La Pâques de Thomas (Billet du dimanche de la miséricorde 19 avril 2020)

Pourquoi Thomas l’incrédule est-il devenu croyant ?

Bien sûr, il est le témoin du Ressuscité. En contemplant non seulement Jésus vivant, mais les marques de sa Passion, qui l’ont conduit à une mort certaine, il est assuré de la continuité entre celui qui a été tué et celui qui se tient debout devant lui : oui, Jésus est miraculeusement revenu d’entre les morts.

Bien entendu aussi, en auscultant les plaies des mains et du côté, avec la précision anatomique que lui prête le Caravaggio, Thomas le dubitatif a, plus encore, pris conscience que, loin d’enlaidir le Christ, elles le rendent encore plus glorieux, de la seule gloire qui ne passe pas, celle d’aimer. Les critères physiques de la beauté, dont l’intégrité fait partie, volent en éclat lorsque se révèle la beauté plus que belle d’un corps qui garde les signes de l’amour par lequel il s’est livré pour nous, alors que, pécheurs, nous étions indignes d’être aimés (cf. Rm 5,8).

Mais n’y a-t-il pas encore davantage ? L’Apôtre n’a pas fait que voir et toucher ; il a posé un geste, dynamiquement : il a avancé les doigts et la main ; il a traversé les stigmates ; il a reproduit le mouvement de la lance par lequel le soldat romain a transpercé Jésus. Or, ce sont nos fautes qui l’ont crucifié (cf. Is 52,13-53-12). Thomas a donc éprouvé, dans sa chair, le mouvement même qui a mis Jésus à mort. Il a soudain compris que son propre péché n’est rien moins qu’un déicide.

Mais alors, comment n’en a-t-il pas été anéanti ? Au bras de Longin, la lance ne s’est pas arrêtée en chemin et a continué jusque dans l’éternité divine. L’Amour crucifié est l’Amour trinitaire. « Si [ton Cœur] fut blessé, prie saint Bonaventure, c’est pour qu’à travers la plaie visible, nous voyions la blessure invisible de l’amour [1] ». Et désormais, le Cœur de Jésus demeure béant, comme les portes de la Jérusalem céleste « resteront ouvertes le jour –- car il n’y aura pas de nuit » (Ap 21, 25).

Or, dans son encyclique sur le Père riche en miséricorde, saint Jean-Paul II définit celle-ci comme un « amour plus fort que la mort, plus fort que le péché et que tout mal » [2]. En ce huitième jour après la Résurrection, Thomas a vécu lui aussi sa Pâque, son passage : des ténèbres de l’incroyance à la lumière de la foi ; du péché qui exclut à la Miséricorde qui inclut.

 

Que saint Thomas, notre Jumeau, intercède pour que, en ce dimanche qui est devenu fête de la Miséricorde divine, nous éprouvions, nous aussi, jusque dans notre sensibilité, la merveille de cet Amour pardonnant qui est plus fort que toutes nos culpabilités, cet amour qui transforme nos doutes isolants en certitudes d’être aimé, nos fermetures aigries en ouvertures aimantes, cet amour pascal qui nous fait passer de la mort du plus triste des confinements, l’égoïsme, à la plus heureuse des vies, celle qui nous décentre vers notre prochain.

Pascal Ide

[1] « Propterea vulneratum est (Cor tuum), ut per vulnus visibile vulnus amoris invisibile videamus » (S. Bonaventura, Opuscule X. Vitis mystica, chap. 3, n. 5 : Opera Omnia, éd. Quaracchi, Ad Claras Aquas, 1898, tome VIII, p. 164).

[2] Pour le détail, cf. Pascal Ide, « ‘L’amour plus puissant que le mal’. La miséricorde selon saint Jean-Paul II », Communio, 41 (2016) n° 1. La miséricorde, p. 61-74.

19.4.2020
 

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