Le grand air de Chérubin ou l’amour fait pour l’infini

Qui n’a jamais entendu « Voi che sapete », le grand air de Chérubin ? Il s’agit de la Canzone de l’acte 2 de l’opéra que, bien qu’écrit en un temps record, certains musicologues considèrent être le plus parfait que l’on n’ait jamais composé : Le Nozze di Figaro de Mozart.

Le personnage de Chérubin, étrange et attachant, autant dans la pièce de Beaumarchais que dans le livret de Lorenzo Da Ponte, symbolise celui que « seul l’amour fait vivre : solo ai nomi d’amor ». Il ne connaît que cela, ne parle que de cela, éveillé ou endormi, à tout le monde : « Et si personne ne m’écoute, je me parle d’amour à moi-même » [1]. Il n’est pas seulement fou amoureux, éperdument fou amoureux, de la Comtesse, mais il aime aussi Suzanne.

Or, dans l’aria « Voi che sapete », Cherubino parle de l’amour humain, précisément de son amour pour la femme ; mais, plus encore, il semble qu’il ouvre l’amour sur l’infini. Jugez plutôt ce qu’est cet amour qui « est dans son cœur (io l’ho nel cor) » : Chérubin sent un désir, un sentiment qui à la fois le rend amoureux et lui fait subir le martyr, le gèle et le brûle. Or, quel est l’objet de ces sentiments si extrêmes ? « Ricerco un bene fuori di me : il recherche un bonheur hors de lui ». Il est en quête, c’est-à-dire qu’il n’a pas trouvé. Il poursuit un bonheur, c’est-à-dire cette félicité qui sature toutes nos attentes. Et il aspire à un bonheur qui le met hors de lui, c’est-à-dire qui le dépasse. D’un côté, cette béatitude, il ne la trouve pas ni ne la connaît. Son cœur est donc sans paix, ni le jour ni la nuit. De l’autre, pour rien au monde il ne voudrait abandonner son désir (« Ma pur mi piace languir cosi »). Or, plus encore que l’échelle ascendante de Diotime dans le Banquet de Platon, comment ne point songer à la parole qui retentit au tout début des Confessions d’Augustin : « Tu nous as fait pour Toi Seigneur, et notre cœur est sans repos [cor irrequietum] tant qu’il ne repose en Toi [2] ». Les Chérubins ne sont-ils pas cet ultime chœur des anges dont la chorégraphie chorale ne cesse de célébrer l’Infini divin ?

Pascal Ide

[1] Acte 1, Aria « Non so piu ».

[2] Saint Augustin, Confessions, L. I, i, 1.

1.9.2020
 

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