GUIBAL F., Faut-il renoncer à la métaphysique ?, Paris, Fac. jésuites de Paris, 2016. Parue dans la NRT 140 (2018) n° 1, p. 149-150.
Comme presque toutes les interro-négatives, la question posée par le titre est rhétorique et livre donc, en même temps que la réponse (négative), la thèse de l’ouvrage. L’A., prof. émérite de l’Univ. de Strasbourg et enseignant invité au Centre Sèvres, la déploie de manière aussi rigoureuse qu’inédite en trois fois deux temps. La 1ère partie, historique, étudie les métaphysiques antico-médiévales, identifiées comme présence au monde, à partir des trois figures de Platon, d’Aristote et de Thomas d’Aquin, puis les métaphysiques modernes, caractérisées comme présence à soi, à travers celles de Descartes, Kant et Hegel. La 2ème partie, problématique, présente d’abord les cinq grandes mises à mort de la métaphysique, critiquée au nom de sa (prétendue) négation des faits empiriques (positivisme), de la pratique (Marx), de son dogmatisme (herméneutique et phénoménologie), de son ressentiment contre la vie (Nietzsche) et de son oubli de la différence ontico-ontologique (Heidegger) ; puis cinq réfutations internes, point par point, attestant le retour du refoulé. Il reste à la dernière partie d’exposer le programme ou les orientations présidant à une métaphysique renouvelée, en son pôle subjectif (au-delà de la déconstruction derridienne et en prise avec l’empiricité, scientifique, politique et poétique) et objectif (structurée à partir des trois ontologies régionales : le monde, le Je et le dieu).
Le lecteur reconnaîtra au passage, dans la forme, la manière hégélienne d’embrasser une vaste matière en un tout cohérent, et sur le fond, notamment deux des maîtres de l’auteur, Eric Weil et Levinas. Il admirera le courage de l’intention, la générosité des exposés historiques, la clarté du propos jamais abstrus, l’ampleur des propositions, l’érudition nullement écrasante. En revanche, à côté de critiques de détail (la partie scientifique, qui a le mérite d’exister, est peu informée et peu élaborée), on regrettera que la matière déployée dans la partie historique ne soit presque pas assumée (comme le fait André Léonard dans sa remarquable Métaphysique de l’être) et, plus encore, que l’A. ne pense pas de manière plus systématique le sens de ce retour du refoulé, notamment à partir de la différence de la pensée noétique et de la pensée pneumatique élaborée par un des grands métaphysiciens contemporains, étrangement absent (est-il cité ?) de cet exposé pourtant si accueillant : Maurice Blondel.
Pascal Ide