié sur l’amour, voire le grand amour puisque 1/10 jusqu’à l’enfant. Une étude américaine annonce que 35 % des couples mariés entre 2005 et 2012 se sont découverts via Internet [3].
2) La nouveauté
Une nouveauté des sites est leur spécialisation : par partis politiques, par religions (Mektoube, Theotokos), par hobbies (Marmite Love, Vinealove), par préférences alimentaires (Glut’aime).
Les nouvelles applis sonnent le glas des sites web à l’ancienne. Les nouveautés sont les suivantes : la simplicité (aujourd’hui, le profil est beaucoup moins détaillé, voire limité à une photo) ; l’accessibilité permanente via le smartphone ; le modèle freemium, c’est-à-dire sans avoir besoin de débourser ; la géolocalisation.
Une nouveauté est la facilité d’emploi : l’utilisateur affiche les photos des inscrits géographiquement proches ; il coche si la photo plaît ; et si l’autre valide aussi, on s’envoie des messages. Et plus, si affinité. De plus, sur Tinder, il n’y a pas l’échec du refus. En effet, on ne peut s’écrire que lorsque l’autre clique sur notre profil.
Les conséquences comportementales sont le caractère ludique, la souplesse, jusqu’à l’immédiateté, la multicanalité, c’est-à-dire la multiplication des « events », et la volatilité (le sociologue Bauman parlait de l’amour liquide).
3) Évaluation
a) Apparemment positive
Maintenant, la rencontre par le site ne suscite plus de honte, n’est plus considéré comme la dernière chance, comme un truc de looser, puisque, aujourd’hui, 82 % des personnes avouent avoir trouvé leur moitié sur Internet. De plus, la Toile a diminué la crainte de l’autre inconnu. Enfin, elle élargit le champ des possibles.
b) De nombreux paradoxes
Nombreux sont les paradoxes dont souffre la pratique des sites de rencontre.
Une première antithèse : 78 % des inscrits affirment chercher une relation sérieuse, et 62 % des aventures sans lendemain [4].
D’une part, Internet, les sites mettent en réseau. D’autre part, les personnes qui se rencontrent n’ont aucun réseau en commun. Or, la souffrance est d’autant plus grande qu’on recroise une personne et cette souffrance est l’une des principales raisons pour lesquelles on ne rompt pas.
D’un côté, chacun aujourd’hui revendique le respect jusqu’à l’extrême victimiste. De l’autre, la logique de fond est une logique de consommation. Si donc la personne a déjà opté pour ce système, il y a de fortes chances qu’elle continue à se connecter pour voir s’il n’y a pas mieux sur le marché, tout en draguant celui qu’elle a hameçonné.
Autre tension. 80 % des personnes espèrent trouver l’amour dans la vraie vie [5] où c’est là qu’on croise son premier conjoint [6]. Pourtant, immense est le risque de réduire la relation au sexe. Toutefois, À la remarque critique : « À vous écouter, les réseaux sociaux et les applis transforment notre civilisation en hôtel de passe généralisé », Yann Moix répond : « Exactement. J’ai une copine qui passe son temps sur les applis de drague. Il lui arrive de flasher sur un deuxième mec en allant à un rendez-vous baise et de changer son chemin sans même prévenir le premier type convoité. L’étape du sexe est résolue avant même la rencontre. Tout a lieu sauf la rencontre ». L’écrivain donne aussi l’exemple suivant : « Alors qu’il était en train de dîner, le fils d’un ami a repéré sur Tinder une fille qui lui a proposé de baiser à 250 m de chez lui. Le gamin est revenu pour le dessert [7] ». Bref, s’agit-il de sites de rencontre ou de sites de drague ?
Une dernière antinomie ? Tête baissée sur mon smartphone, pour lire ou envoyer un texto, je ne croise plus le regard de mon voisin. Pour être connecté avec mon lointain, je me déconnecte de mon prochain…
4) Conclusion
Il ne s’agit pas de condamner les sites de rencontre, mais de les évaluer. Entre technophobie et technolatrie, la juste évaluation se fonde sur ce critère universel qu’est la neutralité de la technique et la juste attitude sur le bon usage éthique, c’est-à-dire vertueux de cet outil.
Pascal Ide
[1] Les données sont tirées d’un article de Caroline Rochet, « Comment on rencontre un homme aujourd’hui », Marie-Claire, juillet 2015, p. 84-90.
[2] Baromètre de l’économie numérique de l’université Paris Dauphine, avec Médiamétrie.
[3] Université de Chicago.
[4] Ifop.
[5] Hostelbookers.com, 2014
[6] Ined, 2013.
[7] Caroline Rochet, « Comment on rencontre un homme aujourd’hui », p. 90.