Plan de l’exhortation apostolique Laudate Deum 1/3

Nous souhaitons proposer un plan analytique de la sixième exhortation apostolique du pape François [1]. Pour le détail de notre intention (aider à la lecture) et de cette méthode (la divisio textus développé au bas Moyen-Âge), je renvoie, par exemple, au plan détaillé présent sur ce site de de l’encyclique Fratelli tutti. L’organisation que nous proposons descend jusqu’à la taille du numéro et ne va pas au-delà.

Cette exhortation, qui s’inscrit dans le prolongement de l’encyclique Laudato , l’applique à un sujet plus particulier, ainsi que l’indique le titre : le changement climatique.

Quand nous ajoutons un bref commentaire explicatif du plan, nous l’ajoutons au texte de l’exhortation en italiques. Nous plaçons les divisions officielles du texte entre crochets.

Plan général des six parties

Outre la perspective et la méthode, elle en adopte le plan qui est celui de la démarche médicale, ainsi que nous l’observerons : diagnostic symptômatique-diagnostic étiologique-thérapeutique. Toutefois, et en cela, le texte demeure un texte théologique relevant de la doctrine sociale de l’Église, ce plan pratique est à certains moments précédé d’une approche contemplative. Voici comment s’organisent les six parties :

1) Le diagnostic symptomatique (1)

2) Le diagnostic étiologique (2)

3) Les remèdes

a) Humains

S’adressant aux personnes de bonne volonté, l’exhortation apostolique multiplie les moyens humains ou rationnels.

1’) Général : le multilatéralisme politique (3)
2’) Particulier : les conférences sur le climat

a’) Relecture du passé (4)

b’) Promesses pour l’avenir (5)

b) Spirituels (6)

Enfin, dans la dernière partie de l’exhortation apostolique, comme dans l’introduction, François s’adresse aux fidèles catholiques.

0) Introduction

1) Perspective

  1. « Louez Dieu pour toutes ses créatures ». C’est l’invitation que saint François d’Assise a lancée par sa vie, ses cantiques, ses gestes. Il reprenait ainsi la proposition des psaumes de la Bible et reproduisait la sensibilité de Jésus à l’égard des créatures de son Père : « Observez comment poussent les lis des champs : ils ne travaillent pas, ils ne filent pas. Or je vous dis que Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n’était pas habillé comme l’un d’entre eux » (Mt6,28-29). « Est-ce que l’on ne vend pas cinq moineaux pour deux sous ? Or pas un seul n’est oublié au regard de Dieu » (Lc12,6). Comment ne pas admirer cette tendresse de Jésus pour tous les êtres qui nous accompagnent sur notre route ?

2) Objet

a) Exposé

  1. Huit années se sont écoulées depuis que j’ai publié la Lettre encyclique Laudato si’, voulant partager avec vous tous, frères et sœurs de notre planète éprouvée, mes profondes préoccupations concernant la sauvegarde de la Maison commune. Mais je me rends compte au fil du temps que nos réactions sont insuffisantes alors que le monde qui nous accueille s’effrite et s’approche peut-être d’un point de rupture. Quoi qu’il en soit de cette éventualité, il ne fait aucun doute [non c’è dubbio] que l’impact du changement climatique sera de plus en plus préjudiciable à la vie et aux familles de nombreuses personnes. Nous en ressentirons les effets dans les domaines de la santé, de l’emploi, de l’accès aux ressources, du logement, des migrations forcées, etc.

b) Confirmation par trois autorités

  1. Il s’agit d’un problème social global qui est intimement lié à la dignité de la vie humaine. Les évêques des États-Unis ont très bien exprimé le sens social de notre préoccupation à l’égard du changement climatique, qui va au-delà d’une approche purement écologique parce que « l’attention que nous portons les uns aux autres et l’attention que nous portons à la terre sont intimement liées. Le changement climatique est l’un des principaux défis auxquels la société et la communauté mondiale sont confrontées. Les effets du changement climatique sont supportés par les personnes les plus vulnérables, que ce soit chez elles ou dans le monde entier [2] ». Les évêques présents au Synode pour l’Amazonie l’ont également exprimé en peu de mots : « Les attaques contre la nature ont des conséquences sur la vie des peuples [3] ». Et pour exprimer de manière convaincante qu’il ne s’agit plus d’une question secondaire ou idéologique mais d’un drame qui nuit à tout le monde, les évêques africains ont affirmé que le changement climatique met en lumière « un exemple frappant de péché structurel [4] ».

3) Intention

  1. La réflexion et les informations que nous avons pu recueillir au cours de ces huit dernières années nous permettent de préciser et de compléter ce que nous avons affirmé il y a quelque temps. C’est pour cette raison, et parce que la situation est en train de devenir encore plus urgente, que j’ai voulu partager ces pages avec vous.

Première partie. Le diagnostic symptomatique [« 1. La crise climatique globale »]

En fait, le diagnostic ne se limite pas au dérèglement climatique, il englobe un premier niveau causal : l’homme. Autrement dit, pour François, le jugement initial qu’expose cette première partie est la crise climatique d’origine anthropique.

1) La crise climatique

  1. a) Bref exposé
  2. Nous avons beau essayer de les nier, de les cacher, de les dissimuler ou de les relativiser, les signes du changement climatique sont là, toujours plus évidents. Nul ne peut ignorer que nous avons assisté ces dernières années à des phénomènes extrêmes, à de fréquentes périodes de chaleur inhabituelle, à des sécheresses et à d’autres gémissements de la terre qui ne sont que quelques-unes des expressions tangibles d’une maladie silencieuse qui nous affecte tous. Il est vrai que toute catastrophe ne peut être attribuée d’emblée au changement climatique global. Il est cependant vérifiable que certains changements climatiques provoqués par l’humanité augmentent considérablement la probabilité d’événements extrêmes de plus en plus fréquents et intenses. Ainsi, nous savons que chaque fois que la température mondiale augmente de 0,5 °C, l’intensité comme la fréquence des fortes pluies et des inondations dans certaines régions, des sécheresses graves en d’autres, des chaleurs extrêmes en certains lieux et des chutes de neige abondantes en d’autres, augmentent également [5].Si nous pouvions jusqu’à maintenant connaître quelques vagues de chaleur par an, que se passera-t-il avec une augmentation de la température globale de 1,5 °C, ce dont nous sommes proches ? De telles vagues de chaleur seront beaucoup plus fréquentes et plus intenses. Si l’on dépasse 2 °C, les couches de glace du Groenland fondront complètement et une bonne partie de celles de l’Antarctique [6],ce qui aura des conséquences énormes et très graves pour tous.

b) Difficultés et réponses [« Résistances et confusions »]

1’) Difficultés concernant le fait

a’) Première difficulté
  1. Ces dernières années, de nombreuses personnes ont tenté de se moquer de ce constat. Elles font appel à des données supposées scientifiquement solides, comme le fait que la planète a toujours connu et connaîtra toujours des périodes de refroidissement et de réchauffement. Elles oublient de mentionner un autre fait pertinent : ce à quoi nous assistons aujourd’hui est une accélération inhabituelle du réchauffement, à une vitesse telle qu’il suffit d’une génération – et non des siècles ou des millénaires – pour le constater. L’élévation du niveau des mers et la fonte des glaciers peuvent être facilement perceptibles à une personne au cours de sa vie, et il est probable que dans quelques années de nombreuses populations devront déplacer leurs habitations à cause de ces événements.
b’) Deuxième difficulté
  1. Pour ridiculiser ceux qui parlent de réchauffement global, il est fait référence au fait que, souvent, on constate aussi des froids extrêmes. On oublie que ces symptômes extraordinaires, avec d’autres, ne sont que des expressions alternatives de la même cause : le déséquilibre global provoqué par le réchauffement de la planète. Les sécheresses et les inondations, les lacs asséchés et les populations détruites par des raz-de-marée ou des inondations, ont en définitive la même origine. D’autre part, si nous parlons d’un phénomène global, nous ne pouvons pas le confondre avec des événements transitoires et changeants, qui s’expliquent en grande partie par des facteurs locaux.
c’) Troisième difficulté
  1. Le manque d’information conduit à confondre les grandes projections climatiques qui portent sur de longues périodes – nous parlons de décennies – avec les prévisions météorologiques qui peuvent tout au plus couvrir quelques semaines. Lorsque nous parlons de changement climatique, nous faisons référence à une réalité globale – avec des variations locales constantes – qui perdure sur plusieurs décennies.

2’) Difficulté concernant la cause

Bien qu’elle soit abordée au n. 11, le pape François anticipe tant il est évident, ainsi que nous le rappelions, que ce jugement de premier niveau inclut déjà la cause humaine.

  1. Dans une tentative de simplifier la réalité, certains attribuent la responsabilité aux pauvres parce qu’ils ont beaucoup d’enfants, et ils cherchent même à résoudre le problème en mutilant les femmes des pays les moins développés. Comme toujours, il semblerait que ce soit la faute des pauvres. Mais la réalité est qu’un faible pourcentage des plus riches de la planète pollue plus que les 50% plus pauvres de la population mondiale, et que les émissions par habitant des pays les plus riches sont très supérieures à celles des pays les plus pauvres [7].Comment oublier que l’Afrique, qui abrite plus de la moitié des personnes les plus pauvres de la planète, n’est responsable que d’une infime partie des émissions historiques ?

3’) Difficulté concernant le remède

  1. On dit aussi souvent que les efforts visant à atténuer le changement climatique, en réduisant l’utilisation des combustibles fossiles et en développant des formes d’énergies plus propres, entraîneront une réduction des emplois. En réalité, des millions de personnes perdent leur travail en raison des diverses conséquences du changement climatique : tant l’élévation du niveau de la mer que les sécheresses, et bien d’autres phénomènes affectant la planète, ont laissé nombre de personnes à la dérive. Par ailleurs, la transition vers des formes d’énergies renouvelables bien gérées, ainsi que les efforts d’adaptation aux dommages du changement climatique, sont capables de créer d’innombrables emplois dans différents secteurs. Cela exige que les hommes politiques et les hommes d’affaires s’en occupent dès maintenant.

2) La cause humaine de la crise climatique [« Les causes humaines »]

a) Exposé

Une fois n’est pas coutume, François l’expose de manière systématique sous la forme d’un syllogisme.

  1. On ne peut plus douter [non può più essere messa in dubbio] de l’origine humaine, – “anthropique” – du changement climatique. Voyons pourquoi.
1’) Les émissions humaines de dioxyde de carbone ne cessent de croître depuis le xixsiècle

La concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, qui provoquent le réchauffement de la terre, est restée stable jusqu’au xixsiècle, en dessous de 300 ppm en volume. Mais, au milieu de ce siècle, coïncidant avec le développement industriel, les émissions ont commencé à augmenter. Au cours des cinquante dernières années, l’augmentation s’est nettement accélérée, comme l’affirme l’observatoire de Mauna Loa qui mesure quotidiennement le dioxyde de carbone depuis 1958. Au moment où j’écrivais Laudato si’, le taux atteignait le niveau record de l’histoire – de 400 ppm – pour atteindre 423 ppm en juin 2023 [8]. Plus de 42 % du total des émissions nettes produites depuis 1850 l’ont été après 1990 [9].

2’) Or, sur la même période, le climat ne cesse de se réchauffer
  1. En même temps, nous constatons que, durant ces cinquante dernières années, la température a augmenté à une vitesse jamais vue au cours des deux derniers millénaires. Pendant cette période, la tendance a été d’un réchauffement de 0,15 °C par décennie, le double de ce qui s’est passé au cours des 150 dernières années. De 1850 à nos jours, la température globale a augmenté de 1,1 °C, un phénomène amplifié dans les zones polaires. À ce rythme, il est possible que nous atteindrons dans dix ans la limite supérieure recommandée de 1,5 °C [10].L’augmentation ne se produit pas seulement à la surface de la terre, mais aussi à plusieurs kilomètres d’altitude dans l’atmosphère, à la surface des océans et même à des centaines de mètres de profondeur. L’acidité des mers a ainsi augmenté et leur teneur en oxygène a été réduite. Les glaciers reculent, la couverture neigeuse diminue et le niveau des mers ne cesse de monter [11].
3’) Donc, activités humaines et changement climatique sont corrélées
  1. Il n’est pas possible de dissimuler la coïncidence entre ces phénomènes climatiques mondiaux et la croissance accélérée des émissions de gaz à effet de serre, en particulier depuis le milieu du XXèmesiècle. Cette corrélation est défendue par une écrasante majorité de spécialistes du climat, et seul un infime pourcentage d’entre eux tente de nier cette évidence. Malheureusement, la crise climatique n’est pas vraiment un sujet d’intérêt pour les grandes puissances économiques, soucieuses du plus grand profit au moindre coût et dans les plus brefs délais possibles.

b) Reprise réflexive

  1. Je suis obligé d’apporter ces précisions, qui peuvent sembler évidentes, à cause de certaines opinions méprisantes et déraisonnables que je rencontre même au sein de l’Église catholique. Mais nous ne pouvons plus douter que la cause de la rapidité inhabituelle de ces changements dangereux est un fait indéniable : les énormes changements liés à l’intervention effrénée de l’homme sur la nature au cours des deux derniers siècles. Les éléments d’origine naturelle qui provoquent généralement un réchauffement, tels que les éruptions volcaniques et autres, ne suffisent pas à expliquer l’ampleur et la rapidité des changements survenus au cours des dernières décennies [12].L’évolution des températures moyennes à la surface ne peut être expliquée sans l’effet de l’augmentation des gaz à effet de serre.

3) Les effets de de la crise climatique [« Dommages et risques »]

a) Exposé

1’) De ce qui est certain
a’) Et actuel
  1. Certaines manifestations de cette crise climatique sont déjà irréversibles pour des centaines d’années au moins, comme l’augmentation de la température globale des océans, leur acidification et leur appauvrissement en oxygène. Les eaux océaniques ont une inertie thermique et il faut des siècles pour normaliser la température et la salinité, ce qui affecte la survie de nombreuses espèces. C’est un signe, parmi tant d’autres, que les autres créatures de ce monde ont cessé d’être nos compagnes de route pour devenir nos victimes.
b’) Et à venir
  1. Il en va de même pour le processus conduisant à la diminution des glaces continentales. La fonte des pôles ne pourra être inversée avant des centaines d’années. En matière de climat, certains facteurs perdurent longtemps, indépendamment des faits qui les ont déclenchés. C’est pourquoi nous ne pouvons plus arrêter les énormes dégâts que nous avons causés. Nous avons juste le temps d’éviter des dégâts encore plus dramatiques.
2’) De ce qui est possible
  1. Certains diagnostics apocalyptiques semblent souvent peu rationnels ou insuffisamment fondés. Cela ne doit pas nous faire ignorer que la possibilité de parvenir à un point critique est réelle. Des changements mineurs peuvent provoquer des changements plus grands, imprévus et peut-être déjà irréversibles, en raison de facteurs d’inertie. Cela pourrait finir par déclencher une cascade d’événements qui se précipiteraient comme un effet boule de neige. Dans une telle éventualité, nous serons toujours en retard, car aucune intervention ne pourra arrêter le processus déjà commencé. Aucun retour en arrière ne sera possible. Nous ne pouvons pas affirmer avec certitude, à partir des conditions actuelles, que cela se produira. Mais cela est assurément une possibilité si l’on tient compte des phénomènes déjà en cours qui “sensibilisent” au climat, comme par exemple le rétrécissement de la banquise, la modification des flux océaniques, la déforestation des zones tropicales, la fonte du permafrost en Russie [13].

b) Conséquence éthique

  1. Il est donc urgent d’adopter une vision plus large qui nous permette non seulement d’admirer les merveilles du progrès, mais aussi de prêter attention à d’autres effets que nous n’aurions probablement pas pu imaginer il y a un siècle. Il ne nous est rien demandé de plus qu’une certaine responsabilité face à l’héritage que nous laisserons de notre passage en ce monde.

c) Confirmation

  1. Enfin, on peut ajouter que la pandémie de Covid-19 a démontré l’étroite relation de la vie humaine avec celle des autres êtres vivants, et l’environnement. Mais elle a surtout confirmé combien ce qui se passe partout dans le monde a des répercussions sur l’ensemble de la planète. Cela me permet de répéter deux convictions sur lesquelles j’insiste infatigablement : “tout est lié” et “personne ne se sauve tout seul”.

Pascal Ide

[1] François, Exhortation apostolique Laudate Deum à toutes les personnes de bonne volonté sur la crise climatique, 4 octobre 2023. Texte sur le site du Vatican. Les notes sont celles de l’exhortation. Rappelons que le texte faisant autorité est désormais l’italien et non plus le latin.

[2] Conférence des Évêques Catholiques des États-Unis, Global Climate Change Background, 2019.

[3] Assemblée Spéciale du Synode des Évêques pour la Région Pan-amazonienne,  octobre 2019, Document final, n. 10 : AAS 111 (2019), p. 1744.

[4] Symposium des Conférences Épiscopales d’Afrique et de Madagascar (SCEAM), African Climate Dialogues Communiqué, Nairobi, 17 octobre 2022.

[5] Cf. Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC), Climate Change 2021,The Physical Science Basis, Cambridge and New York 2021, B.2.2.

[6] Cf. Id., Climate Change 2023Synthesis Report, Summary for Policymakers, B.3.2. Pour le Rapport 2023 on se réfère à https://www.ipcc.ch/report/ar6/syr/downloads/report/IPCC_AR6_SYR_SPM.pdf.

[7] Cf. United Nations Environment Program, The Emission Gap Report 2022: https://www.unep.org/resources/emissions-gap-report-2022.

[8] Cf. National Oceanic and Atmospheric Administration, Earth System Research Laboratories, Global Monitoring Laboratory, Trends in Atmospheric Carbon Dioxide : https://www.gml.noaa.gov/ccgg/trends/.

[9] Cf. IPCC, Climate Change 2023Synthesis Report, Summary for Policymakers, A.1.3.

[10] Cfibid., B.5.3.

[11] Ces données de l’IPCC sont basées sur 34 000 études : Intergovernmental Panel on Climate Change; cf. Synthesis Report of the Sixth Assessment Report (20/03/2023) : AR6 Synthesis Report : Climate Change 2023 (ipcc.ch).

[12] Cf. IPCC, Climate Change 2023Synthesis Report, Summary for Policymakers, A.1.2.

[13] CfIbid.

19.10.2023
 

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