Les trois chemins (12e dimanche du temps ordinaire année A. 25 juin 2023)

« Ne craignez pas », faites confiance au Père. Tel est l’appel du Christ, telle est la grâce que l’Esprit-Saint nous donne en ce dimanche. Mais comment en vivre ? Trois chemins qui sont aussi les trois chemins que toutes nos actions doivent arpenter. Trois lumières pour nous éclairer et trois énergies pour nous faire avancer.

 

  1. Le premier chemin est celui de la loi. Notre première question est souvent : qu’est-ce qui est juste et droit ? qu’est-ce que je dois faire ? Les parents apprennent ou devraient apprendre au petit enfant ce qui est permis et ce qui est défendu, c’est-à-dire ce qui est bon ou mauvais pour lui et pour les autres.

L’interrogation est toujours de saison quand nous devenons adultes. Lorsque nous nous demandons ce que nous avons à faire, la première réponse nous est offerte par les lois humaines. Nous ne sommes pas libres de conduire à droite ou à gauche. Et, derrière l’arbitraire de la direction (droite ou gauche), se trouve une loi plus universelle qui, elle, n’a rien d’artificiel : le respect de l’autre et le bon ordre public. Imaginez que, d’un coup, se dérèglent tous les feux tricolores et qu’il n’y ait plus de sens giratoire !

Il y a ensuite la loi naturelle, celle qui correspond à notre nature humaine et qui est résumée par les dix commandements. Si elle est révélée en sa cause, elle est naturelle en son contenu. Et, là encore, derrière ce qui est prescrit, c’est notre bien qui est visé, derrière le négatif, c’est le positif qui est promu. « Tu ne mentiras pas » signifie « Nous sommes faits pour la vérité » (qui aime qu’on lui mente ?).

Enfin, il y a les commandements de Dieu qui se résument tous dans le double précepte de l’amour : « Tu aimeras Dieu de tout ton cœur » et « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Qu’il est heureux que Dieu nous ait parlé pour nous éclairer sur le chemin à suivre !

Aujourd’hui, son commandement est clairement émis à l’impératif par le Christ, à trois reprises : « Ne craignez pas », « Soyez donc sans crainte ». Et derrière la prescription négative, nous discernons en plein et en positif : « Faites-moi confiance » !

Mais aussitôt se pose une question : est-ce qu’il suffit de décréter la confiance inconditionnelle en Dieu pour en vivre ? Nous savons bien que non ! Dès lors, surgit une autre interrogation : comment ? Comment transformer la loi en vie ?

 

  1. C’est alors que s’ouvre un deuxième chemin : la vertu. De fait, à côté des morales du devoir et de l’obligation, comme celle de Kant, ont toujours existé des morales de la vertu et du bonheur, comme celle d’Aristote.

Le mot vertu fait peur ou demeure obscur. La vertu nous semble petite et féminine ! D’un mot, la vertu, c’est ce qui me rend meilleur. Prenons toutes nos compétences, acquises depuis longtemps : dans cette église, nous savons presque tous parler, écrire, saluer l’autre, arriver à l’heure, marcher, manger – même si la maladie nous fait parfois régresser. Pourtant, nous avons mis du temps pour acquérir ces compétences. Quand nous étions enfants, nous avons multiplié les actes pour les posséder. Il en est de même pour nos métiers, y compris le métier de parents. Or, ces compétences, ces savoir-faire, c’est l’autre nom de la vertu.

Soyons encore plus concret. Pour faire la différence entre ce qui, chez nous, est vertueux et ne l’est pas (je ne dis pas est vicieux, mais est en jachère), observez la différence entre vos deux mains. Pour la grande majorité d’entre vous, l’une d’entre elles a appris à écrire et point l’autre. Celle qui sait le fait avec facilité, sans erreur, voire avec joie. Inversement, si vous vous aventuriez à écrire votre nom avec la main non vertueuse, vous tireriez la langue (peut-être pas, car vous avez été éduqué et avez donc acquis une autre vertu !). Parler, écrire de votre main dominante, c’est devenu tellement naturel que l’on parle de l’habitude (en fait il s’agit de la vertu) comme d’une seconde nature. Qui prolonge et perfectionne considérablement ce que nous sommes. Sans la vertu, nous serions comme une coiffure non peignée, mieux, comme une terre en friche.

Eh bien, ce qui est vrai des savoirs et des savoirs-faire est vrai des savoirs-être que sont les vertus morales et théologales. Elles nous transforment du dedans. Elles nous améliorent, c’est-à-dire nous rendent meilleurs, elles nous perfectionnent. À condition que nous jouions le jeu, celui des petits actes. Humblement et patiemment répétés. Les neurosciences l’ont d’ailleurs établir : notre cerveau, cette merveille des merveilles, est tellement plastique que, après quelques jours de répétition, les connexions entre neurones commencent déjà à changer.

Attention, toutefois ! Cette répétition n’est pas un acte automatique (comme par exemple la place que vous avez prise en arrivant : vous l’avez prise de manière mécanique beaucoup plus que par choix, ce qui n’était pas le cas le premier jour où vous êtes rentré dans cette église). Pour qu’elle nous transforme, elle doit être posée avec conscience et amour.

Vous le voyez donc : la vertu, c’est la loi extérieure qui est intériorisée, c’est l’idéal de la loi devenu réalité, la parole qui est devenue vie, la prescription ponctuelle qui s’est inscrite, graduelle, dans notre existence. Posons des actes conscients et libres de foi en Dieu, de service de l’autre, d’honnêteté, de ponctualité, et nous changerons durablement et profondément. Nous trouverons dans la foi, la charité, la justice, etc., la même facilité, la même inerrance (absence d’erreur) et la même joie que nous trouvons à écrire ou à marcher.

Aujourd’hui, le commanndement du Christ « N’aie pas peur » est donc appelé à s’incarner dans une vertu : la confiance, c’est-à-dire la vertu théologale d’espérance. Comment ? En multipliant les actes d’abandon. Si sainte Thérèse de l’Enfant Jésus s’est installée dans une paix si profonde, malgré les épreuves dramatiques qui s’abattent sur elle (la longue maladie dégradante de son père, une démence sénile ; la tuberculose généralisée extrêmement douloureuse avec les crises d’étouffement ; l’épreuve de la nuit de la foi ; etc.), c’est parce que, pendant des années, elle s’est exercée, comme un athlète s’entraîne. La petite voie d’enfance, ce n’est pas de l’infantilisme, c’est du training, justement comme l’enfant qui s’entraîne pour grandir (sauf qu’ici, c’est pour devenir toujours plus enfant de Dieu !).

Mais, vous le sentez à travers cet exemple, la vertu qui semblait si désirable quand je prenais l’exemple passé de l’écriture apparaît plus ardue et plus rébarbative au présent. Poser ces petits actes répétés ne risque-t-il pas de susciter un ennui invincible ? Voire, un doute nous prend : est-ce possible ? Serons-nous vraiment transformés ?

 

  1. Voilà pourquoi intervient une troisième voie, une voie qui adapte la loi à la vertu. Et d’ailleurs, nous y avons implicitement fait appel en donnant l’exemple de sainte Thérèse : il s’agit de l’imitation.

Jésus lui-même l’indique explicitement lors de sa Passion après avoir lavé les pieds de ses disciples : « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous » (Jn 13,15) ; « Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres » (Jn 13,34). Saint Paul ose même exhorter les Corinthiens ainsi : « Soyez mes imitateurs, comme je le suis moi-même du Christ » (1 Co 11,1). L’exemple, c’est la norme concrète, c’est la loi déjà réalisée. La loi est la partition notée, le modèle la partition jouée, mais par un autre, la vertu, la partition jouée par nous-même !

Et si nous objectons intérieurement que, étant Dieu, Jésus ne peut défaillir, il nous donne les Saints qui, comme nous, ont peiné sur le chemin de la sainteté

Et si nous avons un doute sur l’imitation (l’on prête à saint Jean de la Croix ce mot piquant : n’imitez pas les Saints, vous imiterez leurs défauts !), rappelons-nous ce que disait le pape Benoît XVI : ce qu’il faut imiter chez les Saints, c’est la charité (et les autres vertus, comme l’humilité ou l’obéissance).

Pour la confiance, il nous est bon de lire ces récits de Saints qui montrent qu’ils ne sont pas nés saints, mais ont multiplié les actes, ont défailli et se sont relevés. Les Saints ne sont pas des personnes parfaites, mais des pécheurs qui se sont souvent relevés. « Vivre, c’est changer ; être parfait (saint), c’est avoir changé souvent » (saint Newman). Sainte Jeanne d’Arc, par exemple, qui a eu peur durant une grande partie de sa vie, s’est trompée en changeant d’habit, l’a reconnu et s’est corrigée avec la grâce de Dieu. Jusqu’à mourir dans un grand abandon : « Jésus » fut son dernier cri.

 

Frères et sœurs, un certain nombre d’entre vous va bientôt partir en vacances et, en tout cas, nous allons tous entrer dans la période estivale où le rythme change. Et si c’était l’occasion de se poser une double question ?

  1. Quelle voie morale ai-je surtout développée dans ma vie : la loi, la vertu ou l’imitation ? Et parfois non sans unilatéralisme. Par exemple, est-ce que, pour conduire ma vie humaine et chrétienne, je m’interroge d’abord sur ce que je dois faire, sur le permis et le défendu (morale de la loi) ? Est-ce que je cherche surtout mon développement personnel, mon perfectionnement, ma croissance (morale de la vertu) ? Est-ce que je me nourris principalement de témoignages, je ne me mets en mouvement que si je suis touché (morale de l’imitation) ?
  2. Si, par impossible (!), vous observiez une défaillance dans l’une ou l’autre d’entre elles, que pourrais-je faire pour emprunter cette voie ? Pour la loi, vous pourriez lire ou relire, peu à peu, cet été, une partie du Catéchisme de l’Église catholique, en l’occurrence, la deuxième section de la troisième partie, c’est-à-dire le commentaire des dix commandements. Pour la vertu, quelle bonne habitude pourrai-je mettre en place en posant des actes quotidiens (ce sont les seuls qui me transforment), comme prier tous les jours, rendre service tous les jours, etc. ? Pour l’imitation, quelle vie de Saint pourrai-je méditer et suivre comme modèle pour la mienne ?

Pascal Ide

25.6.2023
 

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