Le don de l’être chez Maître Eckhart. Lumières et ombres 2/3

2) Une métaphysique originale de l’étant

a) L’être est don

Nous avons vu plus haut que, pour Eckhart, l’être en sa pureté (puritas essendi) est bien. Or, toujours selon notre auteur, le bonum est pensé comme don. C’est ainsi qu’Yves Meessen affirme l’« identification de l’Être à l’acte de donation [1] ». C’est vrai d’abord de Dieu, puisqu’il est « le don pur de toute privation ». En ce sens, être divin et être commun sont identiques. Ainsi se lève la difficulté nommée ci-dessus. Mais c’est vrai aussi de la créature, quoique dynamiquement, en tension : « elles sont en transition vers la plénitude d’un don » ; or, ce qui est en tension vit déjà partiellement de ce vers quoi il tend, il en participe, comme en acte imparfait ; donc, les créatures « vivent déjà [le don] en le recevant [2] ».

b) Le rythme ternaire de l’étant

1’) Exposé

Pour Maître Eckhart, la créature est animé par un rythme ternaire. Ce ternaire est immanent. En l’occurrence, il est constitué par trois opérations fondamentales : mansio, billitio, conversio.

Ce ternaire trouve son fondement ultime dans la Sainte Trinité. En effet, dans la pureté de son être (puritas essendi), le Père d’abord ne se quitte pas ; autrement dit, l’essence divine demeure en lui (mansio) : puis, il flue totalement, sortant de lui et engendrant le Fils (bullitio) ; enfin, il revient totalement à lui dans l’Esprit-Saint (conversio). On notera que ce mouvement conduit à une coïncidence totale avec soi, ‘est-à-dire une reditio completa [3].

2’) Interprétation dative

De fait, Eckhart convoque le registre du don pour exprimer l’être de Dieu :

 

« De même que la créature a son être, ou ce qui pour elle est être, c’est de recevoir l’être [Sicut creatura habet esse suum et suum esse sive sibi esse est accipere esse], ainsi, pour Dieu, être c’est donner l’être, parce que, universellement, pour lui, agir ou œuvrer, c’est être [sic Deo esse est dare esse, quia universaliter ipsi agere sive operari est esse] [4] ».

 

Ainsi, Eckhart distingue Dieu et la créature à partir de la pulsation donation-réception. Plus encore, il identifie l’être à ce double acte. En l’occurrence, l’être de Dieu consiste à « donner l’être [dare esse] » et celui de la créature dont l’être consiste à « recevoir l’être [dare esse] ». Autrement dit, Dieu n’est riche que de se donner.

Confirmation est donnée par la convocation inattendue du schème de la richesse. Ainsi qu’on le sait, ce vocabulaire caractérise la donation. Or, le Thuringien cite souvent la 21e proposition du De causis : « Le premier est riche par lui-même [Primum dives est per se] [5] ». Ainsi, pour le païen, Dieu est riche de lui pour lui. En revanche, toujours dans le lexique de la richesse, le Dieu biblique est riche pour l’autre. Comme saint Bonaventure, il contemple la richesse comme plenitudo fontalis, c’est-à-dire comme plénitude en attente de combler l’autre, comme capacité d’enrichir l’autre.

Voici comment Stanislas Breton l’expose de manière générale pour l’être :

 

« Pour définir le lien de l’étant et de l’être, nous n’avons pas de meilleur recours que cette trinité de rapports. D’où le schéma suivant qui facilité la lecture de ce premier développement à prédominance ontologique :

Relation d’appartenance (esse alterius), qui, sans l’exclure, déborde l’abstraite relation de la partie et du tout, et implique la connivence d’une parenté, dont la ‘proposition spéculative’ (de style eckhartien) tente la formulation ;

Relation proprement exodique, marquée d’un être-vers (esse ad) qui souligne, à l’inverse, le hiabtus d’une distance ou d’une fracture, aussitôt compensée par la ferveur d’un élan dont la force précipite, pour ainsi dire, l’étant sur son centre d’attraction ;

Relation ‘dative’ (quon pardonne l’usage inhabituel de l’épithète) par laquelle, en réponse à l’instance donatrice (qui fait être ce qui est), et dans l’oubli d’un amour pur, l’étant se restitue à la générosité de sa source [6] ».

 

Or, la première relation (« relation d’appartenance ») dit le don à soi, dans sa communauté partagée, donc en connexion avec le don originaire ; la deuxième relation (« relation exodique ») dit le don de soi passif, par attrait, et la troisième relation (« relation ‘dative’ ») dit le don de soi actif, dans l’oubli de soi. De manière originale, Stanislas Breton atteste qu’Eckhart pense la créature dans une « trinité de rapports » renvoyant à la dynamique du don.

3’) Origine

Comment ne pas voir dans le schéma néoplatonicien l’origine de cette dynamique trine, par exemple le cycle proclusien de la substantialité comme retour sur soi ? Ainsi qu’on le sait, ce schème est passé de Procus, via Denys et le De causis au bas Moyen-Âge, notamment Thomas.

Toutefois, Eckhart change en profondeur le schème païen. En effet, pour les néoplatoniciens, l’Un qui est perfection absolue est « autarkès, autarcique [7] ». En effet, il ne dépend que de lui et écarte toute altérité relationnelle. Or, pour Eckhart, qui est fidèle à la Révélation, Dieu non seulement ne vit pas en autarcie, n’est pas seul, mais n’est que donation de soi. Comprenons bien : il ne s’agit pas d’affirmer de manière plate que Dieu donne, mais d’identifier l’être de Dieu à la donation gratuite. L’Unité divine n’est pas d’abord autopossession comme chez saint Thomas auto-donation (à l’autre) : « Dieu est riche parce qu’il est un [Deus eo dives profusiuus est, quia unus] [8] ». L’hénologie fonde l’ontodologie.

 

« La formule occidentale de processio ab utroque permet à Maître Eckhart de concevoir cette ‘transformation totale de l’essence’ dans la procession des Personnes divines comme un mouvement circulaire de ‘retour sur soi-même’. Le processus trinitaire chez Eckhart rappellerait trop les cycles tradiques de Proclus, avec leur monè, proôdos, épistrophè, si la théologie de l’Image n’intervenait heureusement pour faire du schème néoplatonicien une expression dynamique du mystère d’un Dieu personnel qui engendre éternellement son Fils, ‘un autre soi-même’ – alterum se, non aliud a se [9] ».

4’) Conséquence sur l’exposé

Parcourons maintenant les trois moments du don, puisque nous allons partir de la donation première. Souvent, l’on considère la notion de détachement comme étant la plus centrale de élaborée par Eckhart. Mais, nous allons le voir, le détachement caractérise la réception. Or, pas de réception sans donation qui la précède et la constitue. Donc, privilégier la Gelassenheit est aussi partiel que de comprendre la réception sans la donation.

c) L’autodonation du principe

Considérons le premier temps qui est la donation. Eckhart l’exprime dans le lexique déjà bien arpenté de la donation [10]. Mais il emprunte à Albert un autre vocable, beaucoup plus inédit, celui du bouillonnement. Considérons-les tour à tour.

1’) Le don de soi

Mais, avant de parler de cette expressivité de soi qu’est le don de soi, rappelons combien Eckhart est sensible à l’ineffabilité divine.

a’) L’ineffabilité divine

Eckhart se rattache clairement à la tradition dionysienne de la théologie apophatique. En effet, Dieu dépasse toute conception. C’est ce que signifie la conversion de l’Apôtre : « Paul se releva de terre, et les yeux ouverts, il ne vit rien [11] ». Ce qui est vrai de Dieu en son essence, l’est particulièrement du Père : « Tout ce que le Père a et ce qu’il est » est « l’abîme sans fond de l’être divin et de la nature divine [12] » ; Eckhart parle de la « chambre qui est la ténèbre silencieuse de la paternité cachée [13] ». Or, le nom exprime le concept. Donc, Dieu outrepasse toute nomination, il est indicible : « Dieu qui est sans nom est inexprimable [14] ». Cette indicibilité divine est signifiée par Eckhart par l’emploi du terme Gottheit, « divinité », qui est le Dieu voilé dans son intimé antérieure à toute manifestation même intradivine.

Pour autant, Eckhart n’en demeure pas à cet apophatisme que certains philosophes et théologiens contemplent de manière privilégiée. En effet, de ce fond sans fond surgit la plus inattendue des fécondités. « La pensée de la Déité est difficile à saisir chez Maître Eckhart. Elle s’éclaire cependant par considération du Fils qui est ‘une image au-dessus de l’image, une image de la Déité cachée’ (Sermon 72). C’est lui qui manifeste la Déité cachée, lui qui est de Dieu est devenu homme [15] ».

b’) La générosité dative du Père

Pour Eckhart, Dieu est don, qu’il s’agisse de sa vie divine ad intra ou de la vie divine ad extra. Illustrons la première : « Dieu est et est nommé amour, […] parce qu’il donne tout ce qui est à lui et lui-même [16] » ; « La nature de Dieu, son Être et sa vie, c’est de subsister en se communiquant et en se donnant totalement soi-même [17] ». Illustrons la seconde, c’est-à-dire la création. « La création donne ou confère l’être [18] ». Déjà, Thomas affirmait que « créer, c’est donner l’être [Creare est dare esse] [19] ». Le Rhénan innove non quant au contenu, mais quant au vocabulaire, en introduisant le terme collatio [20] : « la création est la collation de l’être [creatio est collatio esse] [21] ». Et le don est l’acte de l’amour. En même temps, il le corrèle à la communion : « L’amour est unifiant et diffusant [amor est uniens, diffusivus] [22] ». « Le premier principe en effet est abondant de et par soi-même [23] ».

Ce qui est vrai de Dieu en général l’est en particulier du Père. Le mystique rhénan identifie la première Personne divine, le Père (Pater/Vater) à une générosité infinie. Cela signifie que le Père non seulement donne, non seulement se donne, mais se donne totalement et sans reste : « La paternité descend tout entière en son inférieur, et encore ‘donne à tous abondamment’ (Jc 1,5) [24] ».

Le Thuringien exprime parfois la générosité en termes de fécondité : « La paternité est le nom de la fécondité. Et Dieu le Père transvase tout ce qu’il est dans le Fils [25] ». Cette fécondité est développée dans un beau paragraphe du commentaire du quatrième Évangile, à partir de l’exemple du végétal, lui-même de provenance biblique (Is 11,2) :

 

« Une bouture [virga] s’est élevée de la racine de Jessé, et de celle-ci une fleur a éclos : ‘la racine’ est le Père, ‘la bouture’, Son Fils, et ‘la fleur’, en est le Saint-Esprit. Il suit de là que : ‘sur Lui repose l’Esprit du Seigneur’, autrement dit la fleur. À cela peut être référé ce qu’Hermès Trismégiste affirme : ‘La monade engendre la monade et réfléchit sur elle-même sa propre ardeur’ [Monas monadem gignit et in se suum reflectit ardorem]. Il est donc évident qu’en Dieu, en raison qu’il est cause première, modèle de tout être et de tout étant [causa prima et exemplari omni entis et entitatis], sont le Père, le Fils et l’amour procédant d’eux, à savoir l’Esprit, et ‘ces trois-là sont un’ : une seule substance [substantia], un seul être [esse], vivre et connaître [26] ».

 

Ce riche texte montre d’abord que le schème de la fécondité permet de penser la totalité des processions trinitaires et donc de rendre compte des Personnes divines en leur différence et en l’unité de leur substance. Ensuite, la citation du Trismégiste, de saveur néoplatonicienne, conjugue la fécondité et la réflexivité, sans que pour autant la divinité se reploie égotiquement sur elle-même. Enfin, j’oserais affirmer que l’image du végétal est plus qu’une métaphore : elle est le premier degré d’une induction scalaire qui commence dans la nature et s’achève en Dieu.

Enfin, Eckhart le dit aussi en termes négatifs. Donnant tout à l’autre, il ne garde rien pour lui : « le Père engendre son Fils unique et lui donne la racine, et toute la Déité, et toute sa béatitude et ne réserve rien pour lui-même [im selben niht enbeheltet] [27] ».

c’) La gratuite donation

Pour Eckhart, Père se donne non seulement sans reste (tout entier), mais sans retour (gratuitement). La génération du Père est un « acte libre de toute cause », « sans pourquoi [ohne weil/âne warumbe] » : « Dieu agit sans ‘pourquoi’ et n’a pas de ‘pourquoi’ [28] ». Le mystique ne peut que constater le fait : le Père « est poussé » à donner : « Par son fond, par sa nature, par son être, le Père est poussé à engendrer [beweget ze geberne] [29] ». Au point qu’Eckhart estime que cette donation est nécessaire : « Note sa bonté, lui qui est si bon que donner est pour lui une nécessité [30] ».

Pour autant, la pureté de la motivation ne conduit pas à la mystique de l’amour pur où la pureté de l’amour se paie de la joie même de donner. En effet, il n’hésite pas à affirmer que le Père « engendre son Fils et cet acte est pour lui si délectable et lui plaît tant qu’il ne fait rien d’autre qu’engendrer son Fils et tous deux font fleurir le Saint-Esprit [31] ».

d’) La générosité jaillit du cœur

Considérons non plus le terme, mais l’origine. Cette fécondité n’est si sublime que parce qu’elle est intime. Elle n’est absolue que parce que le cœur s’y résout et s’y engage. Autrement dit, c’est du sein même du Père que jaillit l’engendrement. N’est-ce pas ce que suggère le prologue de Jean qui parle du « sein du Père » ? « Dans cet Un, le Père engendre son Fils en la source la plus intime [32] ». Reprenons la citation ci-dessus dont nous n’avons commenté que le terme : « Par son fond [grunt], par sa nature, par son être, le Père est poussé à engendrer [33] ». Le Père engendre à partir de ce qu’Eckhart balbutie, multipliant les noms, « fond », « nature », « être ». « Dieu demeure dans le fond du Père [34] ».

Peut-on avancer et sonder ce qu’est ce « fond » ? C’est ce qu’un chercheur a fait auquel nous renvoyons [35]. Peut-être est-ce le sens de l’adjectif eckhartien d’« incréé [increatum/ungeschaffen] » – qui est « très peu traité par les commentateur [36] ». Il renvoie aussi au concept néoplatonicien de mansio (entre exitus et reditus), c’est-à-dire de « demeurer en soi » ou en son fond.

Ainsi, le Dieu inexprimable ne demeure pas inexprimé : puisque c’est de son fond même que jaillit le Fils et cet abîme sans fond est la condition même de sa fécondité. Dès lors aussi, sa solitude n’est pas un isolement ; elle est la condition de l’enfantement du Fils. Et celui-ci exprime parfaitement le Père qui lui a tout donné, toute sa Déité : « La racine de la Déité [Gottheit], il l’exprime absolument en son Fils [37] ». En effet, le Fils s’appelle Verbe ; or, le verbe dit :

 

« Dans ce même Verbe, le Père se dit lui-même, il dit toute sa nature divine et tout ce que Dieu est, comme Il le connaît ; et Il le connaît comme Il est. Et puisqu’il est complet dans sa connaissance et dans sa puissance, Il est également complet dans son dire. En disant le Verbe, Il se dit lui-même et toutes choses en une autre Personne et donne au Verbe la nature qu’il est lui-même [38] ».

e’) La réceptivité finale

Ajoutons un dernier point qui n’est pas le moins étonnant. Pour Eckhart, le Père n’est pas seulement le Principe sans principe (« commencement sans aucun commencement [39] »), il est aussi le Terme sans terme. En effet, « le Père est le commencement de la Déité » ; or, « le commencement est là en vue de la fin [40] » ; voilà pourquoi le Père est ce « silence » où « le désir de l’être s’apaise [41] », où tout être vient trouver le repos final.

C’est ce que Pierre Gire tente de dire de manière un peu sophistiquée : le Père « représente à la fois la capacité de position existentielle de l’Essence divine et l’origine, par le Verbe médiateur, de toute génération créaturelle ». Autrement dit, il « se définit comme l’élément-principe de la structure divine », et reçoit « du Fils engendré la reconnaissance intelligente dans la communion de l’Esprit-Saint [42] ». Le Rhénan semble emprunter au « caractère cyclique qui rappelle les hénades procliennes [43] » : de fait, elles engendrent en se réfléchissant. Mais ne faudrait-il pas plutôt dire qu’il médite sur la communion trinitaire où le Père est Alpha et Oméga, et donc sur une dynamique quaternaire du don qui s’achève dans un recevoir en retour (don D).

2’) L’ebullitio de l’être ou le don de soi

a’) Le bouillonnement en général
1’’) Sources

Eckhart exprime l’extase dative de Dieu à partir d’un vocabulaire original emprunté à saint Albert le Grand : l’ebullitio [44]. Ce lexique est passé chez deux mystiques rhénans, Thierry de Freiberg et Berthold de Moosburg [45].

Eckhart déploie cette notion surtout dans trois textes : le Commentaire de la Sagesse, le Commentaire de l’Évangile de saint Jean et le Sermon XLIX. Mais elle se trouve aussi ailleurs. Par exemple, Eckhart ose employer cette image pour commenter l’autonomination divine « Je suis qui je suis » [46] – ce qui rompt assez radicalement avec l’interprétation augustinienne, et même thomasienne.

2’’) Sens imagé

Le Thuringien est sensible à l’image de l’écoulement. Ainsi, dans l’œuvre allemande, plus concrète et parfois plus poétique, il exprime la création comme un écoulement, constatant d’ailleurs que, paradoxalement, elle est à la fois extatique et instatique : « C’est une chose étrange qu’une chose s’écoule au-dehors et reste cependant au-dedans [47] ».

Le signifiant lui-même épouse parfois le signifié. Eckhart se met à bouillonner de mots pour dire le mystère de la fécondité de l’Un. Ainsi, se fondant sur la parole de Paul sur la paternité divine source de toute paternité terrestre : « L’Un lui-même de sa propre raison revient, ferme, fleurit et spire ou encore se diffuse [redundat, germinat, floret et spirat sive diffunditur] en toute chose aussi bien incréée que créée [48] ».

3’’) Sens conceptuel

Allons plus loin. Peut-on accorder un contenu conceptuel à l’ebullitio ? De manière générique, ce mot appartient au registre du flux qui est central chez le maître de Cologne. Le substantif ebullitio vient du verbe ebullire, qui est transparent du français « bouillonner » qui a lui-même donné le nom « ébullition ». Ce verbe « signifie « agir par essence (… per se et secundum suas essentias agunt…) ; autrement dit, il désigne l’identité de l’action avec l’essence de l’agent, donc sa spontanéité [49] ». Eckhart peut l’identifier à la génération, parlant d’« un certain bouillonnement ou enfantement de soi [bullitionem sive parturitionem sui] [50] ». En creux, il désigne un refus de la causalité aristotélicienne et dit plus que le seul Bonum diffusivum sui des platoniciens. En plein, il signifie un nouveau « théorème de la participation [51] ». Plus précisément, il « entend exprimer quelque chose de ce jaillissement de vie, par lequel il rend compte de la réalité même de Dieu [52] ». Il est proche de la notion bonaventurienne de plenitudo fontalis [53].

Eckhart lui-même interprète notionnellement ce qu’il appelle une « image » : « L’image est proprement une simple émanation, formelle, transvasive de toute la pure essence nue [54] ». Lisons un passage plus développé :

 

« Une certaine vie, comme si tu imaginais une chose se dilatant à partir d’elle-même et bouillonnant en elle-même et sans encore y comprendre une ébullition. En effet, il y a trois degrés de production dans l’Être : le premier, duquel il a été maintenant traité, par lequel quelque chose produit par lui et de lui-même et en lui-même, répandant formellement une nature nue, sans que la volonté collabore, mais plutôt accompagne, en sorte que vraiment ‘le bien soit diffusif de soi’ ; en outre, par ce moyen, le ‘vouloir’ trouverait son principe sans y comprendre une finalité. Le deuxième degré est comme une ébullition sous la logique de l’efficience, et ordonné à une fin, au moyen de laquelle il produit quelque chose par lui-même, mais non à partir de lui-même. Donc : ou bien c’est à partir de quoi que ce soit, mais différent, et c’est appelé ‘fabrication’, ou bien c’est à partir de rien, et c’est le troisiième degré de production, qui est appelé ‘création’ [55] ».

 

Commentons brièvement ce texte (je n’ai malheureusement pas eu accès au texte original).

  1. Le bouillonnement en général est triplement notifié, en sa nature, en sa figure et en sa cause : en sa nature comme « une certaine vie » ; en sa figure ou forme comme une expansion (« se dilatant ») et un bouillonnement, c’est-à-dire comme un type particulier de jaillissement (pluriel, ébauché) ; en sa cause efficiente comme auto-procession intime, en son principe (« à partir d’elle-même ») et en son terme (« en elle-même »).
  2. Les « trois degrés de production dans l’Être » qui vont du bouillonnement (bullitio) à l’ébullition (ebullitio).
  3. Le premier semble être encore la bullitio. Il est décrit en négatif par l’absence de volonté, mais aussi en positif comme une réalisation de l’axiome néoplatonicien du « bonum diffusivum sui ». On pourrait y retrouver non seulement forme et cause, mais un équivalent des quatre causes.

Le processus est d’abord caractérisé par sa forme ou figure comme un épanchement (« répandant »). Celle-ci rajoute à la dilatation, une communication. De plus, elle est corrélée à la forme puisqu’Eckhart précise en adjoignant l’adverbe « formellement ».

Il l’est ensuite, plus subtilement, approché en sa « matière » dans l’expression « répandant formellement une nature nue ». Ici c’est la « nature nue » qui joue le rôle de matière. Nue signifie simple, et nous avons vu que cette simplicité est la condition de l’authentique don de soi et don total de soi : tout ce qui est complexe ne se donne que par parties et donc en partie. Et l’expansion bouillonnante permet à cette nature simple (l’être même de Dieu) de se livrer totalement.

Il est aussi caractérisé par sa cause efficiente. Sont soulignées l’initiative (« par lui »), l’origine intime (« de lui-même », qui redouble la précédente expression « à partir d’elle-même ») et le terme qui est lui aussi intérieur (« en lui-même », qui redouble là encore la précédente expression « en elle-même »). C’est ici qu’intervient l’absence de volonté. Pour Eckhart, le processus caractéristique du premier degré est un dynamisme que l’on pourrait qualifier de naturel, versus volontaire. Ainsi, le Rhénan apparaît encore comme un médiéval pour qui la nature est un « principe » antérieur au « vouloir », alors qu’un modèle ferait de la liberté un principe plus profond que la nature.

Enfin, il est possible d’identifier une fin qui est à la fois niée (« sans y comprendre une finalité ») en tant que fin voulue intentionnellement, mais aussi, me semble-t-il, affirmée, comme fin immanente : l’épanchement pour lui-même de cette nature simple.

  1. Les deux autres degrés font intervenir la volonté (enracinée dans cette bullitio originaire). La lecture est dès lors transparente : avec la volonté comme cause efficiente apparaît aussi la fin qui est visée par le vouloir. Nous allons voir maintenant que la bullitio devient ebullitio, ou plutôt se prolonge en elle. Surtout, nous concrétiserons cette différence, ce qui lui donnera toute sa pertinence, dans la distinction entre la communication divine ad intra qu’est la génération, et la communication divine ad extra qu’est la création. Or, autant la seconde est libre, donc volontaire, autant la première ne l’est pas (et pour un médiéval, surtout disciple de Thomas, le fruit de la nature : l’engendrement éternel du Fils se fait ni par liberté ni par contrainte, mais par nature).
4’’) Origine et difficulté

Ce vocabulaire semble provenir du néoplatonisme. Pour autant, il est christianisé :

 

« Eckhart à la fois proteste de sa préférence pour Aristote, et à la fois utilise dans le Sermon XLIV (véritable texte de référence à cette notion dans l’Opus Sermonum) la formule Bonum diffusivum sui. Le schéma de la bullitio y est présenté dans un contexte créationnel et sotériologique [56] ».

b’) Le double bouillonnement

Eckhart ajoute aussi à ses prédécesseurs en distinguant plusieurs types de bouillonnement. La longue citation y a déjà fait allusion :

 

« Trois degrés y sont abordés. La bullitio initiale, fécondité de Dieu en Dieu, se prolonge jusqu’à un second degré, et n’est pas encore la création. Dans ces deux premiers degrés, ce sont les relations trinitaires, et donc le dépassement de toute idée d’Un et de pluralité, en conformité avec la conception avicenienne de l’Essence nue qui sont en jeu [57] ».

 

Plus encore, il notifie cette distinction de contenu par la distinction des mots à laquelle il accorde un sens technique : bullitio et ebullitio [58]. Bien que voisins, ils possèdent une quiddité différente. Le premier terme est au second ce que la Trinité immanente est à la Trinité économique. Précisément, bullitio signifie l’impétuosité ad intra, caractéristique de la vie intime des Hypostases divines, alors que ebullitio cette même efferverscence, mais ad extra.

 

« Dans la logique du Bien, Dieu est le principe d’un bouillonnement agissant vers l’extérieur [ebullitio], mais dans la logique de la connaissance [notionis], il est le principe d’un bouillonnement en lui-même [bullitio], qui est lui-même orienté vers le bouillonnement [ebullitionem] selon la cause et le modèle [causaliter et exemplariter] [59] ».

 

En fait, la très grande similitude des noms entend signaler la très grande continuité des deux processus de génération éternelle et de création temporelle.

 

« Dieu ne parle qu’une seule fois, mais l’on entend deux choses, comme dit le Psaume ; et Jb 3,3 : ‘Dieu parle une fois pour toutes, ce qu’il est, il ne le répète pas’, parce que c’est par une seule action qu’il engendre le Fils, qui est l’hériter, lumière de la lumière, et qu’il crée la créature qui, ténèbre, créée, faite, n’est ni Fils, ni héritière de la lumière, de l’illumination et de la création [60] ».

 

L’œuvre allemande, d’ailleurs, peut employer un autre terme, percée [Durchbruch], pour exprimer cette continuité : « Ma percée est plus noble que ma création [61] ».

La continuité entre Dieu et sa créature humaine est telle qu’Eckhart n’hésite pas à parler d’une bullitio dans le cas même de l’âme humaine qui enfante le Fils, ou plutôt en qui Dieu naît :

 

« Pour que le Fils de Dieu naisse en nous [in nobis nascatur], pour qu’il vienne dans notre esprit, il importe que le silence et le repos enveloppent toutes choses. En effet, le Fils est l’Image du Père et l’âme est créée à l’image de Dieu. Mais l’âme, en fonction de sa raison et de sa nature, est une certaine production formelle, réalisée dans le silence par la cause efficiente et finale. Alors que les créatures viennent de l’extérieur dans ce qu’on appelle une ebullitio, l’âme, en tant qu’émanation formelle, se comprend elle-même comme bullitio [62] ».

 

Commentons brièvement ce passage étonnant. Eckhart s’efforce de penser ce que Dieu opère non plus dans la création, mais dans l’œuvre de la grâce qu’est l’enfantement surnaturel.

  1. Pour cela, il dispose des catégories scolastiques. Or, les notions de cause efficiente et finale ne lui suffisent pas, parce qu’elles sont des causalités extrinsèques (« les créatures viennent de l’extérieur »). Aussi fait-il appel au concept de cause formelle (« production formelle ») – osant convoquer une cause intrinsèque, ce à quoi Thomas se refuse, ne dépassant pas le registre de la cause exemplaire, c’est-à-dire de la cause formelle extrinsèque. On voit toutefois que le Rhénan a conscience de son audace et émousse celle-ci en ajoutant « une certaine production formelle ».
  2. Pour la compléter, il fait alors appel aux deux notions-schèmes de bullitioet d’ebullitio. Nous ne revenons pas sur ce point, mais relevons un dernier point qui mériterait une analyse à part entière : « le silence et le repos ». Pourquoi l’introduction de ce registre de prime abord hétérogène (plus anthropologique, voire plus éthique) ? J’émettrais l’hypothèse suivante : Eckhart les conjugue à une autre symbolique spatiale, l’enveloppement : « le silence et le repos enveloppent toutes choses ». Sans détailler cette notion, selon moi essentielle, d’englobement ou d’apudité (« être-chez »), à laquelle je serais prêt à accorder un statut transcendantal, je dirais simplement qu’elle participe de manière neuve à la dynamique formante et informante [63]. En effet, d’un mot, de même que la forme informe et transforme du dedans [64], comme un germe, de même la matrice enveloppante forme, configure du dehors, comme un moule.

3’) L’unité entre Dieu et la créature

En le faisandant de néant, Eckhart exténue tellement l’étant créé qu’il convient de repenser l’unité entre Dieu et lui. Or, la doctrine traditionnelle de l’analogie ne suffit pas. En effet, celle-ci suppose un minimum de communauté. Or, entre l’être et le néant, il n’y a rien de commun. Mais Dieu est l’être et la créature, le néant. Nulle analogie ne peut donc construire un pont sur cet abîme infini entre Dieu qui « habite une lumière inaccessible » (1 Tm 6,16) et la créature qui cousine à l’abysse du néant.

a’) Côté divin : métaphysique du Verbe

En fait, Eckhart sauvegarde l’analogie : « l’étant créé peut être considéré comme ayant analogiquement un certain être [65] ». Toutefois, il faut la repenser. En l’occurrence, il lui adjoint une « métaphysique du Verbe [66] ». D’un mot, si je comprends bien, après avoir souligné l’inconsistance des créatures, Eckhart l’équilibre en montrant la consistance des Idées divines ; or, celles-ci fondent l’être des choses en Dieu. C’est ce qu’affirme la parole du prologue affirmant que toutes choses ont été faites par le Verbe (Jn 1,3). Voici comment Eckhart commente : « Rien n’a été fait sans lui, parce que, en Dieu, les raisons des choses sont éternelles et sont l’être de toutes les choses qui sont en Dieu ou de celles qu’il a faites [67] ».

On peut encore le dire autrement. En effet, l’analogie assure la médiation, l’unité entre les extrêmes. Or, le Verbe présente un biface : d’un côté, il est tourné vers Dieu qui est immuable et de l’autre, tourné vers les créatures qui sont changeantes. De fait, Eckhart pense le Verbe à partir de la dynamique communicative ou dative. Car, commentant la première parole du prologue (Jn 1,1) il le corrèle au Principe. Et il développe cette corrélation ainsi : « 1) ce qui procède est dans le producteur, 2) il est en lui comme la semence dans son principe, 3) comme le verbe en celui qui parle, 4) et il est en lui comme la raison dans laquelle et d’après laquelle procède ce qui est produit par le producteur [68] ». Donc, pour Eckhart, le Verbe assure la conjonction entre le pôle incréé et le pôle créaturel. D’ailleurs, cette procession est tellement une communication qu’elle produit un fils, donc un être qui se trouve non pas subordonné, mais égale à sa source [69]. Cela ne vaut bien entendu que de Dieu, mais c’est dire à quel point la production du Verbe comble l’abysse dont il était question ci-dessus.

Dit encore autrement, Eckhart pense l’analogie de manière ontologique ou réelle (et non pas seulement logique ou noétique). Non pas seulement à partir de la participation, mais à partir de l’engendrement éternel et de la création qui en est le prolongement, ainsi que nous l’avons vu. Je glose : s’il y a quelque chose de commun entre Dieu qui est l’Être et la créature qui est le néant, cela tient à ce que l’un se communique à l’autre par le Verbe.

b’) Côté créature : métaphysique de l’adverbe

Une conséquence en est donc l’importance pour les créatures humaines de se laisser engendrer à leur tour.

Une autre conséquence en est que l’analogie doit transformer les deux pôles. Or, du côté divin, Dieu se présente comme Verbe. Donc, par correspondance, la créature se présente en relation avec le verbe. Comment le comprendre ? Eckhart propose de voir en elle un… ad-verbe. À ce sujet, Eckhart explique sur le ton de la confidence qui ne semble pas être seulement rhétorique :

 

« En ce moment, j’ai en tête le petit mot quasi, qui signifie comme. À l’école, les enfants appellent cela un ‘adverbe’. C’est ce que j’ai en vue dans tous mes sermons. Ce que l’on peut dire de plus propre au sujet de Dieu, c’est Verbe et Vérité. Dieu lui-même s’est donné le nom de Verbe. Saint Jean dit : ‘Au commencement était le Verbe’, signifiant par là que l’homme doit être auprès du Verbe – adverbe [70] ».

 

Pourquoi adverbe ? Le terme est composé du préfixe ad, « vers », et de la racine « verbe ». Or, de manière générique, ad signifie la relation : le prédicament relation est, en son contenu formel, un esse-ad (par opposition à l’esse-in de l’inhésion). De manière spécifique, la créature est toute tournée vers le Verbe (comme le Fils est lui aussi tourné vers le Père).

 

« Le ‘comme’ [quasi] signifie une relation de similitude. Or, pour la relation, l’être sien est l’être non sien ; pour elle, l’être est non pour elle, mais il est d’un autre, vers un autre et à un autre [alterius, ad alterum et alteri esse] [71] ».

 

Cette théologie-métaphysique de l’adverbe qu’Eckhart esquisse ne peut qu’enchanter Stanislas Breton qui corrèle ce statut à la relation elle-même constitutive de l’étant créé : « Plus précisément, le statut adverbial de l’âme se modèle sur l’être relationnel du Verbe dont il est dit qu’il était ‘dans le principe’ (inprincipio) et ‘auprès de Dieu’ [72] ».

Une conséquence – que nous ne développons pas – de la doctrine eckhartienne de l’autocommunication de l’être est que l’analogie est pensée elle aussi à partir de la donation [73]

 

« Chez Eckhart, l’analogie est une analogie d’attribution (analogia attributionis), dans laquelle le premier principe se communique dans sa totalité, mais n’est présent en réalité que sous la forme d’un prêt. Elle se distingue de l’analogie de proportion (analogia proportionis) de Thomas d’Aquin [74] ».

d) La Gelassenheit ou la réceptivité

Après avoir considéré le pôle datif, envisageons maintenant le pôle réceptif. Eckhart le réinterprète aussi, en l’occurrence en termes de détachement (Gelassenheit).

1’) L’importance

Nous sommes ici au « nœud de la doctrine eckhartienne [75] ». En effet, le détachement est « la manière fondamentale d’être à Dieu [76] ». Voire, non contente de signifier l’attitude décisive de l’homme, elle pourrait désigner Dieu. Ainsi dans un traité dont l’authenticité ne fait pas l’unanimité, dont l’intitulé est justement Du détachement, Eckhart ose cette formule : « le suprême détachement, Dieu lui-même [oberste abegescheindenheit, daz ist got selber] [77] ».

Si l’on a raison d’insister sur la centralité de cette notion, d’une part, on ne l’interprète pas assez clairement à partir de la réception (dont elle est la forme radicale, voire extrême), d’autre part, on ne la subordonne pas assez à la donation qui est première : l’homme n’est appelé à vivre de cet aban-don que parce que d’abord Dieu se donne.

2’) Le vocabulaire

Eckhart parle de « se-laisser : sich-lassen » ou de Gelassenheit, « abandon ». Autrement dit, il convoque le lexique du dessaisissement, de la désappropriation, du détachement.

Ekh fait aussi appel au registre de la pauvreté : « Celui-là est un homme pauvre [arm mensche] qui ne veut rien, ne sait rien, n’a rien [78] ».

Plus radicalement, il parle d’anéantissement, de « devenir néant » : « Ton être même doit devenir néant [dîn selbes icht mûz werden nicht[79] ».

Eckhart fait aussi volontiers appel à des tensions paradoxales, voire dialectiques, par exemple entre « rien » et « tout » – « Rien et Tout sont réciproquement opposés [80] » – ou entre « Un » ou « quelque chose » et « Néant » – « Dans cet Un, nous devons éternellement nous abîmer du Quelque chose au Néant [versinken von ihts zu nihts] [81] ». La raison en est que l’âme doit être rien pour pouvoir devenir tout.

3’) La notion

D’un mot, « chez Eckhart, la perfection de l’intellect est dans le ‘désaisissement’ et non dans la saisie du concept [82] ». Alors que le dominicain italien saint Thomas contemple cette perfection dans la fécondité d’un verbe (verbum cordis), donc dans le don, le dominicain rhénan, lui, la contemple dans l’abandon. Dans les termes de la dynamique du don, Eckhart insiste sur la réceptivité qu’il élargit au maximum. Il faut donc interpréter le lexique du « rien » et du « néant » à partir de la thématique de la réception : être rien, c’est rien par soi-même ; en positif, c’est être en recevant l’être d’un autre.

4’) La finalité

La finalité immédiate est de recevoir Dieu : don et réception sont proportionnés ; or, Dieu veut se donner totalement ; donc, l’homme doit totalement se dépouiller pour le recevoir totalement. Voilà pourquoi Dieu est reçu au-delà même de ce que l’âme peut en comprendre : « Toute la compréhension que nous avons est si différente du sens que ces choses ont en elles-mêmes et en Dieu qu’on peut la tenir pour néant [83] ».

Mais la finalité ultime est de s’unir totalement à Dieu. Précisément, dans la « Déité », Gottheit, l’homme et « Dieu », Gott [84], ne font plus qu’un. Voilà pourquoi l’abandon établit « une parenté d’espèce divine », parce que « c’est Un en soi-même, cela n’a rien de commun avec quoi que ce soit […]. C’est un désert trop innommable pour qu’on le nomme, trop inconnu pour qu’on le connaisse [85] ». De fait, Dieu se caractérise par sa simplicité, ainsi que nous l’avons vu. Or, dans l’abandon, « l’homme qui s’est laissé lui-même est si pur que le monde ne peut pas le souffrir [86] ».

5’) Conséquences pratiques

Cette attitude ne va pas sans conséquence morale : « Le néant de l’âme est alors le sacrifice de toute ambition et de toute capacité de se fonder soi-même et d’être causa sui dans un sens absolu [87] ».

Cette attitude intérieure requiert un renoncement total : « Il faut te laisser toi-même, te laisser totalement, c’est alors seulement que tu laisses droitement [88] ».

6’) Confirmation

Nous retrouvons ici la conception balthasarienne de la connaissance comme obéissance et, plus généralement, de la créature, voire de l’être, comme ouverture de pure disponibilité. Même si, nous allons le redire, le théologien lucernois prend ses distances à l’égard du mystique rhénan, celui-ci a bien fait de l’obéissance l’attitude radicale, la clé du détachement : « Dans la véritable obéissance, on ne doit pas trouver : Je veux telle ou telle chose, ceci ou cela, mais un total renoncement à ce qui t’est propre [89] ». Or, répétons-le, cette obéissance est identiquement une réception :

 

« Il ne faut pas prier Dieu pour qu’Il répande sur nous la lumière de la grâce, mais il faut prier pour que nous devenions dignes de la recevoir […]. Seigneur, donne-oi seulement ce que tu veux et fais, Seigneur, ce que tu veux et de la manière que tu veux [90] ».

e) La réflexivité adverbiale ou le don à soi

1’) L’adverbe humain

La difficulté de toute ontologie de l’amour-don, est d’accorder une juste place au don à soi (comme sujet comme substance). Elle est aussi de ne pas relativiser la connaissance au profit de l’amour. En fait, celle-ci doit être réinterprétée en termes d’esprit et de verbe.

2’) Une pensée du cœur

Nous l’avons vu, le mystique Eckhart ne voit pas d’abord Dieu en dehors de l’âme, mais comme lui étant intérieur. Constamment, il valorise l’intériorité, voire l’intériorité la plus intime, qui est le « lieu » même de Dieu.

 

« Dieu n’est nulle part aussi véritablement que dans l’âme et dans l’ange, si tu veux, dans le plus intérieur de l’âme et dans le plus élevé de l’âme. Et quand je dis ‘le plus intérieur’, je veux dire le plus élevé, et quand je dis ‘le plus élevé’, je veux dire le plus intérieur de l’âme. Dans le plus intérieur et le plus élevé de l’âme, je veux dire les deux en un seul. Là où le temps ne pénétra jamais, où nulle image ne rayonna jamais : dans le plus intérieur et le plus élevé de l’âme, Dieu crée cet univers entier [91] ».

 

Commentons brièvement. D’abord, Eckhart reprend explicitement le vocabulaire augustinien, ici de l’intimior intimo meo et du superior summo meo [92], non sans l’amplifier. De plus, il l’unifie en faisant converger les deux symboliques : « dans le plus intérieur de l’âme et dans le plus élevé de l’âme ». En outre, il associe le temps à la symbolique spatiale, corrélant le plus sublime et le plus intime à l’éternité (dans son opposition au temps). Enfin, il inverse l’espace intérieur, montrant que le plus petit peut contenir le plus grand, lorsque, pour parler le langage de Pascal, on s’élève d’un ordre à un autre. Concrètement, Dieu qui a créé l’univers entier hors de l’âme, « crée cet univers entier dans le plus intérieur et le plus élevé de l’âme ». Nous trouvons ici tout à la fois une application et une transfiguration de la loi fractale.

Et ce qui est vrai de l’univers dans l’ordre de l’esprit vaut a fortiori pour l’ordre de la charité : non seulement Dieu crée l’univers, mais il engendre son Fils en nous. C’est le thème éminemment eckhartien de la naissance de Dieu dans l’âme [93], sur lequel les études ne manquent pas [94]. Continuons le texte cité et commenté ci-dessus : « Le Père engendre son Fils dans le plus intérieur de l’âme ». En effet, « si je dois être Fils, il faut que je sois Fils dans le même être dans lequel il est Fils ». Au fond, Eckhart ne fait que développer l’intuition patristique selon laquelle la divinisation est la fin de l’incarnation – « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu » (Athanase) – dans la ligne de son intuition de la double naissance, éternelle et temporelle : « Pourquoi Dieu s’est-il fait homme ? – ce qui fut le plus sublime –, je dirais : pour que Dieu naisse dans l’âme et que l’âme naisse en Dieu [95] ».

f) Le centre : l’amour

Enfin, tout le propos antérieur peut trouver sa « synthèse ultime [96] » dans l’amour ou plutôt dans l’être comme amour. Comment s’en étonner ? Nous venons de déployer les différents moments de la rythmique dative ; or, le don est l’acte même de l’amour sinon son essence. Et l’amour qui bouillonne au sein de la Trinité, anime le cœur d’Eckhart et conduit toute son œuvre, est « pressant, ardent [97] ».

1’) Thèse

D’un mot, pour Eckhart, l’être est amour. Cela est déjà vrai en Dieu : « Dieu n’est un amour ni moins ni autre que son propre être [Est autem Deus non minus nec aliter caritas quam suam esse] [98] ».

Le fondement est scripturaire. Si l’exégèse eckhartienne du « Je suis celui qui suis : Ego sum qui sum » (Ex 3,14) est travaillée, en revanche, celle de « Dieu est amour : Deus caritas est » (1 Jn 4,8.16) l’est trop peu [99].

2’) Preuve

Un concept essentiel de Maître Eckhart demande à être explicité : celui de « commun », ici d’« amour commun ». Par exemple : « Dieu, lui, est tout entier amour commun [caritas communis] [100] ». Commun, bien entendu, ne se comprend pas au sens courant de banal ou ordinaire. Il ne s’entend pas non plus au sens logique et statique de général ou même d’universel. Il s’entend au sens ontologique et dynamique de ce qui est communiqué ou de ce qui a été communiqué (résultat de la communication). En ce sens, Dieu est « commun » car tout ce qui appartient à une Personnes divine appartient aux deux autres (hors ce qui est spécifique de cette Personne).

Pour le comprendre, il est bon de lire un texte particulièrement important et détaillé :

 

« [§ 52] Par le fait que Dieu est abstraitement nommé ‘amour’, premièrement, la simplicité absolue, la plus pure de Dieu, est établie, puis, à partir de là, la primauté de Celui-ci en toutes chose, et, plus encore : l’être lui-même est un être simple (Ex 3,14 : je suis celui qui suis) […].

« [§ 53] ‘Dieu est amour’. Premièrement, parce que l’amour est commun, n’excluant personne. À partir de cette communauté, remarque deux choses. [a] Premièrement, que Dieu est commun. Lui-même est tout étant et tout être de toutes choses : ‘en lui, pour lui, par lui’ (Rm 11,36) […]. [2] Deuxièmement, remarque que tout ce qui est commun (à tout), dans la mesure où c’est commun, est Dieu, et tout ce qui n’est pas commun, dans la mesure où ce n’est pas commun, n’est pas Dieu, mais créé. Toute créature est quelque chose de fini, limité, distinct et particulier : ainsi, elle n’est déjà plus l’amour. Mais, Dieu, lui, est entier amour commun.

« [§ 54] Deuxièmement, en premier lieu, Dieu est et est nommé amour. [1] Parce que lui-même est celui qui aime, et cherche tout ce qu’il peut aimer. [2] Et encore : lui-même est celui seul qui est aimé et recherché par tous et en tous. [3] Ensuite, lui-même est celui en lequel tout ce qui est ou peut être subsiste en cherchant et en aimant […].

« [§ 55] Troisièmement, Dieu est amour, parce que lui aime tout entier […]. [8] Huitièmement, parce qu’il donne tout ce qui est à lui, et lui-même. Là, dis que rien de créé ne donne ce qui est à soi, ni de même, ne donne tout de soi, ni ne se donne lui-même. [9]. Alors, neuvièmement, dis que la nature, la vie et l’être de Dieu consiste à se communiquer, et à se donner soi-même tout entier. ‘Le premier principe en effet est abondant de et par soi-même’ [Denys] [101] ».

 

Il faudrait longuement commenter ce texte capital. Contentons-nous de quelques commentaires. Son intention est de rendre compte de l’affirmation johannique selon laquelle « Deus caritas est ».

  • 52. Il semble qu’Eckhart fait de l’amour est l’attribut premier à partir duquel il éclaire les autres, notamment celui qui est premier chez Thomas, à savoir « la simplicité absolue ». À moins qu’il ne se contente de rapprocher simplicité (et donc pureté et unité) et amour, les illuminant l’un par l’autre. La solution de cette difficulté apparaîtra au terme.
  • 53. Premier argument. Il est tiré de la notion de communauté.
  1. La notion de « amour commun » est explicitée : il s’agit d’un amour « n’excluant personne ». Eckhart considère-t-il le résultat ou le processus ? Là encore, la réponse ne sera offerte qu’au § 55.
  2. En appliquant cette idée de communauté, Eckhart aboutit à cette conclusion paradoxale : Dieu, qui est l’être le plus singulier qui soit, est pourtant le plus commun : « tout ce qui est commun (à tout), dans la mesure où c’est commun, est Dieu ». En effet, « est tout étant et tout être de toutes choses ». En revanche, les créatures, elles, ne sont pas et ne peuvent pas être tout ; donc, elles ne sont pas communes.
  • 54. De manière originale, Eckhart réfracte ce deuxième argument en trois : l’activité aimante universelle de Dieu ; la passivité attirante (le fait d’être aimé), en soulignant là encore l’universalité ; la subsistance des créatures à partir de l’amour, auquel il ajoute le désir, source de recherche. Ce faisant, il montre que l’amour constitue l’être et donc s’identifie à lui. Ultimement, les trois arguments donnés pour montrer que « Dieu est amour » épousent la dynamique du don, passant successivement en revue les dons 2, 1 et 3.
  • 55. Ce troisième argument est aussi l’occasion de préciser en quoi consiste l’amour de Dieu, non plus quant à ses « objets » ou effets, universels, mais quant au sujet qui, lui aussi, est impliqué « tout entier », c’est-à-dire universellement. Ce qui conduit à la formulation pour nous évidente, mais plus originale à l’époque, de don de soi. Le fait même que la formule se cherche, se gradue en trois étapes, montre que son auteur a conscience de son caractère inusité : « donne[r] ce qui est à soi », « donne[r] tout de soi », « se donne[r so]i-même ». Enfin, avec cohérence, Eckhart affirme que Dieu seul se donne ainsi et non la créature [102].

Dès lors, nous comprenons que « commun » doit être corrélé à don de soi : Dieu est commun car seul il est totalement commun-iqué. Dès lors aussi, la simplicité apparaît comme la condition du don total : n’étant pas composé de parties, Dieu seul peut totalement se donner et ne rien retenir de lui. Nous retrouvons la belle intuition de saint Augustin : la Trinité ‘est appelée simple parce qu’elle est ce qu’elle a [103] ».

Pascal Ide

[1] Yves Meessen, L’être et le bien, p. 159. Souligné dans le texte.

[2] Ibid.

[3] Cf. Vladimir Lossky, Théologie négative et connaissance de Dieu chez Maître Eckhart, p. 103.

[4] Maître Eckhart, Expositio In Genesis, § 146 : Die lateinischen Werke, vol. I, p. 77 : Maître Eckhart, Le commentaire de la Genèse, précédé des Prologues, dans L’œuvre latine de Maître Eckhart, vol. 1. Trad. Alain de Libera, Édouard Weber et Émilie Zum Brunn, Paris, Le Cerf, 1984, p. 430-431.

[5] Liber de causis, prop. XX, n. 162, p. 70-71. Cf. Beierwaltes, « Primum dives est per se. Maître Eckhart et le Liber de causis », Émilie Zum Brunn (éd.), Voici Maître Eckhart, p. 285-300.

[6] Stanislas Breton, « L’itinéraire spirituel de Maître Eckhart », Revue de l’Institut catholique de Paris, 28 (1988) n° 4, p. 65-81, ici p. 70.

[7] Proclus, Éléments de théologie, prop. IX.

[8] Maître Eckhart, Sermon 29, Die lateinischen Werke, vol. IV, p. 266.

[9] Vladimir Lossky, Théologie négative et connaissance de Dieu chez Maître Eckhart, p. 365-366.

[10] Il est par exemple très présent chez Thomas, et surtout le premier Thomas, celui du commentaire des Sentences, ainsi que l’a admirablement montré une récente thèse : Louis-Marie Rineau, « Celui qui donne ». Le don d’après saint Thomas d’Aquin, coll. « Bibliothèque de la Revue thomiste », Paris, Parole et Silence, 2018.

[11] Maître Eckhart, Sermon 71, Sermons, trad. Jeanne Ancelet-Hustache, Paris, Seuil, vol. 3, 1979, p. 79.

[12] Maître Eckhart, Sermon 29, Die deutschen Werke, vol. II, p. 84 : Sermons, trad. Jeanne Ancelet-Hustache, tome 1, p. 239.

[13] Maître Eckhart, Sermon 22, Sermons, tome 1, p. 195.

[14] Maître Eckhart, Sermon 77, Sermons, tome 2, p. 119.

[15] Marie-Anne Vannier, « L’expérience spirituelle de la non-dualité chez Eckhart », Chemins de dialogue, 17 (2001), p. 135-157, ici p. 145.

[16] Maître Eckhart, Opus sermonum, VI, § 52.

[17] Maître Eckhart, Opus sermonum, VI, § 1.

[18] Maître Eckhart, Prologus Generalis, § 16, Die lateinischen Werke, vol. I, p. 160, l. 9 : L’œuvre latine, tome 1, p. 61.

[19] In I Sent., d. 37, q. 1, a. 1.

[20] Cf., par exemple, Vladimir Lossky, Théologie négative et connaissance de Dieu chez Maître Eckhart, p. 44-46 ; Marie-Anne Vannier, « Création et négativité chez Eckhart ».

[21] Maître Eckhart, Prologus Generalis, § 16, Die lateinischen Werke, vol. I, p. 160, l. 7 : L’œuvre latine, tome 1, p. 60-61.

[22] Maître Eckhart, Opus sermonum, VI, § 55, 8.

[23] Ibid., § 55, 9.

[24] Maître Eckhart, Opus sermonum, XXXV, n. 362, trad. Devriendt, p. 299.

[25] Maître Eckhart, Opus sermonum, XXXV, n. 363.

[26] Maître Eckhart, Expositio sancti Evangelii secundum Iohannem, § 164 : L’œuvre latine de Maître Eckhart, vol. 6, p. 294-296.

[27] Maître Eckhart, Sermon 27, Die deutschen Werke, vol. II, p. 52, l. 8-11 : Sermons, trad. Jeanne Ancelet-Hustache, Paris, Seuil, tome 1, 1974, p. 227.

[28] Maître Eckhart, Sermon 41, Sermons, vol. 2, p. 71.

[29] Maître Eckhart, Sermon 39, Die deutschen Werke, vol. II, p. 263 : Sermons, vol. 2, p. 59.

[30] Maître Eckhart, Commentaire du Notre Père, trad. Éric Mangin, coll. « Les carnets spirituels », Orbey, Arfuyen, 2005, p. 27. Cf. Opus sermonum, VI, n. 56.

[31] Maître Eckhart, Sermon 4, Sermons, vol. 1, p. 66.

[32] Maître Eckhart, Sermon 5b, Sermons, vol. 1, p. 79.

[33] Maître Eckhart, Sermon 39, Die deutschen Werke, vol. II, p. 263 : Sermons, vol. 2, p. 59.

[34] Maître Eckhart, Sermon 67, Sermons, vol. 3, p. 51.

[35] Cf. McGinn, « The Mysticism of Ground », The Harvest of Mysticism in Medieval Germany, New York, Crossroad, 2005, p. 83-93.

[36] Isabelle Raviolo, L’incréé, 4e de couverture. Cf. aussi, par exemple, chap. 2, p. 70 s.

[37] Maître Eckhart, Sermon 27, Sermons, vol. 1, p. 227.

[38] Maître Eckhart, Sermon 1, Sermons, vol. 1, p. 48.

[39] Maître Eckhart, Livre de la consolation divine, dans Les Traités, p. 112.

[40] Maître Eckhart, Sermon 15, Sermons, vol. 1, p. 142.

[41] Maître Eckhart, Livre de la consolation divine, dans Les Traités, p. 115.

[42] Pierre Gire, Maître Eckhart et la métaphysique de l’Exode, p. 185.

[43] Vladimir Lossky, Théologie négative et connaissance de Dieu chez Maître Eckhart, p. 71.

[44] Cf. mon étude sur le sujet.

[45] Pour une présentation de ces auteurs, cf. Alain de Libera, Introduction à la mystique rhénane, respectivement, p. 163-229 et 317-448.

[46] Outre le Commentaire du livre de l’Exode, cf. Pierre Gire, « Métaphysique, théologie et mystique chez Maître Eckhart », Hendrik Johan Adriaanse et Jean Greisch (éds.), Penser la religion. Recherches en philosophie de la religion, coll. « ICP », Paris, Beauchesne, 1991, p. 83-85 et 90.

[47] Maître Eckhart, Sermon 30, Sermons, vol. 2, 1978, p. 78.

[48] Maître Eckhart, Expositio sancti Evangelii secundum Iohannem, § 515 : L’œuvre latine de Maître Eckhart, vol. 6, p. 446.

[49] Pagnoli-Sturlese, « À propos du néoplatonisme d’Albert le grand. Aventures et mésaventures dans le Commentaire sur Proclus de Berthold de Moosburg », Archives de philosophie, 43 (1980) n° 3, p. 635-654, ici p. 646.

[50] Maître Eckhart, Sermon latin, Die lateinischen Werke, vol. II, p. 283.

[51] Ibid., p. 653.

[52] Marie-Anne Vannier dans Marie-Anne Vannier (éd.), La Trinité chez Eckhart et Nicolas de Cues, coll. « Patrimoines », Paris, Le Cerf, 2009, p. 18.

[53] Cf. mon étude sur le sujet.

[54] Maître Eckhart, Sermon XLIX, n. 511.

[55] Maître Eckhart, L’Œuvre des Sermons (Erfurt-Paris-Strasbourg-Cologne), trad. et éd. Jean Devriendt, coll. « Sagesses chrétiennes », Paris, Le Cerf, 2010, p. 395.

[56] Maître Eckhart, L’Œuvre des Sermons, p. 56.

[57] Maître Eckhart, L’Œuvre des Sermons, p. 56.

[58]Cf. Pagnoli-Sturlese, « À propos du néoplatonisme d’Albert le grand », p. 645.

[59] Maître Eckhart, Sermon latin, XXV, n. 258-259, Die lateinischen Werke, vol. IV, p. 236.

[60] Maître Eckhart, Expositio sancti Evangelii secundum Iohannem, § 73 : L’œuvre latine de Maître Eckhart, vol. 6, p. 148-149.

[61] Maître Eckhart, Sermon 109.

[62] Maître Eckhart, Commentaire de la Sagesse, 18, 24, n. 283, Die lateinischen Werke, vol. II, p. 619-620.

[63] Je me permets de renvoyer à Pascal Ide, Une théo-logique du don. Le don dans la Trilogie de Hans Urs von Balthasar, coll. « Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium » n° 256, Leuven, Peeters, 2013, 1ère partie, chap. 3.

[64] Cf. Marie-Anne Vannier, « Creatio et formatio chez Eckhart », Revue thomiste, 94 (1994), p. 100-109.

[65] Kurt Ruh, « L’analogie selon Eckhart » Emilie Zum Brunn et Alain de Libera (éds.), Métaphysique du Verbe et théologie négative, Paris, Beauchesne, 1984, p. 72-82, ici p. 80.

[66] Ibid., p. 81.

[67] Maître Eckhart, Expositio sancti Evangelii secundum Iohannem, § 54, 3 : L’œuvre latine de Maître Eckhart, vol. 6, p. 116-117.

[68] Ibid., § 4 : p. 32-33.

[69] Cf. Ibid., § 5, 5.

[70] Maître Eckhart, Sermon 9, Die deutschen Werke, vol. I, p. 154, l. 7 à p. 155, l. 3, Traités et sermons, p. 279.

[71] Maître Eckhart, Sermo I, 4 : Die lateinischen Werke, vol. II, p. 233 : Sermons et leçons sur l’Ecclésiastique, trad. Fernand Brunner, Genève, Ad Solem, 2002, p. 16.

[72] Stanislas Breton, « L’itinéraire spirituel de Maître Eckhart », Revue de l’Institut catholique de Paris, 28 (1988) n° 4, p. 65-81, ici p. 74-75.

[73] Cf. Kurt Ruh, « L’analogie selon Eckhart » et « Place de l’analogie dans la métaphysique du Verbe », in Emilie Zum Brunn et Alain de Libera (éds.), Métaphysique du Verbe et théologie négative, Paris, Beauchesne, 1984, p. 72-82 et 83-103.

[74] Kurt Ruh, Intiation à Maître Eckhart. Théologien, prédicateur, mystique, trad. Janine De Bourgknecht et Alain Nadeau, Fribourg, Éd. Universitaires et Paris, Le Cerf, 1997, p. 122.

[75] Fernand Brunner, « Eckhart ou le goût des positions extrêmes », Émilie Zum Brunn (éd.), Voici Maître Eckhart, p. 209-230, ici p. 214.

[76] Markus Enders, « Une interprétation du traité eckhartien du détachement », Revue des sciences religieuses, 70 (1996) n° 1. Les mystiques rhénans, p. 7-17, ici p. 13-14.

[77] Maître Eckhart, Von abegescheindenheit, tr. 3, Die deutschen Werke, vol. V, p. 434 : Maître Eckhart, Traités, trad. Jeanne Ancelet-Hustache, Paris, Seuil, 1971, p. 171.

[78] Maître Eckhart, Sermon 51, Die deutschen Werke, vol. I, p. 467, l. 9-10, Traités et sermons, p. 349.

[79] Maître Eckhart, Sermon 83, Die deutschen Werke, vol. III, p. 448, l. 9 : Sermons, trad. Jeanne Ancelet-Hustache, Paris, Seuil, tome 3, 1979, p. 154.

[80] Maître Eckhart, Expositio libri Exodi, § 30 : Commentaire du livre de l’Exode, p. .

[81] Maître Eckhart, Granum sinapsis, VII, dans Poésies mystiques et prière de Maître Eckhart, trad. Wackernagel, Genève, Ad Solem, 1998, p. 59.

[82] Yves Meessen, L’être et le bien, p. 166.

[83] Maître Eckhart, Sermon 52, Die deutschen Werke, vol. I, p. 458, l. 5-6, Traités et sermons, p. 343.

[84] Sur la différence entre Gott et Gottheit, cf. Marie-Anne Vannier, entrée « La déité chez Eckhart », Encyclopédie des religions, Paris, Bayard, 1997, tome 2, p. 1510-1511 ; Vladimir Lossky, Théologie négative et connaissance de Dieu chez Maître Eckhart, p. 342-343.

[85] Maître Eckhart, Sermon 28, trad. Libera, p. 325.

[86] Maître Eckhart, Sermon 28, trad. Ancelet Hustache, vol. 1, p. 232.

[87] Niklaus Largier, « Penser la finitude. Création, détachement et les limites de la philosophie dans l’œuvre de maître Eckhart », Revue des Sciences Religieuses, 71 (1997) n° 4, p. 458-473, ici p. 462.

[88] Maître Eckhart, Sermon 28, trad. Ancelet Hustache, vol. 1, p. 232.

[89] Maître Eckhart, Entretiens spirituels, dans Les traités, trad. Ancelet Hustache, p. 42.

[90] Maître Eckhart, Opus sermonum, VI, n. 56.

[91] Maître Eckhart, Sermon 42, dans Sermons, vol. 2, 1978, p. 79.

[92] Cf. Augustin, Confessions, L. III, vi.

[93] Cf. Maître Eckhart, Sur la naissance de Dieu dans l’âme. Sermons 101-104, trad. Gerard Pfister, coll. « Les carnets spirituels », Orbey, Arfuyen, 2004.

[94] Sur la naissance de Dieu dans l’âme, Marie-Anne Vannier, « Nouvelles perspectives sur la naissance de Dieu dans l’âme chez Eckhart », Alain Dierkens et Benoît Beyer de Ryke (éds.), Maître Eckhart et Jan van Ruusbroec, p. 17-24 ; Marie-Anne Vannier (éd.), La naissance de Dieu dans l’âme chez Eckhart et Nicolas de Cues, coll. « Patrimoines », Paris, Le Cerf, 2006.

[95] Maître Eckhart, Sermon 38, dans Sermons, vol. 2, p. 48.

[96] Alain de Libera, Introduction à la mystique rhénane, p. 291.

[97] Maître Eckhart, Livre de la consolation divine, dans Les Traités, p. 113.

[98] Maître Eckhart, Opus Sermonum, VI, § 64, Die lateinischen Werke, vol. IV, p. 61-62.

[99] Jean Devriendt, « ’Dieu est amour’ (Op. Ser. VI) : un principe eckhartien peu souligné », Alain Dierkens et Benoît Beyer de Ryke (éds.), Maître Eckhart et Jan van Ruusbroec, p. 117-126.

[100] Maître Eckhart, Opus Sermonum, VI, § 53, 2 : trad. dans Jean Devriendt, « ’Dieu est amour’… », p. 118.

[101] Maître Eckhart, Opus Sermonum, VI, § 52 à 55 : trad. dans Jean Devriendt, « ’Dieu est amour’… », p. 117-118.

[102] Cf. Yves Messeen, « Le Père n’a rien retenu pour lui-même. Une relecture du sermon 27 d’Eckhart », Marie-Anne Vannier (éd.), La prédication et l’Église chez Eckhart et Nicolas de Cues, coll. « Patrimoines », Paris, Le Cerf, 2008, p. 179-187.

[103] Augustin, De civitate Dei, L. XI, x, 1 : trad., coll. « Bibliothèque augustinienne » n° 35, Paris, Desclée, p. 63-65.

21.9.2020
 

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