L’homme est-il égoïste ? Ce qu’en disent la philosophie et les sciences

En marge et complément d’un article de la Revue thomiste (à paraître en octobre 2023) qui portera sur l’amour humain et l’altruisme animal, voici un état des lieux sur cette question si controversée : l’homme est-il égoïste ou altruiste ? Dans un premier temps, nous passerons en revue les opinions en faveur du premier membre de l’alternative, parcourant la philosophie et différentes sciences humaines et sociales (1). Dans un second temps, nous ne réfuterons pas tant ces opinions que nous montrerons qu’elles ne sont ni exclusives ni majoritaires (2), qui bien évidemment opine en faveur du second membre de l’alternative. Cette étude est bien entendu complémentaire d’autres déjà parues sur ce thème (chez l’homme et l’animal), dont certaines sont sur le site.

1) Selon les disciplines

a) En philosophie

Dès le iiie siècle avant le Christ, Plaute fait dire à un de ses personnages une phrase qui passera dans la sagesse commune : « L’homme est pour l’homme un loup, non un homme, quand on ne sait pas quel il est [1] ». L’historien Thucydide partage une opinion semblable, lui qui affirme que l’homme par nature « domine autrui [2] ». Aux temps modernes, Niccolo Machiavel écrit sans ambages que les hommes « sont ingrats, changeants, simulateurs et dissimulateurs, lâches devant les dangers, avides de profit [3] ». Grand lecteur de Thucydide (dont il a traduit La guerre du Péloponnèse), le philosophe anglais Thomas Hobbes défend que les hommes possèdent « un désir perpétuel et sans trêve d’acquérir pouvoir après pouvoir, désir qui ne cesse qu’à la mort [4] » et popularise la formule de Plaute, au point que, le plus souvent, on la lui attribue : « L’homme est un loup pour l’homme [5] ». Un siècle plus tard, le philosophe écossais David Hume ne tiendra pas un langage très différent : « L’homme est naturellement égoïste et doté d’une générosité limitée [6] ». À l’époque contemporaine, un philosophe américain, Ayn Rand (1905-1982), dont le succès est aussi grand outre-Atlantique qu’il est inconnu sur le vieux Continent, affirme sans vergogne que l’homme est profondément égoïste, plus encore, qu’il doit l’être [7] ; il est aujourd’hui relayé par le philosophe et sociologue français Dominique Lecourt [8].

b) En sociologie

Nous avons déjà cité Peter Blau. Pierre Bourdieu parlait d’une « double vérité du don » qui serait à la fois intéressé et désintéressé, selon des pondérations variables, mais au fond en vue de déconstruire les conduites désintéressées et en révéler l’intérêt caché [9]. Ces faits peuvent être modélisés : selon la théorie de l’échange social, l’homme détermine ses relations en fonction des coûts (en argent, temps, énergie, etc.) et des bénéfices (émotionnel, financier, social, etc.). Certes,

 

« un apparent ‘altruisme’ imprègne la vie sociale ; les gens sont préoccupés de se rendre mutuellement service et de rendre les bénéfices qu’ils reçoivent. Mais, derrière ce désintéressement apparent, peut être découvert un ‘égoïsme’ sous-jacent ; la propension à aider les autres est souvent motivée par l’attente qu’agir ainsi nous fournit des avantages sociaux [10] ».

 

Date Miller et Rebecca Ratner vont plus loin et affirment que non seulement l’égoïsme est un fait [11], mais c’est aujourd’hui un devoir : « Au moins dans les cultures individualistes, aucune motivation n’est considérée plus normale (ou rationnelle) que l’intérêt personnel ». Si bien qu’elles parlent d’une « norme sociale d’intérêt personnel [12] ». Dès lors, le narcissisme fonctionne comme une prophétie auto-réalisatrice : le fait secrète l’observation qui devient norme et donc modèle le fait…

Non loin de la sociologie, les sciences politiques, grandement influencées par Machiavel, Hobbes et Hume, nourrissent la conviction que l’être humain se comporte de manière utilitariste. C’est ainsi que, pour le courant réaliste, fondé par Hans Joachim Morgenthau, « la tendance à dominer est un élément de toutes les associations humaines, depuis la famille » jusqu’à « l’État [13] ». De même, selon la « théorie du choix rationnel [14] », l’homme n’agit qu’en fonction du calcul des coûts et des bénéfices ; or, non seulement cette motivation est égoïste, mais elle accroît les comportements centrés sur soi, jusqu’au mensonge ou au meurtre.

c) En économie

Pour une large majorité d’économistes, l’homme est un sujet qui cherche constamment à maximiser ses intérêts. Autrement dit, l’homo œconomicus est identifié à un être utilitariste et calculateur. « Le premier principe de l’économie est que chaque agent est uniquement motivé par l’intérêt personnel – affirme l’un des fondateurs de l’économie contemporaine [15] » ; « L’être humain moyen est à environ 95 % égoïste au sens strict du terme – écrit l’inventeur du trapèze de Tullock [16] ».

Ces affirmations sont argumentées dans des écrits décisifs, dans un sens plus optimiste ou plus pessimiste. Dans La fable des abeilles (1714), Bernard Mandeville défend la thèse paradoxale, devenue classique, selon laquelle la somme des égoïsmes de chacun assure la prospérité de tous [17]. Adam Smith, considéré comme le père des sciences économiques modernes, affirme dans son maître-ouvrage La richesse des nations :

 

« Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais de l’attention qu’ils portent à leur propre intérêt. Nous nous adressons non à leur humanité, mais à leur amour d’eux-mêmes, et nous ne leur parlons jamais de nos propres besoins, mais de leur avantage [18] ».

 

Des auteurs contemporains aussi fondateurs considèrent cet égocentrisme coessentiel à l’homme de manière sombre, mais sans le remettre en question. Ainsi, dans l’un des articles les plus cités de la littérature scientifique, « La tragédie des biens communaux » (1968) [19], le biologiste Garrett Hardin affirme que tout bien qui est communal (« the commons ») est exploité de manière nécessairement égoïste. Par exemple, si des paysans font paître leurs troupeaux dans des prés communs, les autres vont les imiter ; il s’en suit alors un surpâturage et une dégradation de la prairie. Or, au sens grec, la tragédie raconte une histoire qui, inéluctablement autant qu’involontairement, s’achève mal. Donc, toute possession commune s’achève dans une « tragedy of the commons »…

Un autre raisonnement est détaillé dans un ouvrage qui connut un grand succès et marqua durablement la pensée économique. Mancur Olson (1932-1998) a cherché à établir que la nature humaine est égoïste et que cette attitude présente des effets profondément néfastes. Il affirme en effet que, dans une société (un grand groupe), la non-participation au bien collectif n’est pas visible. Donc, par souci d’économie, les sujets n’agissent en vue du bien commun que s’ils sont contraints de le faire ; sinon, ils se comportent comme des « free-rider », c’est-à-dire comme des « passages clandestins » qui profitent du « système », tirent profit des coûteuses institutions communes et n’apportent pas leur propre contribution. Partant de là, il élabore et formalise toute une théorie sur les biens collectifs, les choix publics, etc. [20]

d) En psychologie

Si pour des raisons de perspective, les sciences sociales et économiques n’ouvrent pas la boîte noire, la psychologie et la psychanalyse, tout au contraire, en font l’objet principal de leur investigation. Or, l’intérieur ne rachète pas l’extérieur, loin de là.

Un seul constat, mais riche de sens. Dans les travaux de psychologie publiés entre 1970 et 2000, 46 000 articles traitent de la dépression et seulement 400 de la joie [21]. On objectera que la psychologie présente souvent une mission thérapeutique. Mais, d’abord, la psychologie possède une visée beaucoup plus large que la guérison : la connaissance de l’homme. Ensuite, quand bien même on ne considérerait que la visée curative de la psychologie, on ne soigne un mal qu’en rétablissant son contraire, la santé qu’il faut connaître.

Les trois psychologues qui ont exercé l’influence la plus importante dans leur domaine, mais aussi sur les théories de l’éducation, Piaget, Skinner et Freud, voient dans l’homme, et d’abord dans l’enfant, un être autocentré.

Dans son unique ouvrage sur la morale, Jean Piaget fonde cette affirmation sur le raisonnement suivant : le jugement moral est fonction de la capacité rationnelle de l’enfant et l’empathie requiert une capacité réflexive ; or, selon la théorie noétique générale qu’a développée le psychologue suisse qui identifie la raison à la raison mathématique, la raison n’est développée que tardivement, à partir de l’âge de sept ans. Par conséquent, le petit enfant est incapable de s’ouvrir à l’autre [22].

La posture de Skinner est encore plus radicale. Le chef de file du courant behavioriste, réduit l’homme à ses comportements, autrement dit à l’influence de l’environnement, et nie donc les processus mentaux. Dès lors, la liberté « n’est qu’une question de contingences de renforcements [23] » et les commandements l’expression d’un conditionnement renforcé [24]. Or, l’altruisme est un acte libre. Donc, Skinner ne lui accorde guère de place.

e) En psychanalyse

S’il y a un point sur lequel Sigmund Freud n’a pas varié, c’est sa conviction selon laquelle l’être humain est narcissique : « L’enfant est absolument égoïste [25] ». En effet, selon la théorie psychanalytique, le besoin primaire du bébé est alimentaire ; or, le sein ou le biberon donnés par la mère procurent un plaisir oral ; donc, par association, par « étayage », le bébé s’attache au donateur de ce plaisir ; par conséquent, l’attachement à la mère se fait de manière secondaire. Puisque la mère est la première personne à qui l’enfant s’attache, l’ouverture à l’autre ou le lien est donc second. Autrement dit, l’enfant est spontanément utilitariste : tourné vers lui-même, il se détourne d’autrui. Ce qui se vérifie du petit homme se vérifie de l’adulte : « Je n’ai découvert que fort peu de ‘bien’ chez les hommes [26] » ; précisément, l’agressivité est un « trait indestructible de la nature humaine [27] ».

Les disciples de Freud ne se sont pas éloignés de leur maître sur ce point. En voici un florilège (nous avons déjà vu Anna Freud) : selon Carl Gustav Jung, « cette tare de l’homme [le péché originel], sa tendance au mal est infiniment plus lourde qu’il n’y paraît et c’est bien à tort qu’elle est sous-estimée [28] » ; pour Melanie Klein, l’enfant est habité, bien plus tôt que pour Freud, dès quelques mois, par un surmoi d’une effrayante cruauté [29] ; selon Jacques Lacan, « dans [le] fond » de l’inconscient, demeure « le mauvais objet », « quelque chose qui se présente tout de suite avec un caractère tout particulier de méchanceté, de mauvaise incidence [30] », c’est-à-dire la Chose, ce qui constitue le « projet du mal comme tel [31] » ; pour Jean Bergeret, « le dynamisme fondamental serait donc, à mon sens, d’ordre violent [32] » ; selon Pierre Marty, la pulsion de mort, présente en tout homme, est déjà ébauchée chez le vivant [33] ; pour Jacques André, « c’est par le crime que l’humanité s’ouvre sur elle-même [34] » ; selon Roger Dadoun, comment expliquer « crimes, massacres, génocides, ainsi qu’angoisses et terreurs », sans y voir « un fait de structure, qui désigne l’homme comme étant fondamentalement, primordialement, un être de violence, homo violens [35] » ?

2) Évaluation critique 

Même si l’argument d’autorité est le plus faible, il n’est pas inutile de répondre à cette série d’autorités philosophiques et scientifiques qui paraissent représenter l’opinion majoritaire. De manière générale, la convergence apparemment massive des penseurs attestant l’égoïsme humain est largement contrebalancée par d’autres penseurs de poids équivalent, voire par des affirmations contraires qui sont internes aux œuvres des prétendus défenseurs du narcissisme.

a) En philosophie

  1. Thomas Hobbes est une figure de proue. Toutefois, d’autres philosophes ont défendu une théorie de l’état de nature beaucoup plus optimiste. Tel est le cas de John Locke, lui aussi anglais : dans cet état, les hommes sont « tous égaux et indépendants, aucun ne doit nuire à un autre dans sa vie [36]» ; donc, l’état de nature doit être un « état de paix, de bonne volonté, d’assistance mutuelle et de préservation [37]». Un siècle plus tard, le philosophe allemand Samuel von Pufendorf s’oppose à l’auteur du Léviathan :

 

« Toutes les raisons par lesquelles Hobbes prétend que les hommes sont portés à tâcher de se nuire les uns autres, ne sont que des raisons particulières, incapables par conséquent de mettre le Genre Humain dans la nécessité de se disposer à une guerre générale de chacun contre tous : elles ne peuvent qu’en armer quelques-uns contre un certain nombre d’autres [38] ».

 

  1. David Hume, dont nous avons relevé une posture plus pessimiste affirme aussi qu’existe

 

« un sentiment de l’intérêt commun, un sentiment que chaque homme éprouve au dedans de lui-même, qu’il découvre dans ses semblables et qui le pousse, de conserve avec les autres, à entrer dans un plan ou un système général d’actions tendant à l’utilité publique [39] ».

 

  1. C’est surtout le xviiie siècle qui va proposer une vision positive de l’homme. Une historienne américaine des Idées distingue trois formes prises par la philosophie des Lumières, selon les aires géographiques (et, beaucoup plus encore, culturelles) où elle se déploie [40] : en France, l’« idéologie de la raison » fait de celle-ci le principe actif de l’homme, de la société et du monde ; aux États-Unis, la « politique de la liberté » vise à fonder la société sur une nouvelle république favorisant la liberté ; ajoutons que, même lorsque les Lumières françaises font appel au sentiment avec Jean-Jacques Rousseau, l’optimisme est de rigueur [41] ; en Grande-Bretagne, la « sociologie de la vertu » développée par les philosophes moraux britanniques vise à développer les vertus, notamment sociales, pour fonder une société saine. Donc, plus encore que les Lumières françaises ou allemandes, les Lumières britanniques défendent une conception positive de la nature humaine. On l’a dit, l’Enlightment va développer les vertus sociales : compassion, bienveillance, sympathie. Deux noms : James Shatesbury (1671-1713) a rédigé un Essai sur le mérite et la vertu pour s’opposer – encore un ! – à Hobbes, et Francis Hutcheson (1684-1746) a défendu l’altruisme désintéressé, autant comme disposition que comme vertu : « Il y a dans la nature humaine un désir ultime du bonheur d’autrui [42] ». D’ailleurs, la théorie débouche sur une réelle pratique : entre 1720 et 1750, sont fondés de grands hôpitaux, 5 à Londres et 9 dans le reste du pays ; la société britannique est particulièrement sensible à l’abolition du commerce des esclaves et au soin des enfants abandonnés [43]. En outre, le méthodisme, fondé par John Wesley (1793-1791), affirme que le christianisme est « essentiellement une religion sociale » et condamne l’« exécrable infamie [44] » qu’est l’esclavage.
  2. Même le protestant Emmanuel Kant, qui a écrit un traité sur le mal radical, affirme qu’existe une « disposition originelle au bien dans la nature humaine [45] ». Certes, le « penchant au mal » qui est présent « dans la nature humaine [46] » est aussi insondable qu’indéracinable, mais il demeure second.

b) En sociologie

Là encore, la prétendue unanimité sociologique n’est même pas attestée en France. C’est ainsi que Luc Boltanski offre la version marxiste de la thèse pro-égoïste, en vue de la récuser : celui qui pose une action humanitaire appartient soit à un milieu modeste, soit à une famille aisée ; or, dans le premier cas, il recherche les intérêts de sa classe et, dans le second, il se donne bonne conscience ; donc, dans tous les cas, sa motivation est égoïste. De fait, dans les deux cas, même un très grand sacrifice sera toujours suspecté et déconstruit [47].

Ensuite, nous l’avons vu, de nombreux travaux de psychologie sociale montrent que le comportement humain spontané peut être altérocentré. Ajoutons qu’il est désormais attesté expérimentalement que la donation généreuse rend plus heureux.

Cette observation vaut quel que soit l’objet donné. Il en est ainsi pour l’argent. Par exemple, des psychologues qui ont offert à des sujets une somme de 20 dollars en cadeau le matin, leur ont aussi donné comme consigne de le dépenser comme bon leur semblait. Évaluant leur niveau de bonheur le matin avant le don et le soir, ils ont constaté que celui qui s’était acheté quelque chose pour lui n’était pas plus heureux, mais celui qui avait donné cet argent à quelqu’un l’était beaucoup plus [48]. Il en est de même pour les actes d’aide généreux comme les activités de bénévolat : une étude faite auprès de 2 800 Américains a établi que, sur une année, leur niveau de satisfaction et d’estime de soi a crû et celui de dépression a chu [49]. De fait, « le comportement prosocial est plus fréquent lorsque la personne se pense en bienfaiteur des autres plus qu’en bénéficiaire [50] ». Il en est ainsi pour les dons encore plus proches, comme les massages bénévoles : ils diminuent la sécrétion de cortisol et d’épinéphrine ; or, ces hormones sont médiatrices de stress ; donc, ceux qui donnent un massage sont moins stressés que les autres, notamment ceux qui en bénéficient [51]. Saint Thomas d’Aquin n’affirmait-il pas que l’acte de la charité consiste plus à aimer, c’est-à-dire à donner, qu’à être aimé, c’est-à-dire à recevoir [52] ?

Cela est vrai quel que soit le sujet donateur. Le don est béatifique (au sens étymologique) pour les adultes (l’étude sur les 2 800 Américains concernait les plus de 24 ans), les enfants et les personnes âgées de plus de 65 ans [53].

Par ailleurs, les études cherchent à affiner la médiation corporelle de cette joie du don [54] : la zone du cerveau qui est stimulée est le cortex frontal mésolimbique [55].

Enfin, elles précisent les effets de la donation généreuse. Du point de vue psychologique, elle diminue le stress et accroît la satisfaction : le bénéfice dure pas moins de 8 ans [56] ! Les personnes âgées généreuses vivent plus longtemps [57]. Du point de vue éthique, le don donne de l’énergie : il incline à travailler plus en quantité et mieux en qualité [58], plus intelligemment [59] et plus efficacement [60] – de fait, une personne plus heureuse a un rendement professionnel supérieur d’environ 10 %. De plus, il offre du sens : « Le fait de trouver du sens à la vie est davantage associé au fait d’être un donneur que d’être un preneur [61] ». Cette euphorie est telle que les psychologues parlent de rayonnement de la générosité. Il désigne non pas la contagion ou la cascade du don qui se déverse sur les autres, mais la communication personnelle qui, du cœur, diffuse sur le visage et rend la personne lumineuse [62].

c) En économie

  1. Les autorités ne sont pas si unanimes qu’on le pense. Le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz affirme : « Une multitude de données prouve que le modèle traditionnel de l’homme selon les économistes est trop limité [63]». Amartya Sen, un autre lauréat du prix Nobel d’économie, écrit : « Considérer toute attitude autre que la maximisation de l’intérêt personnel comme une preuve d’irrationalité implique nécessairement qu’on rejette le rôle de l’éthique dans la prise de décision réelle [64]».

Surtout, Adam Smith, que l’on présente souvent comme un défenseur de l’égocentrisme en économie, propose une position beaucoup plus nuancée que cette vision caricaturale. D’abord, il fut l’élève de Francis Hutcheson dont on a vu l’anthropologie prosociale. Ensuite, quelques lignes avant le passage cité plus haut, il affirme : « Dans une société civilisée, [l’homme] se trouve en toutes circonstances éprouver le besoin de coopération et du concours d’une multitude d’hommes ». Enfin et surtout, Smith est l’auteur d’une autre grande œuvre majeure, Théorie des sentiments moraux, où il écrit : « Aussi égoïste que l’homme puisse être supposé, il y a évidemment certains principes dans sa nature qui le conduisent à s’intéresser à la fortune des autre et lui rendent nécessaire leur bonheur, quoiqu’il n’en retire rien d’autre que le plaisir de les voir heureux. De cette sorte est la pitié ou la compassion » et la suite [65]. D’ailleurs, un chapitre critique frontalement la thèse utilitariste de La fable des abeilles [66]. Il faut donc affirmer au minimum que coexistent deux Adam Smith, celui qui défendit l’égoïsme et celui qui défendit la sympathie, et, au maximum, que les deux postures sont compatibles [67] – ce que fait notamment Amartya Sen [68]. Plus encore, la Théorie des sentiments moraux est un écrit de jeunesse, rédigé à 36 ans, 17 ans avant la Richesse des nations, que Smith a constamment révisé jusqu’à sa mort à 67 ans.

  1. Les arguments avancés par les économistes laissent à désirer. L’article de Hardin sur les biens communaux est contredit par l’histoire qui prouve que ceux-ci s’autorégulent [69]. Certes, la tragédie advient parfois, mais en réalité, le moins souvent : « Ce qui a existé en fait n’était pas une ‘tragédie des biens communaux’, mais plutôt un triomphe : pendant des siècles, et peut-être des millénaires, […] la terre a été efficacement gérée par les communautés [70]». Voire, Elinor Ostrom a reçu le prix Nobel d’économie pour avoir montré que les populations concluent des accords en vue d’optimiser les stratégies coopératives [71]. Par exemple, les agriculteurs espagnols disposent d’une quantité d’eau disponible sans être tentés de transgresser, puisque le taux d’infraction par prélèvement illégal de l’eau est de 0,008 % [72].

L’ouvrage d’Olson n’est pas plus argumenté que celui de Hardin. D’abord, autant il est riche en formalisation, c’est-à-dire en théorie abstraite, autant il est pauvre en preuves concrètes. Ensuite, ceux qui ont tenté d’éprouver cette théorie ont constaté que les bénéfices collectifs, loin de minimiser les engagements, multiplient les adhésions [73]. Du coup, les partisans d’Olson, en cohérence avec la déconstruction opérée par celui-ci, affirment que les militants le font pour les bénéfices secondaires [74] ! Une telle réponse relève typiquement du raisonnement non falsifiable. Enfin, si certaines personnes profitent du « ticket gratuit », généraliser l’affirmation devient un préjugé idéologique, ainsi que, par exemple, en témoignent les résultats d’une interview du sociologue Karl-Dieter Opp sur les motivations de ceux qui participent aux associations [75].

  1. Surtout, l’économie expérimentale, aujourd’hui en plein essor [76], permet de contredire le postulat majuscule de l’économie théorique, i.e., l’individu calculateur, et d’établir que le sujet adopte spontanément un comportement généreux. Pour cela, elle invente des jeux réels qu’elle teste rigoureusement [77]. Tel est par exemple le cas du jeu des biens publics. La théorie économique classique prédit que la personne ne contribuera pas au bien public et privilégiera son intérêt égoïste ; or, ce jeu montre le contraire. En effet, entre 40 et 60 % des participants investissent leur capital dans le bien collectif [78]. D’autres expériences font appel à d’autres principes que les dilemmes sociaux, comme le jeu de l’ultimatum qui se fonde sur le principe du « à prendre ou à laisser » [79] ou le jeu de la confiance qui se fonde sur l’investissement [80].
  2. Franchissons un dernier pas en interrogeant leur motivation. Osons demander : pourquoi les économistes postulent-ils de manière si contre-évidente et si impérialiste que l’homme est fondamentalement égoïste ? L’interprétation la plus probable ne serait-elle pas qu’ils se projettent sur le reste de l’humanité – au nom de la loi universelle de la paille et de la poutre [81]? Cette hypothèse iconoclaste a été testée avec sérieux. Par exemple, dans le jeu des biens publics, on s’est aperçu qu’une partie de la population étudiée ne participait presque pas à la « cagnotte commune » ; quelle ne fut pas la surprise de constater que la plupart des étudiants étaient justement ceux qui étaient dans le cursus « économie » ! [82] Cette étude fut plusieurs fois confirmée. On a par exemple mesuré chez 1 245 professeurs d’université enseignant dans 23 disciplines différentes leur générosité auprès d’associations caritatives : sur les 576 réponses (les demandes étaient adressées par courrier), 9,3 % des enseignants d’économie ont déclaré ne pas donner d’argent, contre 1,1 % pour les autres enseignants [83].

L’explication est à la jonction de deux mécanismes : un effet de sélection (font des études d’économie des étudiants eux-mêmes plus égoïstes) [84] ; un effet d’endoctrinement (les études d’économie rendent les étudiants plus égoïstes) [85]. Malheureusement aussi, les exposés des économistes fonctionnent comme des prophéties autoréalisatrices, donc s’entretiennent eux-mêmes [86]. Voire, certains demandent : rencontre-t-on davantage de sociopathes chez les économistes ou les psychopathes sont-ils plus dangereux ? [87]

d) En psychologie

Nous avons convoqué de multiples expériences attestant que l’enfant adoptait spontanément et très précocément des comportements prosociaux, notamment empathiques [88].

  1. On objectera que l’enfant ignore les frontières entre lui et celui qui souffre. Or, l’empathie requiert la différenciation [89]. Donc, la prétendue empathie du tout-petit n’est qu’une forme plus ou moins élaborée de la contagion affective ou de la fusion.

Non seulement l’empathie est distincte de la capacité à s’identifier, mais la première grandit avec la seconde. Cette capacité à s’identifier se repère aisément : la méthode la plus utilisée consiste à dessiner un cercle très coloré sur le front ou le nez de l’enfant à son insu (par exemple, lorsqu’il dort), puis à le placer face à un miroir : s’il touche la partie de son corps et non pas le miroir, cela signifie qu’il est capable de se reconnaître. Or, l’expérience montre la corrélation entre empathie et identification. Un chercheur joue avec des bébés de 18 à 24 mois. Puis il manipule un ours en peluche et brise « involontairement » un de ses bras. Il se met alors à pleurer en disant : « Mon ours est cassé ! ». Résultat : seuls manifestent de l’empathie les enfants qui se sont reconnus dans le miroir [90].

  1. On objectera aussi que l’altruisme patent cache un égoïsme latent. En effet, beaucoup de jeunes enfants agissent par crainte d’être punis ou dans l’attente d’une récompense. Or, ces motivations sont tournées vers l’ego. Donc, l’acte apparemment généreux était en réalité intéressé.

D’abord, cette suspicion idéologique est non-réfutable, donc non-scientifique, ainsi que nous l’avons noté ci-dessus de bon nombre d’arguments anti-altruistes. Par ailleurs, des expériences contredisent directement l’interprétation narcissique. Deux chercheuses de l’Ohio ont constaté que, spontanément, des enfants de maternelle (3 et 4 ans) partagent ce qu’ils possédent (comme leur goûter) ou réconfortent un enfant triste ou mécontent. Elles leur ont alors demandé ce qui les poussait à agir ainsi (« Pourquoi as-tu partagé ton goûter avec John ? »). L’examen des réponses a montré que la grande majorité des enfants explique leurs actes par le besoin qu’éprouve l’autre (« John avait faim ») et non par la crainte d’être punis ou par l’attente d’une récompense. Seul un petit nombre d’enfants a dit avoir agi dans l’espoir d’un retour (par exemple, être bien vus) [91].

  1. Le soupçonneur continuera à objecter que l’expérience ne réfute pas la présence d’une motivation intéressée qui serait inconsciente. Passons, là encore, le caractère non-falsifiable de l’argumentation. Des études astucieuses ont permis de découpler l’acte altruiste d’une motivation secrètement intéressée. Des enfants de 20 mois aident un adulte, par exemple en ouvrant un placard ou en récupérant une pince à linge. Puis, on les récompense de manière aléatoire en leur offrant un jouet. Enfin, on étudie leurs comportements altruistes ultérieurs. Le résultat, étonnant, fut le suivant : l’enfant qui n’a pas été récompensé continue d’aider ; en revanche, celui qui a été récompensé présente une attitude beaucoup moins prosociale [92]. Cette expérience a été confirmée avec une aide aux enfants pauvres et malades, dans des conditions très similaires (offre d’un cadeau pour récompense) [93]. Par conséquent, le don fut accompli par désintéressement. Non seulement la motivation de l’enfant ne réside pas dans le retour, mais seule est durable la motivation dite endogène (c’est-à-dire venue du dedans de l’acte), par opposition à la motivation dite exogène (c’est-à-dire venue du dehors de l’acte) comme une récompense.

e) En psychanalyse

Ce n’est pas le lieu de conduire une réfutation des présupposés anthropologiques de la psychanalyse freudienne, du pessimisme qui nourrit son soupçon et de sa théorie des pulsions de mort, discutée depuis le vivant de Freud [94].

Je ferai là appel encore aux acquis de l’expérimentation qui, systématisés dans une théorie de grande portée – la théorie de l’attachement [95] –, ont réfuté l’un des piliers de la doctrine freudienne des pulsions, à savoir l’égocentrisme primaire de l’enfant. En effet, dans sa première théorie des pulsions, Freud distingue les pulsions d’autoconservation des pulsions libidinales (sexuelles). Or, ces deux types de pulsion sont centrés sur le moi. Dès lors, les autres pulsions viennent « s’étayer » sur ces pulsions primaires. Concrètement, pour la psychanalyse, l’enfant se porte vers la mère non pas d’abord pour elle-même, mais pour y trouver satisfaction de pulsions primaires comme la nourriture, la chaleur, la sécurité. Or, se fondant sur de nombreuses expériences cliniques et même éthologiques, Bowlby et ses disciples ont établi que la relation à la mère, donc l’ouverture à autre que soi, est primordiale chez l’enfant ; autrement dit, la recherche de la proximité de la mère ou l’attachement à la mère constitue un besoin primaire ; inversement, l’autoconservation elle-même n’est possible que si l’enfant n’est pas carencé affectivement.

Pascal Ide

[1] Plaute, La comédie des ânes, dans Théâtre complet, trad. Pierre Grimal, coll. « Folio », Paris, Gallimard, 1971, p. 85.

[2] Thucydide, La guerre du Péloponnèse, L. I, trad. Jacqueline de Romilly, coll. « Budé », Paris, Les Belles Lettres, 2009, p. 57-60.

[3] Nicolas Machiavel, Le Prince, trad. Charles Bec, Paris, Garnier, 1987, p. 371.

[4] Thomas Hobbes, Léviathan, trad. François Tricaud, Paris, Dalloz, 1999, p. 75.

[5] Thomas Hobbes, Du citoyen, trad. Samuel Sorbière, Paris, Garnier-Flammarion, 2010, p. 75.

[6] David Hume, A Treatise of Human Nature, New York, Everyman’s Library, 1972, p. 222.

[7] Cf. Ayn Rand, La grève. « L’éthique de l’égoïsme rationnel », trad. Sophie Bastide-Foltz, Paris, Les Belles Lettres, 2011. Cf. Id., la conférence du 9 février 1961 dans La vertu d’égoïsme, trad. Alain Laurent et Marc Meunier, coll. « Bibliothèque classique de la liberté », Paris, Les Belles Lettres, 1993. « En 1991 », le premier livre est « cité par les Américains comme le livre qui les avait le plus influencés, tout juste après la Bible » (Dominique Lecourt, L’égoïsme. Faut-il vraiment penser aux autres ?, coll. « Les grands mots », Paris, Autrement , 2015, p. 180)…

[8] Cf. Dominique Lecourt, L’égoïsme. Sur Rand, cf. p. 125-144.

[9] Cf. Pierre Bourdieu, La double vérité du don. Méditations pascaliennes, coll. « Liber », Paris, Seuil, 1997, p. 229-240.

[10] Peter Blau, Exchange and Power in Social Life, New York, John Wiley, 1964, p. 17.

[11] Cf. aussi, de ce point de vue, les travaux rigoureux et passionnants de Christopher Lasch, Le complexe de Narcisse. La nouvelle sensibilité américaine, trad. Michel Landa, coll. « Libertés 2000 », Paris, Robert Laffont, 1981; rééd. sous le titre La culture du narcissisme, coll. « Champs », Paris, Flammarion, 2006

[12] Dale T. Miller, « The norm of self-interest », American Psychologist, 54 (1999) n° 12, p. 1053-1060 ; Rebecca K. Ratner & Dale T. Miller, « The norm of self-interest », Journal of Personality and Social Psychology, 81 (2001) n° 1, p. 5-16.

[13] Hans Joachim Morgenthau, Politics Among Nations. The Struggle for Power and peace, New York, Knopf, 51978, p. 36-37.

[14] Cf. Donald Green & Ian Shapiro, Pathologies of Rational Choice Theory. A Critique of Applications in Political Science, New Haven, Yale University Press, 1994 ; James S. Coleman, « The impact of Gary Becker’s work on sociology », Acta Sociologica, 36 (1993) n° 3, p. 169-178.

[15] Francis Ysidro Edgeworth, Mathematical Psychics. An Essay on the Application of mathematics to the Moral Sciences, New York, Augustus M. Kelley, 1967, p. 16.

[16] Gordon Tullock, The Vote Motive, Westminster, Institute of Economic affairs, 2006, p. 38.

[17] Cf. Bernard Mandeville, La fable des abeilles ou les vices privés font le bien public, trad. Lucien et Paulette Carrive, Paris, Vrin, 1985.

[18] Adam Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, trad. Philippe Jaudel, Paris, Economica, 2000, p. 20.

[19] Cf. Garrett Hardin, « The Tragedy of the Commons », Science, 162 (1968) n° 3859, p. 1243-1248.

[20] Cf. Mancur Olson, Logique de l’action collective, trad. Mario Levi, coll. « Sociologies », Paris, p.u.f., 1987.

[21] Cf. David Myers, « Hope and Happiness », Martin E.P. Seligman (éd.), The Science and Optimism and Hope. Research Essays in honor of Martin E.P. Seligman, Templeton Foundation Press, 2000, p. 323-336.

[22] Cf. Jean Piaget, Le jugement moral chez l’enfant, Paris, p.u.f., 2000.

[23] Cf. Burrhus Frederic Skinner, Par-delà la liberté et la dignité, trad. Anne-Marie et Marc Richelle, Montréal et Paris, Éd. HMH et Robert Laffont, 1971, p. 140.

[24] Cf., par exemple, sur le commandement « Tu ne voleras point », Ibid., p. 5.

[25] Sigmund Freud, L’interprétation du rêve, trad. Ignace Meyerson et Denise Berger, Paris, p.u.f., 2004, p. 290.

[26] Sigmund Freud et Oskar Pfister, Correspondance, 1909-1939, éd. Ernst L. Freud et Heinrich Meng, trad. Lily Jumel, Paris, Gallimard, 1966, coll. « Tel », 1991, p. 103. Cf. aussi, par exemple, p. 71 ou p. 170.

[27] Sigmund Freud, Malaise dans la civilisation, trad. Charles Odier, coll. « Bibliothèque de psychanalyse », Paris, p.u.f., 1981, p. 68.

[28] Carl Gustav Jung, Présent et avenir. De quoi l’avenir sera-t-il fait ?, trad. Roland Cahen, Paris, Denoël, 1978, p. 137.

[29] Cf. notamment Melanie Klein, Essais de psychanalyse 1921-1945, trad. Marguerite Derrida, coll. « Science de l’homme », Paris, Payot, 1968 ; La Psychanalyse des enfants, trad. Jean-Baptiste Boulanger, Paris, p.u.f., 1959.

[30] Jacques Lacan, Le Séminaire. Livre VII. L’éthique de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1986, p. 89 et 107.

[31] Ibid., p. 220. Pour le détail, cf. le passionnant chapitre de Jacques Le Brun, Le Pur Amour de Platon à Lacan, coll. « La librairie du xxie siècle », Paris, Seuil, 2002, p. 305-340.

[32] Jean Bergeret, La Violence fondamentale. L’inépuisable Œdipe, coll. « Psychismes », Paris, Dunod, 1984, p. 222. Cf. Id., « La Violence fondamentale (l’étayage instinctuel de la pulsion libidinale) », Revue Française de Psychanalyse, 45 (1981) n° 6, p. 1335-1351.

[33] Cf. Pierre Marty, L’Ordre psychosomatique. Les mouvements individuels de vie et de mort, I. Essai d’économie psychosomatique. 2. Désorganisations et régressions, Paris, Payot, 1980. Cf. Jean Laplanche, Vie et mort en psychanalyse, Paris, Flammarion, 1970.

[34] Jacques André, L’inceste focal dans la famille noire antillaise, coll. « Voix nouvelles en psychanalyse », Paris, p.u.f., 1992, p. 378.

[35] Roger Dadoun, La violence, Essai sur l’‘homo violens’, coll. « Optiques Philosophie », Paris, Hatier, 1993, p. 73.

[36] John Locke, Le second traité du gouvernement, trad. Jean-Fabien Spitz avec Christian Lazzeri, Paris, p.u.f., 1994, p. 6.

[37] Ibid., p. 16.

[38] Samuel von Pufendorf, Le droit de la nature et des gens, trad. Jean Barbeyrac, Bâle, E. et J. R. Thourneisen, 1732, fac similé, Caen, Centre de philosophie politique et juridique de l’université de Caen, tome 1, p. 162.

[39] David Hume, Enquête sur les principes de la morale, trad. Jean-Pierre Cléro, Paris, Flammarion, 2010, p. 157.

[40] Cf. Gertrude Himmelfarb, The Roads to Modernity. The British, French and American Enligthments, New York, Alfred A. Konpf, 2005, p. 19. C’est moi qui souligne.

[41] « Le principe de toute morale […] est que l’homme est un être naturellement bon, aimant la justice et l’ordre ; qu’il n’y a point de perversité originelle dans le cœur humain, et que les premiers mouvements de la nature sont toujours droits », écrit-il dans sa réponse à l’archevêque de Paris lui reprochant d’avoir ignoré le péché originel » (Jean-Jacques Rousseau, Lettre à Christophe de Beaumont, dans Œuvres complètes, Paris, Seuil, vol. 3, p. 340). Voilà pourquoi, par exemple, l’homme éprouve « une répugnance innée à voir souffrir son semblable » (Id., Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, coll. « Folio », Paris, Gallimard, 1985, p. 77).

[42] Francis Hutcheson, Recherches sur l’origine de nos idées de la beauté et de la vertu, trad. Anne-Dominique Balmès, Paris, Vrin, 1991, p. 155-156.

[43] Cf. Gertrude Himmelfarb, The Roads to Modernity. The British, French and American Enligthments, New York, Alfred A. Konpf, 2005, p. 133-134.

[44] Ibid., chap. 5.

[45] Emmanuel Kant, Sur le mal radical dans la nature humaine, trad. Frédéric Gain, Paris, Éd. de la rue d’Ulm, 2010, p. 19.

[46] Ibid., p. 27 et 59.

[47] Luc Boltanski, La souffrance à distance, Paris, Métaillé, 1993, p. 109.

[48] Cf. Elizabeth W. Dunn, Lara B. Aknin & Michael I. Norton, « Spending Money on Others Promotes Happiness », Science, 319 (2008),
p. 1687-1688.

[49] Cf. Peggy A. Thoits & Lyndi N. Hewitt, « Volunteer Work and Well- being », Journal of Health and Social Behavior, 42 (2001) n° 2, p. 115-131.

[50] Cf. Adam M. Grant & Jane E. Dutton, « Beneficiary or benefactor. Are People More Prosocial When They Reflect on Receiving or Giving? », Psychological Science, 23 (2005) n° 9, 1033-1039, ici p. 1039.

[51] Cf. Tiffany M. Field, Maria Hernandez-Reif, Olga Quintino, Saul Schanberg & Cynthia Kuhn, « Elder Retired Volunteers Benefit from Giving Massage Therapy to Infants », Journal of Applied Gerontology,
 17 (1998) n° 2, p. 229-239.

[52] Cf. Thomas d’Aquin, Somme de théologie, IIa-IIae, q. 27, a. 1.

[53] Cf. Yunqing Li & Kenneth F. Ferraro, « Volunteering and Depression in Later Life: Social Benefit or Selection Processes ? » Journal of Health and Social Behavior, 46 (2005) n° 1, p. 68-84.

[54] Cf. William T. Harbaugh, Ulrich Mayr & Daniel R. Burghart,
« Neural Responses to Taxation and Voluntary Giving Reveal Motives for Charitable Donations », Science, 316 (2007) n° 5831, p. 1622-1625.

[55] Cf. Jorge Moll, Roland Zahn, Matteo Pardini, Ricardo de Oliveira-Souza, Frank Krueger & Jordan Grafman, « Human Fronto-Mesolimbic Networks Guide Decisions about Charitable Donations », PNAS, 103 (2006) n° 42, p. 15623-15628.

[56] Cf. l’étude déjà citée de Yunqing Li & Kenneth F. Ferraro, « Volunteering and Depression in Later Life ».

[57] Cf. Marc A. Musick, A. Regula Herzog & James S. House,
« Volunteering and Mortality Among Older Adults : Findings from a National Sample », Journal of Gerontology : Social Sciences, 54B (1999) n° 3, p. S173-S180 ; Stephanie L. Brown, Randolph M. Nesse, Amiram D. Vinokur & Dylan M. Smith, « Providing Social Support May Be More Beneficial Than Receiving It : Results from a Prospective Study of Mortality », Psychological Science, 14 (2003) n° 4, p. 320-327.

[58] Cf. Timothy A. Judge, Carl J. Thoresen, Joyce E. Bono & Gregory K. Patton, « The Job Satisfaction – Job Performance Relationship: A Qualitative and Quantitative Review », Psychological Bulletin, 127 (2001) n° 3, p. 376-407.

[59] Cf. Sigal G. Barsade & Donald E. Gibson, « Why Does Affect Matter in Organizations? » Academy of Management Perspectives, 21 (2007) n° 1, p. 36-59.

[60] Cf. Sonja Lyubomirsky, Laura King & Ed Diener, « The Benefits of Frequent Positive Affect : Does Happiness Lead to Success ? » Psychological Bulletin, 131 (2005) n° 6, p. 803-855.

[61] Cf. Roy F. Baumeister, Kathleen D. Vohs, Jennifer L. Aaker & Emily N. Garbinsky, « Some Key Differences between a Happy Life and a Meaningful Life», Journal of Positive Psychology, 8 (2013) n° 6, p. 505-516.

[62] Cf. James Andreoni, William T. Harbauch & Lise Vesterlund, « Altruism in experiments », Steven N. Durlauf & Lawrence E. Blume (éds.), New Palgrave Dictionary of Economics, New York, Palgrave McMillan, 22008.

[63] Johann Stiglitz, Information and the Change in the Paradigm in Economics, Nobel Prize lecture, 8 décembre 2011.

[64] Amartya Sen, Ethique et économie, Paris, p.u.f., 1993, p. 18.

[65] Adam Smith, Théorie des sentiments moraux, trad. Michaël Biziou, Claude Gautier et Jean-François Pradeau, coll. « Leviathan », Paris, p.u.f., 1999, p. 23-24.

[66] Cf. Ibid., « Des systèmes licencieux », p. 409-417.

[67] Odile Rochon, La philosophie morale dans l’œuvre d’Adam Smith, mémoire de maîtrise en économie, Montréal, Université du Québec, 2009.

[68] « L’une des principales déficiences de la théorie économique contemporaine a été précisément de rétrécir la vision très large que Smith avait des êtres humains » (Amartya Sen, Éthique et économie, trad. Sophie Marnat, coll. « Philosophie morale », Paris, p.u.f., 1993, p. 29).

[69] Cf. les références citées par Glenn G. Sparks & Cheri W. Sparks, « Violence, mayhem, and horror », Dolf Zillmann & Peter Vorderer (éds.), Médias Entertainment. The Psychology of Its Appeal, Mahwah (New Jersey), Lawrence Erlbaum, 2000, p. 73-92, ici p. 78.

[70] Cf. Zbigniew Zaleski, « Sensation-seeking and preference for emotional visual stimuli », Personality & Individual Differences, 5 (1984) n° 5, p. 609-611.

[71] Cf. Marvin Zuckerman, « Sensation seeking and the taste for vicarious horror », James B. Weaver & Ron Tamborini (éds.), Horror Films. Current Research on Audience Preferences and Reactions, Mahwah (New Jersey), Lawrence Erlbaum Associates, 1996, p. 147-160, ici p. 155.

[72] Alfred Hitchcock, Hitchcock on Hitchcock. Selected Writings and Intervies, California, University of California Press, 1997, p. 57-58.

[73] Cf. la synthèse de Donald Green & Ian Shapiro, Pathologies of Rational Choice Theory. A Critique of Applications in Policital Science, New Haven, Yale University Press, 1994, chap. 5 ; Lars Udéhn, « Twenty-five years with the logic of collective action », Acta Sociologica, 36 (1993) n° 3, p. 239-261.

[74] Cf. les études citées par Donald Green & Ian Shapiro, Pathologies of Rational Choice Theory. A Critique of Applications in Policital Science, New Haven, Yale University Press, 1994, p. 87.

[75] Glenn G. Sparks & Cheri W. Sparks, « Violence, mayhem, and horror », p. 73.

[76] Cf., par exemple, Dennis T. Lowry, Tarn Ching, Josephone Nio & Dennis W. Leitner, « Setting the public fear agenda. A longetudinal analysis of network TV crime reporting, public perceptions of crime, and FBI crime statistics », Jounal of communication, 53 (2003) n° 1, p. 61-73.

[77] Les trois jeux qui vont être évoqués sont détaillés par Jacques Lecomte, La bonté humaine, p. 257-258 et 277-285.

[78] Cf. l’impressionnante étude de John O. Ledyard, « Public goods. A Survey of Experimental Research », John H. Kagel & Alvin E. Roth (éds.), The Handbook of Experimental Economics, Princeton, Princeton University Press, 1995, p. 111-194.

[79] Cf. Colin F. Camerer, Behavioral Game Theory, New York, Russell Sage, 2003, p. 49, 57-58.

[80] Preuve des effets préjudiciables de la méfiance : Ernst Fehr & Bettina Rockenbach, « Detrimental effects of sanctions on human altruism », Nature, 422 (2003) n° 6928, p. 137-140.

[81] Il s’agit d’une parabole du Christ (cf. Mt 7,3-5).

[82] Cf. Gerald Marwell & Ruth E. Ames, « Economists free ride, does anyone else?: Experiments on the provision of public goods, IV », Journal of Public Economics, 15 (1981) n° 3, p. 295-310.

[83] Cf. Robert H. Frank, Thomas Gilovich & Dennis T. Regan, « Does studying Economics Inhibit cooperation », Journal of Economic Perspectives, (1993) n° 2, p. 159-171.

[84] Cf. John R. Carter & Michael D. Irons, « Are economists différent, and if so, why? », Journal of Economic Perspectives, 5 (1991) n° 2, p. 171-177 ; Bruno S. Frey & Stephan Meier, « Are Political Economists Selfish and Indoctrinated ? Evidence from a Natural Experiment », Economic Inquiry, 41 (2003) n° 3, p. 448-462 ; Bruno S. Frey & Stephan Meier, « Do business students make good citizens ? », International Journal of the Economics of Business, 11 (2004) n° 2, p. 141-163 ; Bruno S. Frey & Stephan Meier, « Selfish and indoctrinated economists ? », European Journal of Law and Economics, 19 (2005) n° 2, p. 165-171.

[85] Cf. Justus Haucap & Tobias Just, « Not guilty ? Another look at the nature and nurture of economics students », European Journal of Law and Economics, 29 (2010) n° 2, p. 239-354.

[86] Deux preuves expérimentales : Varda Liberman, Steven M. Samuels & Lee Ross, « The name of the game: predictive power of reputations versus situational labels in determining prisoner’s dilemma game moves », Personality and Social Psychology Bulletin, 30 (2004) n° 9, p. 1175-1185 ; Terence Burnham, Kevin McCabe & Vernon L. Smith, « Friend-or-foe intentionality priming in an extensive form trust game », Journal of Economic Behavior & Organisation, 43 (2000) n° 1, p. 57-73.

[87] En effet, ces dangereux malades sont experts pour détecter la vulnérabilité d’autrui et se faire recruter au plus haut échelon (cf. Paul Babiak & Robert Hare, Snakes in suit. When psychopaths go to work, New York, HarperCollins, 2006, p. 131). De plus, le turnover accéléré dans les entreprises leur permet de cacher longtemps leur comportement pervers. Au point que Clive Boddy a pu dire que la crise financière globale qui nous a secoués est due à des « psychopathes organisationnels ». Aussi conclut-il à l’urgence, pour notre monde, de placer à sa tête des « leaders organisationnels dotés d’une conscience » (Clive R. Boddy, « The corporate psychopaths Theory of the Global Financial Crisis », Journal of Business Ethics, 102 [2011] n° 2, p. 255-259, ici p. 258).

[88] Cf. Jacques Lecomte, « L’empathie présente dès la petite enfance », Métiers de la petite enfance, 20 (2014) n° 210, p. 15-16.

[89] Celui qui éprouve de l’empathie ressent le monde intérieur du patient, « comme s’il était le nôtre, quoiqu’en n’oubliant jamais qu’il n’est pas le nôtre. […] Le chez soi dans lequel il se glisse […] n’est pas le sien » (André de Peretti, Pensée et vérité de Carl Rogers, Toulouse, Privat, 1974, p. 94). Cf. Édith Stein, Le problème de l’empathie, trad. Michel Dupuis, Toulouse, éd. du Carmel, Œuvres complètes, Paris, Le Cerf, 2010.

[90] Cf. Doris Bischof-Köhler, « The development of empathy in infants », Michael E. Lamb & Heidi Keller (éds.), Infant Development. Perspectives from German speaking Countries, Hillsdale, Erlbaum, 1991, p. 245-273.

[91]. Nancy Eisenberg-Berg & Cynthia Neal, « Children’s Moral Reasoning about Their Own Spontaneous Prosocial Behavior », Developmental Psychology, 15 (1979) n° 2, p. 228-229.

[92] Cf. Felix Warneken & Michael Tomasello, « Extrinsic rewards undermine altruistic tendencies in 20-month-olds », Developmental Psychology, 44 (2008) n° 6, p. 1785-1788.

[93] Cf. Richard A. Fabes, Jim Fultz, Nancy Eisenberg, Traci May-Plumlee & F. Scott Christopher. « Effects of Rewards on Children’s Prosocial Motivation: A Socialization Study », Developmental Psychology, 25 (1989) n° 4, p. 509-515.

[94] Le concept de pulsion de mort est « le monstre le plus bizarre de toute la galerie des monstres de Freud » (William McDougall, Psycho-analysis and Social Psychology, London, Methuen, 1936, p. 96). Le fidèle entre les fidèles, Ernest Jones, prendra ses distances et, faut-il s’en étonner, expliquera psychologiquement la genèse du concept à partir de la biographie de Freud, Fritz Wittels l’expliquant par la souffrance ressentie à la mort de Sophie (Sigmund Freud, Lettre à Fritz Wittels, 18 décembre 1923, citée par Ernest Jones, La vie et l’œuvre de Sigmund Freud. Tome 3. Les dernières années. 1919-1939, trad. Anne Berman, Paris, p.u.f., 1969, p. 45. Sur l’interprétation de Jones, cf. p. 304-326).

[95] Cette théorie fut fondée par John Bowlby (Attachement et perte. 1. L’attachement, trad. Jeannine Kalmanovitch. 2. Séparation, angoisse et colère, trad. Bruno de Panafieu. 3. La perte, tristesse et dépression (1969-1982), trad. Didier Weil, Paris, p.u.f., 1978) et, depuis, largement développée, dans le monde anglosaxon (cf. Robert Karen, Becoming attached, New York-Oxford, Oxford University Press, 1998 ; Jeremy Holmes, John Bowlby and Attachment Theory, London-New York, Routledge, 1993 ; Jude Cassidy & Phillip R. Shaver [éds.], Handbook of Attachment, New York-London, The Guifford Press, 1999), mais aussi en France (cf., avant tout, l’ouvrage aussi pédagogique que documenté de Blaise Pierrehumbert, Le premier lien. Théorie de l’attachement, coll. « Comment l’esprit vient aux enfants », Paris, Odile Jacob, 2003. Cf. aussi Raphaële Miljkovitch, L’attachement au cours de la vie. Modèles internes opérants et narratifs, Paris, p.u.f., 2001 ; Nicole et Antoine Guedeney, L’attachement. Concepts et applications, Paris, Masson, 2002).

27.9.2023
 

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