Cinema paradiso, drame italien de Giuseppe Tornatore, 1988. Avec Philippe Noiret et Jacques Perrin.
Scène 15 : de 1 h. 50 mn. 30 sec. ou 1 h. 52 mn. 30 sec. à la fin.
- a) Résumé de l’histoire
Depuis 30 ans qu’il a quitté Giancaldo, le village de Sicile dont il est originaire et où il n’est plus jamais revenu, Salvatore Di Vita (Jacques Perrin) vit à Rome où il est devenu un cinéaste célèbre. Un soir, il reçoit un appel lui annonçant la mort d’un certain Alfredo (Philippe Noiret). Pendant la nuit, toute son enfance lui revient en mémoire : dans les années quarante, celui qu’on surnommait alors Totò partageait son temps libre entre l’église où il est enfant de chœur et la salle de cinéma paroissiale (qui s’appelle Cinema Paradiso), où régnait Alfredo, le projectionniste. Don Adelfio est à la fois curé, gérant de la salle de cinéma et comité de censure qui fait couper par Alfredo chaque scène qu’il juge « impudique » (un baiser suffit !). Fasciné par le cinéma, Totò apprend de son ami projectionniste qui lui enseignera toutes les ficelles du métier. Devenu adolescent, il tombe amoureux d’Elena, fille de bourgeois aisés. Mais ses parents n’apprécient pas l’idylle de leur fille avec ce garçon pauvre. Après son service militaire, alors qu’Elena est partie sur le continent, il retrouve Alfredo qui, confiant dans ses dons artistiques, lui conseille d’abandonner la Sicile pour toujours et partir à Rome.
Retour au présent : si Salvatore est devenu un réalisateur riche et célèbre, il est insatisfait de sa vie privée et demeure hanté par le souvenir de son grand amour de jeunesse. Décidant d’aller à l’enterrement d’Alfredo, il revient en Sicile. Mais c’est pour assister impuissant à la démolition du Cinema Paradiso (symbolique de la crise traversée par le cinéma italien). La veuve d’Alfredo lui remet toutefois une bobine de film laissée en héritage pour Salvatore. Rentré dans la Ville éternelle, il la visionne aussitôt, intensément ému, ne pouvant imaginer le message posthume que lui lègue Alfredo.
- b) Commentaire de la scène
Le projectionniste a eu l’idée de regrouper tous ces rushs pour en faire un unique film.
Pourquoi cette scène a-t-elle tant ému que certains en ont fait la plus belle du cinéma ? Y voir la victoire de la liberté sur la censure ecclésiastique serait idéologique et juger hier à partir d’aujourd’hui, la très religieuse et très méditerranéenne Italie du Sud à partir de la froide France dite des Lumières. Y lire une puissante attestation symbolique de l’immortalité du cinéma, alors que tout semble signifier son écroulement, serait juste, mais insuffisant.
Il ne faudrait pas oublier son contenu qui est un formidable hommage rendu à l’amour humain. Parce que l’héritage d’Alfredo parle de l’amour humainement le plus grand et le plus achevé, celui de l’homme et de la femme, dans le geste qui conjugue la communion la plus grande et la visibilité la plus chaste, à savoir le baiser (en-deça, le geste est commun à d’autres formes d’amour ; au-delà, il transforme le spectateur en voyeuriste).
Mais il y a plus. Cette scène est guérissante. Alors que Salvatore n’a pas pleuré à l’enterrement, Totò se met à pleurer en regardant la bobine. Est-ce lié à ce qui est représenté ? Il est permis d’en douter : cinéaste, il connaît ces scènes par cœur, il les a visionnées de multiples fois ; adulte, il n’a plus la sensibilité romantique du jeune ; vivant à une époque autrement libérée que la sienne, ces scènes ne peuvent plus présenter la saveur du fruit défendu. Ces scènes d’amour vues alors qu’il vivait encore à Giancaldo font resurgir son amour perdu. En partant à Rome, certes, il obéissait au conseil d’Alfredo, mais il fuyait son grand chagrin d’amour dont il est demeuré depuis toujours inconsolé. Mais le retour de ce souvenir si douloureux ne saurait le consoler ; pire, il ne pourrait que lui donner l’impression d’un immense gâchis sentimental.
Car enfin, ce cadeau d’Alfredo contient beaucoup plus, il contient le trésor immense de ces années siciliennes où, avec sa mère et sa sœur, il attendait en vain le retour de son père envoyé combattre sur le front russe : dans ce don s’attarde tout l’amour gratuit, inconditionnel, jamais démenti, de cette figure paternelle de substitution qui, malgré l’éloignement et l’ingratitude de Totò, n’a cessé de penser à lui et de l’aimer. Tout présent authentique porte en lui, symboliquement, la présence du donateur. Les larmes bienfaisantes qui coulent sur le visage de Salvatore sont des larmes de gratitude.
Pascal Ide