Le manège, une image de l’addiction

La psychiatre américaine Carla Perez compare de manière suggestive l’habitude, et bientôt la drogue, à un manège de foire [1].

Au point de départ, en voyant le manège, la personne hésite. Elle ressent une peur : un danger ne la guette-t-elle pas ? Voire, elle éprouve une secrète prémonition n’engage-t-elle pas plus qu’elle ne croit ?

Puis, chassant cette crainte infondée, attirée par la promesse de plaisir qui se rue vers elle, la personne se décide : elle monte sur le manège. Elle admire le décor, la musique. Elle apprécie les chevaux ou les autres véhicules, se laisse attirer, grimpe. Au début, tout est agréable, séduisant.

Le carrousel commence alors à tourner doucement. Le passager se sent légèrement enivré, la tête lui tourne, en même temps que le manège. Lui qui hésitait à monter se dit qu’il a véritablement bien fait. De plus, toute angoisse s’évapore comme par magie. Le monde bouge, tourne. Fermant les yeux, il a l’impression qu’il s’évade, que la terre entière est à lui.

Mais, tout ou tard, celui qui est embarqué va prendre recul. Soudain, un fait le frappe par son évidence : il tourne en rond, aux sens le plus propre et le plus imagé de l’expression. Autrement dit, il est dans l’illusion : il a quitté le monde réel. Avec la prise de conscience, une angoisse l’assaille.

Il voudrait alors descendre. Mais le manège s’est mis à tourné de plus en plus vite. Il n’est plus possible de le quitter. L’angoisse se double d’un intense désespoir : d’un côté, il le sait, ce manège ne le mènera nulle part ; de l’autre, il ne peut l’abandonner. Une nausée le prend. Et une culpabilité : n’est-ce pas lui qui a choisi de monter sur ce manège ? N’avait-il pas pressenti un danger ? N’a-t-il pas sciemment censuré cette voix qui l’incitait à la prudence, voire au renoncement ?

La seule alternative est-elle : aimer ce manège qui s’est substitué au monde ou bien s’en éjecter et en mourir ? Ou bien peut-on jouir indéfiniment de ses avantages sans pâtir de ses inconvénients ?

Oui, décidément, avant d’être une pathologie de la liberté, l’addiction en est une de la jouissance…

Pascal Ide

[1] Cf. Carla Perez, Getting off the Merry-Go-Round. You can live without compulsive habits, San Luis Obispo (Californie), Impact Publishers, 1994.

20.10.2023
 

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