De l’influence néfaste des préjugés

Le psychologue Robert Rosenthal de l’université de Harvard a réalisé l’expérience suivantes sur 650 élèves de primaire d’Oak School. Il induit une prédiction dans l’esprit des institutrices à leur insu. En effet, il leur explique qu’il va « soumettre les élèves à un test d’intelligence, en disant aux enseignants que ce test permettrait non seulement de déterminer les quotients d’intelligence des élèves, mais aussi d’identifier, parmi eux, les 20% qui feraient des progrès intellectuels rapides et au-dessus de la moyenne au cours de l’année scolaire ». En réalité, Rosenthal prend des noms au hasard dans la liste des élèves.

 

« Une fois le test effectué, mais avant que les enseignants ne rencontrent leurs élèves pour la première fois, on leur donne les noms […] de ceux dont on peut [prétendument], d’après leur réussite au test, attendre avec certitude des résultats exceptionnellement bons. La différence entre ces enfants et les autres n’existe donc en fait que dans l’esprit des enseignants. On soumet de nouveau tous les élèves au même test d’intelligence à la fin de l’année scolaire, et on constate alors des progrès réellement exceptionnels et les résultats ont effectivement dépassé la moyenne [1] ».

 

Encore plus troublant, ce résultat vaut aussi pour l’expérimentation animale, où l’on s’attendrait à ce que les préférences subjectives interviennent moins ou pas sur la manière dont on note les performances des bêtes. Le même Rosenthal a publié une expérience qui fut répétée et confirmée par de nombreux chercheurs :

 

« Douze participants à un stage de laboratoire spécialisé en psychologie expérimentale assistent à un cours sur des études prétendant prouver que les performances réalisées par des rats au cours de tests (par exemple des expériences d’apprentissage, faites dans des cages-labyrinthes) peuvent devenir innées si on applique des méthodes d’élevage sélectif : six étudiants reçoivent trente rats dont leur constitution génétique fait des sujets de laboratoire, semble-t-il, particulièrement performants, alors que les six autres étudiants reçoivent trente rats dont on affirme, au contraire, que leurs caractères génétiques en font de mauvais sujets de laboratoire. En réalité, les soixante rats sont tous de la même espèce, c’est-à-dire celle qu’on utilise toujours dans ce contexte. On soumet ensuite les soixante rats à la même expérience d’apprentissage ».

 

Résultat :

 

« Les rats dont les expérimentateurs croient qu’ils sont particulièrement intelligents ne font pas seulement mieux dès le départ, mais atteignent des performances largement supérieures à celles des animaux ‘non intelligents’. À la fin des cinq jours que dure l’expérience, on demande aux expérimentateurs de porter un jugement subjectif sur leurs animaux, en complément des résultats qu’ils ont enregistrés au cours des expériences. Les étudiants qui ‘savent’ qu’ils ont travaillé avec des rats non intelligents font un rapport négatif ; au contraire, ceux qui ont fait leurs expériences avec des rats prétendument plus performants les qualifient d’amicaux, intelligents, ingénieux, et ajoutent qu’ils ont souvent touché et caressé les animaux, et même joué avec eux [2] ».

 

De l’influence néfaste des préjugés sur notre compréhension et donc sur notre intelligence. Ajoutons que, à être trop généralisée, cette expérience peut se retourner contre le partisan de l’influence de la prédiction. Du danger de la suspicion systématique.

S’il est conscient, le préjugé relève de la catégorie éthique des « jugements téméraires [3] ». S’il ne l’est pas, il appartient aux blessures de l’intelligence, c’est-à-dire aux biais cognitifs – dont les autres études portant sur ce sujet présentes le site montrent systématiquement que, mal interprétés, ils conduisent au scepticisme.

Pascal Ide

[1] Robert A. Rosenthal et Lenore Jacobson, Pygmalion à l’école, trad. Suzanne Audebert et Yvette Rickards, Préface Henri Péquignot, Paris, Casterman, 1971. Cité par Paul Watzlawick, « Les prédictions qui se vérifient d’elles-mêmes », Id. (éd.), L’invention de la réalité. Comment croyons-nous ce que nous croyons savoir ? Contributions au constructivisme, trad. Anne-Lise Hacker, Paris, Seuil, 1988, p. 115 et 116.

[2] Ibid., p. 116 et 117.

[3] Cf. Catéchisme de l’Église catholique, 8 décembre 1992, n. 2477-2478.

28.2.2023
 

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