Jésus se livre à celui qui le livre (Billet du mardi saint 7 avril 2020)

L’évangile de ce jour met en scène ce personnage mystérieux et scandaleux de Judas l’Iscariote. Souvent, nous nous posons la question : Judas est-il sauvé ?

Nous pensons peut-être au mot de Jésus à sainte Gertrude : « De Salomon ni de Judas, je ne te dirai ce que j’ai fait, pour qu’on n’abuse pas de ma miséricorde [1] ». De manière nuancée, le pape Benoît XVI affirme : « Judas aussi s’est repenti mais son repentir a dégénéré en désespoir, se transformant ainsi en autodestruction [2] ». Pour ma part, j’aurais tendance à dire que, comme certains types de personnalités perverses, Judas a eu une fenêtre de lucidité qui lui a permis de prendre conscience de son péché ; même si elle fut aussitôt recouverte, s’est-elle reproduite juste avant de rendre le dernier souffle ?

A la demande : Judas est-il sauvé ?, il faut bien l’avouer, personne ne connaît la réponse. Surtout, cette question indiscrète ne nous regarde pas ! La vraie interrogation est celle des disciples : « Seigneur, qui est-ce ? » Ou, mieux : « Est-ce moi ? » Car nos péchés sont tous des trahisons.

 

Et, pour ne pas désespérer, relisons l’évangile : Jésus est « bouleversé en son esprit » (Jn 13,). Non pas parce qu’il va être livré, mais parce que Judas pourrait se dérober au salut. Pour le quatrième Évangile, la plus grande souffrance de Jésus semble être d’avoir été trahi par Judas. Or, à cette souffrance extrême répond un amour encore plus extrême (cf. Jn 13, 1). Que fait Jésus ? « Jésus se livre à celui qui le livre », selon la superbe formule d’un exégète belge[3]. Le verbe trahir est la version d’un mot grec qui signifie livrer. Jésus a même multiplié particulièrement les signes d’amour pour Judas le soir du Jeudi saint : lui laver les pieds, lui donner la bouchée (cf. Jn 13, 1-30), jusqu’à le laisser l’embrasser au jardin de Gethsémani, c’est-à-dire communier à son sang (cf. Lc 22, 47).

Si « les possibilités de perversion du cœur humain sont vraiment nombreuses », les possibilités de conversion le sont encore plus. Le pape Benoît XVI continue ainsi : « C’est pour nous une invitation à toujours nous rappeler ce que dit saint Benoît à la fin du chapitre V de sa Règle, qui est fondamental : “Ne désespère jamais de la miséricorde divine.” En réalité, Dieu “est plus grand que notre cœur”, comme le dit saint Jean (1 Jn 3, 20) ».

 

En cette Semaine Sainte, reprenons la prière si chère à nos frères orthodoxes : « Jésus, Fils du Dieu vivant, prends pitié de moi, pécheur ».

Pascal Ide

[1]. Outre les variations autour de l’apocryphe gnostique L’évangile de Judas, qui cherche à le sauver, cf., par exemple, Claude Dagens, À l’ami qui s’est brisé. Lettres de Jésus à Judas, Paris, Bayard, 2014 ; Sœur Clémence, « Judas miséricordié. Une illustration dans la basilique de Vézelay », Sources vives 180 (décembre 2015), p. 80-85.

[2]. Benoît XVI, Audience générale, mercredi 18 octobre 2006.

[3]. Yves Simoens, Selon Jean. t. 3. Une interprétation, coll. « IET », Bruxelles, Éd. de l’Institut d’études théologiques, 1996, p. 579-582.

6.4.2020
 

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