Pour préparer la proclamation du dogme de l’Assomption de la Vierge Marie le 1er novembre 1950, le pape Pie XII, en plus de demander son avis aux évêques du monde entier et à des théologiens experts, a requis celui d’un grand philosophe et théologien catholique francophone, Charles de Koninck (1906-1965). Ce dernier a exposé ses conclusions dans son ouvrage, La piété du Fils [1]. L’une des intuitions centrales du doyen de la Faculté de philosophie de l’Université Laval, à Québec, est, d’un mot, que, en consentant à l’Incarnation, Marie a donné à son Fils son propre corps. Or, selon le quatrième commandement du Décalogue que, Juif pratiquant, Jésus a observé, accomplissant la Loi (cf. Mt 5,17), il ne pouvait pas ne pas exercer la piété filiale. « Comment rendre » à sa Mère « tout le bien » qu’elle lui a « fait » (cf. Ps 116,2) en lui donnant un corps ? Tout simplement en lui redonnant, à l’instant même de sa mort [2], le corps glorieux qui est maintenant le sien au Ciel. L’Assomption est dès lors la plus belle et la plus expressive concrétisation de la piété que Jésus a exercée envers sa Mère.
Approprions-nous cette profonde intuition. Mais, pour cela, soustrayons la piété au régime de la dette qu’il a encore chez saint Thomas d’Aquin [3], le maître de Charles de Koninck, pour en faire non pas un acte de la vertu morale infuse de religion, annexe de la justice, et l’élever à être un acte de charité. Autrement dit, en l’affranchissant de toute trace de nécessité, redonnons-lui tout l’éclat de la gratuité. Le premier Jésus a vécu la parole qu’il a enseignée aux Apôtres : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10,8). Ayant reçu du Fiat libre, obéissant et donc aimant de Marie (cf. Lc 1,38) le corps qui l’a fait entrer en ce monde (cf. He 10,5), notre Sauveur et son « Sauveur » (cf. Lc 1,47) lui redonne dans un élan d’amour son corps lorsqu’elle quitte ce monde terrestre.
Qu’est-ce que cette contemplation émerveillée suscite en nos cœurs ? Une gratitude vis-à-vis de nos parents, en particulier de notre mère qui a porté et façonné notre corps neuf longs mois avant de l’offrir au monde ? Plus généralement, une piété emplie de reconnaissance vis-à-vis de ceux qui – souvent avec maladresse, mais presque toujours avec tendresse –, nous ont donné, avec la vie, de l’amour et, avec l’amour, de multiples dons, à commencer par notre éducation ? Une attention plus grande à notre corps, « sacrement de la personne » (saint Jean-Paul II), « organe » de sainteté, en lui accordant, pendant ce temps de vacances, le repos dont il a réellement besoin, et en l’accordant à Dieu dans une prière qui s’aide d’une manière nouvelle de sa médiation, par exemple en fermant les yeux, en se mettant à genoux, en dressant son dos pour se mettre en présence de Celui qui nous est toujours présent… ?
Pascal Ide
[1] Charles de Koninck, La piété du Fils. Études sur l’Assomption, Québec, Presses Universitaires Laval, 1954.
[2] C’est là un second apport de l’analyse du penseur canadien. Tranchant en défaveur de la dormition, il affirme la mort de Marie qui a imité Jésus jusque dans sa propre mort, participant ainsi à son œuvre rédemptrice. Sans entrer dans le détail, il s’inspire d’une fine analyse d’Aristote pour affirmer que l’instant, un in re, est double in ratione, à la fois terme de la vie terrestre et donc mort réelle, et commencement de la vie glorieuse.
[3] Nous parlons ici de la vertu de piété (cf. Somme de théologie, IIa-IIæ, q. 101) et non du don éponyme (cf. q. 121).