Les 4 sens de la nature Chapitre 3 Annexe 12 : La découverte du rayonnement fossile

Il a fallu attendre plus de 30 ans pour que le modèle révolutionnaire de Georges Lemaître soit accepté. L’histoire est « pittoresque en diable », comme le dit Pierre Chaunu [1] et vaut la peine d’être racontée [2]. En 1964, le Bell Telephone Laboratory qui est en possession d’une antenne radio peu commune dans le New Jersey, dont les caractéristiques en font un instrument prometteur pour la radioastronomie. Elle dépêche deux radioastronomes, Arno A. Penzias et Robert W. Wilson, pour mesurer l’intensité des ondes radio émises par notre galaxie hors du plan de la Voie Lactée.

Contre toute attente, cette mesure s’avéra extrêmement difficile. En effet, les ondes radio peuvent être décrites comme un bruit, c’est-à-dire comme les parasites que l’on entend dans un poste de radio lorsque le temps est orageux. Or, il est difficile de distinguer le bruit émis par une source, ici, la galaxie, du bruit électronique émis par l’atmosphère terrestre que capte aussi l’antenne et celui produit par le mouvement aléatoire des électrons à l’intérieur des structures de l’antenne.

Par un dispositif dit à « charge froide », Penzias et Wilson annulent presque totalement la friture émise par la structure de l’antenne et rendent négligeables les émissions radio produites par la galaxie pour capter les seules ondes provenant de l’atmosphère terrestre. Or, quelle ne fut pas leur surprise, lorsqu’ils détectent, un bruit millimétrique significatif à 7,35 cm, bruit qui est indépendant de la direction d’observation et du temps. Conclusion : le bruit-radio ne provenait « pas de la Voie Lactée, mais d’un volume beaucoup plus vaste de l’univers [3] ».

Pour la petite histoire, on pense un moment que le bruit électronique provient d’un couple de pigeons avait construit son nid au creux de l’antenne ! Après les avoir dissuadés de demeurer sur place et nettoyé l’antenne de ce que Penzias appelle une « matière blanche diélectrique », les deux ingénieurs constatent que le bruit millimétrique demeure. Ils décident alors de calculer la température corrélée à ce bruit. En effet, la chaleur est source de rayonnement qui émet lui-même un bruit-radio. Ainsi, plus la température est élevée, plus le champ radio est intense. Ils trouvent une température (celle même de l’univers) entre 2,5 et 4,5 degrés Kelvin. Or, vide et loin de toute source de chaleur, l’espace interstellaire et, a fortiori, intergalactique devrait être proche du zéro absolu (– 273 ° Celsius). Stupéfaits, Penzias et Wilson sont d’abord incapables d’expliquer ce résultat et donc d’« imaginer qu’il s’agissait du progrès cosmologique le plus important depuis la découverte des décalages vers le rouge [4] ».

C’est alors que Penzias téléphone pour une toute autre raison à un ami radio-astronome, Bernard Burke du MIT qui lui demande où en sont ses travaux. Face aux résultats, Burke lui suggère de contacter les physiciens de Princeton. Or, dans les années 30, un physicien russe, Georges Gamov, avait émis l’hypothèse que, s’il y avait une énorme quantité de rayonnement au point de départ, il devait encore en demeurer une trace aujourd’hui. Mais, faute de confirmation expérimentale de cette hypothèse, l’on avait fini par l’oublier. Or, la température de ce rayonnement qualifié de fossile – « le rayonnement de fond cosmologique [5] » – qui est de 2,7° Kelvin, correspond au calcul fait à partir du modèle de l’atome primitif. « On vit là immédiatement l’explication naturelle de la découverte de Penzias et Wilson [6] ».

Du jour au lendemain, la théorie du Big Bang connut un succès planétaire, « terminant ainsi une période de trente-cinq ans de discussions et d’alternatives concernant le décalage spectral vers le rouge et son interprétation comme expansion de l’univers [7] ».

Pascal Ide

[1] Pierre Chaunu, Du Big Bang à l’enfant, Dialogues avec Charles Chauvin, Paris, DDB, 1987, p. 18.

[2] Cf. Steven Weinberg, Les trois premières minutes de l’univers, trad. Jean-Benoît Yelnik, Paris, Seuil, 1978, chap. 3 : « Le fond cosmique de rayonnement radio ».

[3] Ibid., p. 63 et 64.

[4] Ibid., p. 65.

[5] Marc Seguin et Benoît Villeneuve, Astronomie et astrophysique, Paris, Masson, 1995, p. 234.

[6] Steven Weinberg, Les trois premières minutes de l’univers, p. 66 et 67.

[7] Odon Godart et Josef Turek, « Le développement de l’hypothèse de l’atome primitif », Revue des Questions Scientifiques, 153 (1982) n° 2, p. 145-171, ici p. 146.

4.12.2020
 

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