Le Seigneur incarné. La christologie selon saint Thomas d’Aquin (recension)

Le Seigneur incarné. La christologie selon saint Thomas d’Aquin

Thomas Joseph White
Théologie – Recenseur : Pascal Ide

NRT 141-3 (2019)

Ce livre est le premier qui soit traduit en français des quatre ouvrages écrits par ce dominicain théologien, directeur de l’Institut thomiste de l’Univ. Angélique à Rome. Il livre le centre d’intérêt de ses recherches : la relation entre la métaphysique et la christologie thomiste. Double est l’objectif de l’ouvrage : exposer un certain nombre de thèses centrales de cette christologie « pérenne » (p. 19) et montrer que les apories posées par les différentes grandes christologies contemporaines, catholiques et protestantes, peuvent être résolues par le recours à la christologie développée par St Thomas et la métaphysique qu’elle convoque. Bien qu’il soit la collation d’une série d’articles parus dans des revues ou des collectifs, la désunité ne se ressent pas dans la lecture (les articulations ont été soigneusement ménagées), mais seulement dans le caractère parfois très spécialisé de leur propos (p. ex., la centration sur la vision béatifique ou sur l’abandon du Christ en Croix), de sorte que le sous-titre demeure trompeur : seuls quelques thèmes de la christologie thomasienne sont abordés. La première partie, consacrée au mystère de l’Incarnation, parcourt la doctrine thomiste de l’union hypostatique, s’opposant à la christologie jugée de tendance nestorienne élaborée par Karl Rahner (chap. 1), sa métaphysique sous-jacente, s’opposant aux ontologies dites historicistes de Rahner et Chenu (chap. 2), notamment l’analogie de l’être, et s’opposant ici à Barth et Jüngel (chap. 3), ainsi que la théologie naturelle, en contrepoint avec Söhngen et Balthasar (chap. 4), et enfin la doctrine de la vision béatifique (chap. 5). Suivant l’ordre d’exposé de la IIIa pars de la Somme de théologie, la deuxième partie est consacrée à la doctrine thomasienne du mystère de la Rédemption. Elle en envisage différents aspects qu’elle compare à des théologies actuelles : l’obéissance du Christ, les vis-à-vis étant notamment Barth et Balthasar (chap. 6), l’interprétation du cri de déréliction de Jésus sur la Croix (chap. 7), la kénose du Christ, les vis-à-vis étant Pannenberg, Jüngel et Balthasar (chap. 8), la descente du Christ aux enfers, le vis-à-vis étant Balthasar (chap. 9) et la résurrection, les vis-à-vis étant Bultmann et Rahner (chap. 10).Le grand mérite du livre réside dans cette confrontation au sommet avec les plus grandes figures de la théologie contemporaine. L’A. les expose avec clarté et pédagogie ; il pointe souvent les apories des théologies exposées. En donnant systématiquement raison à Thomas, en faisant de sa théologie l’unique réponse à ces difficultés, il nous offre un ouvrage de conviction et d’argumentation. Mais il pose aussi deux problèmes. Le premier concerne la méthode : la « conversation » (4e de couverture) ou le dialogue promis ne s’achève-t-il pas en monologue lorsque l’un des deux protagonistes n’apprend de l’autre que son erreur et, de surcroît, donne la lumière sans jamais en recevoir en retour ? Le second concerne le fond. Tout le long de son gros ouvrage, l’A. parle à juste titre de la métaphysique (ou l’ontologie, les deux termes ne sont pas distingués) sous-jacente à la christologie – affirmation fondamentale et trop oubliée. Mais ce qui est autant oublié, cette fois par l’A., c’est qu’il n’y a pas une seule métaphysique réaliste de l’être, ainsi que Ravaisson, Blondel, Lubac, Siewerth, Hemmerlé, Gondos-Grünhut, Zubiri, etc., nous l’ont montré. Sortant totalement intouchée de la confrontation avec Barth, Balthasar, etc., la christologie thomiste moderne que l’A. prétend élaborer n’a de moderne que la nomination de l’autre et non son contenu. Thomas lui-même contredit cette superbe anhistorique, lui qui ne cessait non seulement d’interroger, mais de se laisser interroger par ses contemporains. – P. Ide

10.8.2022
 

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