La Résurrection, c’est l’anti-répétition (dimanche de Pâques 9 avril 2023)

La Résurrection, c’est l’anti-répétition totale et absolue. Pour le Christ, pour le monde, pour chacun de nous. Quelle Puissance ! Quelle Espérance !

 

  1. Même pour le Christ, sa Résurrection est une nouveauté radicale. Du jamais-vu. Certes, Jésus a fait revenir à la vie le fils de la veuve de Naïm, la fille de Jaïre et son ami Lazare. Certes, ce sont là des miracles puissants et spectaculaires. Mais il ne s’agit pas à proprement parler de résurrections, mais de réanimations. Ceux que le Seigneur a fait revenir à la vie sont de nouveau morts. Alors que Lui qui est mort, il entre, par sa Résurrection, dans la vie éternelle et glorieuse, il retourne au Père. Sur lui, la mort n’a désormais plus aucun pouvoir. Elle est définitivement vaincue. D’ailleurs, c’est cela que nous avons vécu de manière si intense pendant les jours de la Passion : un dramatique duel entre la Vie et la Mort. Et c’est Celui qui est la Vie (cf. Jn 14,6) qui a triomphalement mis sous ses pieds, son dernier ennemi, la mort.

Et c’est ce que nous avons revécu cette nuit, pendant la veillée pascale. En effet, la liturgie, « tout l’ordre sacramentel du Nouveau Testament se ramène à la reproduction dans le Corps de ce qui s’est passé une première fois dans le Chef [1] », le Christ. Ici, il ne s’agit pas d’une répétition mortifère, mais d’une actualisation : nous sommes rendus contemporains mêmes du mystère de la Résurrection.

Nous avons contemplé le feu qui est justement qualifié de « nouveau ». C’est à partir de lui que fut allumé le Cierge pascal dans lequel le célébrant a enfoncé cinq clous en épousant la forme d’une croix : car les plaies douloureuses que le Christ a reçues pendant sa Passion sont devenues des plaies lumineuses à travers lesquels passe notre guérison. Nous avons alors suivi le Cierge pascal, symbole du Christ, qui, nimbé d’encens, est entré dans l’église toute sombre. Et nous avons découvert, émerveillés, que les ténèbres reculaient, invinciblement : par tous les cierges allumés au Cierge pascal, chacun des membres du Corps mystique repoussait définitivement la nuit et cessait de pactiser avec les fausses puissances de la nuit.

Puis, nous avons longuement entendu la Parole de Dieu qui racontait le premier surgissement de la lumière. Cette création est comme une première résurrection, si bien que le pape Benoît XVI comparait Pâques à un Big Bang. Les spécialistes de ce que l’on appelle la théorie cosmologique standard (la théorie du Big Bang) parlent d’ailleurs de « singularité initiale ». Et nous avons aussi entendu les lectures prophétiques qui annonçaient la Résurrection du Christ et l’Évangile où saint Matthieu témoigne que Dieu, qui tient toujours ses promesses, accomplit ces prophéties et fait ressusciter son Fils du tombeau, face à des soldats qui « devinrent comme morts » (Mt 28,4).

Enfin, les cinq catéchumènes qui se préparent depuis deux ans sur la paroisse ont vécu cette absolue nouveauté du baptême. Quelle joie contagieuse rayonnait de tout leur être, lorsqu’ils se sont relevés après avoir entendu : « Je te baptise au Nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit », alors que l’eau ruisselait sur leur visage ! Quelle puissance irradiait des néophytes, alors que leur front luisait de l’huile parfumée du Saint Chrême avec laquelle ils avaient été confirmés ! Tant de baptisés qui n’ont pas été confirmés ignorent cette énergie transformante de la confirmation !

 

  1. Cette nuit, je fus témoin de cette Résurrection que le Christ ne cesse d’opérer dans son Église ! Pour le monde aussi, la Résurrection est le point de départ absolu.

Certes, de prime abord, quand je regarde notre pauvre monde qui, inconscient, se rue vers l’abîme, j’ai plutôt l’impression que ce sont les forces de mort qui l’emportent. Je pense par exemple à ces projets de loi inique sur la fin de vie qui cherchent à légaliser l’euthanasie. Au nom d’une liberté qui se retourne en moi pour ma destruction et donc contre elle-même. Comme si cette vie que, avec ma liberté, j’ai reçue gratuitement comme un don merveilleux, j’avais le droit de me l’ôter. Ce qui ne vient pas de moi n’est pas seulement pour moi.

Je pense aussi à celui que l’on dit souvent être le plus grand philosophe du siècle dernier : Martin Heidegger. Celui qui fut séminariste, a suivi des cours de théologie pendant deux ans, s’est retourné contre sa foi, a commis la folie de pactiser avec le nazisme et fut fasciné par le paganisme, a écrit, dans son livre le plus célèbre, que l’homme authentique est « un être-pour-la-mort ». Quel aveuglement ! Tout au contraire, l’homme est un être pour la vie ! Et pas n’importe quelle vie, la vie éternelle !

Mais la mort ne triomphe pas toujours. Loin de là. Tout récemment, un évêque d’un pays d’Afrique subsaharienne en conflit me racontait qu’il avait convié tous les adultes de son diocèse qui se préparaient à la confirmation de venir trois jours avant celle-ci pour bénéficier d’une catéchèse. Des milliers de confirmands avaient convergé de leurs villages vers la ville. Mais ils avaient été arrêté par la police qui les avaient rackettés. Ils n’avaient pas cédé et, bien que rançonnés alors qu’ils vivent dans la misère, ils avaient continué jusqu’à l’église qui les attendait. Or, me racontait l’évêque, au bout des trois jours, alors qu’il leur avait dit que le chrétien se reconnaît à ses œuvres, notamment l’amour et le pardon, les participants avaient demandé à ce que ceux qui les avaient rançonnés viennent pour qu’ils leur parlent et leur disent qu’ils leur pardonnaient. Oui, la puissance transformante et innovante de la Résurrection opérait dans leur cœur !

 

  1. Pour nous enfin, la Résurrection est l’anti-répétition qui renouvelle nos espérances. Grâce au baptême, par la grâce du baptême qui est semence de résurrection en nos cœurs et en nos corps.

Actuellement, nous pouvons voir au cinéma un beau film qui a pris pour titre une parole d’un de ses protagonistes : Nous verrons toujours vos visages. Il met en scène et en cercle des prisonniers jugés pour vol et agression, et des victimes d’agression commises par d’autres agresseurs. Les premières sont enfermées dans la répétition de leurs dénis et de leurs justifications et les secondes dans celle de leurs peurs et de leurs colères. Et, par la présence de médiateurs qui pratiquent ce que l’on appelle la justice restaurative, d’improbables rencontres se produisent, par l’écoute mutuelle et la parole vraie. L’une des personnes qui a été agressée chez elle entend l’angoisse d’un détenu de ne pas pouvoir retrouver du travail à la sortie, donc craindre de retomber dans la délinquance et décide de l’aider. Et à la question angoissée d’un des victimes : « Allez-vous recommencer ? », l’un des prisonniers répond : « Non, car nous verrons toujours vos visages ».

Sans pour autant pouvoir aller jusqu’au bout : « Je ne pardonnerai jamais à mes agresseurs », dit l’un des protagonistes. Mais, là où les forces humaines échouent, la puissance de la Résurrection gagne.

Jésus ressuscite dans nos vies par la foi. En chassant les ténébères du doute. Quelqu’un me disait qu’il avait l’impression que le démon était plus puissant que Dieu qui lui semblait être un loser. Quel mensonge lui murmurait celui qui est « menteur et meurtrier depuis l’origine » (Jn 8,44) ! Les anges disent aux femmes qui viennent au tombeau : Jésus « est ressuscité, comme il l’avait dit » (Mt 28,6). Cessez de tergiverser, d’osciller entre le doute et la foi, croyez au Ressuscité ! Et vous verrez la puissance de l’Esprit dans vos vies !

Jésus ressuscite dans nos vies par l’espérance. En chassant les ténébres du découragement. Nous le savons : les paroles qui nous sauvent, ce sont les paroles qui nous espèrent ! Il suffit d’un regard d’espérance inconditionnelle sur un enfant pour que nous le voyions différemment et que lui-même ressuscite sous nos yeux. C’est ainsi que le père a agi avec le fils prodigue. C’est ainsi Dieu nous voit : il nous espère inconditionnellement. Et moi, aurai-je ce regard d’espérance inconditionnelle sur mes proches, mes collègues, nos gouvernants, etc. ?

Jésus ressuscite dans nos vies par la charité. En chassant les ténébères de la haine ou du ressentiment. Dans Mystère du Calvaire, nous chantons ces deux vers inspirés : « Pitié pour ceux qui meurent / Et ceux qui font mourir ». Ils résument de manière dense toute notre supplication, sans confondre les victimes qui meurent et les bourreaux qui font mourir. Mais en les enveloppant dans le même amour, compatissant pour les premières et pardonnant pour les seconds. Alors, est-ce que vais sortir de la répétition qui attend indéfiniment que l’autre change pour changer ou est-ce que je vais enfin laisser se déployer la puissance de la Résurrection, la puissance du Ressuscité, et prendre l’initiative de l’amour et du pardon ?

 

Ce qui nous décourage, ce sont les situations répétitives. La répétition est l’acte de la mort. La transformation est l’œuvre de la Résurrection. Oui, par le baptême, par sa grâce, Dieu fait en nous « toutes choses nouvelles » (Ap 21,5).

Pascal Ide

[1] Louis Bouyer, Le mystère pascal (Paschale Sacramentum). Méditation sur la liturgie des trois derniers jours, coll. « Lex orandi » n° 4, Paris, Le Cerf, 51957, p. 318.

9.4.2023
 

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