Syndrome de l’imposteur. L’envers du déterminisme

Si le syndrome de l’imposteur (ou de l’autodidacte) [1] n’est pas considéré comme une pathologie par les deux classifications psychiatriques les plus couramment utilisées (DSM-V et Cim-10), en revanche, il est d’une telle fréquence (70 % de la population, notamment féminine [2], l’éprouve à un moment ou l’autre, en particulier de son parcours professionnel [3]) et présente de telles conséquences qu’il vaut la peine de le connaître. Cette brève note se contentera de le définir plus précisément et de classer ses symptômes, renvoyant aux approches plus techniques [4] – à commencer par celle de la psychologue américaine qui a inventé le syndrome [5] – ou plus vulgarisées [6], voire aux témoignages [7], les exposés plus détaillés et les remèdes. En particulier, à partir de différents critères scientifiquement validés [8], a été établie une Échelle de Clance du Phénomène de l’Imposteur [9].

 

Les définitions sont multiples et un peu floues : s’agit-il d’une blessure de l’action [10], de l’estime de soi [11], de l’intelligence [12] ? Le syndrome de l’imposteur est la croyance limitante selon laquelle la personne attribue à des causes extérieures ses propres réussites. Dit positivement, l’Imposteur (la majuscule indique qu’il s’agit d’un personnage psychologique et non d’une faute morale) croit que les effets de ses propres actions (dans la vie professionnelle, familiale, sociale) sont dus au hasard, aux circonstances, à d’autres personnes. Encore plus simplement, il déconnecte l’arbre qu’est son action de ses fruits.

Or, comme les doutes, les illusions, les ignorances ou plutôt l’ignorance de notre ignorance [13], les croyances limitantes ou fausses croyances sont des blessures de l’intelligence. Certes, comme il s’agit de l’intelligence pratique, elles affectent l’action. Mais il s’agit d’abord d’un obscurcissement de l’entendement qui se trompe dans l’attribution de la cause de son acte : elle rattache à des raisons exogènes ce qui relève d’une cause intérieure, à savoir sa liberté, ici vertueuse, et donc son mérite propre.

 

Une conséquence en est que ce syndrome est le miroir d’une autre blessure de l’intelligence : la fausse croyance au déterminisme que l’on rencontre dans de nombreux biais cognitifs (ou dans des syndromes complexes comme le complotisme). Alors que l’Imposteur attribue au hasard ce qui vient de sa liberté, le complotiste, lui, attribue à la liberté (en l’occurrence, la mauvaise intention d’une autorité officieuse) ce qui relève du hasard.

 

Cette blessure de l’intelligence se réfracte dans les différentes puissances de l’homme. De nouveau dans son intelligence : quand il n’a pas encore eu l’occasion de porter du fruit parce qu’il vient d’être nommé à une nouvelle fonction, il est convaincu qu’il l’a été pour des raisons étrangères à ses mérites. Dans son affectivité : l’Imposteur est miné par la peur qu’on le démasque et qu’on révèle sa prétendue incompétence. Dans son comportement et donc dans sa volonté : l’Imposteur n’a pas l’énergie en cas d’obstacles ; il répète et multiplie les conduites d’échec ; il mine ses réussites et est incapable de capitaliser sur ses authentiques fruits.

L’Imposteur se fait donc connaître par trois signes qui sont autant de blessures de ses diverses facultés. Pour être efficace, le traitement s’attaquera d’abord à la cause qui est dans l’intelligence (la fausse croyance définissant le syndrome), mais ne négligera pas ses effets dans la sensibilité et la liberté (donc les comportements d’échec).

Pascal Ide

[1] Je remercie le père Paul Dollié, curé de la paroisse Saint Laurent, à Paris, d’avoir attiré mon attention sur ce syndrome.

[2] Cf. Marine Bruneau, illustr. D’Audrey Basset, Les légitimes. Lutter contre le syndrome de l’impostrice, Spézet, Coop Breizh, 2023 ; Cordelia Flourens, Affirmées, libérées. Le manifeste pratique de celles qui veulent croire en elles, Paris, Solar éditions, 2021.

[3] Cf. Gaël Chatelain-Berry, Happy work. Pour une vie pro sereine et épanouie, Paris, First éditions, 2023.

[4] Cf. Kevin Chassangre & Stacey Callahan, Le syndrome de l’imposteur. Traiter la dépréciation de soi, coll. « Les ateliers du praticien », Paris, Dunod, 2015, rééd., coll. « Dunod poche : santé & développement personnel » n° 28, 2023 ; Philippe Di Folco, Petit traité de l’imposture, coll. « Philosopher », Paris, Larousse, 2011.

[5] Cf. Pauline Rose Clance, Le Complexe d’imposture. Ou Comment surmonter la peur qui mine votre sécurité, trad. Martine Laroche, Paris, Flammarion, 1986.

[6] Cf., outre les autres ouvrages cités plus bas, Jessamy Hibberd, Croyez en vous ! Libérez-vous du syndrome de l’imposteur, trad., Paris, Larousse, 2019 ; Ludovic Salenne, La route du bonheur (semblant !), Le Havre, Ludovic Salenne, 2021.

[7] Cf. Claire Le Men, Le syndrome de l’imposteur. Parcours d’une interne en psychiatrie, Paris, La Découverte, 2019.

[8] Cf. Sarah W. Holmes, Les Kertay, Lauren B. Adamson, C. L. Holland & Pauline R. Clance, « Measuring the imposter phenomenon: A comparison of Clance’s IP scale and Harvey’s I-P scale », Journal of Personality Assessment, 60 (1993) n° 1, p. 48-59.

[9] Elle est accessible en ligne sur le site consulté le 28 janvier 2024 : https://www.penserchanger.com/wp-content/uploads/2017/07/Echelle-de-Clance-du-Phénomène-de-l-Imposteur.pdf

[10] Cf., par exemple, Emilie Amic, Dépassez vos freins et passez à l’action ! En finir avec la procrastination, le syndrome de l’imposteur et la peur de l’échec, Paris, Luceliandre, 2023.

[11] Cf., par exemple, Sandi Mann, Se libérer du syndrome de l’imposteur. Les stratégies pour muscler son estime de soi et booster sa réussite, trad. Frédérique Corre Montagu, Paris, Leduc.s pratique, 2020, coll. « Poche Marabout : psy », Vanves, Marabout, 2023.

[12] Cf., par exemple, Marie-Laure Deschamp, J’ai pas fait bac + 5, et alors ?! Stop au syndrome de l’imposteur !, Le Mans, Gereso, 2023.

[13] Cf. Jacques Sédat, « Ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou », Actualités de la psychanalyse, 27 (2014) n° 1, p. 145-150.

29.1.2024
 

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