Transformer ma préoccupation en supplication. L’exemple de saint Augustin

Parfois, les difficultés s’accumulent et paraissent tellement insurmontables que nous sommes tentés par le découragement. Un jour, je buttais sur un problème philosophique que je n’arrivais pas à résoudre. Souvent, les intellectuels se heurtent à des nœuds indémêlables qui sont aussi pénibles que les écueils pratiques dans la vie courante. La résistance que le problème m’opposait, l’obscurité où je me débattais étaient telles que je fus tenté par l’abandon. C’est alors que, à l’occasion d’une lecture latérale, sans rapport avec la question que je me posais, je tombais sur – mais il vaudrait mieux dire : je rencontrais, tant la rencontre est le nom béni du hasard – un passage des Confessions de saint Augustin. Dans ce récit qui est tout entier une prière adressée à Dieu, le converti du jardin de Milan s’interroge sur le sens des premières paroles de la Bible à propos de la création. Peu importe ici le détail. Or, au détour d’une analyse portant sur la matière créée, saint Augustin butte sur une difficulté. Et l’obstacle est suffisant pour l’arrêter. Mais, au lieu de désespérer, il transforme sa difficulté. Je me mis à son écoute et son école :

 

« Je désirais [cupiebam] savoir, non soupçonner. Et si ma voix et ma plume doivent tout te confesser [confiteatur] de ce que tu as débrouillé pour moi sur cette question, quel lecteur endurera de me suivre ? Mon cœur [cor meum] du moins ne cessera [cessabit] pas, à cause de cela, de te rendre honneur et de chanter ta louange, pour tout ce qu’il n’arrive pas à exprimer [dictare non sufficit] [1] ».

 

En quelques lignes, le docteur africain décrit avec précision l’attitude de son « cœur ». Et, paradoxalement, parce qu’elle est intérieure et toute personnelle, elle devient exemplaire et universelle.

  1. Augustin consent à ne pas tout voir et donc à ne pas pouvoir tout dire. Son cœur « n’arrive pas à exprimer », littéralement : « ne suffit pas à dicter ». Autrement dit, il reconnaît humblement son insuffisance.
  2. En même temps, il ose exprimer son désir (« Je désirais ») et tout son désir : pas seulement d’avoir une vague connaissance (« soupçonner »), mais de « savoir », de sortir de ce qui est embrouillé pour entrer dans la lumière.
  3. Mais désirer ne suffit pas. Le désir doit être mis en mots et devenir demande. Et, dans la foi, adressée à Dieu, la demande devient prière. En effet, tout le passage baigne dans la lumière de la foi. C’est elle que traduit le verbe « confesser » qui a donné son titre à l’ouvrage des Confessions et en structure les treize livres. En effet, avant de confesser ses péchés, la confession confesse Dieu lui-même et est synonyme de profession (de foi). Elle est un acte de confiance avant d’être un acte de pénitence.
  4. Prier ne suffit pas non plus. Il s’agit aussi de persévérer : « Mon cœur ne cessera pas ». En effet, avec et après le découragement, la deuxième tentation, tout opposée, est le quiétisme, c’est-à-dire la passivité : tout attendre de Dieu au point d’oublier de faire sa part. Or, faire sa part, ici, c’est supplier jusqu’à ce que la lumière revienne. Sans en rien renoncer à son désir en se contentant d’une demie lumière, mais en aspirant jusqu’au bout à recevoir la pleine lumière du savoir.
  5. Enfin, saint Augustin rend grâces: il « donne honneur et cantique de louange ». En rendant ainsi hommage à Dieu, il scelle sa foi en anticipant la réponse. « Tout ce que vous demandez en priant, croyez que vous le recevez, et cela sera [accompli] pour vous » (Mc 11,24). Comme s’il disait à Dieu : j’ai tellement confiance en toi que je te remercie déjà d’avoir exaucé ma prière. Comment une telle confiance ne plierait-elle pas le cœur du Père qui veut le bien de ses enfants (cf. Mt 7,11) ?

 

À la suite de saint Augustin [2], j’ai transformé ma préoccupation en supplication et celle-ci m’a ouvert à la solution. Ce qui souvent dépasse mon esprit, ne dépasse jamais l’Esprit de Dieu. En m’agenouillant pour mendier la lumière, mon impuissance humaine fut transfigurée par la toute-puissance divine.

Pascal Ide

[1] Saint Augustin, Les Confessions, in Œuvres de saint Augustin, trad. Eugène Tréhorel et André Bouissou, introduction et notes d’Aymé Solignac, coll. « Bibliothèque augustinienne », 2 tomes, n° 13 et 14, Paris, DDB, 1962, L. XII, vi, 6, p. 351-353.

[2] Il existe bien d’autres exemples lumineux dans les écrits de l’évêque d’Hippone ou d’autres docteurs de l’Église, comme saint Anselme de Canturbéry.

9.8.2022
 

Comments are closed.