Dieu comble-t-il mon cœur ? 2/3 (Billet du 12 mai 2020)

– Mais si ma foi était assez grande, ma prière assez fervente, si je vivais l’exercice de la présence de Dieu à chaque instant, comme frère Laurent de la Résurrection, je ne ressentirais plus ce manque affectif.

– Non ! Et il y va d’une loi générale de la création que nous avons tendance à oublier : en nous sanctifiant, Dieu ne nous déshumanise pas. La foi catholique, ce n’est pas « ou… ou », mais « et… et » : et pleinement divin, et pleinement humain. Par exemple, depuis que vous vous êtes convertis, avez-vous arrêté de respirer, dormir, prendre un petit-déjeuner, voire deux comme les Hobbits ?! Eh bien, ce qui vaut pour notre corps, vaut pour toutes les autres dimensions de notre humanité : notre psychisme, notre liberté, notre intelligence. Croire en Dieu ne nous affranchit pas du besoin d’en prendre soin, les former, de guérir, et cela, en permanence.

– Vous preniez l’exemple de la nourriture. Marthe Robin, elle, n’a pas mangé pendant des décennies. Cela s’appelle de l’inédie, je crois.

– D’abord, cela ne signifie pas qu’elle n’était pas frustrée de ne pas manger, de ne plus ressentir tel ou tel goût. Il semblerait même que ce soit le contraire. Ensuite, justement, cette inédie, c’est de l’inédit ! Primo, c’est un miracle, et le miracle, c’est du hors nature. C’est pour cela qu’ils sont des signes de l’action divine immédiate ; s’ils étaient quotidiens, ils ne témoigneraient plus de Dieu. Secundo, cette inédie est liée à la mission très singulière de Marthe. Elle avait les grâces correspondant à sa mission. Au docteur Assailly qui lui disait qu’il ne pourrait jamais, comme elle, supporter la Passion toutes les semaines, elle répondait avec son bon sens paysan que, elle non plus, elle ne pourrait pas faire ce que, lui, comme médecin, accomplissait…

D’ailleurs, puisque vous parlez de Marthe, savez-vous que, pendant de longues années, elle a souffert cruellement de la solitude ? Même bénéficiant de la visite très régulière de la Vierge Marie, de la petite Thérèse, même étant en communion très étroite avec Jésus, sa soif humaine d’amitié n’était pas étanchée. Et cela était aussi vrai après ces longues journées éreintantes où elle accueillait tant de personnes : elle avait besoin de passer du temps avec ses proches, ses amis.

– Ce que vous dites m’éclaire : serait-ce pour cela que Marthe n’a rien su du comportement destructeur de son père spirituel, le père Finet, dont on vient de découvrir qu’il a abusé de nombreuses petites filles, de 10 à 14 ans, entre 1945 et 1983 (Marthe est morte en 1981) ? La loi humaine normale est celle de la communication. Elle n’a tout simplement pas été informée. Même si elle bénéficiait d’un contact très étroit, quotidien, avec Dieu, celui-ci ne s’y est pas substitué.

– Sans rentrer dans le détail de cette si pénible affaire, j’ajouterai un autre élément. Comme pour saint Jean-Paul II, la sainteté de vie (Marthe a été déclarée vénérable en 1999) ne remplace en rien l’exigence de formation et donc la nécessité d’éclairer son intelligence. On a beau avoir une vie totalement donnée à Dieu et à l’autre (ce qui est la sainteté), si l’on ne connaît pas les règles de la manipulation, l’on peut se faire manipuler par l’autre. Encore une fois, les lois de Dieu ne se substituent pas aux lois humaines. Paul Claudel, qui s’est converti la nuit de Noël 1886, dit bien qu’il lui a fallu plusieurs années pour sortir de son anticléricalisme. André Frossard, qui a reçu une illumination à la saint Paul ou à la Alphonse Ratisbonne, a dû apprendre son catéchisme pour être baptisé.

(à suivre)

Pascal Ide

12.5.2020
 

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