Le progrès est-il un mythe ?

(cette note fait suite à une autre note : « Temps cyclique et temps linéaire. Le véritable sens d’une différence d’importance (Guitton) »)

 

Après avoir fait l’objet d’une fascination inconsidérée et périlleuse par les Lumières, le progrès est aujourd’hui largement décrié, en tout cas par toute une philosophie de la déconstruction de l’histoire messianique à l’œuvre dans les visions hégélienne, puis marxiste. Et cette critique est d’autant plus acerbe que de nouveaux grands récits émergent, par exemple avec le transhumanisme – offrant ainsi au libéralisme qui se présentait comme fin de l’histoire, un rêve utopique et un principe espérance.

Pour autant, faut-il condamner tout progrès ? Nous adopterons ici une perspective chrétienne. Une première réponse consiste, grosso modo, à raviver la perspective eschatolotique et le sens anagogique des Saintes Écritures qui sont toujours déficitaires dans le discours et la pratique catholiques. Mais cette réponse paraît relever du fait plus que de la nécessité. Nous souhaiterions réhabiliter le progrès au nom d’une vision plus fondamentale des relations entre le temps et l’éternité et, dans le même mouvement, montrer en quoi cette conception chrétienne du progrès se distingue de la conception illuministe (pour proposer un italianisme).

 

Dans la note citée en exergue, nous opposions deux conceptions, cyclique et linéaire, du temps, en convoquant l’articulation trop ignorée du temps et de l’éternité. D’un mot, le temps cyclique est l’incarcération de l’éternité dans le temps, l’énergie de la première se transformant dans la répétitivité du second, comme un animal sauvage qui, se trouvant enfermé dans la prison d’un zoo ou domestiqué dans un cirque, ne peut que tourner en rond dans sa cage ou sur la piste. En revanche, le temps rectiligne, lui, provient de la sortie extatique de l’éternité qui révèle sa plénitude foisonnante dans le renouvellement permanent des événements contingents. Ainsi donc, le secret bien gardé du temps linéaire réside dans l’éternité qui l’anime, comme l’opération ou l’énergie (énergéia) seconde posée par la substance révèle l’énergie première qu’est l’acte d’être (agere sequitur esse).

Tournons-nous vers le terme. L’opposition entre les deux conceptions, sécularisée (illuministe) et chrétienne, du progrès ne fait que répéter l’opposition entre les deux configurations, circulaire et rectiligne, du temps. En effet, l’histoire mythique est ignorante et amnésique de l’enfermement de son origine éternelle – tout en en vivant de manière secrète et très appauvrie par la réitération sempiternelle. Or, en confondant libération et émancipation, c’est-à-dire en s’arrachant à la source transcendante et permanente d’innovation qu’est l’éternité, les Lumières n’ont retenu de la Bible que cette puissance d’avancée infinie que le temps recelait. Mais il advient d’un être coupé de son origine ce qu’un fleuve devient quand il est coupé de sa source : il s’assèche. Ou plutôt, symétriquement à l’histoire cyclique, le progrès purement immanent dont vivent nos démocraties matérialistes et le rêve d’une humanité 2.0, finit par se répéter sans innover, jouir (droguer) en prétendant réjouir, troquer un indéfini toujours plus décevant contre l’Infini enthousiasmant qu’elle prétend illusoirement, voire mensongèrement offrir.

En regard, la Révélation biblique promet un Progrès réel qui, surgissant de l’Éternité divine, suscite une espérance assurée, ce qui ne signifie ni connue ni aconflictuelle, ainsi que l’affirment deux versets très proches de l’épître aux Romains, chap. 8 : « c’est en espérance que nous avons été sauvés ; or, quand on voit ce qu’on espère, ce n’est pas de l’espérance » (v. 24) ; « nous savons que toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu » (v. 28).

 Plus encore la Révélation chrétienne identifie tout à la Personne du Christ, que ce soit la vérité – « le christianisme, c’est le Christ » (Guardini) –, l’éthique – « le Christ est la norme concrète » (Balthasar) – ou le rite – la liturgie est « l’adoration du Christ » (Ratzinger). De même, le Progrès chrétien, c’est le Christ lui-même qui ne cesse de « faire toutes choses nouvelles » (Ap 21,5).

Pascal Ide

18.2.2025
 

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