Le doute. Une réfutation pratique

Dans sa pièce Le Libertin, Éric-Emmanuel Schmitt montre combien le philosophe court le risque de professer en parole un énoncé qu’il n’a jamais éprouvé en acte – énoncé qui peut s’avérer profondément faux, voire trompeur [1]. Madame Diderot rend visite à son mari dont elle sait qu’il est un libertin notoire et qui se trouve dans un pavillon de chasse ouvrant sur une antichambre. Avant de faire entrer sa femme, Diderot y a caché Madame Therbouche qui n’est pas sans exercer un attrait sur lui. On entend soudain du bruit dans l’antichambre. Madame Diderot se demande : y a-t-il ou non quelqu’un ? Diderot répond : « Le doute est cent fois plus délectable que la vérité ». Puis, il tend la clé. Sa femme hésite puis, de peur de paraître ridicule, elle cède au chantage et s’apprête à partir, lorsqu’elle se retourne sur le seuil : « Naturellement, tu crois que, moi, je te suis fidèle ? » Soudain, inquiet, Diderot répond : Oui, je le crois. Non ? » Elle répond : « Qui sait ? » et lui tourne le dos pour quitter le pavillon Diderot tente alors de la retenir, mais elle lui réplique avec verve : « Comment disais-tu à l’instant ? Le doute est cent fois plus délectable que la vérité. Oh oui, cent fois… au moins… ». La seule issue face au sophisme doublé d’une manipulation est de le faire éprouver à l’autre. L’argumentum baculi, que, déjà, Molière utilisait dans Le médecin malgré lui, est la forme théâtrale de la réfutation par l’absurde [2].

Pascal Ide

[1] Éric-Emmanuel Schmitt, Le Libertin, dans Théâtre **, Paris, Albin Michel, 1997, Livre de poche, p. 239-240.

[2] Cf. site pascalide.fr : « La méthode par rétorsion. Une réfutation aussi efficace que profonde »

16.3.2021
 

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