La nouveauté chrétienne de l’amour selon saint Clément d’Alexandrie

La nouveauté chrétienne est celle de l’amour. C’est par exemple ce qu’atteste un passage étonnant des premiers théologiens chrétiens, qui exprime le Mystère divin avec une fraîcheur aurorale :

 

« Observe les mystères de l’amour, et alors tu contempleras le sein du Père, que le fils Unique, Dieu lui-même, est le seul à avoir montré (cf. Jn 1,18). C’est bien lui, le Dieu-amour (cf. 1 Jn 4,8), et c’est par amour pour nous qu’il s’est laissé prendre. Ce qui est inexprimable en lui est père ; ce qui a de la compassion pour nous est devenu mère. En aimant, le Père est devenu féminin, et le grand signe en est celui qu’il a engendré à partir de lui-même : le fruit enfanté par amour est amour. S’il est descendu lui-même, a revêtu l’humanité et accepté de subir les souffrances des hommes, c’est pour être mesuré à notre faiblesse par amour et nous mesurer en retour à sa propre puissance. Au moment de verser son sang et de s’offrir lui-même en rançon (cf. Mt 20,28), il nous laisse une nouvelle alliance : je vous donne mon amour (Jn 13,34). Quel est cet amour ? Quelle est sa grandeur ? Pour chacun de nous, il a livré sa vie, aussi précieuse que l’univers ; en retour, il nous demande de donner la nôtre les uns pour les autres [1] ».

 

Ce texte d’une richesse débordante nous apprend plusieurs choses sur la spécificité de l’amour révélé en Jésus.

L’amour se définit comme don de soi : « il a livré sa vie, aussi précieuse que l’univers » ; ce don est universel : « Pour chacun de nous » ; c’est là « sa grandeur », ce que nous avons appelé la loi du maximum.

Par ailleurs, l’amour se comprend à partir de l’autorévélation divine. En effet, cette autorévélation s’opère dans l’économie, ce que Clément appelle « les mystères de l’amour » : même s’il demande de contempler « le sein du Père », cela n’est possible que par « le fils Unique, Dieu lui-même » qui « est le seul à [l’]avoir montré ». Précisément, les deux mystères centraux de l’économie sont l’incarnation – « S’il est descendu lui-même, a revêtu l’humanité » – et la Passion – il a « accepté de subir les souffrances des hommes ». Or, qu’est-ce qui nous est ainsi montré de Dieu en sa vie immanente ? 1. Dieu le Père présente comme un double aspect, dynamiquement articulé (« est devenu ») : la paternité divine proprement dite que Clément associe à l’ineffabilité divine (il est, en propre, l’« inexprimable ») ; la féminité : « ce qui a de la compassion pour nous est devenu mère ». Cet amour est d’ailleurs intradivin : « Le grand signe en est celui qu’il a engendré à partir de lui-même : le fruit enfanté par amour est amour ». 2. Le Fils est nommé « fruit » et « signe », à chaque fois d’amour. Dès lors, le Fils est plutôt celui qui rend visible l’amour reçu. Comme si, de même que le Fils « est devenu » chair, donc visible, le Père, lui, « est devenu » féminin, c’est-à-dire compatissant. Quoi qu’il en soit, l’engendrement du Fils est compris comme un acte d’amour. Le salut est expliqué par l’admirabile commercium : le Fils a souffert la Passion « pour être mesuré à notre faiblesse par amour et nous mesurer en retour à sa propre puissance

Enfin, l’amour appelle la redamatio : « en retour, il nous demande de donner la nôtre [nôtre vie] » ; ce retour porte aussi le nom biblique d’« alliance » (« il nous laisse une nouvelle alliance ») ; enfin, il précise, comme saint Jean, que ce retour est tourné vers les autres : « les uns pour les autres », ce qui montre combien est un le retour vers Dieu et l’amour d’autrui dans le reditus.

Pascal Ide

[1] S. Clément d’Alexandrie, Quel riche sera sauvé ?, 37,1-4, trad. Patrick Descourtieux, coll. « Sources chrétiennes » n° 537, Paris, Le Cerf, 2011, p. 195-197.

10.11.2025
 

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