Dans les années 1880, les chercheurs ont mis en lumière différents rôles décisifs joués par les feux spontanés dans le cycle de vie des forêts : ils détruisent la matière morte qui s’est accumulée ; ils enrichissent le sol en nutriments ; ils trouent la canopée et permettent à la lumière du soleil de parvenir au sol, et donc, par la photosynthèse à de nouveaux arbres de pousser. Inversement, lorsqu’on interdit les feux, les forêts deviennent plus denses, contiennent plus de broussailles, de feuilles mortes et de brindilles ; or, ce sont des combustibles très inflammables ; donc, paradoxalement, les forêts non incendiés deviennent beaucoup plus « incendiables » [1].
Nous pouvons en tirer une conclusion d’importance pour notre compréhension de l’environnement. Les bénéfices des incendies spontanés sont une nouvelle preuve d’une loi importante : ce que, dans la nature, nous appelons catastrophe peut en réalité être un bienfait. Il y a bien longtemps, j’ai lu un ouvrage sur les ouragans affirmant que ceux-ci étaient aussi une trouvaille de la nature pour redistribuer rapidement et efficacement les masses de chaleur au niveau planétaire. Le livre en tirait la conséquence que si l’homme s’avisait à annuler la quinzaine de cyclones de grande ampleur qui sillonnent chaque année notre globe, l’on ne savait pas ce que la nature devrait inventer de plus funeste pour se réguler. La juste attitude écologique serait donc non point d’empêcher ces phénomènes naturels que de protéger les populations en situation de vulnérabilité. Bien évidemment, c’est là une opinion dont l’application ou la discussion relève de la compétence des spécialistes.
Il y a aussi là plus qu’une métaphore, à savoir une analogie. Au nom de la continuité (qui inclut la différence qu’est la liberté responsable) entre lois naturelles et loi humaines. Consentir à de petites crises n’est pas seulement fécond, mais permet d’éviter de plus grandes crises. C’est ainsi que, lorsque je prépare un couple au mariage, je leur explique l’importance d’apprendre à affronter les petites tensions que, amoureux, les fiancés ont tendance à négliger. On pourrait d’ailleurs dire la même chose, mutatis mutandis, des grandes amitiés. La réaction spontanée est de minimiser : « Ce n’est pas grave. Ne nous prenons pas la tête avec des broutilles ! » Tout au contraire !
D’abord, ces microsecousses révèlent souvent des lignes de fracture qui, par la suite, s’aggraveront et se transformeront en véritables tremblements de terre. Ensuite, ces mini-crises montrent en petit ce qui, après, sera tellement douloureux que les zones de conflit seront « tchernobilisées ». « Arrêtons de parler des beaux-parents, ça se termine toujours en dispute ! » Enfin et surtout, elles sont un terrain d’entraînement : pour oser les regarder en face, mettre en œuvre des moyens de communication réellement non-violents (type CNV) et surtout apprendre à pardonner, c’est-à-dire goûter la joie d’un pardon donné « du fond du cœur » (Mt 18,35).
Pascal Ide
[1] Kathryn Schulz, « The story that tore through the trees », New York Magazine, 9 septembre 2014 :