De l’Ancien au Nouveau Testament : des dons au don de soi

Il est assurément et absolument erroné d’opposer l’Ancien Testament et le Nouveau Testament comme si le premier confessait un Dieu de colère et le second un Dieu d’amour. D’abord, parce que, contrairement à ce que l’on croit souvent, l’expression « colère de Dieu » est plus présente dans la Nouvelle Alliance [1]. Ensuite, parce que, là aussi à l’inverse de ce nos représentations habituelles, le primat de la miséricorde sur la justice est très précocément – en fait, presque immédiatement – présent dans la Première Alliance [2]. Mais, si la Révélation vétérotestamentaire nous parle déjà de l’amour de Dieu, en quoi consiste la différence ou la nouveauté de la Révélation néotestamentaire, dont on sait pourtant qu’elle est centrée sur : « Dieu est amour » (1 Jn 4,8.16) ?

Un passage central de l’épître aux Hébreux que la liturgie nous invite à méditer en ces jours offre une réponse de grande portée :

 

« Il [Notre grand-prêtre, le Christ] n’a pas besoin, comme les autres grands prêtres, d’offrir chaque jour des sacrifices […] ; cela, il l’a fait une fois pour toutes en s’offrant lui-même » (He 7,28)

 

Et plus loin :

 

« Tout grand prêtre est établi pour offrir des dons et des sacrifices ; il était donc nécessaire que notre grand prêtre ait, lui aussi, quelque chose à offrir ». Mais « les dons et les sacrifices qui sont offerts ne sont pas capables de mener à la perfection dans sa conscience celui qui célèbre le culte ». Le Christ, « poussé par l’Esprit éternel, s’est offert lui-même à Dieu comme [une victime] sans défaut » (He 8,3 ; 9,9.14)

 

Explicitons à la lumière de l’amour. Le propre de l’amour et de l’amour divin dans la Bible est d’être non pas seulement attrait ou désir d’un bien (érôs), mais et d’abord don (ce qui caractérise l’agapè). Et le don par excellence est le sacrifice. Mais il y a deux sortes de don et de sacrifice : les dons des choses (incluant les animaux) et le don de sa propre personne (le don de soi). De même, on peut sacrifier son avoir ou son être [3]. L’on doit donc distinguer deux grandes formes d’amour-don selon que l’aimant offre « seulement » des dons ou s’offre lui-même [4]. Et en cela réside la différence fondamentale entre l’Ancien et le Nouveau Testament : alors que, dans le premier, Dieu montre son amour en multipliant les dons (la Loi, la terre, les prophètes, etc.), dans le second, Dieu le manifeste définitivement en se donnant lui-même, jusqu’à s’offrir en sacrifice sur la Croix. La Passion accomplit ainsi l’Incarnation par laquelle le Fils s’est déjà donné en Personne. C’est donc bien le Dieu miséricordieux et aimant qui se révèle dans la totalité de la Bible, mais selon deux modalités profondément graduées : Dieu donne (et déjà avec quelle surabondance) dans l’Ancien Testament, mais Dieu se donne lui-même dans le Nouveau [5].

Ajoutons une dernière observation, plus pastorale. Puisque le chrétien est un autre Christ, comment passer de donner à se donner ? Faut-il s’immoler ? Le don de soi ne s’identifie-t-il qu’au don de sa vie ? De fait, le martyre n’en est pas que la manifestation la plus haute, mais il en est l’attestation la plus fidèle (cf. Jn 15,13). Mais, loin d’être seulement un acte, le don de soi est une disposition, et donc un entraînement. Il commence lorsque j’introduis l’excessus, le « plus » dans ma vie : « si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui » (Mt 5,41). Vous voulez dès aujourd’hui transformer votre vieille outre en outre neuve, eh bien, passez outre ! C’est-à-dire donnez au-delà Demandez-vous : quel « plus » gratuit puis-je en ce jour accomplir, pour une personne, pour le Bon Dieu ? « La mesure d’aimer, c’est d’aimer sans mesure ».

Pascal Ide

[1] Cf. site pascalide.fr : « La colère de Dieu ».

[2] Cf. Pascal Ide, « Dieu miséricordieux et juste », Nova et vetera, 94 (2019) n° 2, p. 147-164. L’article est aussi présent sur le site pascalide.fr.

[3] L’exégète Albert Vanhoye souligne « le dernier emploi de ‘présenter dons et sacrifices’ » (He 9,9) et ‘le premier emploi de ‘se présenter soi-même’ » (He 9,14) (La structure littéraire de l’épître aux Hébreux, Paris, DDB, 21962, p. 139).

[4] Ce n’est pas le lieu de se demander en quoi consiste cette différence : est-elle de nature ou de degré ? Étant donnée la loi de symbolisation selon laquelle tout don symbolise le donateur, j’aurais tendance à introduire une distinction d’intensité, donc de modalité et non pas une distinction spécifique.

[5] L’on pourrait alors se demander comment différencier la manière dont Dieu se dit, se révèle à travers l’autre livre, celui de la nature. Faudrait-il faire appel à un transfert analogique de la différence entre les deux langages, verbal et non-verbal ?

21.2.2025
 

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