La première communion de la Vierge (Billet du 25 mars 2020)

Aujourd’hui, chers amis, le Ciel embrasse la Terre. Par le message de l’ange, les cieux s’ouvrent et Dieu descend dans notre monde ! Par la réponse de la Vierge, la Terre monte à sa rencontre et s’ouvre à l’obombration de l’Esprit ! Le don le plus sublime de Dieu féconde la réception la plus intime de l’homme.

 

Mais, dira-t-on, en demandant « Comment cela se fera-t-il ? », Marie n’a-t-elle pas douté ? Saint Ambroise de Milan pensait que non, Saint Augustin pensait que oui, et saint Thomas a tenté, vaille que vaille, de concilier ces deux immenses autorités [1] ! Assurément, Marie qui sera bientôt louée par sa cousine Élisabeth comme « celle qui a cru » (Lc 1 ?45), n’a pas chancelé dans sa confiance, même face à l’inouï qui la trouble si profondément (cf. Lc 1,29). Mais la question est surtout : qu’a-t-elle voulu dire ? A-t-elle seulement voulu formuler un état de fait ? Mais tout, dans l’Évangile en général et dans l’épisode de l’Annonciation en particulier, est théo-logique, c’est-à-dire parole de Dieu. Inversement, a-t-elle fait secrètement vœu de virginité ? Mais cela est impensable en Israël ; surtout, cela ferait de son mariage avec Joseph une mascarade. Romano Guardini, le théologien allemand, professeur de Ratzinger, nous sort de l’embarras : Marie n’exprime pas un vœu (passé), mais un désir (présent) [2]. En effet, jusqu’à maintenant, Dieu a donné, et beaucoup : il a créé le monde, chaque âme humaine, multiplié les alliances avec l’humanité, élu un peuple. Mais si Dieu avait donné, jamais il ne s’était donné. Aujourd’hui, Dieu vient se donner en personne, se donner dans la Personne de son Fils. Or, Dieu se donne pour être reçu ; plus encore, il désire être reçu autant qu’il se donne, c’est-à-dire totalement. Voilà pourquoi, à Dieu qui se donne totalement, Marie répond en se donnant totalement pour pouvoir le recevoir totalement. Et tel est le sens de la consécration : se donner d’un cœur « sans partage » (cf. 1 Co 7,34) [3]. Ainsi, Marie n’a pas eu conscience de ce désir de consécration, de don total, avant que Dieu ne lui parle : en révélant le don qu’il veut faire de lui-même, le Donateur révèle à lui-même le récepteur !

Décidément, le mystère de l’Annonciation est cette rencontre sponsale du don divin et du désir humain, de Dieu et de l’homme, de l’éternité et du temps, de la promesse et de son accomplissement, de la longue attente et de son exaucement.

 

Si la merveille réside dans cette fulguration, la merveille des merveilles, elle, ne serait-elle pas que cette rencontre verticale où Dieu descend et l’homme, par sa grâce, monte, que cette ligne droite ascendante et descendante s’horizontalise et que le don se fasse communion, le monologue dialogue, l’amour amitié ? Si vous me passez l’expression, Ouf !, la demande de l’ange est reçue. Le théologien Manteau-Bonnamy disait plaisamment que, à l’Annonciation, la sainte Trinité se pressait derrière la porte dans la folle espérance que Marie dise « oui » ! Mais le plus étonnant est que la réponse de Marie soit aussi reçue : elle est attendue par le Messager. Ainsi, Dieu ne fait pas seulement de nous des bénéficiaires, mais des partenaires d’alliance, plus – nous l’entendrons dans quelques jours –, des « amis » (Jn 15,13). Il n’attend pas seulement notre « oui » à ce qu’il nous donne, mais il dit « oui » avec empressement au don qu’il reçoit en retour.

Disons-le de manière plus concrète, dans la situation qui est la nôtre, en ces jours de confinement. Pour cela, aidons-nous de l’intuition d’un musicien de génie qui fut aussi un théologien au cœur d’enfant : Olivier Messiaen. Dans une œuvre pour piano composée en 1944 et intitulée Vingt Regards sur L’Enfant-Jésus », il intitule la onzième pièce (la pièce centrale !) : « Première communion de la Vierge ». Or, dans la contemplation du musicien, cette « première communion » n’est rien d’autre que l’incarnation de Jésus dans le sein de Marie le jour de l’Annonciation.

Redisons-le. Nous nous émerveillons de ce que l’Annonciation soit ce mystère d’abaissement, par lequel Dieu se penche de toute sa hauteur pour venir nous sauver et nous reconduire à Lui. Mais, plus merveilleux encore, est cet admirabile commercium (« admirable échange ») où le don vertical devient communion horizontale (cf. 1 Jn 1,1-3).

 

Que cela est parlant, frères et sœurs qui êtes si cruellement privés de la nourriture eucharistique ! Le secret de toute communion sacramentelle est la communion spirituelle. Et c’est cette union des cœurs qu’a vécue aujourd’hui Marie pour nous. Tout à l’heure, quand vous participerez à une messe télévisée ou radiodiffusée, lorsque le prêtre communiera, unissez-vous au « oui » inconditionnel de Marie, la « femme eucharistique » [4]. Redites avec elle, à Jésus, au Père, ces paroles qui sont le noyau brûlant de toute communion : « Qu’il me soit fait selon ta Parole ».

Pascal Ide

[1] Cf. Somme de théologie, IIIa, q. 30, a. 4, ad 2um. Il y cite les deux Pères latins.

[2] Cf. Romano Guardini, La mère du Seigneur, trad. (le nom n’est pas indiqué), Paris, Le Cerf, 1961, p. 35-37.

[3] Jean-Paul II développe ce thème dans son Exhortation apostolique postsynodale Vita consecrata sur la vie consacrée et sa mission dans l’Église et dans le monde, 25 mars 1996, dès le n. 1.

[4] L’expression est de Jean-Paul II dans sa Lettre encyclique Ecclesia de Eucharistia, sur l’Eucharistie dans son rapport à l’Église, Jeudi saint 17 avril 2003, chap. 6.

25.3.2020
 

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