Les quatre sens de la nature

Pascal Ide, « Les quatre sens de la nature », Bertrand Souchard et Fabien Revol (éds.), Controverses sur la création : science, philosophie, théologie. Actes du Colloque de la Chaire Science et Religion, à l’Institut Catholique de Lyon, 9-11 avril 2015, coll. « Science – Histoire – Philosophie », Paris, Vrin, Lyon, Institut Interdisciplinaire d’Études Épistémologiques, 2016, p. 349-398.

 

« La création montre son Créateur, l’oeuvre révèle son ouvrier, le monde manifeste son ordonnateur [1] ».

« Quand, émerveillé, je rôde dans la nuit claire, en regardant les étoiles, j’ose dire : tout cela est de mon Père [2] ! »

Introduction

Il y a exactement un siècle paraissait un livre monumental par sa taille (plus de 800 pages), écrit par celui qu’une récente biographie salue comme « le monstre sacré du thomisme » [3] : Dieu, son existence et sa nature [4]. Cet ouvrage est d’ailleurs plus aporétique, voire plus moderne, que sa réputation et celle de son auteur le laissent accroire, ainsi que l’atteste la place importante qu’il accorde à l’épistémologie dualiste de Pierre Duhem auquel une annexe est consacrée [5]. Quoi qu’il en soit, je ne pense pas que l’année retenue par ce colloque ait pour dessein de fêter cet anniversaire… Pourtant, un fait mérite d’être célébré : il s’agit presque du dernier ouvrage francophone qui se risque à démontrer rationnellement que Dieu existe. Assurément, toujours en langue française, depuis 1915 furent publiés différents livres traitant des argumentations établissant l’existence de Dieu, mais à titre seulement critique [6], historique [7], méthodologique [8] ou programmatique [9]. Un signe parmi d’autres : du très bref article que l’Encyclopédie philosophique universelle consacre à « Théologie naturelle » [10], Paul Clavier dit qu’il « ressemble à une notice nécrologique [11] ». Seule exception remarquable (aux deux sens du terme), l’ouvrage de Frédéric Guillaud – dont le titre et le sous-titre résument la thèse et la perspective : Dieu existe. Arguments philosophiques – auquel je ferai plusieurs fois recours et qui, datant de 2013, vient combler une lacune de presque cent ans [12].

J’ajouterai trois faits tout aussi notables : 1. ce qui est vrai en philosophie se vérifie aussi en théologie de langue française, les ouvrages d’apologétique, rédigés par des théologiens [13] – ouvrages dont la première partie était classiquement consacrée à établir argumentativement l’existence de Dieu et réfuter, non sans mépris, l’athéisme – ont totalement disparu depuis une durée presque équivalente ; 2. le dernier Concile n’a pas pris en compte la nature : ce fait est particulièrement patent dans la constitution Gaudium et spes [14]. Double semble en être l’origine : ne « pas aller au-delà de ce qui est assuré bibliquement » ; la crainte d’avoir l’air d’accueillir les idées de Teilhard de Chardin qui venait d’être soupçonné très sévèrement [15], sans que le soupçon aille au-delà d’un monitum (qui ne doit surtout pas être confondu avec une condamnation) ; 3. la situation dans le monde anglophone est à peu près diamétralement opposée à celle du monde francophone, au point qu’il semble presque impossible d’embrasser toute la littérature appartenant à ce que l’on n’hésite pas à appeler natural theology, « théologie naturelle » qui elle-même s’inscrit dans le sillage d’une tradition biséculaire [16].

Loin d’être polémiques, ces propos introductifs visent au contraire à saluer l’heureuse initiative de ce colloque qui est organisé par la chaire « Science et Religion » et rassemble des chercheurs, francophones et anglophones, passionnés par la question philosophique des preuves de l’existence de Dieu, et remercier chaleureusement l’invitation faite par son directeur, Bertrand Souchard, à qui me lie une amitié de longue date, et le recteur de cette Université, Thierry Magnin.

Je procéderai en deux temps : topique et déterminatif. Dans le premier temps, je ferai un très bref état des lieux, tout en prenant position (A) et surtout en concluant par un cahier des charges (B). Dans le second temps, après avoir présenté de manière plus approfondie la thèse de cette intervention qui est celle de ce colloque à partir des propos mêmes du premier Concile du Vatican (C), je ferai une proposition inédite que je tenterai d’argumenter (D), avant de conclure (E).

A) Topique

La thématique du colloque (le cosmos théophanique) se distribue, doctrinalement autant qu’historiquement, selon que la nature apparaît comme transparente ou comme opaque à Dieu – à moins que cette présence divine ne se tienne dans un clair-obscur.

1) La nature, transparente à Dieu

Le cosmos grec et, plus encore, la création médiévale, sont transparents de Dieu. Nous le redirons plus bas en partant de la métaphore du « livre de la nature ». Une illustration exemplaire est offerte par saint Bonaventure. En effet, pour le Docteur séraphique, la créature manifeste Dieu. Pour exposer cette relation, il fait appel à plusieurs concepts, comme la « parole » (« Toute créature est parole de Dieu [17] »), ou des images comme « l’échelle » (« dans l’état présent de notre nature, l’universalité des choses est une échelle pour monter à Dieu [18] »). Les médiévistes convoquent des notions équivalentes, comme l’expression (l’« expressionisme ») ou le sacrement (la création comme « un immense sacrement [19] »).

En réalité, ce schéma théophanique, de prime abord simpliste, doit se complexifier considérablement.

Tout d’abord, cette constitution sacramentelle structure l’être de la créature : la couper de son origine transcendante serait la réduire à une res, c’est-à-dire une chose considérée en elle-même, et empêcherait de l’appréhender adéquatement. « On ne peut parvenir à la connaissance de la créature que par ce par quoi elle a été faite [20] ».

Ensuite, l’auto-diction créée n’est pas seulement fondée dans l’expression de la créature transparente des Idées divines, mais dans la manifestation intradivine elle-même : le Fils est la parfaite image du Père. Le premier exemplaire n’est donc pas économique, mais théo-logique, au sens le plus plein du terme.

Enfin, loin d’être univoque, la représentativité se différencie selon les degrés de similitude : vestige, image et ressemblance :

 

« La création du monde est semblable à un livre dans lequel éclate, est représentée et est lue la Trinité créatrice selon un triple degré d’expression : par mode de vestige, d’image et de ressemblance. L’idée de vestige se trouve dans toutes les créatures ; l’idée d’image, dans les seules créatures intelligentes ou esprits raisonnables ; l’idée de ressemblance dans les seules créatures déiformes. Ainsi, comme par les degrés d’une échelle, l’intelligence humaine est capable de s’élever graduellement jusqu’au principe souverain, qui est Dieu [21] ».

 

Par conséquent, l’ontophanie se déploie en cascade selon trois registres. Deux sont horizontaux, c’est-à-dire relèvent du même ordre : immanent (la structure mystérique du créé : le fond se révèle dans l’apparition de l’étant) ; transcendant (le Fils révèle le Père). La troisième est verticale, joignant l’immanent au transcendant : participant des Idées divines, les créatures manifestent le Créateur et jusqu’au Dieu unitrine – elles-mêmes selon une gradation analogique. En ce sens, le Fils est ars Patris, « art du Père ». Voire, en continuité avec l’image de l’« échelle » que nous avons évoquée, Bonaventure dédouble l’analogie verticale, selon qu’elle est descendante ou ascendante. De fait, les trois étapes de l’Itinerarium se dédoublent en fonction de ces deux mouvements. Elles sont animées par une pulsation binaire : per speculum, « au moyen du miroir », c’est-à-dire considérer Dieu de manière ascendante, passer des créatures au Créateur ; in speculo, « dans le miroir », c’est-à-dire considérer Dieu de manière descendante, discerner ou contempler le Créateur dans les créatures.

Quel que soit le détail, la nature est diaphane de la présence divine. Comme l’affirmait André Marc, commentant le premier moment de la Contemplatio ad amorem spiritualem in nobis excitandum dont il dit qu’elle « résume tous les Exercices de saint Ignace », qui est ici l’héritier de la conception médiévale du cosmos : « Le monde tout transparent de Dieu, puisque présent de Dieu et présence de Dieu, qui est le seul et l’éternel présent [22] ».

2) La nature, opaque à Dieu

À l’orée des temps modernes, suite à l’ambivalence de la Renaissance [23], la nature devient opaque et muette. En changeant de nom (le cosmos ou monde devient univers [24]), elle change de statut métaphysique. Rémi Brague a finement analysé le passage d’un paradigme à l’autre [25].

Autant il faisait bon vivre dans le cosmos grec et la création médiévale, autant l’univers classique semble indifférent à l’homme – « Car insensible [unfühlend] est la nature : le soleil luit sur les méchants et les bons [26] » –, inquiétant – « L’angoisse dans le monde est l’unique preuve de notre hétérogénéité. Car si rien ne nous manquait, nous nous perdrions dans la contemplation de la nature, aucune nostal­gie ne nous saisirait [27] » –, voire conflictuel – « La tension constante entre force centripète et force centrifuge […] qui maintient en mouvement l’édifice du monde et qui lui-même est déjà une expression de ce combat universel, essentiel à la représentation de la volonté [28] » – et méchant – « Ce n’est que par des forfaits que la nature se maintient et reconquiert les droits que lui enlève la vertu. Nous lui obéissons donc en nous livrant au mal ; notre ré­sistance est le seul crime qu’elle ne doive jamais nous pardonner [29] ».

Ce sont progressivement les différents transcendantaux qui se trouvent disqualifiés : le monde n’est ni vrai – « Je pensais que la terre était sortie de son orbite et qu’elle errait dans le firmament comme un vaisseau démâté [30] », ni bon – « Cette grande loi d’attraction qui suspend le monde à sa place, l’use et le ronge dans un désir sans fin ; chaque planète charrie ses misères en gémissant sur son essieu […] ; pas un désordre, tout est réglé, marqué, écrit en lignes d’or et en paraboles de feu ; tout marche au son de la musique céleste sur des sentiers impitoyables, et pour toujours ; et tout cela n’est rien [31] » –, ni même beau – « Le monde a été construit à la va-vite, et il se pourrait que la beauté de la montagne, du fleuve et du coucher de soleil ne soient que le vernis avec lequel l’artisan incompétent cache ses craquelures [32] ».

Or, les passiones entis sont communes à Dieu et aux étants finis ; plus encore, elles ne se trouvent en ceux-ci que parce qu’il participent à Celui-là. Cette dévitalisation de l’univers vient donc de ce qu’il est délié de toute attache divine. C’est ainsi que Benjamin Constant, dans une lettre de jeunesse, imagine l’étrange parabole d’un monde créé par un dieu qui serait « mort avant d’avoir achevé son ouvrage [33] ».

3) Le clair-obscur de Dieu dans la nature

Cosmos transparent et cosmos opaque à Dieu ne sont pas si éloignés qu’il paraît. Par certains côtés, l’évidence n’a fait que changer de camp. En effet, avec les critères cartésiens de vérité que sont la clarté et de la distinction, l’univers devient transparent à lui-même et, au fond, transparent de l’homme qui le mesure et le possède. De théophanique, le cosmos devient anthropophanique. Cette double manifestation s’est même identifiée un moment clé du surgissement de la modernité, lorsque Galilée, par le biais de la mathématique, a dilaté l’esprit humain à la taille de l’esprit divin [34].

Il n’est donc pas étonnant que surgisse une troisième posture qui, elle, en réaffirmant le caractère intrinsèquement mystérique du monde, tente de le réconcilier avec Dieu. Illustrons-la par un exemple contemporain. Entre la posture assertive affirmant que la création atteste de manière transparente le Créateur et celle, tout aussi affirmative et argumentée, les découplant et même prétendant effacer le deuxième pôle, Thierry Magnin (TM) défend dans ses travaux et, de manière accomplie, dans son dernier ouvrage [35], une position que, de prime abord, je qualifierai d’intermédiaire. Le titre et le sous-titre résument la thèse, voire la démarche de son livre : l’expérience que le chercheur fait de l’incomplétude converge avec celle que le théologien fait du Mystère, c’est-à-dire de l’Origine, la majuscule évoquant sa transcendance.

 

Le livre se présente autant comme un discours que comme un parcours, autant comme un monologue que comme un dialogue, en quatre étapes qui traversent les degrés du réel, voire les ordres de Pascal. Je ne peux que les évoquer :

  1. Le moment logico-mathématique. Les deux théorèmes d’incomplétude des systèmes formels démontrés par Kurt Gödel « établi[ssen]t l’existence, pour une classe de formalismes répondant à des conditions très générales, de propositions indécidables – explique le grand épistémologue lovanien Jean Ladrière [36] ». Les faits de limitation interdisent une formalisation complète du champ intuitif. Ils expriment l’irréductible dualité de la pensée et de l’objet : « Le système total n’est réalisable ni comme représentation adéquate du champ intuitif, ni comme structure formelle capable de se réfléchir entièrement en elle-même, ni comme ensemble de procédures canoniques susceptible de fournir une solution effective à tout problème mathématique [37] ». Autrement dit, il y a un excédent d’intuition que la raison ne peut formaliser.
  2. Le moment physique. Loin d’être cantonné aux seuls systèmes formels, cette incomplétude se rencontre dans les systèmes physiques, précisément particulaires. En effet, au cours du même siècle, conjurant le projet non plus hilbertien, mais laplacien, les sciences empirico-formelles ont progressivement intégré un principe interne de limitation. Werner Heisenberg, l’un des pères de la mécanique quantique, démontre qu’il est impossible de connaître en même temps deux paramètres du comportement d’une particule, par exemple sa position et sa quantité de mouvement. Cette incomplétude – réelle et non plus formelle – se radicalise avec la découverte de la non-localité (interrogée dans le paradoxe EPR sur les photons corrélés, formalisée par les inégalités de Bell, établie dans les expériences d’Alain Aspect), donc de l’inséparabilité microphysique du sujet observant et de l’objet observé. Pour proposer une herméneutique de ces résultats physiques, TM convoque ici un physicien frotté de philosophie, Bernard d’Espagnat [38]. Son concept clé jamais renié est celui de réel voilé: « La réalité indépendante, ou intrinsèque, ou ‘forte’ est située hors des cadres de l’espace et du temps et n’est pas descriptible par nos concepts courants. Encore une fois, la réalité empirique, celle des particules, des champs et des choses, n’en serait, comme la conscience, qu’un reflet pour nous [39] ». Non seulement l’objet est intrinsèquement et irréversiblement lié au sujet, mais cet objet est lui-même diffracté, bipolarisé en onde et corpuscule. Or, celles-ci à la fois s’excluent et sont simultanément nécessaires pour la description totale des phénomènes physiques intéressant les particules. Ainsi le principe de complémentarité (élaboré par le physicien danois Niels Bohr et étendu à tout le réel [40]) précise le principe d’indétermination de Heisenberg. Or, cette complémentarité – qui est une forme de contradiction réelle et dynamique – est, pour TM, un nouveau signe d’incomplétude [41].
  3. Le moment philosophique. Il serait encore possible d’élargir le fondement inductif : au langage (Ludwig Wittgenstein) et aux systèmes macroscopiques loin de l’équilibre, autrement dit d’évolution irréversible (Ilya Prigogine). Notre auteur conclut que le discours scientifique est partout voué à l’incomplétude, autrement dit à la limite [42], et doit donc faire le deuil du rêve de tout-puissance introduit par Laplace [43]. Or, cette incomplétude signifie que non seulement « quelque chose nous échappe » [44], mais que ce « quelque chose […] est de l’ordre de l’Origine [45]». Toujours en dialogue, TM croise ici la pensée de deux scientifiques-philosophes roumains : Stéphane Lupasco qui a élaboré une logique de l’antagonisme visant à dépasser les apories de la logique classique (fondée sur le principe de non-contradiction, elle est à la fois binaire et actualiste), par une logique (fondée sur le double processus contemporain d’actualisation et de potentialisation) intégrant dynamiquement la contradiction [46] ; Basarab Nicolescu qui enrichit l’interprétation de Lupasco en introduisant le concept de « niveau de réalité », celui-ci étant « une famille de systèmes qui restent invariants sous l’action d’une loi » [47]. Enfin, face au scientisme triomphant du dix-neuvième siècle – scientisme qui affirmait par la bouche de Marcellin Berthelot : « Le monde est aujourd’hui sans mystère [48]», ou par celle d’Ernest Renan : « Ce n’est […] pas une exagération de dire que la science renferme l’avenir de l’humanité [49] » –, TM réintroduit le concept de mystère au sein même de la réalité sensible, notamment à partir de Gabriel Marcel.
  4. Le moment théologique. Nous avons vu que l’incomplétude se signale dans la complémentarité, c’est-à-dire l’antagonisme de propositions en tension, d’énoncés qu’une logique seulement régie par le principe de non-contradiction. Or, selon le modèle de la coïncidence des opposés chère à Nicolas de Cuse, les principaux mystère de la foi s’expriment plus adéquatement à partir de la complémentarité : l’Incarnation (Jésus est vrai Dieu et vrai homme), la Trinité (Dieu une nature et trois Personnes), l’Église (le disciple qui est soi et abandon de soi). Donc, l’expérience de l’incomplétude ouvre au fond des choses qui est, ultimement, divin [50].

Ainsi, nous aboutissons à une conclusion intermédiaire entre cosmos opaque et cosmos théophanique : la nature dévoile Dieu tout en le voilant.

 

Ainsi trop brièvement résumé, le discours de TM présente bien des qualités, par exemple la clarté et le désir fédérateur. Alors que Teilhard souhaitait rassembler hommes de sciences et théologiens autour d’une conception lumineuse et naïvement optimiste du savoir scientifique et de la spiritualité chrétienne, notre auteur propose une vision qui héberge de manière plus réaliste le sens de la limite et propose de l’interpréter à partir d’une philosophie du mystère.

La proposition du recteur de l’Institut catholique de Lyon présente aussi différentes limites.

Un certain nombre de termes me semblent insuffisamment définis, notamment les termes clés de sa cosmologie que sont « incomplétude ou « fond des choses » [51]. Loin de moi de critiquer un usage polysémique, qui est la conséquence obligée de la traversée de plusieurs champs épistémiques qu’ils souhaitent rassembler. Mais comment conjurer le double risque symétrique, de l’équivocité, qui les rendrait inopérants et de l’univocité, qui les ferait dangereusement opiner vers le monisme, méthodologique ou, pire, ontologique ?

Assurément, TM n’est pas panthéiste. On ne saurait en dire autant de Bernard d’Espagnat, qui a dit ses affinités avec Spinoza [52]. Or, notre auteur affirme sans recul : « Ce réel, ce fond des choses dont nous parlons, n’est pas une chose. Il est assurément au-delà de l’espace et sans doute aussi du temps. Appelons-le l’‘Être’, dit d’Espagnat. Ou encore l’‘Un’, suivant Plotin [53] ». On pourrait ajouter l’Englobant de Karl Jaspers. Et plus loin : « Bernard d’Espagnat dit que, s’il nous faut, à toute force, une explication, nous avons à la chercher dans ce qui est plus élevé que nous-mêmes, et qui nous est, par conséquent, mystérieux. C’est le réel, l’Être, le divin. […] D’Espagnat note que c’est là l’enseignement traditionnel de l’ Église, auquel il ne fait qu’apporter ce qu’on pourrait appeler un ‘arc-boutant de crédibilité’ supplémentaire, tiré de la physique contemporaine [54] ». D’ailleurs, à trop souligner la non-localité, comment sauvegarder l’individualité des substances créées sans les réduire à être des modes de l’unique substance désormais appelée « fond des choses » ?

TM aurait aussi trouvé une référence plus assurée du point de vue de la philosophie et de la foi chez le maître qui, discrètement mais profondément, irrigue Jean Ladrière et, curieusement, demeure innommé : Maurice Blondel [55]. Il aurait trouvé chez le philosophe français de l’action notamment le dipôle pensée pneumatique-pensée noétique qui lui aurait permis de tenir l’analogia incompletudinis, donc une juste articulation de la nature et de la grâce [56].

B) Cahier des charges

De cette trop brève topique, tirons un « cahier des charges », avec ses lumières et ses ombres.

Je retiendrai d’abord trois leçons positives. 1. De la vision épiphanique qui fait de la nature un index Dei, je retiens la nécessité de montrer qu’elle exprime aussi autre chose qu’elle. Autrement dit, un seul discours ne saurait entièrement rendre compte de ce que dit la nature. 2. De la vision immanente qui clôt la nature sur elle-même et la rend opaque à Dieu, je retiens la nécessité de montrer qu’elle est aussi, voire d’abord index sui [57]. Autrement dit, un discours doit attester l’intelligibilité de ce monde consistant, voire ce discours fondera toute autre approche de la nature. 3. Enfin, de la vision en quelque sorte médiane de la science (et de la nature) comme incomplétude, je retiens la nécessité de laisser une place au mystère. Le mot d’Héraclite « La nature aime à se cacher [58] » traverse les siècles [59].

Mais comment conjuguer ces trois exigences ? Osons élargir le problème et, paradoxalement, aviver la difficulté. D’un côté, aujourd’hui, la lecture qui est donnée du cosmos relève des sciences empirico-formelles. De l’autre côté, les discours sur la nature demeurent multiples : scientifique, philosophique, écologique, poétique ou, plus généralement esthétique (pour autant que le terme de « discours » soit adéquat), psychologique [60], théologique, voire mystique [61]. Toutefois, en défendant résolument une approche polysémique du cosmos, le risque est grand de passer du Charybde de l’univocisme du discours scientifique au Scylla de l’équivocité d’une pluralité éclatée des paroles sur la nature. Mon intention est donc, outre l’herméneutique sémiologique du cosmos, de proposer un principe d’organisation de ces multiples lectures.

C) La richesse insoupçonnée de Vatican I

Il est temps de revenir sur l’objet de ce colloque qui, intentionnellement, s’identifie de manière diaphane à son titre. Cette titulature provocatrice est heureuse. Il n’est pas inutile d’en faire l’exégèse, non seulement pour en percer le sens, mais aussi pour en tirer quelques enseignements pour la suite.

La formule est tirée du premier Concile œcuménique du Vatican, précisément du chapitre 4 de la Constitution dogmatique Dei Filius sur la foi catholique : « L’Apôtre […] témoigne que Dieu a été connu des gentils ‘parce qu’il a fait’ [Apostolus […], qui a gentibus Deum ‘per ea, quae facta sunt’, cognitum esse testatur] [62] ». Le texte cite, selon la traduction de la Vulgate, la référence néotestamentaire clé en ce domaine qui est le passage de l’épître aux Romains relatif à l’ignorance coupable des païens : les œuvres visibles attestent l’existence du Dieu invisible [63].

Commentons brièvement ce texte du dedans, c’est-à-dire à partir de l’entièreté de la Constitution d’où il est extrait. Je relèverai cinq points concernant notre problématique, à savoir l’attestation de Dieu en sa création, et un sixième, latéral :

  1. Le passage convoque le vocabulaire de l’attestation. En cela, il ne détonne en rien avec le reste de la constitution. Bien au contraire, il consonne avec celle-ci qui ne cesse de faire appel au registre herméneutique du signe et de la manifestation. Dès l’ouverture de la Constitution, on peut lire au deuxième § du premier chapitre : Dieu a créé librement, « non pour acquérir sa pleine perfection, mais pour manifester [sed ad manifestandam] celle-ci par les biens [bona] qu’il accorde à ses créatures [64]». Et, à plusieurs reprises, le reste de la Constitution parle des « signes » que Dieu offre et emploie le vocabulaire sémiologique : les « signes très certains de la Révélation divine [divinae revelationis signa] [65]», les « notes manifestes [manifestis notis] » de l’institution ecclésiale [66], les signes « si nombreux et si admirables [tam multa et tam mira] » disposés en vue de « la crédibilité [credibilitatem] de la foi chrétienne [67] », le « témoignage [testimonium] irréfutable de sa mission divine [de l’Église] [68] ». Le Concile emploie donc le lexique de l’attestation autant pour l’ordre naturel que pour l’ordre surnaturel.
  2. Ce vocabulaire herméneutique n’est en rien minimaliste : il ne vise en rien à affecter le jugement (au sens logique de conclusion) d’un indice dialectique (au sens aristotélicien) de probabilité. Au contraire, pour être un signe, la création ou l’œuvre de Dieu donne accès avec certitude à celui-ci, précisément à son existence, non à son essence. En effet, nous connaissons l’affirmation fameuse selon laquelle Dieu « peut être connu avec certitude [certo cognosci] par la lumière naturelle de la raison humaine à partir des choses créées ». Or, non seulement, cette connaissance assurée naît du témoignage des « choses créées [rebus creatis] » et conduit à Dieu comme « principe et fin de toutes choses [rerum omnium principium et finem] [69]» (c’est le même terme res qui est répété dans la même phrase), mais le texte mobilise le même passage de l’épître aux Romains, à savoir Rm 1,20. Donc, à l’instar des « signes très certains [signa certissima] de la Révélation divine [signa certissima] [70]» ou de « la crédibilité évidente [evidentem] de la foi chrétienne [71] », les signes que sont les réalités créées conduisent l’esprit humain avec certitude à son Créateur.
  3. Ces signes qui attestent Dieu en ses œuvres avec certitude sont moins extrinsèques qu’il n’y paraît. L’on n’a pas manqué d’interroger l’apologétique que paraît défendre Vatican I et d’en souligner le caractère extrinsèque, voire rationaliste. De fait, à propos de la Révélation, le chapitre 3 souligne que notre foi se fonde non pas sur la « vérité intrinsèque [intrinsecam vertitatem] » des « choses révélées », mais sur « l’autorité [auctoritatem] de Dieu même ». Mais n’amputons pas le propos et lisons-le dans son intégralité : il s’agit de « l’autorité de Dieu même qui révèle [auctoritatem ipsius Dei revelantis] [72] ». Or, ainsi que nous allons le dire, pour Dieu, se communiquer, c’est se donner ; il est d’ailleurs significatif que le Concile choisisse, comme première attestation de sa crédibilité de l’Église, non pas sa continuité ou sa sainteté, mais « son admirable propagation [admirabilem propagationem] [73]», c’est-à-dire sa communication généreuse. Le parallèle des deux registres d’attestation, naturel et surnaturel, permet de conclure que, dans l’ordre de la création, les signes sont eux aussi, quoiqu’analogiquement, intrinsèques et non pas apposés du dehors.
  4. Pour autant, et c’est une autre surprise du texte, la certitude qu’apportent ces signes ne rend pas le mystère divin évident, au sens étymologique du terme. Au contraire, la Constitution souligne combien Dieu demeure caché. Elle parle même de « mystère ». Le texte sur l’attestation de Dieu dans ses œuvres continue presque aussitôt par une autre citation paulinienne : « Nous prêchons la sagesse de Dieu dans le mystère, [sagesse] qui est cachée [Loquimur Dei sapientiam in mysterio, quae abscondita est] » (1 Co 2,7) [74].
  5. Enfin, cette approche n’est pas aussi intellectualiste qu’il pourrait le sembler de prime abord. La suspicion est parfois redoublée par l’interprétation usuelle que l’on offre de la conception de la foi à Dei Filius, dans sa prétendue opposition avec l’herméneutique développée dans Dei Verbum – oubliant ou négligeant que le second Concile du Vatican cite le premier, et en rien pour des raisons décoratives. En effet, dans un paragraphe ultérieur qui établit la compatibilité de la foi et de la raison, les pères conciliaires affirment : « C’est le même Dieu [idem Deus] qui révèle les mystères et communique la foi [infundat], et qui a fait descendre [indiderit] dans l’esprit humain la lumière de la raison [75]». Or, cet acte d’infusion qui est un acte de communication est un acte gratuit d’amour : « Il a plu à sa sagesse et à sa bonté [bonitati] [de Dieu] de se révéler lui-même au genre humain [76]». Donc, le signe qui est offert à la raison par Dieu en sa création est un don, autrement dit, est le fruit de l’amour [77]. D’ailleurs, déjà ci-dessus, nous citions le chapitre 1 de Dei Filius sur le motif de la création comme pure générosité dative. Reçu à son tour avec gratitude, ce motif n’est pas seulement connu par la raison, mais re-connu par la volonté, et fait entrer l’homme dans la grande pulsation de donation divine et de réponse humaine, qu’est l’économie de la Révélation et de la création, pulsation où bat le cœur aimant de Dieu.
  6. J’ajoute, en raison de la position ci-dessus défendue sur la possible contradiction, que le premier concile du Vatican affirme fermement la non-contradiction de la foi et de la raison ; or, à cette occasion, il ajoute à l’argument théologique selon lequel « Dieu ne pourrait se nier lui-même [Deus autem negare se ipsum non possit] », un argument métaphysique autant que logique : « ni jamais le vrai contredire le vrai [nec verum vero umquam contradicere] [78]». Certes, le Magistère ne se prononce jamais en faveur d’une philosophie en particulier ; en revanche, il peut soutenir un principe, surtout lorsqu’il est aussi essentiel à la cohérence de la pensée que le principe de non-contradiction [79]. Or, nous en trouvons ici l’une des formulations les plus approchées.

 

Ainsi, discours de la cause et discours du signe coexistent dans le texte inspiré du premier concile du Vatican. Comment se fait-il que les commentaires ultérieurs aient si peu relevé cette convergence ? À côté des raisons apologétiques et non sans lien, ne pourrait-on émettre l’hypothèse historique suivante ? Il est arrivé en théologie de la création ce qui est arrivé en théologie sacramentaire (les deux étant d’ailleurs aussi liées, en ce que le sacrement achève, au moins en partie, le cosmos) : un certain nombre de discours théologiques posttridentins ont survalorisé la place accordée à la causalité au détriment du signe. La réaction contre le broiement de l’efficace des causes secondes, et plus généralement des médiations, opéré par la théologie luthérienne [80] explique et légitime cette insistance ; mais, comme toute réaction, elle fut unilatérale et n’a pas permis de développer en conséquence le deuxième aspect caractéristique du sacrement : il est causa en tant qu’il est signum. [81]

S’il ne faut pas opposer discours de la cause et discours du signe, science assurée (cognitio certa per causas) et herméneutique du signe, comment concilier la grammaire de l’argumentation ou de la preuve et celle de l’attestation ? Par une métaphysique de l’être comme apparition, autrement dit par une ontophénoménologie que le texte conciliaire appelle implicitement.

D) Une proposition neuve : les quatre sens de la nature

1) Un parallèle entre nature et Écriture

Nous souhaiterions avancer une hypothèse sous la forme d’un rapprochement entre nature et Écriture : éclairer l’approche polyédrique de la nature à partir d’une autre lecture polysémique, celle de l’Écriture. En effet, la nature est comme un livre [82] et certains parlent du double livre de la nature et de l’Écriture [83]. Or, les Pères de l’Église, les docteurs médiévaux [84] et le récent Magistère [85] distinguent un quadruple sens de l’Écriture – littéral, allégorique (ou mystique), tropologique (ou moral) et anagogique (ou eschatologique) – qu’articule un distique d’Augustin de Dacie : « Littera gesta docet, quid credas allegoria, / Moralis quid agas, quo tendas analogia » [86]. Ne pourrait-on dès lors proposer une pluralité de niveaux de sens dans la nature qui soit parallèle à cette quadripartition ? De fait, cette polysémie de l’Écriture tient à ce qu’elle est inspirée par Dieu qu’aucun discours ne saurait comprendre ; or, de même, la nature est ce profond mystère que nul ne peut prétendre épuiser et dont l’origine est ultimement divine.

D’emblée, une telle proposition suscite de grandes réserves. La plus patente est la suivante : la nature appartient à l’ordre de la création et l’Écriture à celui de la Révélation ; sans être dualiste ni extrinséciste, celui qui rappelle leur distinction sans ignorer leur union ne peut qu’engendrer la crainte légitime d’une confusion de l’ordre de la nature et de celui de la grâce. Ensuite, les sens de l’Écriture se déploient dans une histoire qui prend sa source dans l’initiative de la Liberté absolue venant à la rencontre de la liberté humaine ; or, la nature est dénuée de liberté, au sens propre de dominium sui. Enfin, le critère le plus profond de distinction des sens de l’Écriture est le Christ, centre de l’histoire sainte ; or, si nous pouvons aujourd’hui affirmer que le cosmos est intégralement historique, l’on ne peut symétriquement avancer que cette histoire naturelle est orientée vers le Verbe éternel venu dans notre chair.

 

Là contre, « l’image de la nature comme un livre trouve ses racines dans le christianisme […]. C’est un livre dont nous lisons l’histoire, l’évolution, ‘l’écriture’ [87] ». On ne doit donc pas s’étonner que, à toutes les époques, des théologiens se soient autorisés à faire un tel rapprochement : autant l’inventeur de la doctrine du quadruple sens, Origène [88], qu’à la période médiévale éminemment symbolique que fut le xiie siècle [89], ou, aujourd’hui, un Gaston Fessard [90].

2) « Sens littéral » et « sens allégorique » de la nature

Établissons maintenant l’hypothèse.

En premier lieu, loin d’être seulement théologique, la distinction des quatre sens présente aussi une signification anthropologique : parce qu’elle s’éclaire de la dialectique de la liberté qui, en peine de soi autant qu’en excès de soi, fille « d’Expédient et de Pauvreté [91] », advient à elle-même [92] ; parce qu’elle éclaire elle-même le chemin de la liberté qui va du non-être du péché à l’être plénier de sa libération [93] ; or, les étapes sont rythmées par les quatre sens. En effet, Albert Chapelle et Gaston Fessard – de manière indépendante, semble-t-il (mais l’histoire reste à écrire [94]), et donc d’autant plus significative – ont proposé une telle relecture de l’œuvre de leur confrère Henri de Lubac, lui offrant ainsi la résonance, voire le soubassement philosophique qui lui manquait, par la médiation des quatre semaines des Exercices spirituels élaborée par leur père fondateur : les deux jésuites philosophes établissent, quoique de manière différente, une bijection entre chaque semaine et chaque sens. Or, la nature, comme la liberté, relève de la création ; plus encore, loin d’être séparées, toutes deux sont intimement unies en l’homme et dans le Christ, vrai homme et homme vrai. Comment, à côté de cette signification anthropologique, la doctrine des quatre sens ne possèderait-elle pas aussi une signification cosmologique ?

On pourrait aussi ajouter que, face à la crise de la théologie, et notamment de l’unité de l’acte théologique, le fondateur de l’Institut d’Études Théologiques à Bruxelles a progressivement élaboré une organisation (au sens vital – ce que l’on ne saurait réduire au biologique –, qui est celui des concepts newmaniens de « dévelopment » et de « idea ») des différentes disciplines théologiques autout des quatre sens : littéral (exégèse), allégorique (théologie dogmatique), tropologique (théologie morale) et anagogique (théologie fondamentale) [95]. Une nouvelle fois, si les quatre sens de l’Écriture animent l’anthropologie et la théologie, ne pourraient-ils aussi structurer la troisième ontologie régionale, la cosmologie ?

Ces deux arguments reposent seulement sur une comparaison. La raison propre pour laquelle la polysémie scripturaire pourrait servir de matrice à l’intelligence de la polysémie cosmique me semble être le propos même de ce colloque : de même qu’il n’y a pas d’histoire sans l’Esprit, donc pas de sens littéral (adéquat) de l’Écriture en l’absence de sens spirituel, de même il n’y a pas de nature visible sans sa profondeur invisible (et incréée), donc pas de discours (adéquat) sur la nature sans un discours sur son fond invisible (et incréé). Une telle affirmation se fonde sur une autre assertion : le cosmos est théophanique. Nous avons vu qu’elle était au cœur du propos conciliaire, même si elle est restée inaperçue. Elle est aussi présente dans tout un courant de la philosophie de la nature qui, lui aussi, est demeuré minoritaire en Occident : dans la Naturphilosophie allemande [96], dans le romantisme anglais [97] – la philosophie britannique ne se réduisant assurément pas à l’empirisme ou à l’utilitarisme – et, pour une part, français – sans oublier l’Europe orientale, marquée en profondeur par la théologie orthodoxe qui contemple la gloire divine remplissant aujourd’hui le cosmos [98].

Il ne faudrait toutefois pas opposer cette approche cosmologique qui valorise le signe, donc le dépassement – la nature visible étant signe, symbole, témoin, voire sacrement, du Dieu invisible –, d’une autre approche cosmologique qui valorise la consistance de la nature, en quelque sorte la substantialité de l’étant mobile [99] – la relation de la nature à Dieu étant alors interprétée à partir de la participation, elle-même relue comme entrelacement des causalités seconde et première [100] –, voire, d’une troisième approche, de type atomistique, qui valorise l’élément constitutif du cosmos [101]. Le risque d’opposition est aujourd’hui d’autant plus grand que les discours scientifiques privilégient la dernière approche (par l’élémentaire, synchronique ou diachronique) et commencent seulement à prendre en considération la totalité substantielle [102] et ignorent tout d’une approche sémiologique qui ouvre à la transcendance. En revanche, le discours philosophique ne descend pas dans les déterminations toujours davantage distinctes et concrètes impliquées par la démarche atomistique ou élémentariste, qui est aussi de plus en plus quantifiée et expérimentale [103]. Elle étudie la constitution et la dynamique de l’étant naturel, non sans remonter jusqu’à l’origine première du mouvement et de l’ordre cosmique [104]. La cosmologie théologique, elle, lit dans la nature la création où Dieu se dit, donc le miroir de l’invisible [105]. Dès lors, l’articulation des sciences de la nature, de la cosmologie théologique, par la médiation de la philosophie, recouvre la distinction du sens littéral et du sens allégorique.

Cette herméneutique présente trois autres avantages.

  1. Elle permet d’accorder, au moins en partie, à chaque discours sa place : toute sa place, et seulement sa place. Par exemple, de même que l’étude du sens littéral dit quelque chose de l’Écriture, sans tout en dire, sans exclure le sens spirituel, de même, le discours scientifique et aussi la cosmologie philosophique révèlent-ils quelque chose de la nature, mais non le tout de la nature, autorisant aussi des approches métaphysique et théologique de celle-ci.
  2. Elle fournit une possibilité pour dépasser la seule juxtaposition respectueuse des discours (le principe de NOMA cher à Stephen Jay Gould [106]) et fonde le quatrième type de relations (selon moi le plus pertinent) entre science et religion (mais on peut élargir à la philosophie) classifiées par Ian Barbour : conflit, indépendance, dialogue et intégration [107]. Notamment, de
  3. Elle offre une situation au discours d’incomplétude, tout en en critiquant l’inflation. En effet, la constitution ontophanique, ici du cosmos, repose sur le dipôle du fond et de la manifestation ; lin d’être statique, ce couple catégoriel obéit à une double dynamique de dévoilement et d’enveloppement. Autant les cosmologies classiques, philosophique ou théologique, soulignent la révélation, mais tardent à dire son effacement, autant une cosmologie mystérique honore le retrait par lequel la manifestation s’enfonce dans la nuit d’où elle jaillit, mais fragilise le moment assertif du témoignage lumineux.

3) « Sens tropologique » et « sens anagogique » de la nature

Nous avons vu quel profit nous pouvions tirer des deux premiers sens de l’Écriture, littéral et allégorique. Mais que deviennent les parallèles avec les deux autres sens, tropologique ou moral, et analogique ou eschatologique ? La réponse à cette question permettra aussi de résoudre les deuxième et troisième difficultés, relatives à l’histoire et au Christ – la première objection ayant été résolue chemin faisant. Pour y répondre, je souhaiterais introduire un autre principe de distinction, ou plutôt la médiation humaine et donc une véritable historicité : de même qu’il n’y a pas d’histoire sans l’Esprit, donc pas de sens littéral (adéquat) de l’Écriture en l’absence de sens spirituel, de même il n’y a pas de nature sans l’homme, donc pas de discours (adéquat) sur la nature sans un discours sur l’homme. À l’instar des connexions histoire-Esprit qui se nouent dans l’histoire (Ancien Testament-Nouveau Testament, première venue du Christ à la « plénitude des temps »-seconde venue du Christ à la parousie), et se répercutent dans la structure de l’Écriture (simultanéité des sens) [108], de même nature et homme sont liés diachroniquement (cosmogenèse-géogenèse-biogenèse-anthropogenèse) et synchroniquement (dans les « éléments » composant l’homme, les puissances végétatives, sensitives et intellectives ; chez l’homme, dans son unité corps et âme ; entre l’homme et la nature, dans une interconnexion écologique et holistique). Une telle vision cosmologique ne serait pas seulement résolument unitaire (uniduelle) et finalisée – la nature, tout en tâtonnant (part de vérité du néodarwinisme), s’achèverait en l’homme (part de cécité du néodarwinisme) –, mais elle engloberait aussi toute l’œuvre de l’homme qui n’est rien d’autre qu’une transformation de la nature dans l’artefact [109]. L’histoire cosmologique qui se dessine se distribue donc en quatre temps : la nature en gésine de l’homme, c’est-à-dire la nature englobant cosmogenèse (comprise au sens étroit de genèse du cosmos hors le devenir de la Terre et de la vie sur Terre), géogenèse et biogenèse (ce que l’on peut regrouper sous le terme unique de cosmogenèse, alors compris au sens étymologique d’histoire du cosmos ou de la nature) ; l’anthropogenèse ; la nature actuelle dans son interaction artificielle avec l’homme (technogenèse) ; la nature dans son achèvement, c’est-à-dire dans l’accomplissement de l’unité de l’homme et de la nature, unité qui n’est aujourd’hui que tendanciellement espérée [110].

Il est désormais possible de proposer une unification des discours cosmologiques qui à la fois englobe, articule et situe (c’est-à-dire purifie les visions trop unilatérales). Cette unification, en retour, confirme le quadruple sens de la nature.

Tout d’abord, en opérant un rapprochement terme à terme des disciplines cosmologiques et des quatre sens, on peut englober celles-là d’une manière inédite. Un tableau synoptique synthétise la typologie proposée :

 

Quatre sens de l’Écriture Sens littéral Sens allégorique

(ou mystique)

Sens tropologique

(ou moral)

Sens anagogique

(ou eschatologique)

Approches de la nature Sciences de la nature, philosophie de la nature Métaphysique de la nature, cosmologie théologique Discours écologique, incluant la place de la technique Poésie, discours symbolique et artistique, liturgie

 

Ensuite, la nouvelle articulation des discours dépasse le risque de juxtaposition – évoqué à propos du principe de Non-Overlapping Magisteria – en direction d’une intégration active : « Il n’y a pas seulement, d’un sens à l’autre, dépendance nécessaire : il y a continuité dynamique. Ils s’engendrent vraiment l’un l’autre, en sorte que leur liaison interne est très forte. Ce ne sont pas seulement les parties d’un même ensemble : c’est toujours la même réalité, vue sous des aspects successifs [111] ». Pour le montrer, il faudrait expliciter et convoquer la métaphysique sous-jacente qui est celle de l’être comme amour [112].

Enfin, la quadripartition des sens de la nature rééquilibre un certain nombre de visions unilatérales. De même que « tous les sens de la Sainte Écriture se fondent sur le sens littéral [113] », de même les discours symboliques, poétiques, mythologiques, ne disent quelque chose de la nature que s’ils en honorent la littéralité, c’est-à-dire l’approche véritative. La littérature cosmologique est aussi minée par la platitude romantique que l’exégèse biblique l’est pas l’allégorisme (dont le paradigme est philonien). De même que l’intelligence de l’histoire sainte est menacée par une double rupture symétrique, la gnose (dont le premier avatar fut le marcionisme), qui coupe le Nouveau Testament de l’Ancien, le Dieu biblique et le Père du Christ, de l’autre, le joachimisme, qui coupe le Christ de l’Esprit, de même l’intelligence des Écritures est menacée par une double rupture, l’allégorisme qui coupe le sens mystique du sens littéral, et le spiritualisme prophétisant qui coupe le sens anagogique du sens mystique, de même l’intelligence de la nature est menacée par une double rupture symétrique, un marcionisme cosmologique qui sépare l’homme de la nature (rupture introduite par la modernité) et un joachimisme cosmologique qui sépare ce que l’on appelle le post-humain, l’homme augmenté, l’humanité 2.0, etc. (qui n’est rien d’autre que l’homme prolongeant techniquement sa vie, c’est-à-dire son histoire, et son influence sur la nature) de l’homme (rupture introduite par la postmodernité). Pour être encore plus complet, il faudrait dédoubler ces deux oppositions, car, étant unilatérale, une erreur ne va jamais sans l’erreur symétrique. Cela apparaît avec une singulière évidence dans l’exégèse : à l’allégorisme qui coupe le sens mystique du sens littéral répond le littéralisme (caractéristique d’une certaine exégèse et pas seulement historicocritique) qui coupe le sens littéral du sens mystique. Mais on peut étendre le mécanisme à l’histoire sainte [114], et à la nature : à l’arrachement de l’homme vis-à-vis du cosmos, qui est typique de la période moderne répond une trop grande immersion de l’homme dans la nature, qui ne caractérise pas seulement le panthéisme et les pensées de la non-dualité venues d’Orient, mais aussi, a minima, la pensée antico-médiévale.

Résumons en un tableau cette correspondance entre les hérésies en leur sens technique qui est théologique, et les errements philosophiques, théoriques et pratiques [115] :

 

Les sens de l’Écriture Interprétation vraie Sens littéral Sens allégorique Sens anagogique
Interprétations unilatérales de l’Écriture L’allégorisme qui coupe le sens mystique du sens littéral

En sens inverse, le littéralisme qui coupe le sens littéral du sens allégorique

Le spiritualisme prophétisant qui coupe le sens anagogique du sens mystique
Hérésies théologiques La gnose qui coupe le Nouveau Testament de l’Ancien
Le joachimisme qui coupe le Christ de l’Esprit
Les sens de la nature Fondement vrai Nature avant et sans l’homme Apparition de l’homme Retour de la nature vers Dieu par l’homme (et l’artefact humain)
Interprétations erronés, théoriques et pratiques Le marcionisme cosmologique qui sépare l’homme de la nature (la modernité)

En sens inverse, la fusion panthéiste qui dissout l’homme dans la nature (tendance païenne et aujourd’hui orientaliste)

Le joachimisme cosmologique qui sépare le post-humain de l’homme (la postmodernité)

 

À propos des apories, j’ajouterai une observation générale : elles se fondent sur une compréhension univoque de la polysémie ou une application bijective de l’Écriture Sainte à la nature ; or, entre cosmos et Écriture, il y a analogie et analogie de proportionnalité (et non de proportion). L’énoncé de ce rapport à quatre termes fut formulé ci-dessus : la lettre est à l’Esprit ce que la nature est à l’homme. Ensuite, les processus naturels ne sont pas dialectiquement opposés aux actes libres comme la nécessité à la contingence ; plus encore, de même que la nature s’achève dans l’homme libre, de même, en retour, l’esprit s’ébauche dans la nature. Enfin, l’organisation des sens s’interprète aussi à partir du principe suivant : « Grâce à l’unité du dessein de Dieu, non seulement le texte de l’Écriture, mais aussi les réalités et les événements dont il parle peuvent être des signes [116] » ; or, nous avons vu que la nature était structurée de manière ontophanique.

E) La Terre vue du Ciel

Concluons. Presque tous les spectateurs ou plutôt les amateurs, au sens le plus étymologique du terme, du biopic aux multiples récompenses de Sidney Pollack, Out of Africa [117], se souviennent de la scène mythique où l’aristocrate britannique Denys Finch Hatton (Robert Redford) offre à son amante, la danoise Karen Christentze Dinesen (Meryl Streep), plus connue sous son nom d’épouse, Karen Blixen, ce qu’elle-même appelle « un incroyable cadeau [incredible gift] » : ce survol du Kenya, ce pays où, selon les mots ouvrant sa nouvelle la plus célèbre, « J’ai possédé une ferme […], au pied du Ngong » – le tout sur la musique enchanteresse de John Barry [118].

Moins nombreux sont ceux qui savent que, si La ferme africaine est une grande histoire d’amour, il s’agit d’abord de l’amour de l’Afrique. La narratrice y raconte notamment son admiration pour la fière ethnie des Masaïs et son attachement, plus encore son dévouement, pour le peuple Kikuyu, qu’elle a servi et dont elle a défendu les intérêts, notamment lorsque la Couronne menaça de déplacer ce dernier au mépris de leur bien-être, de la justice et de leur identité.

Moins nombreux encore sont ceux qui se souviennent de l’interprétation théologique que Karen Bixen fait de ce vol. Pour cela, il faut revenir au tout début du film, qui coïncide avec la fin de sa vie. Elle fait mémoire de deux dons reçus de Denys. Le premier, inaugural – « Il inaugura notre amitié par un cadeau [gift] » – est le stylo offert après la soirée où, « Shéhérazade », elle enchanta son hôte par ses contes. Le second, sommital, est le baptême de l’air – « Plus tard, il m’en offrit un autre, un incroyable cadeau [incredible gift]. Un aperçu du monde à travers l’œil de Dieu [A glimpse of the world through God’s eye] ». Or, ces cadeaux sont en étroite connexion avec la plus belle fécondité de celle qui, privée d’enfants, conçut des ouvrages qui lui valurent le prix Nobel. Cela est clair pour le stylo qui est l’instrument avec lequel elle écrit ses mémoires – si elle a donné la boussole, elle a gardé le stylo – ; l’échange qui suit le confirme : « En Afrique, on paye les conteurs [storytellers] ». Mais Karen refuse le beau stylo doré qu’elle qualifie elle-même de « ravissant » [it’s lovely] : « Mes histoires sont gratuites [My stories are free] et vos présents bien trop chers ». La réponse de Denys va encore plus loin, car elle prophétise ce qui sera sa vocation future : « Un jour mettez-les par écrit [Write them down sometime] ». Mais cela est aussi vrai du vol en avion. En effet, dans sa confession initiale pleine de gratitude, elle ajoute : « Oui, je vois, c’est bien ici que ceci fut conçu [This is the way it was intended] ». Or, proches sont la subcréation [119] artistique et la création divine : Karen ne parle-t-elle pas au moment où la caméra montre la silhouette de Denys face à un somptueux lever de soleil dans la brousse kenyane ? De plus, l’Afrique, berceau du monde, est aussi l’inspiratrice et la matrice de ses ouvrages. Elle parle de ceux-ci dans la phrase suivante, à propos des personnages qu’elle a mis en scène. Or, comme elle n’a jamais écrit sur Finch Hatton, elle avance ce qui ressemblerait fort à une justification a posteriori, « il était moins clair, moins simple », si elle n’ajoutait cette phrase mystérieuse : « Lui, il m’attendait, là-bas [He was waiting for me there] ».

Est-ce pieuse invention du cinéaste qui ajoute à cette aventure (adultérine) une élévation qu’elle ne comporte pas en elle-même ? Nullement. En effet, le roman autobiographique de la baronne von Bixen laisse entendre à maintes reprises que la noblesse d’âme des Africains et la simple franchise de leurs relations, a ravivé en elle et intériorisé une relation avec Dieu que le contact avec les Européens avaient, au contraire, affadie.

Commentons maintenant brièvement la scène de l’avion. Plus que les paysages, elle nous fait découvrir ce qui se déroule dans le cœur de Karen et qu’exprime son visage. Une triple expression se succède. D’abord, la peur lorsqu’elle apprend que Denys ne sait piloter que depuis la veille ! Toutefois, si elle demeure dans l’avion, c’est que, plus grande que la peur, la confiance à l’égard de Denys…

La crainte laisse alors vite place à la jubilation face aux paysages fascinants qu’ils survolent. Karen ne sait plus où donner du regard, alternativement à droite à et gauche, pour admirer ici le serpent étincelant du fleuve, là les chutes monumentales dans l’immense caldéra, plus tard, les troupeaux de gnous sillonnant la savane infinie, et surtout, au bord du lac immense, cette flaque rose qui, lorsque l’avion s’approche, vire au carmin et révèle alors qu’elle se compose d’une foule indénombrable de flamands roses prenant leur envol.

Enfin, après avoir effleuré la terre, le biplan s’élève haut, toujours plus haut, au-dessus des nuages. La joie de Karen s’accroît encore et se transforme dans « la joie plus que pleine » dont parle saint Anselme de Cantorbéry [120] et qu’on appelle parfois félicité : désormais, elle ne tourne plus la tête à droite ou à gauche, son bonheur n’est pas en bas, mais tout près. Tendant la main vers Denys, elle passe du paysage au visage, du don au donateur. À l’image de son cœur qui déborde de reconnaissance, elle ne peut retenir et contenir en elle les larmes qui inondent son visage. En ce moment unique, fusionnent son triple amour pour l’Afrique, pour Denys et pour Dieu. Ou, plutôt, elle reçoit, par la médiation de l’homme de sa vie, Denys, le continent africain et « l’Amour dans la source ». Et si l’on tend l’oreille, on entend, pour la première et la seule fois, au terme du grand thème d’amour, un souffle, le souffle-Esprit même qui infuse l’amour (cf. Rm 5,5).

Ainsi, Karen Blixen noue sans les thématiser les multiples regards sur la nature : la contemplation émerveillée de la création sauvage en elle-même ; l’élévation, donc le témoignage qu’elle rend à son divin principe ; le service infatigable du bien à travers l’aide apportée à ceux qui habitent cette terre, les Kikuyu ; enfin le retour dans la reconnaissance enthousiaste, au sens étymologique, pour le Donateur et Denys, son médiateur. Ces multiples regards s’achèvent dans un au-delà de la vision, dans l’audition d’un souffle-Esprit. Dans la puissance unitive de l’amour. Oui, la création témoigne de Dieu, car Dieu, plus grand que tout, a accepté par amour de se laisser contenir par elle.

Pascal Ide

[1]         Saint Irénée de Lyon, Adversus Haereses, L. II, 9, 1. Cité en exergue de Communio. Cosmos et création, 13 (1988) n° 3.

[2]         Sören Kierkegaard, cité par Nelly Viallaneix, Écoute Kierkegaard, Paris, Le Cerf, 1979, p. 39. « Si tout m’était ôté, je garderais pourtant encore constamment le meilleur : le bienheureux et salutaire étonnement de l’amour infini de Dieu ! » (cité Ibid., p. 217)

[3]         Cf. Richard O. Peddicord, Sacred Monster of Thomism. Life & Legacy Reginald Garrigou-Lagrange, Paperback Publisher, 2014.

[4]         Cf. Réginald Garrigou-Lagrange, Dieu, son existence et sa nature. Solution thomiste des antinomies agnostiques, Paris, Beauchesne, 51928.

[5]         Cf. Ibid., « Note sur la valeur des principes de l’inertie et de la conservation de l’énergie », p. 774-779. Cf. Stanley Jaki, « Le physicien et le métaphysicien : la correspondance entre Pierre Duhem et Réginald Garrigou-Lagrange », Actes de l’Académie nationale des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux, 12 (1987), p. 93-116.

[6]         Cf., par exemple, Bernard Sève, La question philosophique de l’existence de Dieu, coll. « Philosopher », Paris, p.u.f., 1994, 22010.

[7]         Nombreuses sont les monographies sur les preuves de l’existence de Dieu ou leurs critiques chez tel ou tel philosophe (cf., par exemple, Fernand Van Steenberghen, Le problème de l’existence de Dieu dans les écrits de St Thomas d’Aquin, coll. « Philosophes médiévaux » n° 23, Louvain-la-Neuve, Éd. de l’Institut supérieur, 1980), voire des ouvrages historiques plus généraux couvrant toute une période (cf., par exemple, le livre suggestif de Walter Schulz, Le Dieu de la métaphysique moderne, trad. Jacques Colette, coll. « Phénoménologie et herméneutique », Paris, Éd. du CNRS, 1978), voire toute l’histoire de la pensée occidentale (cf., par exemple, l’excellent ouvrage à deux mains : Béatrice Décossas et Frédéric Serror, sous la dir. de Nayla Farouki, Quand les philosophes ont dit… Dieu existe, Paris, Le Pommier, 2000).

[8]         Tel est le cas, jusque dans le titre, de l’ouvrage de Claude Tresmontant, Comment se pose aujourd’hui le problème de l’existence de Dieu ?, Paris, Seuil, 1961, coll. « Livre de vie », 1971, rééd. 2002.

[9]         C’est dans ce cadre et dans celui de l’apologétique, me semble-t-il, que s’inscrivent les multiples livres de Paul Clavier : Dieu sans barbe. Vingt et une conversations instructives et amusantes sur la question très disputée de l’existence de Dieu, Paris, La Table Ronde, 2002 ; Qu’est-ce que la théologie naturelle ?, coll. « Chemins philosophiques », Paris, Vrin, 2004 ; L’énigme du mal ou le tremblement de Jupiter, Paris, DDB, 2011 ; 100 questions sur Dieu, Paris, La Boétie, 2013.

[10]       André Jacob [éd.], Les notions philosophiques. Dictionnaire, Paris, p.u.f., 1990, tome 2, p. 2588-2589

[11]       Qu’est-ce que la théologie naturelle ?, note 2, p. 12-13.

[12]       Frédéric Guillaud, Dieu existe. Arguments philosophiques, coll. « La nuit surveillée », Paris, Le Cerf, 2013.

[13]       Cette incise vise, outre les livres déjà cités du philosophe Paul Clavier, l’ouvrage d’André Léonard, Des raisons de croire (Paris, Communio-Fayard, 1987, rééd. coll. « Communio », Paris, Éd. du Jubilé, 2010) qui est écrit par un non-théologien. Ce fait ne délégitime en rien son auteur (le succès du livre est tel qu’il fut récemment réédité), mais souligne combien la question apologétique désintéresse les théologiens.

[14]       On ne peut qu’être frappé de sa perspective très anthropocentrée et de l’absence d’une réflexion sur le cosmos et l’environnement naturel de l’homme. Plus encore, l’étude des sources montre que l’évitement de toute cosmologie théologique, de toute situation de l’anthropologie dans une théologie plus générale de la création fut très intentionnellement et systématiquement évitée. De même, une vision cosmologique liée au Christ fut supprimée de la version finale du texte. L’origine en est l’influence des évêques et des théologiens allemands (cf. Charles Moeller, « Die Geschichte der Pastoralkonstitution », Lexikon für Theologie und Kirche, 2. Auflage, Ergänzungsband III, 1968, 2e éd., p. 242-279, ici p. 278 ; Thomas Gertler, Jesus Christus. Die Antwort der Kirche auf die Frage nach dem Mensch, coll. « Erfurter Theologische Studien » n° 5, Leipzig, St Benno, 1986, p. 83 s).

[15]       Cf. Medard Kehl avec la coll. de Hans-Dieter Mutschler et Michael Sievernich, « Et Dieu vit que cela était bon ». Une théologie de la création, trad. Joseph Hoffmann, coll. « Cogitatio fidei » n° 264, Paris, Le Cerf, 2008, p. 98.

[16]       Je ne citerai qu’un auteur et que l’opus magnum de cet auteur : Richard Swinburne, The existence of God, Oxford, Clarendon Press, 22004 ; version simplifiée dans Is there a God ?, Oxford, New York, Oxford University Press, 1996 : Y a-t-il un Dieu ?, trad. Paul Clavier, Paris, Éd. d’Ithaque, 2009.

[17]       Bonaventure, Commentarius in Ecclesiasten, chap. 1, Opera omnia, Firenze, éd. Quaracchi, t. VI, 1893, p. 16.

[18]       Bonaventure, Itinerarium mentis in Deum, chap. 1, n. 2 : Itinéraire de l’esprit vers Dieu, trad. Henry Duméry, coll. « Bibliothèque des textes philosophiques », Paris, Vrin, 1960, 41981, p. 27.

[19]       Jacques Guy Bougerol, Introduction à saint Bonaventure, Paris, Vrin, 1988, p. 29.

[20]       Bonaventure, In Hexaëmeron colatio I, 10, Opera omnia, t. V, 1891, p. 331 : Les six jours de la création, trad. Marc Ozilou, Paris, DDB, 1991, p. 106.

[21]       Bonaventure, Breviloquium. II, ch. 12 : 2. Le monde, créature de Dieu, trad. Trophime Mouiren, Paris, Éd. franciscaines, 1967, p. 122-123. La répartition recoupe le ternaire augustinien extérieur-intérieur-supérieur, voire le ternaire anthropologique origénien corps-âme-esprit (de fait, Bonaventure appelle le deuxième degré mens et non pas spiritus).

[22]       André Marc, Raison et conversion chrétienne, coll. « Museum Lessianum. Section philosophique » n° 48, Paris, DDB, 1960, p. 300. Souligné dans le texte. C’est la dernière de quatre propositions.

[23]       Cf., à ce sujet, les heureuses mises au point, toujours d’actualité, de Henri de Lubac, Pic de la Mirandole. Études et discussions, Paris, Aubier-Montaigne, 1974, IIe partie, chap. 1.

[24]       Cf. Alexandre Koyré, Du monde clos à l’univers infini, trad. Raïssa Tarr, Paris, p.u.f., 1962, et coll. « tel », Paris, Gallimard, 1973.

[25]       Cf. Rémi Brague, La sagesse du monde. Histoire de l’expérience humaine de l’univers, coll. « L’esprit de la cité », Paris, Fayard, 1999, 4e partie. Nous reprendrons quelques-unes des illustrations littéraires qu’il offre.

[26]       Johann Wolfgang von Goethe, Das Göttliche, 1783, v. 12-15, Goethes Schriften, Leipzig, G. J. Göschen, vol. 8, 1789, p. 215). Cf. Mt 5,45.

[27]       Adalbert Hamann, cité par Josef von Eichendorff, « Zur Geschichte der neueren romantischen Poesie in Deutschland », § 1, in Sämtliche Werke. Historisch-kritische Ausgabe, VIII-1. Aufsätze zur Literatur, éd. W. Mauser, Regensburg, Habbel, 1962, p. 17-18. On pense bien sûr à la parole que Pascal place dans la bouche du libertin : « Le silence éternel de ces espaces infini m’effraie »

[28]       Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation, II, 1, § 27, trad. Auguste Burdeau, revue et corrigée par Richard Roos, Paris, p.u.f., 1966, p. 196).

[29]       Donatien Alphonse François de Sade, Histoire de Juliette, VIe partie, Œuvres complètes, éd. A. Le Brun et Jean-Jacques Pauvert, Paris, Pauvert, 1986-1991, tome IX, p. 578.

[30]       Gérard de Nerval, Aurélia, IIe partie, iv, in Œuvres, coll. « Classiques », Paris, Garnier, 1966, p. 803.

[31]       Alfred de Musset, La Confession d’un enfant du siècle, 1836, V, 6, éd. Daniel Leuwers, Paris, Garnier-Flammarion, 1993, p. 303 ; sur l’amour et la gravitation, cf. III, 6, p. 160).

[32]       Edward Morgan Forster, Howard’s End, London, Edward Arnold Publishers Ltd, 1910, ch. 26 ; London, Penguin Classics, p. 229.

[33]       Lettre du 4 juin 1790 à Mme de Charrière, citée dans Gustave Rudler, La jeunesse de Benjamin Constant (1767-1794). Le disciple du xviiie siècle. Utilitarisme et pessimisme. Mme de Charrière, Paris, Colin, 1909, p. 376-377.

[34]       Cf. Galileo Galilei, Dialogo sopra i due Massimi Sistemi del Mondo, Liberio Sosio [éd.], Torino, Einaudi, 1970, p. 130-131.

[35]       Cf. l’ouvrage déjà cité de Thierry Magnin, L’expérience de l’incomplétude.

[36]       Jean Ladrière, Les limitations internes des formalismes. Etude sur la signification du théorème de Gödel et des théorèmes apparentés dans la théorie des fondements des mathématiques, coll. « Logique mathématique. Série B », II, Louvain, E. Nauwelaerts, Paris, Gauthiers-Villars, 1957, p. 93.

[37]       Ibid., p. 411. Cf. les développements des p. 410-415.

[38]       Cf., entre autres, Bernard d’Espagnat, À la recherche du réel. Le regard d’un physicien, Paris, Gauthier-Villars, 1979, réédition Pocket, 1991 ; Un atome de sagesse. Propos d’un physicien sur le réel voilé, Un atome de sagesse, Paris, Seuil, 1982 ; Le réel voilé. Analyse des concepts quantiques, Paris, Fayard, 1994 ; Traité de physique et de philosophie, Paris, Fayard, 2002.

[39]       Bernard d’Espagnat, À la recherche du réel, p. 101.

[40]       Niels Bohr, cité par Gérald Holton, L’imagination scientifique, trad., coll. « Bibliothèque des sciences humaines », Paris, Gallimard, 1981, p. 100.

[41]       Cf. Thierry Magnin, L’expérience de l’incomplétude, chap. v.

[42]       C’est ce que confirme un ouvrage d’Hervé Zwirn, un physicien et philosophe des sciences, cité par TM : Les limites de la connaissance, Paris, Odile Jacob, 2000.

[43]       Cf. Jean-François Lambert, « L’épreuve du sens. Science et incomplétude », Les cahiers Jean Scot Érigène. Connaissance traditionnelle, connaissance rationnelle, Paris, Guy Trédaniel, 1993, vol. 3, p. 135-222.

[44]       Cf. Thierry Magnin, L’expérience de l’incomplétude, chap. iii.

[45]       Ibid., p. 79.

[46]       Cf., par exemple, Stéphane Lupasco, Logique et contradiction, Paris, p.u.f., 1947, p. xv-xvi.

[47]       Basarab Nicolescu, La transdisciplinarité. Manifeste, Monaco, Le Rocher, 1996, p. 25.

[48]       Marcellin Berthelot, Les origines de l’alchimie, Paris, Georges Steindheil, 1995, p. v.

[49]       Ernest Renan, L’avenir de la science. Pensées de 1848, Paris, Calmann-Lévy, 1890, p. 36.

[50]       Je résume ici le mouvement des 5 derniers chapitres et de la longue conclusion de l’ouvrage L’expérience de l’incomplétude.

[51]       Cette critique reflue aussi sur la formule chère à Basarab Nicolescu qui préface l’ouvrage, « niveau de réalité ». Ce syntagme est soit trop indéterminé (quel est l’analogum princeps ?), soit trop métaphorique (le terme « niveau » est d’origine spatiale).

[52]       Cf. À la recherche du réel, p. 102-103). Cf. aussi l’aveu de Thierry Magnin, L’expérience de l’incomplétude, p. 101.

[53]       Thierry Magnin, L’expérience de l’incomplétude, p. 98.

[54]       Ibid., p. 100.

[55]       Cf. Jean Ladrière, « L’Action comme discours de l’effectuation », 1973, L’espérance de la raison, coll. « Bibliothèque philosophique de Louvain » n° 59, Louvain-La-Neuve, Éd. de l’Institut supérieur de philosophie, Paris, Peeters, 2004, chap. 3.

[56]       J’ajoute une information : Gödel a laissé une preuve de l’existence de Dieu à partir de la logique modale, preuve qui n’est pas sans présenter des ressemblances avec l’argument ontologique de saint Anselme, sur lequel il a médité longuement au terme de sa vie (cf. Philippe Thiry, L’existence de Dieu. Les arguments de l’agnosticisme, de l’athéisme et du théisme, Namur, P.U.N., Travaux de la faculté de droit, n° 18, 1996, p. 175-181).

[57]       Ainsi l’une des deux objections que saint Thomas s’oppose dans la fameuse question An Deus sit ? où il développe les quinque viae – autrement dit, l’un des deux arguments de l’athéisme – est l’objection du etsi non daretur avant la lettre (Somme de théologie, Ia, q. 2, a. 3, obj. 2).

[58]       Héraclite, Fragment B cxxiii, Jean-Paul Dumont (éd.), Les présocratiques, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 1988, p. 173.

[59]       Par exemple : « Tout est caché, tout est inconnu dans l’univers » René de Chateaubriand, Génie du christianisme, 1ère partie, L. I, ch. 2, éd. Maurice Regard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 1978, p. 473. Cf. tout le ch. : « De la nature du mystère »). Cf. Pierre Hadot dans Le voile d’Isis. L’histoire de l’idée de nature, Paris, Gallimard, 2004 ; Giorgio Colli, Nature aime se cacher. Physis kryptesthai philei, trad. Patricia Farazzi, coll. « Polemos », Paris, Éd. de l’Éclat, 1994.

[60]       Je songe ici principalement à l’approche inédite et féconde de Gaston Bachelard.

[61]       La liste n’est pas close. Sur cette question, je renvoie à un article beaucoup plus étendu (à paraître en deux parties) : Pascal Ide, « Une lecture polysémique de la nature. Trois propositions pour un discours des méthodes », Lateranum, 81 (2015) n° 3 et 82 (2016) n° 1, à paraître. S’y trouvent un certain nombre de développements, par exemple sur l’articulation entre les deux visions complémentaires de la nature et de la matière, chez Platon (et plus encore le platonisme chrétien) et chez Aristote. En revanche, la contribution présente confirme, prolonge et approfondit l’article de Lateranum, en proposant le parallèle avec les quatre sens de l’Écriture.

[62]       Heinrich Denzinger, Symboles et définitions de la foi catholique, éd. all. Peter Hünermann et éd. fr. Joseph Hoffmann, Paris, Le Cerf, 1996, chap. 4, n. 3015, p. 681. Nous retraduisons certains passages plus littéralement. Les soulignements sont miens.

[63]       Pour le détail, je renvoie à la conférence du père Philippe Dockwiller dans ce même volume.

[64]       Heinrich Denzinger, Symboles et définitions de la foi catholique, chap. 1, n. 3002, p. 677.

[65]       Ibid., chap. 3, n. 3008, p. 679.

[66]       Ibid., chap. 3, n. 3012, p. 680.

[67]       Ibid., chap. 3, n. 3013, p. 680.

[68]       Ibid., chap. 3, n. 3013, p. 680. Le terme est repris dans le n. suivant (Ibid., chap. 3, n. 3014, p. 681).

[69]       Ibid., chap. 2, n. 3004, p. 678.

[70]       Ibid., chap. 3, n. 3008, p. 679.

[71]       Ibid., chap. 3, n. 3013, p. 680.

[72]       Ibid., chap. 3, n. 3009, p. 679.

[73]       Ibid., chap. 3, n. 3013, p. 680.

[74]       Ibid., chap. 4, n. 3015, p. 681.

[75]       Ibid., chap. 4, n. 3017, p. 682.

[76]       Ibid., chap. 2, n. 3004, p. 678.

[77]       D’ailleurs, le verbe latin utilisé, qui est la troisième personne du singulier du futur antérieur du verbe indere, signifie « introduire », « mettre dans » : il est composé de la racine dare, « donner » et du préfixe in, préposition de lieu.

[78]       Ibid., chap. 4, n. 3017, p. 682.

[79]       Voilà pourquoi Jean Paul II affirmera avec autorité : « Il est possible de reconnaître, malgré les changements au cours des temps et les progrès du savoir, un noyau de notions philosophiques [nucleum quendam philosophicarum notionum] dont la présence est constante dans l’histoire de la pensée. Que l’on songe, à seul titre d’exemple, aux principes de non-contradiction [principia non contradictionis] » (Lettre encyclique Fides et ratio aux évêques de l’église catholique sur les rapports entre la foi et la raison, 14 septembre 1998, n. 4).

[80]       C’est ce qu’a montré de manière précise et définitive Charles Morerod dans sa thèse Cajetan et Luther en 1518. Édition, traduction et commentaire des opuscules d’Augsbourg de Cajetan, coll. « Cahiers Œcuméniques » n° 26, Fribourg (Suisse), Éd. Universitaires, 1994, 2 tomes.

[81]       En tout cas, le Magistère vient de combler le manque avec le texte décisif de François, Lettre encyclique Laudato sì sur la sauvegarde de la maison commune, 24 mai 2015. Fidèle à la vision franciscaine, que nous avons retrouvée chez Bonaventure, le pape défend une ample vision épiphanique (cf., par exemple, n. 84 s).

[82]       Un exemple parmi beaucoup : « À nos pieds, comme un livre ouvert, incliné sur le pupitre de la montagne, la grande prairie verte et diaprée, et dont les mots distincts sont des fleurs […] que les vaches viennent épeler avec leurs cloches, et où les anges viennent lire, puisque vous dites que les yeux des hommes sont clos. Au bas du livre, je vois un grand fleuve de lait fumeux […] » (André Gide, La symphonie pastorale, Paris, Gallimard, 1925, coll. « Folio », p. 93).

[83]       En retour, un événement comme la Croix est parfois appelé livre (cf. les différents exemples donnés par Olivier-Thomas Vénard, Pagina Sacra, coll. « Théologiques », Paris, Le Cerf, Genève, Ad Solem, 2009, p. 612 s).

[84]       Cf. avant tout les travaux d’Henri de Lubac : celui sur l’auteur-source de la distinction des quatre sens, Origène – Histoire et Esprit. L’intelligence de l’Écriture d’après Origène, coll. « Théologie » n° 41, Paris, Aubier-Montaigne, 1950 – et celui sur leur élaboration et leur évolution jusqu’à l’orée des temps modernes – Exégèse médiévale. Les quatre sens de l’Écriture, I. 1 et 2, coll. « Théologie » n° 41, Paris, Aubier-Montaigne, 1959 ; II. 1, même coll. n° 42, 1961 et II. 2, même coll., n° 59, 1964 ; on peut leur joindre un long article décisif qui en synthétise le cœur : « Sur un vieux distique. La doctrine du ‘quadruple sens’ », Mélanges Cavallera, Toulouse, Bibliothèque de l’Institut catholique, 1948, p. 347-366 ; repris dans Théologies d’occasion, Paris, DDB, 1984, p. 117-211.

[85]       Cf. Catéchisme de l’Église Catholique, 8 décembre 1992, n. 115-119 ; Benoît XVI, Exhortation apostolique post-synodale Verbum Domini, sur la Parole de Dieu dans la vie et dans la mission de l’Église, 30 septembre 2010, n. 37.

[86]       Pour un exposé théologique élaborée, cf., par exemple, Pierre Piret, L’Écriture et l’Esprit. Une étude théologique sur l’exégèse et les philosophes, coll. « I.É.T. » n° 7, Bruxelles, Institut d’Études Théologiques, 1987, l’ouvrage entier et le chapitre 3 en particulier ; René Lafontaine et al. (éd.), L’Écriture âme de la théologie, coll. « I.É.T. » n° 9, Bruxelles, Lessius, 1990 ; Albert Chapelle, À l’école de la théologie, coll. « I.É.T. » n° 22, Bruxelles, Lessius, 2013, 2e partie, en particulier p. 76-91.

[87]       Benoît XVI, Discours aux participants de l’assemblée plénière de l’Académie pontificale des sciences, 31 octobre 2008. Le thème du livre de la nature, qui s’enracine dans l’Écriture (cf. Ps 19,2-5 ; Sg 13,1-5 ; Rm 1,19-21), traverse toute la tradition chrétienne, depuis l’Antiquité – par exemple chez saint Augustin (cf. Enarrationes in Psalmos, 45, n. 7, PL 36, 518) – jusqu’à l’époque actuelle – par exemple chez sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus elle-même écrivait : « Jésus a daigné m’instruire de ce mystère. Il a mis devant mes yeux le livre de la nature » (Ms A, 2 v°, Œuvres complètes, Paris, Le Cerf, 1992, p. 72) –, sans rien dire du Magistère (cf. Vatican I, Dz 3004-3026 ; Fides et ratio, n. 22 ; Benoît XVI, Verbum domini, n. 7). Toutefois, il semble qu’il soit thématisé en premier chez Hugues de Saint-Victor, dans la première moitié du xiie siècle (cf. Dominique Poirel, Livre de la nature et débat trinitaire au xiie siècle. Le De tribus diebus de Hugues de Saint-Victor, coll. « Bibliotheca Victorina » n° 14, Turnhout, Brepols, 2002 ; Constant J. Mews, « The world as text. The Bible and the Book of Nature in Twelfth Century Theology », Thomas J. Hefferman et Thomas E. Burman (éds.), Scripture and Pluralism. Reading the Bible in the Religiously Plural Worlds of the Middle Ages and Renaissance, coll. « Studies in the History of Christian Traditions » n° 123, Leiden-Boston, Brill, 2005, p. 95-122). Alors, la thématique diffusera très vite, chez Alain de Lille (cf. Marie-Dominique Chenu, « La nature et l’homme. La Renaissance du xiie siècle », in La théologie au xiie siècle, coll. « Études de philosophie médiévale » n° xlv, Paris, Vrin, 1957, 21966, p. 19-51), Roger Bacon, Bonaventure, etc., et cela jusqu’au Grand Siècle (cf. notamment Duplessis Mornay, Le livre des créatures, cité par Jacqueline Lagrée, La raison ardente. Religion naturelle et raison au xviie siècle, coll. « Philologie et Mercure », Paris, Vrin, 1991, p. 131).

[88]       Cf. Henri de Lubac, Histoire et Esprit, p. 350-353.

[89]       Cf. Henri de Lubac, Exégèse médiévale. II. 2, p. 172-174. Les théologiens du Moyen Âge ont répété à l’envie que le monde est le signe, le symbole de Dieu. Depuis Denys l’Aréopagite – dont nous ne possédons pas la Théologie symbolique – jusqu’aux grands docteurs du xiiie siècle, comme saint Bonaventure (cf. Olivier Boulnois, « La théologie symbolique face à la théologie comme science », Lire le monde au Moyen Âge : signe, symbole et corporéité. Actes du colloque des 8 et 9 janvier 2009, Institut Catholique de Paris, Faculté de philosophie, Revue des Sciences philosophiques et théologiques, 95 [2011], p. 211-250, ici p. 234-238 ; Laure Solignac, « De la théologie symbolique comme bon usage du sensible chez saint Bonaventure », Ibid., p. 413-428). Comment s’étonner que ce grand admirateur de la nature qu’est Hugues de Saint-Victor rapproche les deux livres divins, de la création et du salut ? Selon le victorin, le sens littéral de la création intéresse le physicien, le sens allégorique, c’est-à-dire spéculatif, le théologien et le sens tropologique, c’est-à-dire éthique, le maître spirituel (cf. Dominique Poirel, « Les statuts de l’image chez Hugues de Saint-Victor », Chôra. Revue d’études anciennes et médiévales, philosophie, théologie, sciences 3-4 [2005-2006]. Image et représentation dans la philosophie ancienne. Numéro double dédié au professeur Jean Jolivet pour le doctorat honoris causa de l’Université Babes-Bolyai [Cluj], p. 117-137). Si l’approche exégétique plurielle de l’Écriture est superposée à une herméneutique elle aussi polysémique de la nature, la correspondance demeure partielle (il manque le quatrième sens) et ébauchée (nombre de discours ne sont pas représentés).

[90]       « La doctrine du quadruple sens prend au contraire les Écritures comme une totalité symbolique, à travers laquelle la nature entière et l’histoire [de la liberté] à venir aussi bien que passée peuvent devenir l’objet de la même herméneutique » (Gaston Fessard, La dialectique des Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola. Tome III. Symbolisme et historicité, Paris, Lethielleux et Bruxelles, Culture et vérité, 1984, p. 413. Cf. p. 410-421).

[91]       Platon parle ici de l’amour (cf. Banquet, 203 c, trad. Léon Robin, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 1950, 2 vol., tome 1, p. 736). Est-ce à dire que, pour Chapelle, fils de saint Ignace, la forme de la liberté serait, ultimement, l’amour ? Le chapitre par ailleurs excellent que Benoît de Baenst consacre à la conception chapellienne de la liberté, n’a pas assez souligné ce point (L’Écriture, âme de la théologie. La parole et le langage chez Albert Chapelle, coll. « Collège des Bernardins », Paris, Parole et Silence, 2014, chap. 4, notamment p. 189 s)

[92]       Sur cette dialectique de la liberté « au principe et au terme de soi », donc en sa spontanéité et en son manque, cf. Albert Chapelle, Anthropologie, coll. « I.É.T. » n° 18, Bruxelles, Lessius, 2007, p. 136 s ; Introduction systématique, Bruxelles, École de Philosophie Saint-Jean Berchmans, 1979-1980, polycopié non édité, p. 52 s ; « Vie dans l’Esprit et éthique de la liberté », Claude Bruaire (éd.), La morale. Sagesse et salut, Paris, Communio-Fayard, 1981, p. 323-333 ; Les fondements de l’éthique. La symbolique de l’action, coll. « I.É.T. » n° 8, Bruxelles, Lessius, 1988, p. 47 s. ; Albert Chapelle, Jean-Marie Hennaux et Graziano Borgonovo, La vie dans l’Esprit, Paris, Parole et Silence, 2010, p. 263 s.

[93]       Sur cette autre dialectique de la liberté, beaucoup plus radicale que la précédente, puisqu’elle se déroule non pas entre manque et surabondance, mais entre être non-être, cf. Gaston Fessard, La dialectique des Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola. Tome I. Liberté, Temps, Grâce, coll. « Théologie » n° 35, Paris, Aubier, 1966, notamment la « déduction » proposée aux p. 36-41.

[94]       Sur la relation entre la pensée de Gaston Fessard et celle d’Albert Chapelle, cf. les annotations très fines d’un de leurs disciples, lui aussi jésuite (!), Emilio Brito, La christologie de Hegel. Verbum Crucis, trad. Bernard Pottier, coll. « Bibliothèque des archives de philosophie. Nouvelle série » n° 40, Paris, Beauchesne, 1983, p. 536-538, notamment les importantes notes 13 et 15.

[95]       Cf. l’ouvrage déjà cité d’Albert Chapelle, À l’école de la théologie. Il reprend le syllabus publié de son vivant : Objet et méthode de la théologie, Bruxelles, Institut d’Études Théologiques, 1984.

[96]       À côté des auteurs connus comme Novalis, Goethe, Baader, Schelling (cf. George Gusdorf, Les sciences humaines et la pensée occidentale. XII. Le savoir romantique de la nature, Paris, Payot, 1985 ; André Stanguennec consacre à peine treize pages à ce sujet : La philosophie romantique allemande. Un philosopher infini, coll. « Bibliothèque des Philosophies », Paris, Vrin, 2011, p. 70-82 ; La forme poétique du monde. Anthologie de textes du romantisme allemand, trad. Charles le Blanc, Laurent Margantin et Olivier Schefer, Paris, José Corti, 2003), cf. un auteur contemporain qui est quasiment ignoré en France et pourtant actualise de manière heureuse cette philosophie de la nature, Hans André (1899-1966). Cf. Gustav Siewerth, La philosophie de la vie de Hans André, trad. Emmanuel Tourpe, introduction et commentaire de Pascal Ide, Paris, DDB, 2015, à paraître.

[97]       Cf. Albert Gérard, L’idée romantique de la poésie en Angleterre. Études sur la théorie de la poésie chez Coleridge, Wordsworth, Keats et Shelley, coll. « Bibliothèque de la Faculté de philosophie et Lettres », Liège, Presses universitaires de Liège, 1955 ; J. Robert Barth, Romanticism and Transcendence. Wordsworth, Coleridge, and the Religious Imagination, Columbia (Mississippi), University of Missouri Press, 2003.

[98]       Sur le caractère « sacramentel » de la création chez les penseurs russes orthodoxes, outre les noms bien connus comme celui de Pavel A. Florensky (cf. La colonne et le fondement de la vérité, trad. Constantin Andronikof, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1975), cf. un auteur moins renommé et d’intérêt : Alexander Schmemann, For the Life of the World, Crestwood (New York), St. Vladimir’s Seminary Press, 1973, 21998.

[99]       « C’est un fait des plus inattendus que l’univers de saint Thomas, effet contingent d’une volonté divine suprêmement libre, possède néanmoins la même stabilité et la même perdurabilité dans l’être que [le monde] d’Aristote » (Étienne Gilson, L’être et l’essence, coll. « Bibliothèque des textes philosophiques », Paris, Vrin, 21987, p. 96).

[100]     Bien compris, ce contraste correspond aux deux visions, platonicienne et aristotélicienne, du cosmos et plus encore, augustinienne (ou bonaventurienne) et thomasienne de la création (cf. Pascal Ide, « Platonisme ou aristotélisme », Revue thomiste, 95 [1995], p. 567-610). Il est aussi possible de faire converger ces deux perspectives dans une métaphysique de l’être comme amour dont il sera parlé plus bas.

[101]     Sur le tissage de ces trois approches de la nature à partir du tout (soit transcendant, tel qu’il est ici envisagé, soit immanent), de l’individu et de l’élément (ou de la partie), cf. Pascal Ide, « Une lecture polysémique de la nature », 1ère partie.

[102]     Notamment à travers de nouvelles disciplines scientifiques – comme la théorie des catastrophes de René Thom, la théorie fractale de Benoît Mandelbrot, la théorie des structures dissipatives d’Ilya Prigogine, la théorie du chaos déterministe initiée par Henri Poincaré, puis le météorologiste Edward Lorenz – que l’on peut regrouper sous le terme générique de théories morphologiques (cf. Alain Boutot, L’invention des formes, Paris, Odile Jacob, 1993).

[103]     Sur la distinction de la philosophie et des sciences ici implicitement mise en œuvre, cf. le travail princeps de Charles de Koninck, « Les sciences expérimentales sont-elles distinctes de la philosophie de la nature ? » (Culture, Québec, décembre 1941, II, n° 4, p. 465-476. Republié dans Œuvres de Charles De Koninck. Tome 1. Philosophie de la nature et des sciences, éd. Yves Larochelle, Laval, Presses de l’Université Laval, 2 vol., vol. 1, 2009, p. 141-152) et quelques propositions pour enrichir et préciser dans Pascal Ide, Le zygote est-il une personne humaine ?, coll. « Questions disputées : Saint Thomas et les thomistes », Paris, Téqui, 2004, p. 80-95

[104]     Ce n’est pas le lieu de justifier la hiérarchie toujours légitime de la philosophie de la nature et de la philosophie première. De ce point de vue, la distinction opérée par Aristote entre science de l’être en tant que mobile et science de l’être en tant qu’être demande à être actualisée, mais paraît encore grandement valide.

[105]     Sur la jointure des approches rationnelles et théologiques de la nature, cf. Pascal Ide, « Une lecture polysémique de la nature », 2ème partie.

[106]     Cf. Stephen Jay Gould, Et Dieu dit « Que Darwin soit ! ». Science et religion, enfin la paix ?, trad. Jean Baptiste Grasset, Paris, Seuil, 2000, p. 19 s.

[107]     Cf. l’exposé détaillé dans Ian Graeme Barbour, Myths, Models and Paradigms. A Comparative Study in Science and Theology, Harper & Row, New York, 1974.

[108]     Cf. Paul Beauchamp, L’un et l’autre Testament. Essai de lecture, coll. « Parole de Dieu », Paris, Seuil, 1976, p. 136. À mettre en connexion avec saint Bonaventure, Les six jours de la création, XX, 15, p. 434.

[109]     Le philosophe qui a le mieux vu ce processus, conjurant ainsi les tentations de technophobie toujours résurgentes, sans pour autant sombrer dans une technolâtrie ingénue et irresponsable, est peut-être Gilbert Simondon (cf. sa thèse Du mode d’existence des objets techniques, coll. « Philosophie », Paris, Aubier, 22012).

[110]     C’est cette espérance que thématise Pierre Teilhard de Chardin dans son concept suggestif de « noosphère » (cf., par exemple, Le phénomène humain, Paris, Seuil, 1955, coll. Points-Essais », p. 177-180, p. 189-211).

[111]     Henri de Lubac, « Sur un vieux distique… », p. 126.

[112]     Cf., notamment, Pascal Ide, « ‘L’amour est l’acte suprême de l’être’. La philosophie de Hans-Urs von Balthasar : réception et chantiers », Nouvelles lectures de l’œuvre de Hans Urs von Balthasar, Doctorale des mardi 26 et mercredi 27 novembre 2013, Theologicum, Institut catholique de Paris à paraître ; Id., « Métaphysique de l’être comme amour. Quelques propositions synthétiques », La métaphysique, numéro coordonné par Emmanuel Tourpe, Revue philosophique de Louvain, 2016, à paraître

[113]     S. Thomas d’Aquin, Somme de théologie, Ia, q. 1, a. 10, ad 1um. « On ne procède à la destruction des erreurs que par le sens littéral, parce que les autres sens sont admis par des ressemblances [similitudines] ; or, une argumentation ne peut être tirée de paroles tirées de ressemblance [similitudinariis] » (Scriptum super primum librum Sententiarum, Prol., art. 5, resp., cité à partir d’Adriano Oliva, Les débuts de l’enseignement de Thomas d’Aquin et sa conception de la sacra doctrina. Avec l’édition du prologue de son commentaire des Sentences, coll. « Bibliothèque thomiste » n° 58, Paris, Vrin, 2006, p. 331). L’on doit à Thomas d’avoir donné la première place au sensus litteralis (cf. Commission biblique pontificale, Le peuple juif et ses saintes Écritures dans la Bible chrétienne, Préface de Joseph Ratzinger, Paris, Le Cerf, 2001, n. 20 : « Retour au sens littéral »).

[114]     Au marcionisme répond un continuisme comme celui défendu par le professeur de Talmud à Berkeley, Daniel Boyarin, dans Le Christ juif. À la recherche des origines, trad. Marc Rastoin, coll. « Initiations bibliques », Paris, Le Cerf, 2013.

[115]     Pour simplifier, nous avons écarté le sens moral.

[116]     Catéchisme de l’Église Catholique, n. 117.

[117]     Cf. Out of Africa, comédie dramatique américaine de Sidney Pollack, 1986. Pour une analyse détaillée de ce film, je me permets de renvoyer à Pascal Ide, La rencontre au cinéma, Paris, L’Emmanuel, 2005, p. 229-254.

[118]     Il s’agit de la scène 14, qui se déroule de 1 h. 48 mn. 00 sec. à 1 h. 51 mn. 00 sec.

[119]     Le mot est de Tolkien. Par exemple, dans le poème inédit de 1930, Mythopoeïa : « L’homme, Subcréateur, lumière réfractée [Man, Sub-creator, the refracted Light] ». Cf. Estelle Salleron, art. « Subcréation », Vincent Ferré (éd.), Dictionnaire Tolkien, Paris, CNRS Éd., 2012, p. 556-558.

[120]     « J’ai trouvé une joie pleine et plus que pleine [Inveni namque gaudium quoddam plenum, et plusquam plenum] » (Proslogion, chap. 26, dans L’œuvre de S. Anselme de Cantorbéry,  1. Monologion Proslogion, trad. Michel Corbin, Paris, Le Cerf, 1986, p. 282-283).

5.4.2017
 

Les commentaires sont fermés.